Vendredi
1er juin, 1 heure
Un nouveau cahier
qui commence avec des bonnes nouvelles.
Tout d'abord une
exposition (collective) qui commence aujourd'hui (mais après dormir c'est en
fait demain, même si demain restera aujourd'hui, - c'est le conflit des
chiffres et des corps...) J'y présente trois photographies que j'avais
réalisées dans une série sur le travail d'E.B.C.Y., (Manu pour les intimes)
il y a de cela quelques années... trois peut-être, quatre... Manu avait
vécu deux ans en Afrique, au Ghana, et elle en avait ramené un container
d'objets invraisemblables : algues, bâtons, perles (des tas) souches, et tout
un bazar de récupes et de broques. A partir de ces objets elle a réalisé
des sculptures et m'avait demandé d'en faire des photos. La série "Une
certaine vision de l'Afrique" en a découlé. J'ai demandé à trois amis
de poser et j'ai mis en scène tout ce petit monde très sympathique, Chloé,
Myriam, José et les sculptures.
Voici une des
trois photos que j'expose demain :
Par ailleurs,
j'ai reçu il y a dix jours un appel d'Alex, notre "correspondant"
à Moscou, qui m'annonçait que la revue Territoria, de Saratov,
désirait nous commander un concert à l'occasion de leur dixième (ou
vingtième?) anniversaire. Nous sommes donc en train d'organiser tout ça.
C'est tout une affaire, entre les passeports qu'il faut faire, le voyage qu'il
faut prévoir, et tous les problèmes de tout un chacun ! Mais c'est
passionnant car je suis très heureux de retourner à Saratov, d'y retrouver
quelques amis dont Serguei Karmeev qui nous a décroché ce contrat.
Il y a quelques
années je lui proposais d'organiser un échange de résidences, lui aux
Salines d'Arc-et-Senans, moi à Saratov. La roue tourne et les balles se
renvoient. C'est ça les vrais amis, ceux qui vous renvoient la balle !
Aussi une
nouvelle chanson vient d'être accouchée ce week-end. Je recherchais les
diapos de la série "Une certaine vision de l'Afrique" et j'ai du
retourner mon appartement. Ce qui m'a valu d'exhumer des tonnes de souvenirs,
relire des lettres anciennes d'amoureuses, des heureuses, des pas heureuses,
retrouver des photographies oubliées, revoir encore Théo grandir, des
portraits aussi de mes amours mortes.... Bref ça m'a pris tout mon dimanche
cette plongée dans mon passé. Et c'est dans ce travail archéologique
que j'ai retrouvé des chansons (textes) que j'avais écrites quand j'étais
à Paris, en 91-92. Il y en a encore des perdues, et notamment une que
j'aimais beaucoup. Mais enfin, j'en ai retrouvé pas mal et même certaines
intéressantes.
J'ai donc appelé
mon ami Samuele qui recherche des chansons en Français et lui ai proposé de
passer faire son marché parmi ces reliques. Il en a choisi trois je crois,
que je me suis empressé de taper et de corriger un peu. Et je m'en suis
gardé une.
Avec les
expériences des quatre années passées, je suis devenu compositeur. Cela me
surprend toujours de me voir "compositer". Autant quand j'écris un
texte je sens que je possède des outils théoriques, une certaines maîtrise
du sujet, mais autant la composition m'apparaît toujours comme un miracle
venu d'on ne sait où...
Alors, après
avoir immédiatement identifié les problèmes de ce texte qui ne me
satisfaisait pas quinze ans auparavant (parce que justement il y a maintenant
mon expérience de compositeur qui m'aide à voir les textes comme des
chansons et non comme des poèmes) je me suis mis à couper dans mes vieilles
idées et à en sortir un début de chanson acceptable.
Le soir même je
cherchais sur ma guitare ce que j'avais entendu dans ma tête (les musiques
naissent dans une partie inconnue de ma tête) et tout ça pour aboutir à
"Ilhem, Révélation", la nouvelle chanson.
Je ne vous
cache pas que je suis le premier à être surpris quand une nouvelle chanson naît.
Je suis un peu comme les premiers hommes qui croyaient que les enfants
étaient un don des Dieux car ils ne comprenaient pas que c'était en copulant
qu'ils les concevaient. Moi avec les chansons c'est pareil. Il doit y avoir
une copulation quelque part mais je ne sais pas où. Et plof, un jour ça
tombe ! Un vrai don du ciel !
En tout cas, pour
le texte de cette chanson, je sais que l'idée remonte à mon année comme
professeur en Algérie. C'était en 1984. C'était l'époque où les jeunes
commençaient à se laisser pousser la barbe et où les meilleures élèves,
filles, se passaient le turban. Les filles, et les plus douées, elles le
faisaient car aller à l'Université Islamique était leur seule chance de
poursuivre leurs études. Une de mes élèves s'est mariée en cours d'année
avec un professeur de Français algérien. Bien que mon collègue ait été un
jeune homme très ouvert et d'apparence progressiste, je n'ai jamais revu mon
élève, sa femme, dans mes cours après le mariage.
Alors que je surveillais les épreuves du bac, j'avais complètement flashé sur une
étudiante qui était d'une beauté fascinante. Après l'examen, elle était
venue me voir pour me demander de lui écrire un mot et le signer. On m'avait
jamais demandé un truc pareil et cela ne m'est pas arrivé à nouveau
jusqu'à ce que je devienne chanteur !
J'avais donc 24 ans,
elle en avait dix-huit, il n'y avait pas de quoi faire un drame. En revanche,
le lycée fermé, je ne l'ai plus revue. Ain m'Lila n'était pourtant pas une
grande ville, mais on sait que dans ces villes des mille et une nuits les rues
ne sont pas pour les filles....
Bref la jeune
femme s'appelait "Ilhem" et on m'avait dit que ce prénom signifiait
"Révélation".
Oui, en effet,
notre rencontre en avait été une....
Et c'est pourquoi
la chanson se termine par :
"Mais dans
ton beau pays,
avec ses nom fleuris
L'amour c'est pas
permis
Pas de
Révélation..."
Lundi
4 juin 2007
Avant
dernier soir avant un nouveau départ en République tchèque. Je suis sous
tension car les concerts du 20 juin approchent et nous n'avons toujours pas de
date pour la fête de la Musique. Je devais avoir une information ce soir mais
Jean-Paul, mon Paulo, n'est pas venu à notre rendez-vous et son téléphone
n'a pas répondu à mes divers appels. C'est étrange car ce n'est pas le
genre de Paulo. J'en suis même un peu inquiet. J'espère qu'il ne lui est
rien arrivé.
Donc
on devrait avoir des nouvelles demain. Mais si elles sont mauvaises, comment
faire ? Je n'aurai pas le temps de m'en occuper à temps ! Une semaine en Tchéquie,
ce n'est pas la meilleure place pour négocier des dates.....
En
revanche j'ai eu une bonne nouvelle aujourd'hui. Le théâtre Bacchus nous a
programmé le 18 octobre et, France Bleu Besançon viendra enregistrer le
concert pour le publier dans un programme de 50 minutes qui sera diffusé sur
leurs ondes et sur deux radios suisses ! Je suis très content qu'enfin une
salle nous accueille à Besançon et qu'en outre une radio nous fasse un peu
exister.
La
chanson a besoin de promotion. Et de salles appropriées. Dans un bar, peu de
gens arrivent à saisir ce que vous racontez. Le bruit des consommants qui
continuent de parler ; des acoustiques inappropriées... Il n'y a donc que la
musique qui passe. Donc la moitié. Et puis la chanson est plus un spectacle
qu'une animation. Dans une salle de spectacle la chanson peut vivre dans toute
sa dimension.
Comment
allons-nous être accueillis par le public Russe maintenant, qui ne comprendra pas non plus ce que je vais raconter ? Je crois que l'exotisme de
notre langue remplacera les signifiés absents. Je l'espère en tout cas.
Au
fait, ai-je écrit que je suis allé voir, jeudi dernier, le premier concert
de Théophile ? C'était au Tev', le théâtre de Vesoul, dans le cadre d'une
soirée organisée par le collège Jean Macé. Il y avait deux groupes, dont
celui de Théo, et une chorale qui a interprété une dizaine de chansons
contestataires, ou du moins humanistes.
Théo
et son groupe ont interprété trois chansons : une de Tryo, une de Louise
Attaque et une d'Olivia Ruiz. Théo a chanté sur les deux premières, a joué
du violon sur Louise Attaque et du piano sur les deux autres. J'étais
tellement ému de le voir et de l'écouter que j'en ai pleuré. En plus il y
avait vraiment des bonnes choses ! A quinze ans c'est super de faire de la
musique comme cela !
A
47 ans ça devient un autre combat...
On
en arriverait presque à la question : "Ca sert à quoi la chanson
?" Certes ça sert à divertir les foules. Mais comment les divertit-on
les foules ? Il y a tellement de facteurs qui entrent en jeu. Mais il y a dans
l'air une séduction évidente et, à 47 ans, pour séduire des gamines de 15
ans, ça commence à devenir difficile ! Alors quelles sont les autres
"séductions" possibles ?
La
chanson c'est léger souvent mais pas toujours. La chanson c'est peut-être
aussi une histoire d'émotion. Quand une jeune femme craque pour un beau
chanteur, elle a une émotion. Mais la gueule du chanteur ne fait pas tout non
plus. C'est donc un truc entre deux eaux la chanson, un truc un peu incernable,
qui arrive quand même, pour certains professionnels, à s'enfermer dans des
grilles de consommateurs.....
C'est
ainsi que je me suis vu entendre dire par le directeur de Radio Bleu
Besançon, Pierre Desaint, que je faisais partie des cibles.... "Puisque
vous être pile dans la cible, nous sommes vraiment intéressés pour
réaliser les "Jeudis bleus" avec vous"... Sur le moment,
j'étais tellement content qu'il soit intéressé que je n'ai pas réfléchi.
Mais qu'est-ce que cela signifie d'être dans la "cible" ? Et s'il
m'avait dit "Désolé, vous n'êtes pas dans la "cible"....
J'ai
cru comprendre que le fait de faire de la "chanson française" me
fait tomber d'emblée dans le mille. La radio c'est pour la chanson. C'est pas
pour le hard rock. En tout cas pas ces Radiola. Mais peut-être qu'il y a
d'autres critères ?....
D'un
autre côté, quand vous allez frapper aux salles de musiques actuelles, vous
avez un peu l'impression de ne pas tomber dans le mille. Vous n'êtes plus
chez Radiola mais plutôt chez Black et Decker... La radio serait elle un
remède à nos maux de mal aimés des boites à zic chébran de chez nous ?
On
ne nous dit pas ici "ça pète pas assez" mais "vous êtes dans
la cible" A chacun son vocabulaire, - mais si on arrivait à trouver not'
place, le vocabulaire, on s'en taperait volontiers !
Alors
allons-y vers la cible en zigzagant gaiement comme des hirondelles au
printemps ! Et laissons tomber les pourquoi et les comment. La chanson c'est
magique voilà tout et si on se sent magicien, autant se jeter dans le chapeau
! On verra s'il y a quelque chose au bout du tube, - ou plutôt : s'il y a
tube au bout du trou !
Tabor,
un samedi matin (9 juin 07)
Je
relisais la page précédente et il me faut tout de suite calmer mes
inquiétudes du début de la semaine : la date du 21 juin est confirmée !
Nous aurons donc nos trois concerts comme prévu, trois concerts
indispensables pour rembourser à Karel ses frais de déplacement depuis
Tabor. Nous allons donc partager une scène installée dans le quartier
Rivotte, face à une demie douzaine de restaurants et cafés, entre le Doubs nonchalant
et la Citadelle fière de ces mille néons. Le groupe qui partagera la scène
avec nous est constitué d'autres compères de Paulo, les "Poule et Poux
Laids". Ils sont trois, Paulo joue de la planche à laver, Jean-Pierre
Mazet joue de l'harmonica et Dominique Poular joue de la guitare et chante.
Leur répertoire folk-country américain n'est pas ma tasse de thé mais ils
sont vraiment sympathiques. Donc je pense que ça va être une soirée très
sympa et je m'en régale d'avance.
Mais
ne grillons pas les étapes, pour l'instant nous sommes bien à Tabor. Il fait
un temps magnifique et nous serions allés nous baigner hier dans un étang si
je n'avais pas chopé un chaud et froid, ce qui m'a fait préférer rester à
la maison. Nous avons quand même dîné hier soir dans le petit jardin de
Ludmila, aux chandelles sous le parasol jaune au branches de bambou, en
compagnie du chat Boubák qui veillait, à l'angle d'un mur, que personne ne
vienne nous déranger.
Avant
hier nous avons passé la nuit et la journée à Česke Budejovice.
Ludmila qui fêtait la fin de l'année avec les élèves du conservatoire
m'avait demandé de la rejoindre dans la capitale de Bohème Sud. Nous avions
prévu de rentrer à Tábor le soir même, mais je suis arrivé tellement tard
que Ludmila s'est arrangé avec une amie pour que nous dormions dans la
pension dont elle est gérante. La chambre étant sous les toits, il est vrai
qu'il faisait un peu chaud, malgré les deux velux grands ouverts. Comme nous
étions face à la gare, on entendait régulièrement la musique précédant
les messages d'informations horaires puis les messages qui se réverbéraient
dans la nuit. De temps en temps un train passait... D'ailleurs ces velux
étaient joliment placés puisqu'ils réfléchissaient nos deux corps que la
lampe de chevet éclairait très joliment. Le temps passa d'une façon qui ne
se commente pas dans un tel journal, nous avions beaucoup de choses à nous
dire, et à nous donner cela va de soi... Et soudain j'ai découvert que le
ciel au dessus de nous n'était plus noir, mais de ce magnifique bleu qui est
pour moi la plus belle des couleurs. C'est d'ailleurs pour cela que je l'ai
choisi comme fond d'écran de notre site Internet (et de notre profil
myspace).
Oui,
j'adore la couleur du ciel lorsqu'il passe à la nuit et lorsqu'il revient au
jour. Ne sont-ce pas les plus belles heures de la journée ? Le soleil c'est
très bien mais ça révèle trop de couleurs. Et c'est le bordel. Bergman
disait que pour lui, l'heure du zénith lui évoquait la mort. Et, autant dans
les "Fraises Sauvages" que dans "L'heure du Loup" il a
filmé des scènes extrêmement "noires" et cauchemardesques dans la
violente lumière de midi.
Non,
lorsque le jour plonge dans la nuit et la nuit se change en jour, la délicate
lumière d'un bleu profond baigne les choses d'un voile de douceur que les
lumières artificielles relèvent de leurs touches de couleurs oranges,
rouges, jaunes, vertes....
Nous
avons passé notre tête par le velux ouvert et nous avons contemplé, Ludmila
et moi, nos torses nus par dessus les toits, le manège étrange de cette gare
en face de nous avec ses sémaphores, ces réverbères et tant de lumières
surprenantes. Peu de gens évoluaient sous le ciel bleu nuit, quelques
voitures vrombissaient dans le cañ on des rues, et l'air frais du matin
s'immisçait dans notre chambre surchauffée par les rayons du jour.
Après
une nuit un peu courte, nous sommes allés déjeuner dans un restaurant situé
sur une place plantée de nombreux arbres, avec une grande terrasse aux tables
et aux bancs en bois. Un étudiant de Ludmila travaille là et il avait
conseillé à son professeur d'y venir manger. Nous apprîmes que les
étudiants avaient fait la fête jusqu'à sept heures du matin et que beaucoup
avaient dû rejeter sauvagement le trop d'alcool qu'ils avaient bu. Il paraît
qu'ils boivent un mélange de vin rouge et de coca cola qu'ils appellent
"houba", champignon. Beurk! Pas étonnant qu'ils aient été malade.
En tout cas le conseil était bon quant au restaurant de midi : pas cher,
bonne chair et terrasse agréable.
Ensuite
Ludmila est partie pour deux heures de cours au Conservatoire et je suis allé
visiter l'Alliance française en espérant que le Directeur, Nicolas Roussel,
pourrait avoir un moment de libre. Il pouvait. Depuis qu'il est arrivé en
poste, l'année dernière, nous nous étions toujours parlé par téléphone.
Nous sommes donc allés boire un café dans le bar qui se trouve à l'étage
sous l'Alliance, "Le chat Noir" et nous avons discuté longuement,
tâchant de trouver une solution pour financer une série de concerts l'année
prochaine. Nous avons reparlé de ce refus du Conseil Régional, de la DRAC et
de l'AFAA de nous accorder 2500 € pour cette tournée. A trois ! Cela leur
faisait moins de 900€ chacun ! Une honte ! Sachant qu'il y avait une demande
de l'alliance, de la ville de Tabor, que notre formation est franco-tchèque
et que, même dans les chansons il y a un mélange de Français et de Tchèque
! Ce refus est une pure absurdité ! Et il vient d'un Conseil Régional a
tendance socialiste ! Bravo ! Qu'ils s'étonnent maintenant d'avoir laissé le
champs à Sarkozy ! A force de décevoir les gens de leur bord ! Je suis
vraiment surpris par le nombre de gens votant socialiste avant et qui m'ont
dit qu'ils avaient voté Sarkozy ! Quels arguments donner à ces gens de voter
autrement alors que votre parti vous déçoit de la sorte !
L'invitation
par la revue "Territoria" à venir jouer à Saratov, aux conditions
que nous avons fixées, est la conséquence d'une résidence d'artiste que
j'avais fait à Saratov en 2003. Cette résidence avait été aidée par la
même commission Conseil Régional/AFAA (je ne sais pas si la DRAC était
déjà dans le coup). A cette époque le Conseil Régional était à droite et
son Directeur de la Culture était Laurent Decol, un artiste (mime) de la
Région, qui avait fonctionné avec une association exactement comme je le
fais. Cet homme n'était pas un vrai homme de droite. Mais il était ami avec
un Président de Conseil Régional, en l'occurrence de droite. Je me souviens
que Laurent Decol, qui m'a toujours reçu dignement (et m'a toujours expliqué
ses refus, car il y en a eu) avait dû menacer l'AFAA de mettre fin à leur
collaboration s'ils continuaient de privilégier leurs projets dans les choix
de cette Commission. Ce bras de fer avait porté ses fruits car, après un
premier refus, la Commission a finalement accepté notre projet l'année
suivante. Cette aide maintenant porte ses fruits. Nous sommes invités par une
revue Russe qui va prendre en charge l'intégralité des frais de voyage et le
cachet des musiciens !
Et
maintenant un Conseil Régional de gauche se fait à nouveau mener en bateau
par le petit monde parisianiste de l'AFAA alors qu'il y avait une vraie
demande de structures françaises et tchèques pour que nous venions jouer
chez eux ! Et ceci en pleine période électorale ! Mon Dieu, mais le parti
socialiste serait-il dans une période suicidaire ?
Passons,
passons... Pour revenir à Ceske Budejovice, je voulais dire aussi que j'ai
découvert cette ville sous un jour nouveau (j'étais venu en hiver ou le
dimanche). La ville est de plus en plus vivante et réellement magnifique.
Dans les ruelles pavées, sous les arcades du centre ville, dans le parc qui
longe la rivière en bordure de la vieille ville, partout une ambiance
souriante et décontractée. Beaucoup de petits bars-restaurants à la
décoration originale, des terrasses ombragées, certaines à l'étage et
dominant des ruelles médiévales où on s'amuse à voir les marcher les
passants à leur insu ! Nous avons même surpris un concert organisé par
l'école de musique sur une place à l'excellente acoustique, concert
d'élèves dont la qualité ferait rougir la grande majorité de nos écoles
de musique Françaises. C'est incontestable, la République tchèque a un
niveau très supérieur au nôtre dans l'enseignement artistique en général,
et musical en particulier.
Ce
soir, si mon rhume le permet, nous irons nous baigner dans un étang du coin,
car la Bohème sud regorge de ces plans d'eau. Nous irons en fin de journée
car j'ai oublié de prendre un maillot de bain. Alors oui, si vous ne savez
pas où aller pour vos vacances, n'hésitez pas à venir en Bohème sud !
C'est le pied !
Lundi
11 juin 2007, Tabor.
Je
me suis installé à la terrasse de la pension Alfa, en face chez Ludmila, qui
propose à ses clients une connexion wifi. Très pratique. Il fait chaud
et heureusement quelques nuages tempèrent la chaleur du soleil. Un petit groupe de touristes passent,
je remarque qu'ils parlent Français. Oui, il y en a pas mal par ici. Normal,
c'est la saison idéale pour visiter la Bohème.
Une
moto passe, on me klaxonne. Ah ! c'est Radek (le guitariste qui jouait encore
avec nous l'année dernière). Il vient de s'acheter un trail Honda 750 cm . Comme quoi ses affaires marchent bien. Radek
s'est toujours débrouillé. Au temps où il jouait avec nous, il était
intermédiaire entre une société qui vendait des machines à sous et une
usine de meubles. Il recevait les plans et les quantités d'objets à
fabriquer par mail (des bases en bois pour des machines à sous) et il les
réexpédiait à l'usine. Il appelait de temps en temps pour vérifier
l'avancement de la commande et, quand c'était fini, il téléphonait au
commanditaire pour annoncer quand il allait recevoir la livraison. Ce petit
business lui prenait moins d'une heure par jour de travail et il encaissait
des commissions impressionnantes avec lesquelles il a vécu grassement presque
deux ans. Quand la société cessa de
prendre commande, il a ouvert un atelier de restauration de meubles anciens.
Ce matin il m'a dit qu'il employait maintenant deux personnes pour son atelier
et que ses affaires marchaient bien. Seulement il n'a pas autant de temps
libre qu'auparavant regrette-t-il. Certes on ne peut pas toujours avoir le beurre
et l'argent du beurre. Mais il ne se plaint pas. Son grand sourire de Viking
plein de vie au lèvres il traverse la vie avec une satisfaction
ininterrompue.
L'autre
musicien tchèque de notre formation, Karel, ne s'en sort pas si bien.
Bien meilleur musicien que Radek, à qui il reprochait de se contenter d'un
travail très moyen (je parle de son travail de musicien), il doit faire face à la crise que connaissent
actuellement beaucoup d'artistes en République tchèque. D'abord le pays est
petit, ce qui restreint les possibilités. Mais, en outre, la grande
croissance que connaît le pays actuellement fait qu'on se préoccupe
davantage des bonnes affaires qu'on peut y faire que de promouvoir la culture
dans le pays. A part quelques artistes pris en charge par la presse et les
télévisions, il est quasiment impossible de vivre en Tchéquie de la musique
ou d'un quelconque art. Il y a bien sûr beaucoup d'orchestres permanents,
résidu du système communisme. Beaucoup de théâtres, d'opéras, ont un
orchestre permanent avec des musiciens et même des chanteurs, des danseurs
pour le ballet et l'opéra. Mais les salaires sont
faibles et la plupart arrondissent leurs salaires en donnant des cours, ou
même je crois, en faisant d'autres petits boulots annexes.
Karel
est enseignant à l'école de Musique de Tabor. Il a une partie de ses
élèves ici, une autre partie dans des villages où l'école a des annexes.
Mais l'argent gagné est insuffisant pour vivre convenablement. Il habite une
chambre chez l'habitant, partageant cuisine, toilette et salle de bains avec les propriétaires. Depuis longtemps il essaie de trouver quelque chose
d'autre mais les appartements à louer sont encore peu nombreux et chers.
Mais bon, dans quel pays les artistes vivent tous convenablement ! Faire une petite
enquête en France montrerait que, malgré ce magnifique statut
d'intermittent, encore beaucoup d'artistes vivent dans de grandes difficultés
financières...
Ceci
dit, ce n'est pas parce qu'on a du mal à joindre les deux bouts qu'on n'a pas
le droit de se divertir un peu. C'est pourquoi, hier, Karel nous proposait d'aller nous baigner. Il
tenait à nous faire découvrir une ancienne
carrière qui s'est remplie d'une eau parfaitement claire dans un site très agréable.
Ludmila est d'accord et, pour éviter de nous trouver au milieu de plein de
gens, ils décident d'y aller à 20 heures. Entre l'absence de monde et le
soleil, j'aurais peut être préféré le soleil... Mais bon, je m'en remets à
leurs exigences d'agoraphobes et nous prévoyons d'en profiter pour pique
niquer.
Vers
sept heures le ciel commence à se couvrir. Le temps de finir
les préparations et d'attendre que Karel nous rejoigne, - il est vingt heures
trente quand nous démarrons. Ludmila, qui n'aime pas trop les imprévus, commence
à se plaindre qu'il est trop tard et qu'il va pleuvoir. Bon, restons calmes,
- on verra bien !
Direction
Prague, par les petites routes. Le ciel commence à être du même avis que
Ludmila. De gros nuages sombres pointent juste dans la direction où nous
allons. Et on commence même par voir les traînées sombres des averses en
face de nous et aussi sur notre droite. Encore quelques kilomètres et ça y
est, il pleut. Des grosses gouttes. Karel tâche de se montrer optimiste : ça
va pas durer, ce ne sont que des orages ! Et effectivement le ciel se lézarde de très
beautifull éclairs ! Beautifull for me bien entendu ! Ludmila de son
côté voit les choses plus en noir : elle nous dit que la foudre c'est très
dangereux quand on est dans l'eau. Lidunko, don't be so catastrophiste ! J'introduis ces quelques mots en anglais
pour signifier que c'est la langue qui nous permet de nous comprendre. De
temps en temps, Ludmila et Karel parlent en tchèque et Ludmila tente
tant bien que mal de me fait la traduction en Anglais.
Nous
arrivons à la carrière après avoir pris diverses petites routes. Il fait
très sombre et il pleut averse. La température a considérablement chuté.
Nous garons la voiture dans un parking prévu à cet usage, et, par un chemin
ruisselant de pluie, nous nous approchons du petit lac. L'eau est assurément
d'un vert qui serait très attirant par beau temps. Mais les arbres autour, le
ciel noir, la pluie, le froid... Bref, si Karel est encore motivé par la
baignade ("touche
l'eau, me dit-il, tu vois comme elle est bonne !"), - il
est bien le seul !
D'un
autre côté il n'avait pas tord : la pluie commence à se calmer. Ludmila
voit les choses autrement, même s'il ne pleut plus, on ne peut pas poser les linges du pique nique sur
un sol complètement trempé ! Je propose alors que nous trouvions un endroit
sec pour manger et, qu'après, on revienne pour se baigner.
Un
peu plus loin l'entrée d'un village. Et un abris de bus. Non. Un abris de bus
leur rappelle trop de souvenirs ennuyeux. On va chercher autre chose. Je décide d'aller voir dans le
village. "Mais on ne trouvera rien dans un village, on ne va pas faire un
pique nique sous le nez des gens !" Je suis sûr, dis-je, qu'il y a un
endroit qui nous attend ! Et je sors notre dicton : "Qui cherche
trouve". Ils ne sont pas très convaincu mais nous avançons. Je remarque
avec satisfaction que Ludmila ne nous a pas proposé de rentrer, ce qui est
bon signe. Elle dit même : "De toute façon, s'il n'y avait pas eu de
pluie, ça aurait été trop banal" Le sens de l'humour domine la
situation et nous traversons le village plutôt gaiement.
Il
y a beaucoup de villages en Tchéquie qui apparaissent comme le bout du monde
étant donné que la route qui y conduit se termine à la fin du village
et à l'entrée d'un champ. Et c'est précisément là, à l'entrée du champ
en question, que l'on découvre un grand hangar, typique construction de
l'époque communiste lorsque l'agriculture est passée des mains des
particuliers à celle de l'état. On voit partout de ces immenses hangars dont
certains sont pleins de vaches et de bœufs qui ne voient jamais la lumière
du jour. Pour cette ferme là, elle est vide mais, ce qui va m'intriguer dans
le moment précis, c'est un appentis qui se trouve devant le bâtiment, à
deux pas de notre voiture. Sous un toit de tôle quelques grosses bottes de
foin cylindriques et un espace libre qui pourrait bien !... Non ! me
répondent en choeur Karel et Ludmila, on ne va pas manger là ! On est en
Tchèquie ici, si le propriétaire nous voit il va nous chasser à coup de
fusil ! - Mais non, je leur dis ! C'est fini le temps de la parano communiste
! Qui va venir s'occuper de ce qu'on fait ici ? Il pleut et personne ne vous
voit ! Je vais quand même vérifier l'état de l'endroit et, regardez ! leur
dis-je, il y a des souches en bois pour s'asseoir et on peut même en faire
une table ! Et look here ! un coussin de canapé ! - on se croirait dans un
salon ! venez voir !" Ludmila me dit : "mais je ne vais jamais
m'asseoir là dessus, c'est too dirty ! - Pas de problème !" Je
vais dans le coffre de la voiture, en sort une couverture noire qui est
toujours là au cas où, je le pose sur le coussin et " Isn't it perfect
now ?"
Le
jour baisse, bientôt on ne verra plus rien, alors, mon enthousiasme aidant,
ils finissent par adopter le lieu. Ludmila sort des torchons, en couvre les
souches, une bouteille de rouge est sortie du coffre, - des
verres, un tire bouchon, et tout un petit fourbis que Ludmila sort de ses sacs
en plastique et nous voici en train de trinquer, "Nas dravi !" ravis
de pouvoir se poser au sec et, finalement, pas si mal installés : Karel sur
son sac à dos-siège pliable de fisherman, ludmila sur son bout de
canapé, moi sur une souche et, au-milieu, la table installée sur la
deuxième souche et nappée d'un torchon.
Il
faut peut-être préciser ce que ces fermes nationalisées représentent pour
les tchèques de la génération de Karel et Ludmila. Lorsqu'ils faisaient
leurs études, collège et lycée, avant la "Révolution" (celle de
velours qui marqua la fin du régime communiste) il était obligatoire pour
tous les élèves et étudiants, de faire des travaux d'utilité collective.
Pendant un mois de leurs vacances, ils devaient travailler dans des fermes
similaires, pour aider aux cueillettes (fraises, pommes de terre) ou encore
pour planter des pieds de légumes divers. La mauvaise foi aidant (comment
peut-on aimer faire des travaux obligatoires d'une part et qui n'étaient
payés que si vous aviez un bon rendement d'autre part) c'était vécu comme
une horrible corvée. Se retrouver dans un lieu similaire quinze ans après,
en train de pique niquer à la sauvette autour d'une bouteille de vin
français, ça finissait par devenir très excitant. Une sorte de revanche sur
des mauvais souvenirs : l'humeur était passée au beau fixe !
On
a commencé par se raconter des histoires drôles. Karel en avait une série
sur les musiciens. L'une d'elle m'a fait beaucoup rire, je vous la raconte
(évidemment, l'oralité va certainement manquer, mais j'essaie quand même) :
Un
tromboniste dans un orchestre. Un jour il va voir un des gardiens du théâtre
et il lui dit : "J'ai un truc à te proposer. Je dois faire un concert
vendredi mais le même jour j'ai une proposition pour jouer en Autriche, c'est
super bien payer et je ne voudrais pas rater ça. Alors je voudrais te
proposer de me remplacer à l'orchestre. Tu gagneras mon cachet, ça te fera
un petit complément de salaire ! Ne t'inquiéte pas pour l'instrument, tu
trouveras tout sur place : un trombone, un pupitre, la partition, bref tu
n'auras aucun problème !
Le
gardien répond "Mais je ne sais pas jouer du trombone ! - Pas de
problème ! Répond l'autre, tu n'auras qu'à faire semblant de jouer, tu fais
les mêmes mouvements que les autres trombonistes et personne n'entendra que
tu ne joues pas !" Le type finit par accepter la proposition.
Une
semaine après le concert, le tromboniste croise le gardien et lui demande
comment ça s'est passé. L'autre lui réponds : "Pour l'instrument, le
pupitre, les partitions, pas de problème ! Seulement quand je suis arrivé
sur la scène, à la place des trombonistes de l'orchestre il y avait les cinq
gardiens du théâtre !"
Je
ne sais pas si cette histoire vous a fait rire, mais moi, en me rasant le
soir, j'en riais encore ! Bref, la nuit est tombée petit à petit, nous avons
fini la bouteille et personne n'est venu nous faire d'ennui. A la fin j'ai
demandé à Karel s'il voulait toujours aller se baigner, lui faisant
remarquer qu'avec le vin qu'il avait bu cela pouvait être dangereux.
Certainement soulagé que je lui donne une bonne raison de ne pas relever son
propre défi, il a convenu qu'il valait mieux rentrer directement.
Personne
ne s'est plaint en rentrant de notre petite soirée improvisée. En outre je
pense que Karel et Ludmila ne regarderont plus jamais une ferme nationale de
la même façon et je ne regarderai quand à moi plus jamais un tromboniste
d'orchestre, ou un gardien de théâtre, avec indifférence !
Mercredi
20 juin 2006
Matinée
un peu stressée. Karel est en route vers Besançon, il est parti hier soir et
il doit être en train de rouler quelque part entre l'Allemagne et la France.
Le concert au Savana est ce soir..
Hier
les derniers préparatifs, à propos de tifs prendre rendez-vous chez le
coiffeur, répéter les morceaux non sûrs, faire des petites mises au point
sur la guitare, laver et repasser les habits de façon à avoir des tenues de
scène propres.
Petit
train train.
Sauf
que ce matin je m'excite contre Alex, en Russie, qui ne répond pas à mes
mails. Du coup un sérieux doute s'installe. Je n'aime pas du tout ces
périodes de silence. Au début ils appelaient tous les jours et maintenant
silence depuis presque deux semaines...
Karel
commence à penser qu'il ne pourra pas avoir son visa. En effet, il sera ici
jusqu'à lundi prochain. Ce qui veut dire qu'il n'aura plus qu'une semaine
pour avoir son visa. En République Tchèque, sans le réseau d'amis d'Alex,
cela va être difficile.
Alors
ce matin j'appelle Alex toutes les demies heures, - pas de réponse.
Je
connais Alex depuis quelques années maintenant. Et ce n'est pas la première
fois qu'il fait le mort pendant quelques jours. Mais en général, si mes
souvenirs sont bons, c'est rarement bon signe. Alors l'inquiétude monte.
Ce concert va-t-il nous filer sous le nez ?
Peut-être
ces délais de passeport... Peut-être.... Quoi ? Qu'il a-t-il de moins simple
que d'organiser un concert en Russie pour un groupe Franco Tchèque dont deux
des membres n'avaient pas de passeport ? Et si on est contacté par une revue
Russe un mois avant le concert ?
Bon,
laissons tomber. Bien que, si le concert est annulé, les musiciens vont être
très déçus. Toute la ville est au courant que nous devons partir. Ce qui
veut dire qu'ils ont tchatché dans tous les coins. C'est pas bon. Par
superstition on ne devrait pas en parler avant d'avoir la signature sur le
contrat. Ils se projetaient tous sur la route de l'Orient express...
Alors, s'ils ont à dire : ben non, ça a été annulé.... Quelle
déception....
Ce
soir concert au Savana. Alexis ne sera pas avec nous, on jouera donc à
quatre. J'espère que Karel ne sera pas trop crevé. Il m'a envoyé un sms
hier soir pour me dire qu'il avait été obligé de changer ses pneus avant de
partir et que cela lui avait coûté 8000 Cr, c'est à dire presque 300 €. Il
m'a écrit qu'il avait mis tout l'argent qui lui restait sur cette
réparation... De jouer à quatre ce soir augmentera un peu sa part de
salaire...
Quant
à demain, nous serons sur l'esplanade Rivotte. Ils vont installer des stores
et une bâche pour nous protéger de la pluie car ils annoncent du mauvais
temps et nous devons jouer à l'extérieur.
Tout
est prêt donc. Il ne reste plus qu'à attendre la réaction du public et...
quoi encore ? Que nos doigts, notre cerveau, nos instruments, ma voix.... Que
tout soit bien au rendez-vous.... Allez jouez les musiciens !
Mercredi
27 juin depuis une minute....
Mes
doutes dans la page précédente à propos de la Russie étaient fondés.
Mercredi vers 14 h j'ai reçu un coup de fil directement depuis la revue
Territoria. Une femme m'a annoncé la nouvelle en Français. J'ai compris
qu'ils avaient annulé pour deux raisons mais j'ai oublié la première. Je
crois que c'était à propos d'organisation. En tout cas la seconde raison
étaient à propos des visas. J'ai essayé de poser deux questions à la femme
qui me parlait mais elle ne comprenait pas mon Français. Alors j'ai fini par
raccrocher
après un au-revoir précipité. C'est gentil d'avoir d'abord pensé à nous
mais vous auriez pu le faire plus tôt. Un mois c'est trop court. Au moins
maintenant les musiciens ont tous un passeport. Surtout les Français. Car il
a fallu presque trois semaines pour avoir le passeport de Paulo. Et c'est
peut-être bien ce qui nous a planté.
Comme
attendu les musiciens étaient très déçus. Cela va sans dire. Paulo avait
bloqué son activité pour la période, ce qui fait qu'il se retrouvait sans
taf. Et sans beaucoup d'argent car les commandes ne pleuvent pas en ce moment
se plaint-il. Karel aussi était très déçu. Je lui ai donc proposé d'aller
faire un peu de musique au chapeau du côté de la Suisse la semaine
prochaine. Ca nous fera des vacances et si Dieu le veut cela lui fera aussi un
peu d'argent.
Pour
changer de sujet je veux parler un peu du fonctionnement de ce site internet.
D'après les outils statistiques du serveur OVH qui héberge le site, nous
avons 700 visites par jour. D'après le compteur qui est placé sur la page
d'accueil, il y en aurait une douzaine. Je ne comprends pas ces différences
d'opinion, comme quoi la statistique n'est certainement pas une science
exacte. Un ami me dit que le compteur sur le site ne compte pas les personnes
qui reviennent sur le site. Mais je n'en suis pas plus certain. En tout cas,
une chose éclairante, c'est que la plus grande partie des visites ne viennent
pas de Besançon. Quand je dis grande je devrais dire écrasante. Surprise de
découvrir que, dans la semaine, nous avons eu 10 visites de Courbevoie par
exemple, 5 de Paris, deux de Nice, Cannes. Et puis les Etats-Unis aussi, le
Canada, La République tchèque bien sûr mais aussi Amsterdam et Oslo...
C'est très curieux. Le couplage avec Myspace a d'ailleurs été profitable à
la fréquentation du site. Depuis deux mois tous les compteurs, que ce soit
l'humble ou l'hyperbolique, s'emballent.
Et
puis il y a les lecteurs de ce journal. Des amis souvent, comme les Manus
(Emmanuel Baudin et Emmanuelle B. Chan Yu, dite E.B.C.Y.) qui me disaient hier
que, depuis Chypre où ils ont vécu cette année scolaire, ils imprimaient de
temps en temps un cahier complet pour avoir le plaisir de le lire en continu.
D'autres comme mon ami Aurélien qui le suit presque au jour le jour et en
fait des "comptes rendus" à nos amis communs. Tout un petit monde
paisible et sympathique qui vient s'enquérir de ces quelques réflexions pour
certainement en faire rebondir d'autres de leur côté...
J'ai
croisé cet après-midi une connaissance, un homme très sympathique d'origine
algérienne. Il me dit "Tu sais quoi ? Sarkozy va en Algérie la semaine
prochaine ! - Ah bon ? - Ah oui normal il assure !- Je croyais que tu ne
l'aimais pas, tu as critiqué la semaine dernière R. parce qu'elle avait voté
pour lui ? - Ouais mais il m'épate ce type, c'est vrai qu'il y a des trucs
qui font peur chez lui, mais.... Tu vois, y'a un truc où il a raison, c'est
qu'il faut travailler !"
Étonnant
ce revirement d'opinion ! Si tous les gens comme lui, originaires de
l'immigration, se mettent à changer d'avis de la sorte, aux prochaines
élections Sarkozy fait 70% !
En
plus, pour un européaniste comme moi, sa relance de l'Europe de la semaine
dernière ne peut pas laisser indifférent ! Je l'avais dit quelques pages
plus haut, à force de décevoir, les gens du PS vont finir par tuer leur
Parti et enterrer les valeurs qu'ils devaient représenter ! Ségolène, et
pas plus le PS de Besançon, montrent un mépris pour la culture, pour la
création, et pour l'Europe. C'est pour cela, et le social, qu'on a voté pour
eux. Mais ils se battent pour leur place et oublient pourquoi on les a placé
là. Alors, s'ils se plantent demain, on ne va pas les regretter, et
pourtant.... nous restons orphelin. Qui représentera alors nos valeurs et nos
convictions.....
Je
reçois aujourd'hui une enquête pour le centre 1901, c'est le secteur de la
Ville qui s'occupe des associations. Une enquête sur les associations
domiciliées à Besançon. Dans le formulaire il faut à un moment définir
son secteur. Je cherche le nôtre, celui de Productions du Capricorne,
l'association qui porte mon travail et celui de mes compères, - bref
l'association qui porte notre
travail de créateurs. Il faut déterminer dans le formulaire notre secteur. Je trouve une rubrique "culture" et dans une
parenthèse je vois une liste de ce qui répond à leur notion de culture :
"musées, monuments, cinémas, bibliothèques, centres
culturels, salles de spectacles, centres de congrès, organisation de
spectacles vivants, préservation du patrimoine culturel, petits clubs
culturels.". Mais le mot "création" (car
enfin c'est bien ce que font toutes les compagnies de théâtres, les groupes
de musique, les associations d'artistes, - des créateurs il y en a plein dans
le monde associatif !) le mot "création" est absent. Ils n'y ont pas pensé. Ils ont oublié que
cela existait les "créateurs"... Alors qu'est-ce qu'on pense,
nous autres, en regardant le reflet de leur conception de l'association ? Qu'ils
ont oublié que nous existions. Et pourtant, quasiment tous ces créateurs
avaient voté pour eux. Comment cela s'appelle des bourdes pareilles ? Est-ce
que ce n'est pas cela qu'on appelle de l'incompétence ?
C'est
très dommage. Très très dommage. Et je le déplore profondément. Être
déçu par les siens cela fait toujours très mal. Habiter une ville de gauche
comme Besançon, et voir le peu de cas qu'ils font de notre activité, moins
de cas que les administrations territoriales de droite, c'est désolant.
L'esprit
de gauche, en France, il n'est pas venu de Marx, il est venu bien avant. Il a
été insufflé par une tendance des philosophes grecs et latins, et il s'est
développé peu à peu, par petites révolutions successives qui ont mené à
la révolution française, à la commune. Mais avant chacun des débordements
qui ont éclaté par vagues de ras-le-bol successifs, il y a eu, toujours, des
écrivains, des philosophes, des êtres hybrides, penseurs et scientifiques,
qui, en profondeur, ont développé une sensibilité, une idée de l'homme, de
ses droits universels, de sa souveraineté et en même temps une idée de
cité puis de société à dimension humaine. L'idée de gauche qui domine en
France vient de cet immense travail souterrain, souvent envié et consulté
par les intellectuels d'autres pays, cet immense travail d'une suite immense
de penseurs, d'artistes, d'écrivains de toutes disciplines. De Montaigne à
Diderot, de Pascal à Bataille, de Voltaire à Bourdieu, de Victor Hugo à
Cartier Bresson, de Fourrier à Sartre, d'Aristide Bruand à Brassens.... Tous
des créateurs, des inventeurs d'une idée de l'homme à l'encontre du pouvoir
des castes, de l'auto-détermination du pouvoir, de l'exploitation illégitime
d'une catégorie d'homme par une autre, de la mystification par les religions
qui appuyaient ces injustices en leur donnant une fausse justification, et
tous ont travaillé sur la construction d'une idée élevée de l'homme, qui
incitait à l'éducation, au développement de ses ressources, à la
célébration de sa beauté, de sa potentialité illimitée, bref à voir
chaque individu comme un être souverain que la société se proposait
d'accompagner, d'élever, d'enrichir et non de limiter, s'asservir,
d'humilier. Il en a suivi un essor faramineux, preuve que cette idée était
bien la bonne. Et un prestige culturel, artistique, intellectuel en plus de la
prospérité. Une aristocrate de la cour de Russie devenait la maîtresse de
Balzac ! Alors une Ségolène Royal qui fait campagne en mettant de côté la
culture et ceux qui la produisent, c'est la mort d'un parti. Et c'est une
idée qu'il faut à nouveau reconquérir.....
Faut
tout reprendre à zéro....
Mardi
3 juillet 2007
Je
fais actuellement ma dernière nuit au foyer A.G.E., enfin je reprendrai
peut-être en septembre. Mais ce n'est pas sûr. Aujourd'hui c'est le premier
jour que nous avons la connexion internet. Dernier jour, premier jour, - les extrêmes
se confondent cette nuit.
Cet
après-midi j'ai fait quelque chose d'important, que je pensais à faire
depuis un an, et que je tardais, tardais... Par timidité je crois, à moins
que ce ne soit pas humilité ou je ne sais pas quoi. Mais enfin cette fois
c'est fait !
Seulement
je ne peux pas dire ce que c'est. J'en reparlerai peut-être un jour. Ca
dépendra du résultat ou de mon humeur. Mais si j'en parle ce sera peut-être
bien, et, à ce moment là, vous serez contents. En attendant, c'est
peut-être frustrant. Je n'en doute pas, mais c'est pour vous faire partager
ce qu'on endure assez souvent...
Tiens,
à ce propos, je vais voir demain Vassili Memaris qui travaille au Conseil
Régional. Et je vais lui dire ce que j'avais écrit plus haut à propos de
cette subvention qu'ils nous ont refusé pour notre tournée en République
Tchèque. Ce refus me scandalise. Oui, des fois, on accepte des refus. Mais
celui-là était inacceptable. Et je vais lui dire. En ami. Car je n'ai rien
contre Vassili. Mais cette fois il a mal joué son rôle, il a mal
travaillé... Il ne s'est pas battu.
D'autre
part nous sommes allés hier aux Eurockéennes avec Théo. Je lui avais
promis, il voulait voir Tryo. Je n'ai pas pu voir Tryo car il fallait que je
rentre au foyer pour bosser à 11 h 15. Heureusement Théo a pu trouver une
copine qui l'a invité dormir chez sa mère, ce qui fait qu'il a pu voir le
concert.
Les
Eurockéennes c'est une drôle de machine énorme.... Avec ses cinq scènes,
ses multiples boutiques, sa sécurité, le transport... Tout est énorme ! Le
cachet des groupes aussi, sous le chapiteau entre 30 000 et 150 000 € ! Vous
imaginez.... un million de francs de cachet pour un groupe qui va jouer
pendant une heure quinze !
J'ai
bien aimé "TV on Radio". Un groupe de blacks barbus et de blancs en
casquette entre funky, rock, world et presque, parfois, progressive. C'était
original, couillu mais pas couillon. Le reste m'a fait penser à Europe 2. Des
choses propres, des fois lisses des fois moins, comme les Klaxons par
exemple, mais qui tous m'ont fait me demander pourquoi j'étais là. J'en ai
marre du feeling anglo-saxon. Leurs voix me fatiguent, - pourquoi les gens
aiment tant ces voix maigrelettes, et ces chœurs interminables. Moi ça finit
par m'écoeurer. Sans parler des guitares qui ont toutes le même son.... Non.
Moi j'aime le sud. J'aime le corazon. Le love me lasse. Et même à Ludmila,
à qui je parle couramment en anglais, j'ai cessé de lui dire "I love
you", je préfère lui dire "Miluje te" qui se prononce "Milouyi
té", - c'est doux, le "m", le "ou", le "yi".
Le "ve" de Love est faux cul. Ca siffle, ça veut donc dire
que ça sent le sexe froid, l'amour qui ne se lâche pas.
"Mi
Corazon" est bien aussi "Che ora son mi corazon" de Manu Chao,
- rien que du bonheur. En fait la pop anglaise c'est de la musique de mal
baise, c'est des corps aux culs serrés qui se lâchent et soudain se fâchent
pour se débrider, mais au lieu de devenir quelque chose de chaud et rond, ça
siffle toujours, ça sent la violence glacée, le truc qu'on retient et qui
soudain explose comme quand on vomit....
Ca
va, ça va, je me calme. D'ailleurs je ne m'énervais pas, c'est sorti tout
seul, comme si d'un coup je comprenais pourquoi je n'aimais pas ça. C'est
bien une question de feeling. Les voix africaines aussi sont souvent aigües,
mais je les aime, c'est une autre histoire qu'elles nous racontent. Au lieu
d'adolescents coincés comme les pop stars, les voix africaines nous évoquent
les croyances fascinées des enfants, une foi naïve, qui peut être violente
elle-aussi, mais jamais acide, jamais amère... Ca cogne, ça caresse, ça
rêve, ça rigole d'un seul coup d'un bon rire qui ne se surveille pas. Et
quand ça ose pleurer, alors c'est magique. Bonga, Cesaria Evora et, moins
connue, mais parfois plus sublime et plus profonde que Cesaria :
Herminia, - oh comme elle m'a transporté la vieille Diva du Cap Vert, si
maigre, à la peau ridée comme la grève de ses ïles.....
Oui,
la prochaine fois, avec Théo, nous irons à Rencontres et Racines. On y verra
peut-être encore Tryo, et j'espère surtout qu'on y verra Tiken Jah Fakoly
qui nous chantera "Mon pays va mal ! Mon pays va mal !" Quand le
world est en Français, je suis carrément fan. Car enfin merde, quand on
comprend ce que les groupes nous chantent, on peut au moins vérifier s'ils ne
nous chantent pas de conneries.... Ca me paraît élémentaire....
Jeudi
5 juillet, 3 h 30
Karel arrive de
Tchéquie. Il est tard. Ce week-end nous avons décidé d'aller en Suisse
repérer des lieux pour de futurs concerts et essayer de jouer au chapeau. Drôle
d'idée et drôle de programme. Nous verrons bien. En tout cas je viens de
terminer le texte de ce qui pourrait être une chanson sur fond de musique
techno. Je vous en livre le contenu en première exclusivité. Vous réactions
sont les bienvenues !
HAPPY
REQUIEM
Un
jour je rentrerai chez moi et elles seront toutes là à me regarder, avec un
drôle d’air, comme dans un film de genre, du genre à vous filer des
frissons sans comprendre vraiment la raison.
Elles
seront toutes là avec leur visage d’autrefois, comme si les pages
n’avaient jamais tourné, comme si le calendrier n’avait jamais été
inventé.
Au
centre d’elles toutes, une inconnue. Elle sera blême et noir vêtue, avec
aux lèvres un sourire jaune un peu austère. Et l’inconnue tendra sa main
vers moi, l’air de m’faire une proposition, geste plutôt indécent au vu
du proche environnement….
C’est
bon, j’aurai compris que c’est l’moment. D’une voix détachée – détendue ?
Non, faudrait p’t’être pas exagérer - je dirai à l’indécente :
« J’ai bien compris votre intention. J’ai donc pas l’ temps d’
changer d’veston. Mais bon, le rendez-vous était fixé, j’vais pas jouer
mon innocent,
j’
m’y attendais depuis longtemps.»
Y’aura
donc pas d’plaintes inutiles, pas d’ostensibles cris d’adieux, pas de
noir couloir, de trompettes ou de cors, de violons pleurnicheux. J’ai jamais
trouvé l’temps longs, j’ai toujours joué sans concession, j’ai même
trouvé ça bien, j’ai même trouvé ça bon. Tout comm’ avec les femmes
qui seront là, j’m’suis pas plaints de déception, ni d’incompréhension,
je n’regrett’rai pas leurs leçons, leurs émois, leurs tendresses, leurs
caresses, pas même leurs prises de tête, faut bien qu’ ça pète de temps
en temps. J’aurai aimé leur partition, des notes écrites sur d’la
dentelle, pleines d’étincelles et d’émotion....
L’indécente,
en rabat joie de service me dira alors de fermer mes cahiers, de mettre un
point final à mes coups d’ pieds, à mes coups d’dés, à mes non à répétition,
à ma rageuse soif de créer, - à
mes amours à mes passions.
Faudra
finir par s’laisser prendre. Je penserai à mon enfant, et je regarderai
celle devant moi, elle, la dernière, la seule, la plus belle. D’un geste
tendre j’oserai lui caresser les fesses, avec respect avec tristesse, et ses
grands yeux ne me quitteront plus, car il n’y a qu’ l’amour pour nous en
mettre plein la vue…
Il
sera temps d’partir lentement, j’oserais presqu’ dir’ naturellement,
mais sans non plus d’empressement, comme une idée qu’on a admis, même si
c’est pas c’ qu’on a choisi.
J’irai
devant sans paniquer, sans vouloir chambouler mon passé, sans r’mise en
ordre précipitée, car si j’suis pas l’roi du rangement, les choses, de
c’côté là, étaient en ordre depuis longtemps… Prêt depuis toujours,
la
vie comme un bonus jour après jour.
Sa
main de marbre dans ma main, l’indécente me pressera devant. A peine un pas
qu’une nuée d’oiseau surgira, battant des ailes dans nos cheveux. Quel
vacarme ça fera, les filles entonneront un rire dément, excitées par ce
contact soudain et violent. Et leur rire infernal se mêlera aux cris des
oiseaux. Autour de moi la frétillance de leurs ailes blanches envahira toute
ma vision, un blanc trouble et aveuglant. Un blanc indiscernable qui démantibulera
l’espace autour. Y’aura plus rien sous mes pieds, ce s’ra comme une
autre façon de voler. Puis la blancheur décantera, le rire des filles s’éloignera,
et autour de moi une pluie d’étoiles sans mouvement, qui sembleront là
pour un bon bout de temps…. Je n’attendrai pas d’autre chance,
j’laisserai la rédemption pour les poltrons. Mes yeux se rempliront de
vide, les sensations s’estomperont,
et n’ rest’ra pas un son dans
l’air, pas le plus infime air de chanson.
Faudra
donc tourner les talons, s’évaporer le cœur léger, les poches trouées,
l’être en cavale,
sans avoir rien à reprocher
à c’brin de vie sous les
étoiles.
Vendredi
6 juillet, Yverdon.
Nous voici donc partis
avec Karel. C'était suite à l'annulation du concert en Russie. Comme Karel
avait réservé la semaine, qu'il n'a pas beaucoup d'argent, et qu'à Tabor il
tourne en rond, je lui ai proposé de partir à l'aventure, faire les
restaurants en Suisse et au chapeau. Comme c'est un plaisir de jouer avec mon
virtuose tchèque et qu'on s'entend très bien tous les deux, je savais que le
risque n'était pas gros de partir à l'aventure.
Nous avons quitté
Besançon hier vers six heures. Direction la Suisse par Pontarlier. A
Pontarlier, le temps de parcourir la déviation, nous ne savions pas si nous
n'allions pas nous arrêter là le premier soir. Au dernier carrefour j'ai
senti que la voiture ne voulait pas rentrer au centre ville. Nous nous en
sommes remis à elle. Arrivés devant le panneau des Fours, j'ai eu soudain un
geste inconscient qui m'a fait déclencher le clignotant. Rassurant d'aller
voir nos amis du Snabeudzi qui, en mars, nous avaient si bien accueillis. Le
problème "où coucher?" revenait régulièrement sur le tapis. Mais j'avais
pas envie de forcer une décision inappropriée. On verra dis-je à mon
compagnon. Les vieilles fermes du Haut-Doubs, les chalets, les remontées
mécaniques pour skieurs, tout cela commençait à faire sensation. Karel me
dit "Beautifull, we are in holiday !"
Au Snabeudzi, hélas,
tous ceux qu'on connaît étaient absents, Marc, sa femme et les serveurs et
serveuses de mars. J'ai présenté la situation, ils n'avaient rien contre
l'idée qu'on joue ce soir, mais le monde n'était pas garanti. Jour de
semaine, au restaurant, il n'y a pas foule. Tant pis, on sera là, on verra le
monde qu'il y aura. Et pour dormir ? Au pire on dormira dans la voiture. Pour
avoir une idée, on est
allé visiter un gîte d'étape. Très joli lieu, 24€ la nuit
pour deux. Karel faisait la grimace.
Au Snabeudzi on nous avait
parlé d'un endroit sympa qui s'appelle le "Jeudi 12", à
Sainte-Croix, pas loin de là, en Suisse. Nous voilà partis en repérage. La
patronne, très sympa, nous dit qu'il y a ce soir une Jam cession. Ok, on
reviendra après le Snabeudzi. Toute la soirée nous n'avons cessé de
rebondir sur le conseil de l'un ou de l'autre. Il n'y en avait aucun de
mauvais.
On a donc joué au
Snabeudzi pour 4 tables. On a fait 12 €. Mais les gens étaient attentifs, ravis
même, et foutre dieu comme Karel joue bien et comme c'est agréable de jouer
avec lui !
Au "Jeudi
12", petit lieu. Il y avait un guitariste, un percussionniste noir, deux
grandes tablées de personnes et quelques uns au bar. Super ambiance, la
gentillesse des gens, et toujours le sacré effet de ce guitariste virtuose et
du chanteur en pleine forme !
On a fait 48 francs
Suisse. C'était pas la panacée mais c'était quand même encourageant pour
un banc d'essai et si peu de gens. Il était pas loin de 11 heures. Quoi faire
? "Vous pouvez continuer jusqu'à Yverdon, il y a un bar, le
"Coyote" qui ouvre jusqu'à 1 heure. Pas à réfléchir, salutations cordiales,
chouette on s'est fait plein de copains et va pour Yverdon !
C'était un peu
plus loin que nous l'imaginions. Nous arrivons un peu avant minuit au Coyote.
C'est là qu'il faut parler du deuxième objectif de notre petite virée
: repérer des lieux pour les futurs concerts du groupe. Au Coyote on a tout
de suite senti que, pour un petit tour de chapeau, ce n'était pas le lieu qui
convenait. Mais j'ai demandé à parler au patron et lui ai fait l'article
quant à notre groupe de musique. J'ai laissé une démo (nous sommes partis
avec une quinzaine) et nous sommes repartis en direction du Lac.
Il était peut-être
temps de trouver une solution pour notre nuitée. Nous arrivons devant le
camping qui dort toutes lumières éteintes. Devant le camping deux petites
demoiselles de très bonne humeur puisqu'elles ont arrosé ce soir leur
succès à la Maturita, le bac des lycéens suisses. On leur demande si on peut s'installer dans le
camping et régulariser la situation demain matin. Elles en savent pas
grand chose mais essaient de nous conseiller comme elles peuvent. L'essentiel
pour nous est qu'elles ont rendu cette arrivée à Yverdon un peu moins vide
et austère que s'il n'y avait eu personne. Elles sont sympas, nous discutons
un peu et leur jouons trois morceaux. Elles sont ravies et, en remerciement, nous invitent à
partager le Bailey chantilly qu'elles ont siroté toute la soirée ! L'une des
deux travaille comme bénévole dans un bar associatif qui organise des
concerts régulièrement. On lui laisse une démo, elle nous laisse son e-mail
et me dit qu'elle verra le patron du bar demain et lui en parlera.
Elles nous proposent
de nous aider à passer nos affaires par-dessus la barrière du camping. On
sort tout notre barda de la voiture quand un gardien sort de la cabine
d'accueil du camping. On lui demande si on peut s'installer. Pas de problème,
il nous montre où, en nous faisant entrer dans le camping par une allée
grande ouverte. Pour nos petites lycéennes il devait paraître tellement excitant de
nous faire passer par-dessus la barrière qu'elles en avaient oublié l'entrée
principale !
On s'est donc
retrouvé à notre emplacement régulier, les petites lycéennes sont
reparties chez leurs parents et j'ai vu Karel s'exclamer, ravi : "Oh !
beautifull holiday in Switzerland !"
Aujourd'hui, vers
midi, nous
sommes partis en repérage des restaurants où nous pourrons aller jouer ce
soir. Nous en avons trouvé quatre, des gros avec plein de gens, avec des
patrons ravis de notre proposition que ça semblait magique. Vraiment, qui
dira que les Suisses ne sont pas sympas se met le doigt dans l'œil
profondément. Tous les gens à qui nous avons parlé, même pour un
renseignement dans la rue, nous ont répondu avec une gentillesse surprenante !
Donc, jusqu'à maintenant, on pourra dire que notre virée se passe plutôt
bien, sans compter mon carnet d'adresses de lieux pour le groupe qui s'enrichit
à vitesse grand V.
Samedi
07 juillet 07 ( 07 07 07 ! ), Yverdon
Suite
de nos vacances-découverte en Suisse. Aujourd'hui il fait enfin bon et je
pense que toute la latitude se régale car de Prague (au moins) à Besançon
(de sûr !) c'était la météo sinistrose. Si nous avons cette nuit connu un
sommeil réel (contrairement à hier où le contact avec la terre n'avait pas
plu à notre organisme qui avait refusé de fermer les volets), en
revanche, ce matin, le plein soleil sur la tente a remplacé le chant du coq !
Mais bon, au moins cela nous met à égalité avec les résidents du
camping qui se couchent à l'heure des poules et commencent à ouvrir les
fermetures éclair de leur auvents au chant de notre symbole national.
Bienheureux ceux qui vivent au rythme des basse cours !
Et bienheureux les
Sarkozistes qui sont encouragés par leur président dans ce sens. La France
appartient maintenant à ceux qui se lèvent tôt et s'enrichissent des heures
supplémentaires !
Mais
nous sommes en Suisse...
Alors,
hier soir, après un plat de haricots à la tomate mélangés à des
saucisses fumées ramenées de Tchéquie par Karel, nous prenons nos guitares
et suivons le chemin qui longe le canal en direction du centre ville. Nous
avions décidé, avant notre rendez-vous au premier restaurant à 21 h de nous
arrêter au "Citron masqué" gros bar équipé d'une salle de
concert, pour faire découvrir notre groupe au patron. Celui dont on nous
avait décrit le naturel sympathique était avec deux amis sur la terrasse de
l'établissement. Une bonne tête allongée à la bouche souriante, quelques
tatouages, il nous reçoit à la hauteur de sa réputation. Seulement lorsqu'on
lui parle d'un possible concert, il commence par une argumentation qui ne va
guère vers la réalisation de notre projet. Cela fait dix ans qu'il tient cet
établissement qui était, au départ, un projet de maison
culturelle. Il organisait régulièrement des concerts qui marchaient bien. Il
y avait un service de restauration avec un personnel nombreux, et ils
compensaient les pertes que pouvaient occasionner des concerts à faible
audience par des soirées électro-commerciales qui étaient pleines de monde.
Seulement,
dans un sens inversement proportionnel au développement des grandes messes
culturelles comme les festivals de Nyon et de Montreux, la fréquentation du bar a baissé. Le
restaurant perdait du monde peu à peu et il a fallu réduire le
personnel et cesser la restauration. Maintenant le concert d'un groupe
peu connu peut amener dix spectateurs.... Voilà la situation me décrit-il.
Aussi, si vous voulez venir, je peux accepter qu'on fasse payer une entrée et qu'on
prenne chacun 50/50, mais vous allez repartir avec trente francs en poche....
La situation était donc claire : pas de concert au Citron Masqué pour PB.
TRISTAN.
Les
festivals deviennent alors les seules possibilités, l'état, ou les
collectivités territoriales, en France comme en Suisse, reprennent leurs
droits sur la culture...
Après
cela nous nous sommes dirigés vers le premier restaurant. Dès que l'on
arrive on sent, à la tête que font les gens, qu'on est pas, a-priori,
les bienvenus.... En plus on joue risqué : répertoire personnel, pas une
petite chanson du top cinquante, d'aujourd'hui ou d'hier, qui puisse évoquer
quelque souvenir vibrant ! Malgré certaines magnifiques interventions de
Karel à la guitare, pas un seul applaudissement.... On finit par la petite
salle qui se trouve à l'entrée du restaurant. Une ou deux tables semblent
plus attentives, des regards, des sourires... mais pas d'applaudissement non
plus.
Hou,
hou !!!! Ca ne rigole pas ! On continue au deuxième restaurant. L'ambiance
est un peu meilleure. Une grande tablée (les plus dangereuses) écoute avec
l'air d'apprécier et applaudissent. Disons que toute la soirée ce sera comme
cela : d'un côté ceux qui, dès votre entrée, vous ont catégorisé comme
importuns, et ceux, sans a-priori qui vont vous accepter ou choisir de
vous encourager, les applaudissements n'arrivant qu'à cette extrémité.
Côté recette, plutôt décevant, pour résumer la moyenne d'une recette en
France. Comme le coût de la vie est supérieur ici, cela revient à dire
qu'il est plus intéressant de faire le chapeau en France.
Alors
nous décidons d'aller boire un verre sur la place de la vieille ville où
nous avons entendu de la musique. Un podium, des tables de kermesse avec des
bancs en bois. On apprend que c'est une soirée de soutien aux restaurants du cœur
suisses (Les Cartons du Cœur) . Le groupe joue ses trois dernières chansons et sort de scène. Alors
un type vient nous trouver et nous demande d'aller jouer, soirée de soutien
et tra la la. On accepte sous l'effet de son insistance. Ca aurait pu être
très bien s'il n'y avait pas eu avec nous deux musiciens qui se sont fait
plaisir en nous accompagnant, et ceci sur notre dos, car c'était une horreur.
Karel était scandalisé, il me dit "mais si je sens que je ne peux pas
accompagner un groupe parce que je ne suis pas à l'aise avec leur musique,
j'arrête ! Comment c'est possible de continuer et de massacrer le travail des
autres !" Mais voilà, c'est pour cela que je refuse maintenant ces
propositions quand elles se présentent en France : tu donnes quelque chose et
on te manque de respect. C'est quasiment à chaque fois. C'est pour cela que
je dis que l'artiste ne doit pas donner son travail. Le public donne, à l'art,
l'argent qu'il y a consacré. Tu vends une oeuvre, peinture ou photographie, les gens
respecteront ton oeuvre toute leur vie. Tu la donnes et elle finira dans un
placard. Mais bon, côté public la surprise d'un nouveau groupe a toujours un
impact positif. La surprise est un autre facteur positif de la réception de
la création. Donc les gens étaient content. Et nous avons arrêté le
carnage après la seconde chanson.
Après
le concert, les organisateurs de la soirée caritative nous ont invités à
boire un verre à leur table. Et comme les Suisses aiment les choses qui sont
bien à leur place, nous avons été reçus avec sympathie par un ensemble de
personnalités très curieux comme peut contenir une association d'aide,
mélangeant les généreux qui trouvent un sens à leur existence en aidant les
autres et les anciens aidés qui trouvent dans l'activité une sorte de
promotion sociale. Conversations à bâtons rompus, Karel était ravi de boire
quelques bières gratuitement dans cette tablée joyeuse et pour lui un peu
exotique.
Bref, ambiance bon enfant pour terminer notre première soirée à
Yverdon. Nous sommes rentrés vers le lac le cœur léger, pour finir par
arriver dans
un camping silencieux comme un cimetière. La nuit était douce, quelques
cigarettes avant d'aller nous coucher. Nous sommes même allés dans le port à
côté fumer la dernière bouffée face au lac endormi, calme comme le
camping, sans une vague, sans même un frisson. Un cygne dormait le
bec sous l'aile, il était décidément l'heure, pour nous, de suivre
l'exemple appuyé de tout ce qui vivait, je devrais dire "de tout ce qui
dormait", autour de nous...
Lundi
9 juillet, La Combette
La
Combette est le lieu-dit de la ferme d'un ami, Jack, qui se trouve dans le
Haut-Jura, à quelques kilomètres de Mouthe. Nous sommes arrivés hier dans
l'après-midi, Jack nous a reçu comme il le fait toujours, avec un art de
l'hospitalité que tous ceux qui sont passés ici lui reconnaissent. Je me
souviens aussi de quelques fêtes inoubliables passées ici, dans ce petit
paradis perdu dans les montagnes.
Nous
avons laissé à Yverdon notre voisin de camping, Pascal, un homme de
cinquante ans fort comme un roc et qu'une maladie non identifiée a envoyé
sur un fauteuil roulant, après une première ablation, puis une seconde.
Pascal est un ancien bûcheron féru de musique. Nous avons sympathisé
dès le premier matin au camping. Il nous a prêté une table et deux chaises,
nous a dépanné de tous les petits trucs qu'on avait oubliés, - étant partis
de Besançon avec un minimum un peu trop sommaire.... Le deuxième jour il
nous a demandé de
venir lui chanter quelques chansons avant notre tour des restaurants. C'était
samedi
soir. Une amie était avec lui et, sur la petite terrasse devant leur auvent
nous leur avons interprété, avec Karel, quelques chansons. Ils étaient
ravis.
Hier
matin, nous avons pris un café ensemble dans le café du camping. J'ai alors
osé lui demander comment il avait perdu ses jambes. Il m'a alors parlé de
l'opération d'une jambe, puis de la seconde un an plus tard. Les médecins
n'ont pas réussi à déceler le type d'affection qui avait nécessité
l'ablation. Mais Pascal a une idée sur la question. Pour lui tout remonte à son adolescence, alors qu'avec un ami il s'initiaient à la
spéléo. Un jour ils étaient descendus dans une faille. Sur les parois du
trou, Pascal avait remarqué une espèce de glu verdâtre. Un peu plus bas il
a aperçu des barils avec le symbole "produit dangereux" exprimé
par la tête de mort bien connue. Il dit alors à son pote : "remonte et
surtout ne touche pas les murs !" Seulement son ami avait un gant
déchiré et la fameuse glu était sur sa main. Un an et demi plus tard, son
ami était saisi d'un cancer foudroyant qui l'emporta en un mois ! Pascal
était alors furieux. Son ami avait alors 17 ans, rien qui ne présage un tel
cancer. C'est alors qu'il a signalé la fameuse glu dans la faille. Après un
peu de longueur de réaction, les médecins ordonnèrent une enquête. Mais
quand les enquêteurs sont arrivés devant le trou, il se sont aperçu qu'il
n'était plus, qu'on l'avait complètement bouché de remblais. Une plainte a
été déposée. Mais très vite on a classé l'affaire sans suite....
Environ
20 ans après, Pascal ressent d'étranges fourmis dans la jambe droite. Les
analyses ne révèlent ni germe, ni rien de définissable. Les chairs se
putréfient, il faut opérer pour couper l'évolution. Pour Pascal la relation
avec le cancer de son ami paraît évidente.... Maintenant il dit qu'il
ressent une insensibilité de sa main droite. "Peut-être ça va être
pareil qu'avec mes jambes.... " s'inquiète-il....
On
peut tout imaginer par rapport à ces mystérieux barils, produit radioactif,
bactériologique, chimique.... La Suisse a-t-elle travaillé aux armes
chimiques ? Secret de l'état Suisse ?
En
tout cas Pascal, au moment de notre départ, nous a salué avec émotion :
"Vous m'avez apporté une grande bouffée d'oxygène !" me
dit-il. Il m'a promis
qu'il passerait à Besançon, qu'il vienne en stop ou en vélo. Il y a une
petite dizaine d'années, Pascal avait battu un record de vitesse avec son
vélo à bras : 80 km/h pendant 10 minutes, du jamais vu ! Avec des bras comme
il en a ! Non, je ne parle pas de ses tatouages, je parle des muscles !
Avant
de quitter Yverdon nous sommes allés jouer une dernière fois au
"Ranch", à côté de la piscine, à deux pas du camping. Ce
restaurant est de loin le plus sympathique où nous ayons joué en Suisse. Les
clients nous accueillaient avec le sourire, et l'équipe du service
pareillement. C'était vraiment plaisant, nous avons même vendu un CD, ce qui
n'est pas commun après un tour de chapeau.
Voilà,
l'aventure Suisse est terminée. Nous ne regrettons pas de l'avoir tentée. Je
reviens avec plein d'adresses, on verra si cela mènera à de futurs
concerts.
Le
soleil tente maintenant de reprendre le dessus sur les nuages. On entend les
cloches des vaches dans le champ d'à-côté, Karel fume sur la terrasse, face
au paysage tout vert qui plonge devant lui, Jack fait un peu de bricolage dans
son immense ferme qu'il retape au rythme de ses rentrées d'argent. Il
travaille comme décorateur pour le cinéma et pour quelques événementiels.
Lentement le confort s'installe dans la maison qui était dans son état
initial, genre XVIIIème siècle vingt ans auparavant. Finalement, la
restauration de cette ferme, ce sera l'œuvre d'une vie, Jack fait tout tout
seul.
Ludmila est dans le train qui la ramène de Vérone où elle a suivi un stage
de voix classique avec un chanteur américain connu dans le milieu, Myron
Myers. Elle
arrive ce soir. Encore quelques bouffées d'air de la montagne jurassienne et nous
redescendons à Besançon...
Jeudi
19juillet 2007, Presqu'île de Quiberon
Nous
voici arrivés en Bretagne. Nous sommes partis hier soir avec Théo et
Ludmila. Direction Dijon où Ludmila devait prendre un bus pour Vérone. Nous
avons attendu deux heures car Ludmila pensait que le bus arrivait à 20 H 45
et, après avoir vérifié son billet, elle a découvert que c'était en fait
une heure plus tard. Nous avons dégusté notre pique nique, nous nous sommes
fait refuser un café par un restaurateur très sympathique, de ces dijonnais
qui vous font détester Dijon, nous avons pas mal parlé en blaguant tous les
trois, jusqu'à ce qu'on arrive au chapitre de l'athlétisme. Alors Théo et
Ludmila se sont mis à se remémorer ce qu'ils savaient (ou avaient su) faire
et commencer à les mimer sur la barrière devant la gare Porte Nouvelle.
Pendant ce temps les clients pas visiblement pauvres du restaurant aux patrons
sympathiques-qui-font-
détester-Dijon,
sis en face la gare, les regardaient de temps à autre d'un oeil torve. C'était amusant. Ce qui
fait que l'heure a tourné assez vite et qu'on n'a pas trouvé le temps de
s'ennuyer.
Le
bus Eurolines est alors arrivé et nous avons dû laisser Ludmila se faire
avaler par le grand tube et décider de prendre la route. Il était 22 heures
10, le bus avait un peu de retard et nous avions 780 km exactement devant
nous. Il fallait quand même prendre un café. Nous avons trouvé un bar à
cent mètres de là où la patronne et deux clients ont été tout à fait
charmants avec nous, - ce qui nous a amené à penser, soulagés, que les
dijonnais n'étaient pas tous des cons. Je n'aime pas penser qu'il y a trop de
cons autour de moi. Mon métier de guitariste quêteur m'a appris qu'en fait
la connerie est largement minoritaire. Seulement elle a un tel pouvoir de
nuisance qu'elle fait de l'ombre aux gens doux et courtois qui sont foison.
Du
coup je me méfie toujours un peu des gens pour qui tous les autres sont des
cons. La réversibilité de l'impression est telle qu'en mettant trop de gens
dans un camp on finit par s'y jeter soi-même...
Le
voyage a été long bien sûr mais avec Théo il fait partie d'un de nos plus
chers rituels. La première fois qu'il est allé à Quiberon, Théo avait deux
mois. Il en a été privé pendant deux étés en quinze ans. C'est dire que,
ou bien il aime ça ou bien il se fait avant de partir une virulente poussée
de boutons avec blanchiment prématuré des cheveux. Cela n'a pas été le
cas.
Dans
ce voyage rituel la musique a une importance clé. Théo a son programme. A
début cela a été tous les derniers téléchargements qu'il a fait de ses
groupes ou chanteurs préférés. On avait donc au moins dix heures de Louise
Attak, des Orgues de Barbak, Thomas Fersen et quelques anglais dont j'ai
oublié le nom. Mais, dès lors que l'on approche de la Presqu'île la
programmation change. D'abord on écoute La Mano Negra. C'est à peu près du
moment que l'on aperçoit le port de Saint Goustant à Auray. Et puis, dès
que nous nous sommes engagés sur la partie isthme de la Presqu'île, Théo
vire la Mano Negra et charge "Mlah" des Négresses Vertes. Cette
ritualité est une sorte d'hommage à tout ce que nous avons vécu ici. Et
cela me touche beaucoup que Théo ait mis au point ce programme musical qui
rappelle tout ce que nous avons vécu ici et, en fait, la profondeur des liens
qui nous lient tous les deux. Oui, c'est certain qu'il y en a eu beaucoup, sur
ce bout de sable entre terre et mer, des heures d'enchantement que nous avons
su partager mon fils et moi...
Après
être allés manger une galette bretonne, autre rituel, nous avons marché le
long de la plage. En parlant. Sans nous occuper de l'heure ni de la météo
qui n'était pas très rassurante. Le ciel s'est obscurci. Est devenu d'un
bleu... d'un bleu avec ces lumières des lampadaires du port, avec ces nuages
et leurs percées de grenat ou d'orange... Avec ces fantômes blancs sur le
flot noir, des bateaux de pêcheurs, - avec la voix de Ferré qui gueulait
"Entends la mer, entends la mer, qui te remonte dans la gueule !"
Avec tant d'images partout, des ressauts de souvenirs, des impressions qui
remontent, des gens qu'on croise et qu'on salue, - nous qui sommes ici chez
nous, comme ces riches gens qui ont acheté les appartements sur le bord de
mer. Chez nous, ici, ou je suis venu chaque été sans le sou et suis reparti
plus riche, contrairement à tous ces gens qui viennent en vacances ici comme
moi.
"Presqu'île
qui m'a pris dans son gant contre une brassée de chansonnettes" ai-je
écrit dans "Vivre là" et "le musicien est l'aristocrate
des mendiants" a écrit Paul Auster dans un de ses romans....
Lundi
23 juillet 2007, Camping de Penthièvre
La
Bretagne fait sa chieuse. Il pleut et il ne fait pas chaud. Moi qui fais tout
pour contrer ces racontars qui veulent qu'il pleuve toujours en Bretagne, je
suis ce soir sans argument et dépité. Il pleut.
Demain
nous partons en vacances avec Théo. Nous allons visiter nos amis David et Raphaëlle qui habitent maintenant à l'île
d'Arz, dans le golfe du Morbillan.
Sans en être sûr je pense que nous dormirons là-bas. Vacances car enfin,
sur la presqu'île, je suis ici pour travailler. Résidence d'été, certes,
mais avec travail le midi et le soir. Je ne suis donc pas touriste, pas plus
en vacances : je suis un
musicien en saison d'été.
Et
pas malheureux de l'être. Mon répertoire de chansons classiques, entrelardé
parfois de l'une des miennes, fonctionne encore bien et, sans l'anxiété de
mes débuts, je passe des moments très sympathiques avec un public qui est
heureux de me retrouver chaque année. D'ailleurs cet hiver, à
Besançon, j'étais avec Paulo, le batteur du groupe, et nous croisons deux
jeunes gens, dont une fille qui s'écrie : "Oh ! Le chanteur de Quiberon
!" Depuis, Paulo s'amuse souvent à s'exclamer : "Philippe : Le
chanteur de Quiberon !"
Je
viens de terminer le livre que m'ont envoyé Claire Legendre et Jerôme
Bonnetto. C'est le jeune couple qui avaient découvert mon site parce qu'ils
recherchaient des informations à propos de Tabor où Jérôme avait postulé
pour être enseignant. Il y a en effet à Tabor un lycée linguistique dont
certaines sections ont tous leurs cours en Français. Claire et Jérôme sont tous
les deux écrivains, habitent à Nice et ont publié un livre ensemble : "Photobiographies".
Je
suis très content tout d'abord qu'ils m'aient incité à me replonger dans un
livre, ce qui m'arrive de moins en moins. Je le déplore mais je pense n'être
pas assez serein et disponible pour prendre le temps de débrancher le reste
et me plonger dans un bouquin. Pourtant Dieu sait quelle cadence de lecture j'ai eu pendant une grande
période de ma vie ! Promis, si je trouve un tourneur, je me remets à la
lecture.
C'était
donc plaisant de retrouver le plaisir de lire, avec un a-priori de sympathie pour
ce jeune couple qui m'avait contacté suite à une
recherche par mots clés. Et puis des points communs avec Jérôme
qui est aussi photographe, écrivain et qui participe à un groupe de musique
! Ca alors !
Le
livre est une suite de petits textes attachés chacun à une photographie. Textes
biographiques libres, sans se soucier de l'enchaînement chronologique. Je n'ai
pas saisi de plan très précis bien que des thématiques font s'enchaîner
certaines suites de texte. Plus on avance dans le livre plus on se rend compte
que le petit Poucet de la biographie, en même temps qu'il pose ses galets,
essaye aussi, en même temps, d'effacer ses traces. Cette impression est
confirmée à la dernière photographie du livre, qui se trouve être aussi la
première, et qui est chaque fois attachée à une biographie différente.
On en déduit que les auteurs ont voulu exprimer "attention ! La
biographie est aussi une fiction !"
La
pudeur exprimée, notamment dans la description que fait Jérôme de la
personnalité de Claire, peut être une explication à ce brouillage de
cartes. Comme si les auteurs nous disaient : "Nous nous sommes dévoilés
devant vous, mais méfiez-vous, tout ce que vous avez lu n'est pas
entièrement vrai, nous ne nous sommes pas totalement dénudés, vous venez de
lire un texte littéraire, n'en demandez pas plus, notre intimité reste
entière !" En fait se donner puis se reprendre.
Je
ne sais quoi penser de cette reprise en main. Peut-être est-elle nécessaire,
comme l'écrivait Maurice Blanchot, pour que le livre se termine, pour qu'il
ouvre le creux d'un livre à venir, sinon quel abîme qu'une biographie !
La productions des photographies devient le squelette même du livre, et ce
sont ces photographies qui ont permis aux auteurs de structurer leurs
anamnèses et de rendre fini ce qui pourrait devenir un espace illimité. On pense au travail de Proust qui a été
interrompu par la mort de l'auteur, Le livre interminable à peine terminé, -
et ceci, malgré une structure qui semblait vouloir rechercher sa finalité !
Ce
que j'ai préféré dans le livre de Jérôme et Claire, c'est le regard
qu'ils posent l'un sur l'autre. Celui de Jérôme est plus perspicace ou
simplement plus attentif et c'est ce qui fait son intérêt. Celui de Claire
revient peut-être davantage à elle, mais bon, le rôle de jolie jeune femme
à l'enfance toujours vivante et aux sollicitations d'enfant choyée en fait
un joli personnage. Joueurs tous les deux, charmants dans leur insouciance et
leurs intérêts nourris des livres qu'ils ont lus, le livre nous les rend
proches dans leur complicité joyeuse. Après, un milieu social se dessine, et
forcément pointe son nez un mur pour peu que vous ne partagiez pas ce milieu.
C'est aussi le risque de la biographie, celui en quelque sorte de vous
stigmatiser...
Cela
me fait penser à cette exposition de Lartigue. J'en suis sorti absolument
conquis. Ce qui m'a tant impressionné chez lui c'est l'ampleur de son
travail, les albums de photo (des milliers !) complété par un journal à
peine dévoilé. Cette
acharnement à transmettre, cette générosité en somme, est pour moi le rempart
contre toute attaque de l'ordre de la lutte des classes.
Alors
ces deux là se donnent, - pas assez ? Mais ce n'est qu'un seul livre ! Alors,
quoi ? Il faudra qu'ils donnent encore et beaucoup et qu'une beauté
inattaquable naisse de ce don.
Mardi
24 juillet 2007, Ile d'Arz
Nous
sommes arrivés dans l'île hier en début d'après midi. Dans le bateau se
trouvait avec nous la douce et belle Raphaëlle avec ses deux filles, la plus petite cachée
dans un couffin enroulé autour de la poitrine de la jeune femme, si
discrètement que nous ne l'avions d'abord pas vue. Raphaëlle rentrait de
faire ses courses sur le continent, soucieuse que ses invités, en
l'occurrence moi et Théo, ne manquent de rien, et avait, en plus de ses deux enfants,
deux gros sacs plastiques au poids impressionnant. C'est une des contraintes
des insulaires que d'avoir à se ravitailler sur la terre ferme et de devoir
emprunter les transports collectifs, bus et bateau, pour transporter leurs
courses.
David nous attendait au port, et immédiatement un petit arrangement a eu lieu
avec un voisin pourvu d'une mobylette et d'une remorque pour transporter les
lourds sacs qui menaçaient de rompre.
L'ïle
d'Arz se trouve dans le golfe du Morbillan, en face de l'île aux Moines. Elle
fait trois kilomètres de long par deux de large. Un petit paradis pour ceux
qui ont envie de fuir le trafic et le stress de la vie sur terre !
Nous
sommes restés quelque temps dans la petite maison de David et Raphaëlle avant
qu'ils nous emmènent nous promener dans l'île. Nous avons appris que leur maison fait
partie d'un petit quartier HLM aux maisons construites en cercle autour d'une
cour centrale, quartier nommé "le quartier nègre" allez savoir
pourquoi. Peut-être parce qu'il est le seul quartier de logements sociaux de
l'île et que son nom dénoncerait une frontière nécessaire avec les
quartiers des autres, ceux qui paient des charges exorbitantes et ne voient
pas d'un oeil ravi qu'on puisse pouvoir vivre sur l'île avec un loyer de 400
€... C'est en tout cas l'explication avancée par les locataires...
Raphaëlle
et David se sont retrouvés ici suite à la volonté de la commune de
"repeupler" l'île de familles avec enfants. Il y a en effet une
école sur l'île où viennent de moins en moins d'enfants et qui pourrait, un jour,
être amenée à être fermée. L'école est constitué d'une classe
unique de 14 enfants tous niveaux confondus.
La
promenade vers le bourg, puis vers une plage, nous a permis de découvrir ce
petit bout de terre de toute beauté. L'île était auparavant habitée par
des anciens gradés de la marine qui y avaient fait construire de très belles
maisons. Elle s'est ouverte au tourisme très tard car elle n'avait tout
simplement pas besoin d'apports extérieurs pour l'économie locale. 140 personnes
l'habitent à l'année. L'été elle se peuple davantage, entre les locataires
des résidences secondaires, les propriétaires de résidences secondaires et ceux, dont un grand nombre d'habitués, qui ont
choisi de s'installer dans l'unique camping.
Comme
toutes les îles bretonnes Arz offre des effets de ciel et de couleurs marines
somptueux, mais il y a en outre un petit côté zone préservée qui lui donne
un air d'immense jardin public. Tout le monde se salue dans les rues de
l'île, bien sûr que tout le monde se connaît et les enfants jouent dans les
rues sans avoir à craindre les voitures, très rares, qui roulent à 30 km/h,
ce qui est déjà beaucoup vu le peu de distances qu'il y a à parcourir !
Côté
commerçants, pas un seul magasin mais quelques bars ou restaurants. J'ai cru
comprendre que les insulaires laissent des ardoises un peu partout sur l'île
et que les commerçants ont parfois du mal à récupérer les dettes de leur
client. C'est le côté sombre de ces petites enclaves. Le paradis accueille
bien ses hôtes mais il ne faut pas compter sur lui pour les nourrir. Si peu
qu'on n'ait pas envie de le quitter, tant on s'y sent en paix et en harmonie
avec la nature.
Nous
avons fini l'après-midi chez un habitant qui propose, pour quelques amis, une
sorte de bar clandestin. Attablés autour de la table de la cuisine, mes deux
compagnons et leurs enfants, moi et le mien, les habitants de la maison et un
vieux campeur qui, depuis 20 ans loue à l'année un emplacement pour sa
caravane pour la modique somme de 3000 €. Évidemment ici, le terme
"modique" est relatif à la bourse de chacun ! La conversation
allait bon train, les tournées s'enchaînaient joyeusement, le kir à 1,5 €
ne faisant pas affront aux bourses, quelque soient les revenus ! Caractère
bien trempé des hôtes de la taverne, anarchistes revendiqués, chacun ayant
l'air de donner à cette catégorisation son sens privé ! Joies à gorges
déployées, blagues et anecdotes, et puis, au troisième verre on commence à
sortir ses fantômes et là on se rend compte que dans ce havre de paix chacun
est venu oublier quelque drame, noyer quelques larmes, et c'est à deux doigts
des sanglots, dans des émotions aussi épaisses que les galettes d'une
chanson de Ferré ("Tellement on y a versé des tonnes de
sentiments") que les tournées ont fini par virer.
Nous
sommes rentrés manger dans le quartier nègre, un repas encore bien arrosé
où mon ami David trahissait son plus gros défaut, défaut je crois partagé
par bon nombre de Bretons. Vers minuit nous rejoignait Alexis, un jeune Suisse
aux cheveux raz, sauf quelques pics s'élevant de son crâne en épis, les
oreilles percées de grosses bagues en argent, et qui nous a chanté quelques
reprises de Renaud version punk ! David de sa voix puissante ne cachait pas
son plaisir d'avoir chez lui des hôtes qui lui apportaient un plaisir
manifeste. Fils d'une danseuse juive italienne, quand je lui ai interprété
"Via con me" de Paolo Comte il a fondu en larmes et s'est mis à me
raconter par bribes pas toujours compréhensibles l'histoire italienne de sa
famille, la richesse puis la ruine, et sa mère, danseuse classique, qui, pour
nourrir seule ses enfants, a dû se mettre à danser au Mocambo, un cabaret
en vogue de l'époque. Nous sommes allés nous coucher tard, dans ce paradis
pour anars car figurez-vous qu'il n'y a pas de policier sur l'île ! Mais de
toute façon il n'y a quasiment pas de voitures, on peut donc rentrer chez soi
sans se soucier du taux d'alcoolémie que l'on a dans le sang.... Et le vent
est toujours là pour vous dégriser : "Entends la mer ! Entends la mer !
Qui te remonte dans la gueule ! Crie !" Ferré plane dans l'esprit des
anars de l'île qui, il me semble, représentent bien plus d'un pour cent de
la population !
Samedi
28 juillet 2007, camping de Penthièvre
La
Bretagne a bien voulu, aujourd'hui, nous accorder une journée de beau temps.
Ca ne fait pas de mal car hier crachins et pluie montraient les crocs et on
filait queue basse, la tête entre les épaules. Au camping la famille
s'agrandit ,ma mère est venue nous rejoindre hier, et demain soir ma sœur se
précipite vers nous en train à grande vitesse. Heureux qu'un coin de camping
à l'autre bout du pays réussisse à rassembler la famille, ce n'est pas si
souvent.
De
son côté Ludmila est partie hier soir, en train elle aussi, mais dans la
direction opposée, vers la Pologne où se tient un festival de musique
Yiddish. André Ochodlo, acteur, chanteur, et directeur d'un théâtre à
Sopot, à côté de Gdansk, est à l'initiative de ce festival. Ludmila a quelques uns de ses
disques et elle vient de m'envoyer un texto me disant que son concert se
rapprochait plus du théâtre que d'un concert traditionnel. Le festival dure
trois jours et Ludmila a décidé d'écrire un article qui sera publié
dans une revue tchèque consacrée à la culture et à la mémoire juive. Il
paraît que la ville de Sopot, située en bord de mer, est le Monte Carlo de
la mer Baltique.
De
mon côté chaque soir je vais jouer à l'artisan chanteur qui fait tourner un
répertoire éprouvé au fil des années parmi lequel je glisse, de temps en
temps, une de mes chansons. Le public est généralement sympathique,
familial, et c'est toujours plaisant d'entendre une table, puis une autre, et
parfois toute la salle, se mettre à chanter avec moi. Ce travail, dont je
suis certainement un des pratiquants les plus réguliers, puisque je déclare
une grosse partie de mes recettes pour les convertir en cachets, a le pouvoir
de me réconcilier avec la nature humaine. C'est un formidable poste
d'observation. Les consommateurs des restaurants où je vais faire la manche
ne se doutent pas que j'ai une position avantageuse pour jauger, juger, et
apprécier les gens. Le détachement que j'ai aujourd'hui face à ce rôle de
chanteur ambulant me permet d'observer les gens sans passion délétère, et
je m'en retourne à ma tente avec une sympathie pour les uns et une compassion
désolée pour les autres. J'ai eu par exemple la bonne surprise de voir des
gens qui, il y a quelques années, me regardaient d'un oeil hostile et
mauvais, se mettre à me dire "Ca fait vingt ans qu'on vous voit et c'est
vrai qu'il y a toujours quelque chose de sympathique à vous écouter" !
Quel changement ! Je n'ose pas imaginer ce qu'ils pensaient il y a même cinq ans de cela. Je pense que même les plus hostiles du début se mettent à
comprendre que le but de l'opération ce n'est pas de jouer la star et de
faire du "grand talent mythique". Le but est d'apporter quelques
minutes de sympathie et d'harmonie autour de quelques chansons rendues
mythiques, elles, par quelque contexte particulier qu'il faudrait une analyse
sociale complète des quarante années passées pour comprendre réellement.
Comment une chanson de Bobby Lapointe, de Brassens, de Gainsbourg, de Renaud
et même de Dutronc ont-elles réussi à entrer dans la mémoire et dans le cœur
d'autant de générations, c'est un mystère. Thomas Fersen arrivera-t-il un
jour à faire spontanément se mettre à chanter en cœur des publics aussi
variés avec son "canasson" ou sa "chauve souris" ? Ce
serait bien, certes, mais je n'en suis pas certain. Peut-être quelque chose a
changé dans les modes de diffusion, quelque chose qui fait qu'on a multiplié
les cibles et donc, qu'on a divisé les publics...
En
tout cas ce costume de ménestrel me permet d'approcher des gens fort aimables
qui me parlent avec gentillesse, et m'apprennent des choses très
intéressantes à propos d'eux, de leur milieu, de leur pays. Comme ce couple
de jeunes adultes belges francophones qui me parlaient des actuelles tensions
communautaires de la Belgique, avec aujourd'hui, tout récemment élu, un
premier ministre (l'équivalent de notre président) Flamingan, de ces
nationalistes flamands à qui Brel disait "Messieurs les Flamingans je
vous emmerde !"
Comme
il est étrange qu'un même pays, aussi civilisé et ouvert au monde, se
divise ainsi sur des bases identitaires linguistiques...
Mais
c'est vrai que la langue c'est la culture, et que la culture c'est un lien
social profond et puissant que les hommes politiques sous estiment trop
souvent....
Mardi
7 août 2007, Ile d'Arz
Retour
à l'Ile d'Arz. Je m'installe à la terrasse du café "La Fontaine"
pendant que tout le monde dort dans la maison de David et Raphaëlle. Je
retrouve l'esprit de l'île : on va à pied ou en vélo et l'on se salue. Ceci
devant mes yeux car la "route" est entre la terrasse et le bar. Je
veux raconter notre soirée chez les Suisses, le concert d'Alexis, le punk au cœur
tendre, puis les avant-premières de ses potes, celui qui fait du Yoyo
moderne (impressionnant) et l'autre du jonglage (du style). Mais, me disait
David, les Suisses ne sont pas très apprécié dans l'île car ils forment
vraiment un clan à part et fermé. Pas si fermé que cela puisqu'on était
chez eux hier soir ! En tout cas, comme me disait Théo, entre Alexis, le
jongleur, celui au Yoyo et encore Régis, celui qui vient de finir de retaper
un vieux petit hors-bord des années 60 et qu'il mettait hier à l'eau après
y avoir travaillé nuit et jour pendant trois mois, - et Régis disait Théo
qui a un studio d'enregistrement à Genève, ils ont tous un truc bien à eux
les Suisses ! Oui, je lui répondais, mais tu n'as eu des contacts qu'avec
ceux qui avaient un truc comme tu dis, les autres ne sont pas venus te parler
! Comme quoi, ceux qui créent des liens, c'est toujours les mêmes ! C'est
alors que David me rejoins sur la terrasse de la Fontaine en me disant :
"j'étais sûr que tu étais là !" Eh bien, c'est comme cela que ma
narration a dû prendre fin. Allez, deux crèmes s'il vous plaît !
Vendredi
12 août 2007, Camping de Penthièvre
Cette
année, mon séjour à Quiberon a été dominé par deux activités majeures :
mes tournées des restaurants, à Saint Goustan à midi et à Quiberon le
soir, poussé par les dettes à rembourser de ci de là, histoire d'assainir
la situation avant de retomber dans une période sans statut d'intermittent
qui risque de ne pas tarder, et, par ailleurs, par l'écriture d'une nouvelle chanson.
Je crois qu'aucune chanson ne m'a demandé autant de travail et ne m'a fait
autant de soucis. Elle s'appelle "Le Singe Drako". Elle est née de la rencontre de
deux idées. L'une où je voulais en quelque sorte affirmer mes choix de vie,
ceci à travers le portrait d'un pirate pacifique mais fervent de liberté. Je
voulais lui donner un air lyrique du style "Santiano" ou "C'est
pas l'homme qui prend la mer". J'avais dans l'idée de présenter cette
chanson au concours d'Utopia dont le thème est cette année "Croissant
de lune". Un thème qui a été choisi en hommage à l'année Vauban. Le
croissant de lune étant un style de fortification. J'avais donc un vers et un
style de musique en tête. Le vers c'était : "Il se lave au bandeau de la
lune" qui se prononcerait "Vauban deau de la lune" et qui, au
lieu d'évoquer les passions militaires de l'architecte, évoquerait
totalement leur contraire, à savoir la liberté aux limites du droit
dominant, bref un pirate poète comme l'était Villon, le premier poète
rebelle de
langue française.
J'avais
été par ailleurs très enthousiasmé par l'escapade du macaque du Japon qui
s'est évadé de la Citadelle de Besançon et qui, depuis des mois, court la
nature et qui a réussi plusieurs fois à échapper aux tentatives de
récupération du personnel du Zoo de la Citadelle.
La
première idée m'avait semblé un peu nombriliste et je me suis rendu compte
que l'aventure du Singe évadé collait bien évidemment au thème Vaubanien
du concours et qu'il offrait lui-aussi un paradoxe intéressant. En fait il
suffisait de remplacer l'idée du pirate pacifique par celui du singe évadé
sans que l'idée quelque peu libertaire du début en soit altérée.
La
première idée musicale, liée au Pirate se voulait influencée par la
musique bretonne ou Celtique. C'est pourquoi j'avais voulu attendre de venir
sur la Presqu'île pour me nourrir de ces influences et de finaliser la
musique ici.
Arrivé
à Quiberon, j'ai commencé par appeler le responsable des animaux de la Citadelle de
Besançon pour avoir quelques éléments précis d'information sur ce singe
aventurier. J'ai appris qu'il s'appelait Drako (peut-être avec un
"c" mais le "k" le rapprochait du nom de notre Président,
ce qui était prometteur de rebondissements !), qu'il avait cinq ans, que,
macaque du Japon, il était d'une race de singe qui peut résister
parfaitement à nos climats, été comme hiver (ils vivent dans les montagnes
enneigées du Japon et sont parfaitement capables de trouver leur nourriture
par les plus rudes climats) et deux trois précisions du genre à ne pas
tomber dans le panneau des clichés trop primitifs.
L'écriture
du texte s'est fait tout doucement mais sa grande difficulté. En revanche,
côté musique ça a été plus rude. La première version ressemblait trop à
du Renaud, la deuxième version ne me correspondait pas et les autres non
plus. C'était comme une obsession. Théo qui me voyait monter et démonter et
reprendre ma guitare à deux heures du matin me dit : "Dis donc, quand tu
as une idée en tête tu es vraiment acharné !"
Et
puis, j'ai finalement trouvé quelque chose qui me paraissait sympa. Mais cela
devait être accompagné par un rythme qu'on appelle "la pompe", et
que j'avais toujours écarté de mes compositions. Mais là, c'était adapté,
après une phrase comme " Vedette acrobate en vadrouille, la nuit il se trouve
une cabane. Drako vit d'art et de débrouille comme à l'age d'or perdu des
Tsiganes" La pompe est le rythme utilisé par le jazz manouche, et
j'aimais bien l'age d'or PERDU. Pas naïf le bonhomme, les tsiganes, et
notamment ceux de l'Est européen, vivent dans une misère noire. Ce n'est pas
moi qui vais me prendre pour un d'eux et écrire "Hé, Joe, qu'est-ce que
tu fais dans ta caravane !" Non. Respect pour ceux qui n'ont pas toujours
de caravane d'ailleurs. Le temps des tsiganes, il est où ? Le temps des
tsiganes musiciens et heureux d'être libres comme l'air, il s'est enfoui dans
l'histoire, pour céder au temps de la misère, du racisme, de l'alcoolisme
généralisé et de l'analphabétisme.
Mais
c'est sûr qu'ils nous ont laissé une idée de liberté, une sorte de rêve
perdu, de vie hors des courants normalisés, idée que beaucoup d'artistes ont
fait leur. Mais cette idée est aussi une idée que nous ont laissé nombre de
poètes français. Le terrible Villon en premier lieu. Quel bonhomme ! (je
viens de terminer le roman de Jean Teulé "Je, François Villon")
Alors
voici, "Le singe Drako" est née, une chanson que j'aimerais
interpréter avec mes amis bisontins qui se sont perfectionné dans le jeu
inventé par Django Reinhart, un manouche qui a emprunté le jazz aux américains
pour en développer un style à sa manière ! Les tsiganes ont toujours fait
ça, ils prennent les influences locales, et ils les adaptent à leur
sensibilité, avec un art du rythme et du chant bien à eux !
Alors
voilà, un été au bord de la mer qui a été très chargé de travail. Et
alors ? Ca sert à quoi les vacances ? A changer d'air ! Ah ! l'air de la
Bretagne ! Pour moi, cette année, il était en ré mineur !
Vendredi
17 août, Penthièvre
Dernière
journée en Bretagne. Le temps est encore couvert, - menaçant ? J'espère
qu'il n'y aura pas de pluie pour plier la tente cet après-midi. Cette saison
a été un peu bizarre. Je n'ai pas eu droit à de grandes fêtes, du genre
une salle qui se déchaîne lors de mon petit tour des restaurants, et tous
les clients de se mettre à chanter avec moi, voire à danser. Il y a bien eu
des petites tentatives, mais limitées à une table, ou deux, ou trois...
Ici
la perception du temps est particulière, comme je reviens chaque année
pendant quelques semaines, cela me permet de faire un bilan des années qui
passent. Les gens que je revois ici changent, des enfants deviennent adultes
et me demandent : "vous ne me reconnaissez pas ?" Ah ! hou la
la, nous avons changé dis-je. Il y en a qui disparaissent, comme ce boulanger
qui, un soir au restaurant le Vivier, avait fait monter l'ambiance sur la
terrasse où je jouais, véritable complice, et là, oui, nous avions eu une
soirée mémorable, déchaînée ! L'année suivante j'avais appris que le feu
avait pris dans sa boulangerie, ils avaient dû fermer une saison. Et puis il
paraît que depuis cette période, les relations avec sa femme s'étaient détériorées...
Et cette année, mon ami Jacky, le patron du Vivier m'a appris que Loïc le
Bihan, je crois qu'il s'appelle, s'est pendu ce printemps. Comparé au
souvenir que j'avais de cette soirée, ce suicide m'apparaissait quelque chose
d'absurde. Comment un homme avec un tel ressort d'énergie peut-il
démissionner ainsi...
J'ai
croisé cette année un personnage étrange, un poète d'Auray, Serge. Tiens,
au fait, il a oublié de m'écrire son nom ! En tout cas il a connu Guillevic,
un poète Breton avec une certaine renommée, mort il y a une dizaine
d'années, et celui ci l'a porté sous son aile les premières années. Nous
nous sommes rencontrés dans un bar crêperie d'Auray, où je chante de temps
en temps. Serge a un regard espiègle, qui vous scrute sous ses lunettes et
ses longs cils, volubile, peut-être un peu éméché quand je l'ai
rencontré, il me racontait l'aventure d'un groupe qu'il a créé, "la
grenouille", dont l'amour est le maître mot. Serge ne jure que par
l'amour. Il me disait, la deuxième fois que je l'ai rencontré : "Je
suis allé voir ton site. C'est pas mal. J'ai lu le premier cahier de ton
journal. C'est bien mais il n'y a pas assez d'amour pour moi, trop d'égo
! - Mais c'est un journal lui disais-je, forcément il y a de l'égo. Mais il
n'y a pas que cela il me semble... - Oui, mais pas assez d'amour pour moi.
J'aime
bien les poètes quand ils sont capables de vous dire par cœur quelques uns
de leurs vers au coin d'un bar. C'est magique, finalement je préfère les
écouter que les lire. Mais de toute façon je l'ai dit : je lis trop peu.
Donc mon avis sur la question n'a aucun crédit. Serge, lui, semble vivre la
poésie comme une sorte de religion païenne ("mais je crois à la
transcendance, je ne suis pas matérialiste comme toi, je suis pour Platon
!"). Il a la foi, la foi en l'amour, universel, sans sexe, non, l'amour
de tous. Comme David j'ai remarqué qu'il avait aussi son ardoise au bar, et,
vu comment parfois les patrons lui parlent, on sent qu'à force de dettes
son propos a aussi perdu une part de crédit... Serge ne s'en formalise
pas. En cela j'ai vu en lui un personnage à la Dostoïevski, avec des yeux
vifs presque inquisiteurs, entretenant avec autrui un rapport faussement
dépendant.
Mais
ses vers reviennent laver tout ça, son vrai pouvoir est là, là il est souverain.
Serge voulait m'inviter à Paris, lors du récital qu'ils
doivent donner avec l'atelier du Bosco (www.atelierdubosco.com) dans un
cabaret de la porte des Lilas. Serge voulait que je fasse un film d'Amour sur
leur groupe la Grenouille, Serge me racontait comment il avait rencontré Léo
Ferré qui était allé l'attendre à la gare d'Austerlitz, Nougaro aussi, je
ne sais plus à quelle occasion, - et tout cela avec une touchante intention
de me prouver ce qu'il était vraiment, faisant déferler des informations qui
se mélangeaient dans ma tête encore embuée par un troisième verre de blanc
(c'était mon dernier midi à Auray, ça se fête !).
Serge
a deux petits bras maladroits, trop courts, qui lui ont valu je pense une
pension d'invalidité. Est-ce pour cela qu'il ne veut pas entendre parler
d'argent ? et que l'Amour pour lui exprime tout sentiment direct et libéré
des rapports avec le monde compliqué de la réalité ? De ces poètes comme
les écrivait Ferré, - doux rêveurs reclus dans un monde de mots protégé
de l'agression du monde marchand et impitoyable...
Moi
j'aime ces gens là, je ne m'en défends pas. Les gens normaux sont ennuyants.
Les passionnés sont les plus beaux. Les désespérés sont les plus
touchants. J'ai eu aussi un choc quand je suis allé faire ma vidange au
garage Birien, un garage où j'ai pris l'habitude d'aller faire mes petites
réparations chaque année. La première fois, il y a des années, j'y avais
vu à vendre une superbe Jaguar. Une Souvereign, longue, racée, avec des
rayons aux roues. Ils la vendaient 50 000 francs. Je l'ai revue pendant trois
ans, toujours pas vendue. Quelle beauté ces anciennes berlines, des voitures
de fiction. Et puis un jour, le patron, Monsieur Birien père m'a dit qu'il
l'avait vendue (ça avait été sa voiture) à un peintre. J'avais rêvé
acheter ce bijou d'évasion...
L'année suivante, le même Monsieur Birien père
vendait sa dernière voiture, une Mercedes 280 SE, une autre classieuse, avec
moins de prestige que la Jaguar, mais quand même, un vieux bijou des années
70. Il la vendait 20 000 francs. L'année dernière elle y était encore,
j'avais discuté avec le père, je voyais qu'il aimait sa voiture, ses
chromes, ses sièges de cuir, son tableau de bord en acajou, son moteur
puissant et la douceur de sa conduite. J'étais tenté. De retour à Besançon
j'avais demandé à un ami installateur de GPL, s'il pourrait m'installer le
gaz sur la 280. Ce n'était pas possible, il n'y avait pas de kit pour ce
modèle là.
Cette
année la Mercedes était encore au Garage Birien. Les pneus s'étaient dégonflé. Et
puis, soudain, hier, la voilà dans le garage, les roues remises en air ! Je
demande "elle est vendue? - Oui - combien ? - 1200 € - Oh non !"
Je passe payer ma facture. Discute avec la patronne. C'est Madame Birien
mère. "Votre mari me l'avait montrée l'année dernière, j'avais été
tellement tenté ! C'était cher pour moi, surtout la consommation, mais
si j'avais su qu'elle ne valait que 1200€ ! - Vous auriez du nous en parler,
on aurait préféré vous la vendre à vous ! Mon mari aimait sa voiture, à
la fin il voulait la récupérer pour lui.... - Mais il est... - Oui, il est
mort l'année dernière au mois d'août ! - Alors j'avais parlé avec lui peu
de temps avant qu'il meure ! - Oui, oh il était déjà mal en point. Donc je
disais qu'avec son bras, quand il a voulu la récupérer, il s'est rendu
compte qu'il ne pouvait plus la conduire, alors il l'a remise à la vente...
Il était tellement déçu..."
Je
revois cet homme, amoureux des belles voitures anciennes, menacé par son
cancer, et qui veut, comme un espoir de vie, ou comme une envie de retrouver
sa vie d'homme libre et bien portant, récupérer sa grosse vieille berline de
luxe... Et qui découvre qu'il ne peut plus la conduire, que la vie ne veut
plus de lui. Je comprends qu'il soit mort un mois après....
C'est
bien cela l'amour de ces voitures d'exception. Ce n'est plus une histoire de
mécanique, de truc utilitaire à quatre roues, c'est comme un vent de
fiction, un rêve intérieur, une idée de la vie hors des bornes de
l'utilitarisme et de la valeur marchande de l'argent. Je suis reparti du
garage bizarre. Déçu. Comme si un rêve s'était envolé.
Finalement
j'envie les poètes....
Lundi
20 août, Hôtel Ponte Sassi, Turin
Après
un retour de Bretagne que Théo a illustré d'un programme musical très
adapté (Théo en voiture est un vrai DJ, il a une musique en tête pour
chaque étape, départ, approche, arrivée, - le seul problème est qu'il
n'aime pas trop les langoureuses notes de Cesaria Evora et que je dois, de
temps en temps, faire le forcing pour les entendre) nous sommes arrivés
samedi à Besançon.
Mille
et une petites choses à régler avant un nouveau départ et, dimanche en fin
de matinée, je repars pour Turin où Ludmila doit arriver par le bus à 16 H
30. Un bonheur que de traverser la Suisse par le Lac Leman : Lausanne, Vevey,
Rolle où Monsieur Godard a eu le bon goût de revenir vivre, Martigny qui
expose en ce moment Chagall (on va essayer de visiter, ce peintre est celui
qui m'a le plus inspiré d'images pour mes chansons "Dans le bleu sombre
dansent des anges qui jouent des instruments étranges" (Tu es venue) ou
"Des rabbins à barbe verte, des hybrides hommes-animaux, des Christ en
Croix, des mariés enlacés survolant leur cortège" (La fille du
poète). Avec, sur le lac, cette lumière pulvérulente, l'eau ressemblant à
celle de la planète Solaris dans le film homonyme de Tarkovski, - et puis des
sommets aux élévations fantastiques où les nuages viennent se lover comme
un épanchement amoureux. Oh, que ce pays est joli....
L'approche
du Saint Bernard, les oreilles qui se bouchent, se débouchent, des chalets
avec des fleurs rouges aux balcons et fenêtres, la montagne. Devant nous,
avec un air
infranchissable, la route qui se faufile dans ce dédale. On ne sait plus si
on va vers l'Est ou l'Ouest, l'Italie est donc si proche ? On ne comprend plus
guère où l'on est, où l'on va, mais c'est comme si la verdure prenait des
teintes fauves, - oui, c'est l'Italie qui approche.
Dans
ma tête c'est comme une machine à remonter le temps qui s'est mise en
marche. J'ai parcouru les mêmes espaces, il y combien... 30 ans ? A peu
près. Jeune homme en fugue, disparu un mercredi après-midi, une lettre sera
postée à Vallorbe donnant les explications : " Je ne peux pas continuer comme
ça. Je pars. Dans le premier tiroir de la commode, dans ma chambre, il y a
une lettre où j'ai expliqué toutes les raisons qui m'ont décidé à partir.
Ne vous inquiétez pas, tout va bien, je vais enfin me confronter au
monde...." Ou quelque chose comme cela. Train jusqu'à Pontarlier,
endormi je me réveille à Vallorbe. J'explique, on ne me fait pas payer de
supplément. Autostop, un sac énorme, bourré de bouquins, à cette époque
je dévorais les livres. Il y avait de tout, romans, poésie, philosophie.
Platon que j'ai lu la nuit, debout, faisant les cent pas dans la chambre pour
ne pas m'endormir dessus.
Ici,
avant le Saint Bernard, j'avais été pris par un type qui faisait des
rallyes. D'un seul coup j'entends un grand coup de freins. Traces sur la route.
La BMW recule plein gaz, la porte s'ouvre : "Tu vas où? - Italie ! -
C'est bon !" Houla... "Je travaille aussi dans les cascades, sur les
films." M'explique-t-il. On n'est pas sérieux quand on a dix sept ans, on a peur de rien. La
voiture fonce mais le type assure. Pas de problème. Ah ! J'oubliais !
Martigny. Je suis arrivé là en début de soirée. Je cherche une auberge de
jeunesse. Me renseigne. On m'informe, sympa. "Il y en a une mais
maintenant elle est fermée. Mais si vous voulez on peut vous y faire dormir."
On entre dans le truc. "C'est un abris atomique" m'explique-t-on. Oui, l'auberge
de jeunesse est un abri atomique. Alors, fin novembre quand il n'y a personne
dedans, je ne vous explique pas l'ambiance... "Il n'y a pas autre chose?
- Je suis pompier, me dit-il, si vous voulez, vous pouvez dormir dans les hangars
de la caserne ! Et au
moins ça ne vous coûtera rien !" Me voici dans la caserne. Les camions
rouges. Ca ne manque pas de place. "Il n'y a que les toilettes qui sont
chauffées!" Alors je trouverai une civière que j'installerai dans les
toilettes pour y dormir dessus, au chaud....
La
route s'est poursuivie. Firenze. L'amateur d'art que j'étais était comblé.
Marcher en hiver à Firenze en 1977.... Rencontrer une jeune femme
américaine. Et se promener parmi les feuilles mortes et les palazzi, les
Ponte Vecchio, les sculptures de David avec leurs feuilles de vigne qui ont
fini par tomber, - tout
cela dans un parfum de liberté conquise....
Roma.
Je dors dans la statione, salle d'attente chauffée. A minuit, contrôle. Seuls
ceux qui ont des billets peuvent rester. Je n'en ai pas bien sûr. A côté de
moi une jeune femme (femme, c'est plus de vingt cinq ans) espagnole. Je lui dis
"je peux vous laisser mon sac?" Elle dit "oui". Je sors.
Essaie de dormir dans une entrée de métro. Trop froid. Je décide d'aller
récupérer mon sac. J'explique au gardien : "je vais rechercher mon
sac" Il me laisse passer. La jeune femme espagnole me dit :
"Maintenant tu peux rester, il n'y aura plus de contrôle" Je dors
un peu. Elle parle avec un jeune allemand qui est à sa gauche. Vers six
heures ils décident d'aller se promener. Je pars avec eux. Vedere Roma alla
matina. Quelle beauté ! Piazza Vittorio Emmanuele. Mi ricordo... C'était
encore la nuit, le monument en arc de cercle éclairé d'une lumière
dorée... Et puis les jardins du Palazzo Farnese. Plus tard le jeune allemand est reparti.
Seul avec une bourlingueuse espagnole qui parlait très bien français. Nous avons décidé
d'aller visiter le Musée du Vatican. C'était cher.
Une collégiale de jeunes italiennes. Elles me regardent en train de compter mes
pièces, sceptique. Elles me proposent de
se cotiser. Toute la collégiale met sa pièce et voici nos deux places
payées plus un petit pourboire qu'on boira plus tard sous forme de capuccini.
On fait une photo : toutes les filles, mon amie espagnole et moi. Oh comme
j'étais beau sur cette photo... La liberté est génératrice de beauté....
Mon
amie me conseille de prendre le train, d'aller dans le sud où
c'est la saison des cueillettes d'oranges : ça te coûtera moins cher que de
voyager en stop et d'acheter à manger au bord des routes. J'achète un
billet, on se sépare. Est-ce qu'on s'est échangé nos adresses ? J'ai dû la
perdre. On n'est pas sérieux quand on a dix sept ans.
Dans
le train je suis inquiet. Ne pas s'endormir comme je l'ai fait à Pontarlier.
La nuit est longue. C'est loin le mezzorgiorno. Au matin je n'y tiens plus. Je
descends. Le train repart. Merde, ce n'est pas Reggio Calabria. C'est
seulement Catona, juste avant Villa St Giovanni. Je sors de la gare. En bas je vois un berger avec
ses chèvres. Plus loin un vieil homme sur un âne. Ah ! Un autre monde. Dans
une librairie j'achète un dictionnaire. Je prépare ma phrase : "Vorrai
lavoro con le arangie" Je voudrais un travail avec les oranges. Je
demande dans les rues. A onze heures on me parle d'une ditta. On m'y amène.
Ditta Gionanni Romeo. La patronne baragouine un peu de Français. A une heure
je suis engagé pour le lendemain. Je gagnerai 5 francs de la journée...
Assez pour se nourrir dans le sud à cette époque.
Je
dormirai un mois dans ma tente sur la plage. Je découvrirai des saveurs
nouvelles, l'huile d'olive, le fenouil frais, les grosses olives vertes
qu'on produit là, délicieuses sorties de leur tonneau de saumure ! Et les
Sirenette, petits gâteaux à base de pâte d'amande. Le latte di mandorle, le
lait d'amandes aussi, les figues de barbarie et tutti quanti.
Un
jour je sors de mon travail et une grosse dame m'accoste. Elle m'explique
qu'elle habite au-dessus de l'entreprise qui était à son père. Elle me
demande si je veux bien venir manger avec eux. Elle, c'est la signora Romeo.
Elle n'a pas d'âge pour moi, mais, selon ma mère qui l'a vue plus tard, elle
doit avoir une quarantaine d'année. Son mari, un petit monsieur très doux,
est juge. Leur maison est grande et luxueuse. Ils ont un piano, une grande
bibliothèque avec plein de livres d'art dont certains sont en Français. Ils ont
un grand salon en L avec, dedans, trois mobiliers de salon différents. Au mur,
des toiles de maîtres italiens. Ils aiment l'Italie, sa culture.
Ce
couple, qui n'a pas pu avoir d'enfant, va en quelque sorte m'adopter. Je vais
aller manger chez eux presque tous les jours. Ils ont une bonne et des
jardiniers qui amènent tous les jours les légumes frais des jardins qui sont
je n'ai jamais su où. Ils ont des vignes aussi. J'apprendrai à boire du vin
chez eux. Leur vin. J'apprendrai à fumer des cigarettes brunes, nazionale.
Et, enfin, j'apprendrai l'italien avec la Signora.
Je
retournerai les voir deux ans après. Et puis les contacts ont cessé.... J'ai
appris que le petit monsieur est mort d'un cancer. Peut-être les cigarettes
nazionale....
Et
puis, il y a quelque temps, sous la pression de ma mère, j'envoie une carte
portale avec mon CD dedans. Et je reçois un message, par mail, écrit par le
neveu de la signora :
"mia zia ha ricevuto la tua lettera, ed è
stata molto contenta, la hai resa davvero felice. mi ha raccontato la tua
storia, ed è vero sono passati molti anni, ma le sei rimasto nel cuore. (...)
. Mi ha chiesto di dirti che vorrebbe rivederti. E' un suo grande desiderio.. la renderesti davvero
felice." Elle m'a demandé de te dire qu'elle voudrait te revoir. C'est
un de ses grands désirs, qui la rendraient très heureuse"
Alors
j'ai décidé d'aller revoir cette vieille dame, avec Ludmila qui sera
heureuse de partir enfin pour des vraies vacances avec moi (sans concerts,
musiciens et surtout, sans camping)
Après
un temps pour trouver le lieu où le bus l'avait laissée, corso Vittorio
Emmanuele, j'ai fini par retrouver Ludmila qui est venue de Tchéquie en bus.
Le seul problème c'est qu'un dentiste philosophe lui a laissé une terrible
rage de dents et que nous allons finir la journée à passer de pharmacie en
services d'urgence... Et qu'aujourd'hui nous n'en avons pas terminé, la joue
a gonflé pendant la nuit, le mal est là, l'infection est certaine, et nous
allons passer une sympathique journée à Torino, version dentiste assistance
!
Vendredi
24 aout 2007, Catona, Calabre
Combien
il fait chaud en Calabre ! Nous sommes arrivés ici hier soir, après une
demie journée de voyage quelque peu harassante. Il souffle sur le sud de
l'Italie un vent brûlant venu des déserts du sud, le sirocco, qui blanchit
le ciel et plombe l'air. Sur l'autoroute du mezzogiorno, sillonnant parmi les
montagnes d'Italie, nous avons découvert une des tristesses du pays, cette
criminalité maffieuse qui frappe dans l'ombre, sous la forme d'une
multiplicité d'incendies. Cela a commencé dans la ville de Sana C. où les
feux étaient partout, mais le pire a été à Cosenza, où l'autoroute a
été fermé, ce qui nous a valu plus de deux heures d'attente. Des feux de
forets partout, les flammes attaquant les arbres à flanc de collines, et
reprenant d'une vallée à une autre. Les habitations à proximité, la fumée
qui envahit les vallées, et les gens qui regardent au bord des routes, l'air
triste et désolé... Ludmila me disait que ces feux devaient s'allumer tout
seul sous l'effet de la chaleur et je lui répondais : "pourquoi à ton
avis le feu frappe les zones à proximité des villes? Tu penses que le feu
n'aime pas la campagne?" Arrivés ici nous en avons parlé avec les gens
de la famille qui étaient venus chez la Signora nous accueillir. La réponse
n'a pas tardé : ce sont des incendies criminels. Et oui, représailles ou
pression pour forcer les propriétaires à vendre leurs terrains.... La
Calabre est belle, mais ce qui s'y passe l'est beaucoup moins...
Alors
la Signora n'a pas tant changé que cela. Bien sûr elle a du mal à se
déplacer, étant tenu son poids, ce n'est pas surprenant que son corps se
soit usé à porter tous ces kilos. Mais le visage, et notamment ses yeux
n'ont pas changé et ont gardé la vivacité d'il y a presque trente ans. J'ai
retrouvé cette maison qui m'avait reçu tant de fois, où j'ai appris
l'italien approximatif que je parle et qui me permet de dire à peu près
tout, mal, mais suffisant à me faire comprendre. La Signora (on l'appelle
comme cela....) était ravie de me revoir, me le répétant plusieurs fois,
comme si je lui ramenais les temps passés où son mari vivait encore. Elle a
maintenant 74 ans, sa maison a un peu vieilli au fil des rénovations qui
n'ont pas été faites, mais est toujours somptueuse par son mobilier, et la
qualité originale de la construction. Elle a été construite par le grand
père de la Signora, en 1912, à la suite du tremblement de terre de 1908, qui
a rasé Reggio (nous n'en sommes qu'à dix kilomètres) côté continent, et
Messina côté Sicile. Le tremblement de terre avait tué 60 000 personnes...
La
Signora vit dans un standard social bien éloigné de celui auquel nous sommes
habitués. Nous, c'est bien sûr tous ceux que je côtoie habituellement. A
l'époque où je suis venu ici pour les premières fois, presque chaque jour de janvier
à mars 1979, elle avait déjà une vieille domestique, Margherita, et je
voyais régulièrement les jardiniers venir livrer les légumes du jour.
Aujourd'hui Margherita est trop vieille pour travailler et, suite à une
broncho pulmonite qui l'a profondément ébranlée, la Signora a préféré,
au lieu qu'elle aille se perdre dans une maison de retraite où un hôpital,
la garder à la Maison. Elle vit donc ici et, comme elle est en face de moi,
de l'autre côté de la table où j'écris, sans bruit, sans visiblement une
part de sa tête, je la regarde tête basse, ressassant probablement des
idées fuyantes, où soudain me regardant, me souriant, intriguée mais
n'arrivant pas à se souvenir qui je peux être. Une autre domestique
travaille ici maintenant, Tania, qui s'occupe de la Signora et de Margherita,
ce qui ne doit pas être un maigre travail. Elle vient d'Ukraine, a environ
trente cinq ans. Je pense qu'elle n'est là qu'une partie de la journée.
Comme Margherita d'ailleurs qui, généralement, partait au moment où je
venais, à l'heure du déjeuner. Elle devait revenir le soir, pour aider à
préparer la cena, le dîner.
La
Signora fait donc partie de ces familles riches de Calabre, sa grande et belle
maison l'atteste et la façon qu'elle a de vivre aussi. Cependant il y a
quelques marques qui montrent que cette richesse tient davantage du passé que
du présent : par exemple, ce gros morceau de plâtre qui est tombé du
plafond et dont le trou n'a jamais été comblé (je suis dans la salle à
manger). Dans beaucoup de pièces c'est ainsi, des infiltrations d'eau ont
taché le mur et attaqué le plâtre, faisant une tache vilaine, et les dégâts
n'ont jamais été réparés. Parfois il y a eu un début de travaux, le plâtrier
est venu, mais il a laissé le plâtre nu et le peintre n'a pas fini le
travail. Dans la chambre où nous dormons dans un somptueux lit, énorme, en
bois d'acajou dans lequel sont incrustés des bas reliefs en bronze, on trouve
une de ces taches dans un coin de la pièce, donnant à ce luxe un côté un
peu décadent qui, du reste, plaît beaucoup à Ludmila. Mais le pire est
encore le plancher. Le plancher est à la limite du parquet et de la marqueterie.
C'est un magnifique travail dont j'ai vu de similaires dans les châteaux que
j'ai visités. Et pourtant, sous les tapis qui le recouvrent en partie, on
s'aperçoit que nombre de lattes sont cassées sans avoir jamais été
réparées. Ces réparations seraient-elles trop coûteuses? Ou alors la
Signora n'a pas envie de voir venir des équipes de plâtriers ou
d'ébénistes qui risqueraient de salir toute la maison ? C'est étrange. Un
monde difficile à comprendre....
Je
viens d'aider Margherita à tourner les pages du magazine qui était ouvert
devant elle, mais de travers. Elle ne peut plus synchroniser ses mouvements et
j'ai donc décidé de lui tourner les pages du magazine. Elle semblait s'y
intéresser, malgré le contenu à des milliers de kilomètres de ses
préoccupations. Je sentais, par un léger mouvement de ses doigts, qu'elle
voulait que je tourne la page. Pauvre petit corps, maigre, nerveux qui
n'arrive plus à se mouvoir seul....
Ludmila
va bientôt se lever. Elle a évidemment du mal avec ces températures. Nous
avons eu de la chance au début du séjour, le ciel était gris et il a plu
quelques fois. Heureusement car, avec sa rage de dents, des températures
telles que nous avons aujourd'hui eurent été vraiment
insupportables pour ma pauvre amie, avec sa joue qui enflait heure après heure.
A Turin nous sommes allés à un hôpital qui avait un service dentaire. Nous
avons été pris en charge rapidement, de jeunes dentistes, très
délicatement, ont ouvert le pansement de la dent, l'ont désinfectée et
rebouchée. Comme l'intervention était considérée comme une urgence, nous
n'avons rien eu à payer. Ludmila qui craignait y passer toutes ses économies
m'a demandé, par deux fois, de reposer la question. Eh oui, c'était gratuit
! L'état prend à sa charge les urgences en Italie. C'est pas
beau ça ?
Les
antibiotiques ont fini le travail des dentistes et la bonne humeur est
revenue. Le soir nous arrivions à Genova. Je ne me suis pas rendu compte que
la rue où nous avons commencé à chercher un hôtel était proche du port.
Une chambre libre pour 35€. Nous prenons. Nous nous retrouvons au quatrième
étage dans une chambre à trois lit qui pue. Une terrible odeur de charogne
que la fenêtre grande ouverte sur la rue pluvieuse n'arrive pas à effacer.
Glauque. Je regarde par la fenêtre. Micro scènes qui commencent à m'alarmer
: un vieil homme, sorte de SDF chargé de deux gros sacs, fait les cent pas
sous notre fenêtre. Qu'attend-il ? Plus loin un prostituée vient elle-aussi
faire les cent pas devant une station service. Un jeune homme arrive. Ils
partent ensemble. Arrive une famille, gros homme et femme, trois enfants. Une
jeune femme s'arrête à leur niveau. A côté d'elle deux types aux épaules
larges comme des tables. Je crois d'abord qu'elle veut faire diversion en
parlant à cette famille, afin de laisser les deux baraqués s'éloigner. Mais
j'ai l'impression qu'ils échangent quelque chose. La jeune femme repart. Elle
a de longues jambes à talon sous une minijupe. Elle marche vite, rattrape les
colosses, les double. Je reviens à la famille. Ils viennent de repartir et je
m'aperçois que le SDF, qui était là depuis au moins 20 minutes, a disparu.
On descend trouver quelque chose à manger avec Ludmila. Devant chaque bar où
on passe il y a une fille. Elles sont jeunes et mignonnes, avec de longues
jambes... D'où viennent-elles ? Pas d'Italie. Probablement encore de
Moldavie, Bulgarie ou d'Ukraine.... Pas de restaurant ouvert. Nous nous
retrouvons dans une pizza à emporter tenue par un maghrébin, apparemment, qui
se fait aider de son fils et de sa fille d'une douzaine d'années. Je
reconnais la famille qui était sous notre fenêtre. Ils ressemblent à des
tsiganes. Mais il n'y a que les femmes, le gros homme n'est plus avec elles.
Que font ces gens à aller et venir dans ce quartier à prostituées. Comment
se fait-il que, quand ils sont passés, plus personne n'attend dans les rues.
Vendraient-ils quelque chose à ses SDF et ces prostituées?
Nous
remontons dans la chambre manger nos pizzas. On a trouvé d'où venait l'odeur
de cadavre. Du bidet. Le siphon était vide et l'odeur remontait. Un peu
d'eau, le bouchon et l'odeur a disparu. Nous avons ouvert une bouteille et
mangé la pizza. Elle était bonne.
Dans
le port d'Amsterdam.... Nel porto de Genova.... c'est la même chanson.
Le
lendemain
la Toscane. J'ai tenu à faire découvrir à Ludmila un lieu qui m'est cher
en Italie : Saturnia. Il pleuvait des cordes. Dans la nuit nous avons cherché
un endroit pour dormir. Il devait être au moins dix heures et ce ne fut pas
chose facile. Les crapauds traversaient la route, des bêtes énormes. De bar
en bar nous tentions d'avoir des renseignements. Finalement nous sommes
arrivés dans un petite bourg à quatre kilomètres de Saturnia. Et nous
avons trouvé une chambre à domicile pour 45€. Nous sommes allés manger un
panini dans une trattoria, il était tard et les fourneaux étaient éteints.
Mais avec un très bon vin blanc en carafe, c'était parfait. La Toscane est
le paradis de la gastronomie. Un vin ordinaire ici est un nectar. Et combien
les Italiens sont chaleureux ! Bref à minuit, le repas terminé, je propose
à Ludmila d'aller nous baigner à Saturnia. Elle accepte. J'aurai un peu de
mal à trouver ce que les Italiens appellent La Cascada. C'est un lieu que je
trouve miraculeux. Une rivière d'eau chaude, chargée de sels de souffre et
descendant de l'hôtel thermal qui se trouve un peu plus haut, se jette en
cascade là où se trouvait, auparavant, un moulin. Après la cascade, les sels
de l'eau thermale ont formé des vasques sur le flanc du talus, juste sous la
cascade. Des vasques placées comme des pétales de fleur à flanc de coteau
où l'eau chaude ruisselle gaiement. Le lieu est libre d'accès et on y vient
à toutes les heures du jour et de la nuit. On s'y éclaire de lampes
électriques, parfois de lampes à pétrole. Dans cette nuit de mercredi il
n'y avait pas de lumière. Nous nous sommes donc glissé dans une des vasques,
dans quarante centimètres d'une eau à trente degrés idéale pour un bain
nocturne. La vapeur de l'eau chaude faisait comme un écran entre nous et les
autres baigneurs qui apparaissaient comme des fantômes pacifiques. Des
hommes, des femmes, des couples, généralement jeunes, des voix dans la nuit,
quelques étoiles dans le ciel encore un peu couvert... Et nos deux corps à
moitié nus, enlacés dans cette eau chaude et courant de vasque en vasque.
Oui, Saturnia est magique. Le corps s'y trouve comme en communion avec le
pays. C'est sacré, c'est païen, c'est génial.
(une
photo de Saturnia trouvée sur internet)
Nous
sommes rentrés dans notre chambre vers deux heures. La peau avait gardé
l'odeur de l'eau sulfureuse. Une odeur agréable pour qui sait l'aimer.
Ludmila préfère l'odeur des savons....
En
tout cas, depuis cette heure et demie passée dans les eaux de Saturnia, les
petits problèmes de peau que j'avais entre deux doigts de pied ont cessé. Le
souffre débarrasse la peau de toutes les affections bactériennes.
Vraiment,
Saturnia est un des lieux que je préfère au monde. Le rapport intime qu'il
permet est unique, sa vie nocturne et sauvage, cette rivière comme vivante. Je
suis un païen et ce lieu est mon temple....
Samedi
25 aout 2007, Catona
Deuxième
et dernier jour en Calabre. Demain nous remontons. Certes nous sommes bien
ici, aux petits soins de la Signora et de sa maison où les visiteurs se
relaient tout au long de la journée. Il fait très chaud, environ 35 dans la
maison. Je me suis habitué. Ludmila a plus de mal. Dans notre grand lit sécession, il n'est besoin que d'un seul drap, celui sur lequel nous
dormons. Tout autre literie est inutile.
Hier
soir nous sommes allés à la plage, à 300 mètres de la maison. Mais je n'ai
pas réussi à me souvenir ni du chemin, ni des abords de la plage. Il faut
dire que beaucoup d'aménagements ont été faits, on a construit une route
qui longe le bord de mer et qu'on utilise comme promenade, le soir. Des bars
se sont installés, louant sur la plage des transats rayés bleus et blancs...
Sur la plage il y a toujours les barques que je voyais autrefois, en bois,
longues de quatre mètres environ et qui servent au pêcheurs. En face de la
plage, la côte sicilienne, elle, toute proche, n'a pas changé. J'avais
installé ma tente sur cette plage. En décembre la température était bonne,
et, le soir, je regardais cette côte en face la mienne, avec les lumières de
Messina qui luisaient dans la nuit. Je me souviens de l'odeur du vent, du
bruit qu'il faisait en caressant les palmes, et de la couleur des maisons, de
ce jaune sableux. Je me souviens que les rues étaient étroites, je me souviens de
ce petit homme assis sur son âne qui était parfois chargé par des sacs plus
gros que lui. Mais j'ai oublié le reste.
L'eau
de la mer était d'un bleu magnifique, et d'une transparence impressionnante.
C'est curieux, en Bretagne, l'eau est verte. Ici elle est bleue, d'un bleu
turquoise. J'ai vu deux hommes, des pécheurs je crois, qui se lavaient les
cheveux dans la mer. Ainsi j'avais fait, c'était comique, comme un clin d'œil
...
La
Signora, Maria en fait est son prénom, est en train de parler, dans la
cuisine, avec Tania. Tania qui, bien sûr, parle Russe, a pu discuter hier avec
Ludmila, qui parle Russe aussi, - tous les habitants des anciens pays
soviétiques ont été obligés d'apprendre le Russe. Elle a donc fait des
études d'architecture, jusqu'à l'académie où on ne forme pas des
tâcherons mais de véritables créateurs. Elle a réalisé ensuite la
conception et les plans de plusieurs bâtiments importants, dont une école et
un cirque d'hiver.
Un jour, son frère se tue dans un accident de voiture. Elle se retrouve le
dernier enfant à vivre, son père est mort, il ne lui reste que sa mère.
Elle se marie et a un enfant. Après quelques années son mari meurt lui aussi
dans un
accident de voiture, la laissant avec l'enfant. Seule à pourvoir aux
frais du foyer, cela devient difficile, elle n'arrive pas à payer les frais
de sa maison, sa vie avec l'enfant. Sa mère, de son côté, avec sa retraite
n'y arrive pas non plus. Tania décide alors de vendre sa maison et tout ce
qu'elle possède. Elle donne une partie de son argent à sa mère et elle
achète un visa au black pour elle et son fils. Elle paiera 2000 € pour
venir en Italie et elle arrivera ici...
Mais
son diplôme d'architecte n'est pas reconnu. Alors elle doit trouver autre
chose. Elle travaille pour Maria depuis quatre ans. Maria lui déclare quatre
heures de travail par jour. Elle en fait au moins huit. Comme elle n'a pas de
plein temps elle n'arrive pas à avoir de vrais papiers... Qu'est-elle venue
faire dans cette terrible région ?
Quand
je pense que j'ai refusé, en 82, un poste de lecteur à Lecce. Comme j'ai
bien fait. Les Pouilles sont-elles plus ouvertes que la Calabre ? Je n'en
crois rien.
Le
principe de fonctionnement de ces familles riches est proche d'un système
féodal. Le père de Maria était un grand négociant qui exportait des
spécialités de Calabre dans le monde entier. Par exemple il vendait à de
grandes sociétés de mode françaises, un extrait de fleurs d'oranges amères
qu'on utilisait comme fixateur pour les parfums de luxe. Cela coûtait très
cher. Il possédait des champs, des vergers. Maria et son mari, à l'époque
où je les ai connus, avaient dix ouvriers qui travaillaient dans leurs
champs, leurs vignes et leurs vergers. Les ouvriers étaient dirigés par deux
métayers. Je lui ai demandé si elle faisait encore son vin blanc au parfum
unique. Elle m'a répondu qu'après la mort de son mari elle avait tout
arrêté. En fait elle a tout vendu ses terrains. Ce qui lui a valu un compte
en banque que Tania nous a dit être énorme. Maria m'a dit que ces douze
fermiers à l'année lui revenaient à un million de lire par jour. Elle ne
m'a pas dit combien cela lui rapportait, mais il faut croire que l'affaire
n'était pas très rentable. En tout cas il semblerait aujourd'hui que ce
patrimoine perdu soit changé en un colossal compte en banque dont il
paraîtrait que son neveu, que nous avons croisé plusieurs fois, va hériter.
Toute
la famille de Maria est constituée de gens fort riches, qui ont tous des
professions d'élite : des avocats, des juges, des médecins, des chirurgiens.
Une élite qui emploie des gens de maison, des ouvriers qui ont la charge des
petits travaux et qui sont considérés vaguement comme une race inférieure.
J'ai la chance d'avoir connu Maria et son mari dans un contexte particulier et
qu'ils se soient attachés à moi car j'étais un peu le substitut de l'enfant
qu'ils n'ont jamais pu avoir. J'ai eu aussi la chance que ces gens soient un
peu plus sensibles et généreux que les autres. Mais en fait ces familles
sont totalement closes et ne sont ouvertes qu'à leur pairs. Élitistes,
repliés sur leurs valeurs de caste, ayant en main l'économie du pays, ou du
moins de la région, ces
familles enferment la Calabre dans leur prédominance. Les gens que j'ai
croisés ici sont des gens doux, sympathiques, et Maria et son mari étaient
même assez cultivés. Ils m'ont ouvert leur toit et, si j'avais eu besoin
d'une aide, même plus tard, ils auraient pu, quelque soit le niveau,
interférer en ma faveur. Ils m'accueillent encore aujourd'hui, nous
dégustons avec Ludmila de somptueux repas méditerranéens que Tania
prépare, et je porterai toujours Maria dans mon cœur pour son aide, pour son
enseignement même, et pour les moments passés à parler avec elle pendant
des après-midi entières. Seulement ce monde d'économie close et de familles
aux valeurs d'élite forte, pour qui n'a pas accès à leur caste, c'est la
soumission et la pauvreté assurée, et cela est désolant dans un
pays de démocratie affichée, profondément ancrée dans l'Europe....
La
critique de cette société doit être nuancée par l'accueil que Maria nous fait. Même
si elle est, c'est évident, très attachée à ces valeurs familiales et à
celles de son père dont elle parle toujours avec un grand attachement, il est
évident que c'est avec beaucoup de cœur qu'elle nous accueille chez elle. Avec
Tania, elles travaillent à nous proposer ce que la Calabre peut offrir de
meilleur, car Maria est une gastronome fière des recettes traditionnelles
qu'elle connaît depuis toujours. Sa grande maison nous est ouverte sans
restriction, nous pouvons aller et venir comme nous voulons. Le soir nous
parlons pendant des heures sur l'immense terrasse que le vent marin rafraîchit
de la chaleur laissée dans les pierres par le soleil torride de la journée.
Quelque soit les tendances de cette société élitiste et fermée à laquelle
Maria appartient, il faut reconnaître aux personnes ce qu'elles sont capables
de donner. Une seule famille m'a accueilli comme celle-là, et je leur rends
hommage avec tendresse. Il est midi. Je suis venu sur la terrasse finir
cet article difficile. Dans des cas semblables nous sommes pris dans une
contradiction douloureuse entre condamner un système et remercier des
personnes de ce système pour l'accueil exceptionnel qu'elles nous font.
Lundi
27 août 2007, quelque part en Toscane
Sur
la route du retour. Ce soir nous devons être à Besançon pour pouvoir
repartir demain en République tchèque. Ludmila doit être à sa prérentrée
après-demain.
Hier
sur la route la chaleur était vraiment torride. Il paraît qu'il a fait 48°
à Messine. L'air est chaud et fraîchit peu la nuit. J'avais d'abord pensé
nous arrêter au bord de la route pour nous reposer avant de reprendre, mais
après une chaleur pareille toute la journée, ma tête menaçait d'éclater.
Nous
avons vu d'autres feux encore au retour, et les hélicoptères qui, avec leur
réservoir pendus au bout d'un câble, tentaient de les éteindre. Comment
est-il possible que des gens aient envie de dévaster leur pays de la sorte ?
Lorsque le feu est passé, la végétation a du mal à se fixer et parfois, à
la place d'une forêt ne reste qu'une montagne jaune et chauve où le roc
affleure. Quelle tristesse....
Hier
nous avons fait la visite de la Maison de Maria avec Tania. Maria ne peut plus
marcher que quelques mètres et très lentement alors elle a confié la visite
de sa maison à celle qui travaille pour elle. Et quelle guide Tania ! Après
les études d'architecture qu'elle a faites, elle connaît l'histoire des
différents styles, elle connaît les matériaux et surtout, elle connaît la
valeur des objets dont on lui a confié l'entretien. Elle nous a dit qu'il a
fallu presque une semaine pour nettoyer le salon car Maria avait voulu
qu'il soit en ordre quand on le visiterait. Le salon de Maria est un trésor.
La moindre tasse coûte 300€, le moindre tapis 10 000, sans compter les
meubles d'exception dont cette table en marbre d'éléphant rouge dont Maria
dit qu'il en a été réalisée que deux, la seconde ayant été pour la Reine
d'Angleterre. Tania est sceptique à ce sujet. Il lui semble avoir vu des
tables similaires dans d'autres collections. Mais, encore qu'il n'y en ait
plus de deux, quelle pièce ! Dans le grand salon en L, il y a quatre ensemble
de petits salons, certains du XVIIIème, il y en a même un du seizième sur
les fauteuils duquel il est déconseillé de s'asseoir. Je ne parle pas des
collections d'objets, les différents services, des commodes somptueuse, les
toiles sur les murs dont une, un portrait de Tolstoï, avait été vendu par
le musée de l'Hermitage dans une vente à Rome. Tania nous disait qu'un
miroir, plaqué à la feuille d'or, était un de ses meubles préférés et
qu'elle en avait réalisé la remise en état. Il avait fallu tout nettoyer au
pinceau pour ne pas risquer de ternir ou de décoller la feuille d'or. Elle
avait réussi à redonner au miroir son éclat, l'ensemble lui avait pris une
demie journée.
Le
plus étonnant était peut-être la façon dont Tania nous présentait ce mobilier
d'exception. Elle, employée de maison en même temps
qu'architecte de formation et même de pratique pendant plusieurs années. Il
était évident qu'elle aimait ces objets, des objets dont elle avait rêvé
lorsqu'elle avait appris leur histoire dans les livres de la faculté, dans un
pays où l'on prônait les valeurs du communisme, en même temps que la haine
de l'élite bourgeoise et ses propriétés illégitimes !....
J'attends
que Ludmila descende de la chambre d'hôtel pour repartir. Il reste encore 1000 kilomètres environ.
Si partir est mourir un peu, que dire de revenir ?
Jeudi
30 août 2007, Sobieslav, République tchèque
Nous
sommes arrivés en République Tchèque la nuit dernière. Nous sommes partis
de Besançon accompagnés de Patrick Barbenoire, un de mes amis musiciens. Il
m'avait accompagné à la batterie lors de la mise en musique de mes
premières chansons. Aujourd'hui il fait partie de l'équipe du Cirque Plume.
C'est le clown-batteur du spectacle "Plic Ploc". A deux chauffeurs
la route est plus rapide et beaucoup moins fatigante. Patrick est resté hier
pour visiter Tabor et il est aujourd'hui allé à Prague avec l'idée d'y retrouver
James Mac Gaw, un musicien originaire de Besançon et qui vient de s'installer
à Prague avec une petite amie tchèque. Il a ainsi pris un risque que je ne
prendrai pas, - s'installer en République tchèque. Mais bon, si Ludmila
avait habité à Prague, il en aurait été peut-être autrement. Mais vivre
à Tabor, non.
Cependant
j'aime Tabor lorsqu'il s'agit d'y passer quelques jours. Hier soir, avec
Patrick, nous sommes allés écouter le concert du groupe de Karel, mon
maestro (Karel joue avec nous depuis maintenant quatre ans). Cela se passait
sur la place Jizka, la place de la vieille ville de Tabor. Le concert
était sonorisé par David, le frère de Karel, qui travaille comme ingénieur
du son au théâtre de Tabor (c'est lui qui avait sonorisé notre concert au
théâtre l'année dernière) et, comme d'habitude avec lui, le son était
excellent. Dommage qu'ils n'interprètent que des reprises de rock
international, car les musiciens sont bons et les deux chanteurs excellents.
Le concert se tenait à côté de la taverne en bois qui est sur la place et
qui ouvre pendant la saison d'été. Lenka en est la propriétaire, qui est aussi
la gérante du bar Na Schludkach où nous avions joué il y a deux ans. Nous
commençons à bien nous connaître.
Après
le concert, Lenka nous a offert une Becherovka et nous a fait goûter les
filets de truite qu'ils font cuire au grill. C'était excellent. Après le
rangement des instruments et la fermeture de la taverne, nous sommes allés
dans un bar voisin car l'un des chanteurs, Jan, fêtait son anniversaire. Vin
pétillant, bière, et joyeuse atmosphère avec les musiciens et une autre
Lenka, la directrice du service culturel de la Mairie de Tabor. Ivan, le
second chanteur du groupe, et ami depuis quelques années, a sorti sa
guitare et tout le monde s'est mis à chanter des chansons tsiganes et
tchèques. Les tchèques, lorsqu'ils ont bu quelques verres, se mettent
facilement à chanter. On a eu droit à une magnifique interprétation de
Dobru Noc, accompagnée par Karel à la guitare et que tout le monde s'est mis
à chanter à plusieurs voix. A chaque fois cette chanson me donne des
frissons et je pleurerais de joie en l'écoutant. Lenka, la gérante de Na
Schludkach, m'a demandé de jouer une de mes chansons, et j'ai été surpris,
pendant les refrains, que tout le monde se mette à chanter avec moi, dans un
français approximatif dont ils ne connaissent certainement pas le sens, mais,
en revanche, dont certains connaissaient les deuxièmes voix. C'était très
émouvant.
Je
suis allé retrouver Ludmila vers deux heures du matin, Patrick est resté
avec la joyeuse compagnie, ravi de se trouver ainsi accueilli dans un pays où
il n'était jamais venu. Ce sont des moments que les touristes ignorent et qui
sont l'essence même du voyage.
Aujourd'hui
nous avons décidé avec Ludmila de nous promener dans la région, après qu'elle
aura repris sa bouche à son dentiste philosophe. J'espère que cette
fois il prendra soin de ne pas lui déclencher une nouvelle infection, car la
course aux services d'urgence, j'aimerais éviter de recommencer. Qu'il prenne
donc un peu moins de temps
à exprimer sa cosmogonie, sa culture et son amour de l'art, et un peu plus à maximiser les mesures d'hygiène.
Pendant
l'intervention stomatologique, je
prends le temps de découvrir cette petite ville qui n'est pas une perle
d'architecture comme peuvent l'être Telc, Ceske Budejovice ou Ceske Krumlov, ni même Bechine pour prendre une ville
d'importance comparable, mais qui n'est pas désagréable à visiter.
Aujourd'hui est jour de marché. Sur la place centrale, voisinent les
marchants tchèques et les Vietnamiens qui sont foison en République
tchèque et occupent une place très importante dans le commerce du
pays.
Voir ainsi, en si peu de temps, défiler des architectures
urbaines si
différentes, de l'Italie du Sud à la République tchèque, en passant
évidemment par la France, est une bonne façon de réaliser combien la
communauté Européenne est riche et belle, et prometteuse d'avenir. Je suis heureux d'être le témoin de cette évolution tellement
visible et évidente lorsqu'on voyage un tant soit peu. Il est regrettable
que les médias n'insistent pas davantage sur cette richesse historique,
culturelle, et sur cette formidable évolution des pays entrants qui permet
d'en révéler l'énorme potentiel. Le seul problème c'est que ces pays ne se
connaissent presque pas. Les quelques conversation que nous avons eues avec
des Italiens ont révélé leur méconnaissance quasiment totale de l'Europe
centrale. Les autres, français compris, ne valent pas mieux. A quand
l'histoire Européenne, la littérature, l'art européen dans les programmes
scolaires ?
Et
de vous dire, et de vous redire, après l'avoir parcourue dans plusieurs sens
: mon Dieu que l'Europe est belle !
Samedi
1er septembre 2007, Tabor
Eh
oui, le pauvre singe aventurier est mort !
Il
a réjouit tous ceux qui ont eu la chance de le voir filer dans les
mailles des gardiens du Zoo. Et notamment ces enfants qui, un matin, le
découvraient en train de pirouetter sur un pont, spectacle rare et que,
j'espère, ils n'oublieront pas. J'ai passé l'été à songer au bel animal,
me battant pour accoucher d'une chanson qui en faisait le fléau de l'artiste
évadé de la voie officielle. Et pendant qu'en Italie j'oubliais ma chanson
sous le spectacle d'autres merveilles, le pauvre héros se faisait buter par
un conducteur qui n'a même pas daigner s'arrêter et déclarer sa sinistre
identité !
Patrick
m'avait mis la puce à l'oreille en me parlant d'une vague information qu'il
avait entendu à la radio parlant d'un animal échappé d'un zoo qui s'était
fait buter par une voiture. J'ai donc envoyé un mail à Fred Jimenez, un ami
journaliste de l'Est Républicain, pour lui demander ce qu'il en était. Et
voici sa réponse :
" hélas
oui, tu es bien informé. Draco s'est fait shooter par un véhicule qui ne
s'est même pas arrêté en tentant de traverser l'autoroute à hauteur de
L'Isle-sur-le-Doubs. Ce après 82 jours de cavales au cours desquelles il aura
progressé à un rythme pépère de 50 km en remontant le Doubs. Le macaque
s'est apparemment bien acclimaté, surtout avec ce temps pourri car originaire
de Nagano (2000 m d'altitude) au Japon il n'apprécie pas trop les grosses
chaleurs. Il a pris 4 kilos durant son périple a révélé l'autopsie ( de 7
à 8 kilos évalués à son départ il est arrivé à 11). Son estomac était
gavé de mûres sauvages.
Voila
en gros l'histoire tragique de Draco..."
Il
m'a donc fallu changer la fin de ma chanson, sa mort prenait sens :
"Liberté chère oh combien cher - Tu peux faire payer tes cadeaux"
La métaphore avec l'artiste va donc chatouiller ses confins : liberté oui,
mais où mènera-t-elle est la question...
M'amusant
à suivre quelque inspiration musicale, en attendant que Ludmila finisse sa
toilette, - cela peut être très long - j'ai trouvé un splendide petit break
musical qui a remplacé la danse écossaise initialement prévue. J'ai
demandé à Karel de me la jouer et, avec son magnifique doigté, le résultat
est très satisfaisant. L'annonce de la fin de Drako, dans le dernier couplet,
prend des allures lyriques et larmoyantes de tsiganes russes, ce qui boucle
l'idée de départ : "Drako vit d'art et de débrouille - comme à l'âge
d'or perdu des tsiganes"
L'air
fraîchit, les sons, la lumière, les odeurs se teintent de nuances
automnales. L'échappée de Drako n'a duré qu'un été, le singe cigale
n'aura besoin de prier aucune fourmi. Il emporte avec lui toutes nos
illusions, il nous a rappelé que la réalité est impitoyable et que,
curieusement, elle donne raison à la conformité, la norme et à la routine
des hommes... et de bêtes...
Dimanche
02 septembre 2007, Tabor
Petite
tentative de soleil aujourd'hui, mais le ciel de la République tchèque
n'arrivera pas à nous cacher que l'automne arrive... Hier cependant, Karel
avait décidé de nous organiser une journée de découverte de la bohème
sud, enfin d'un endroit que je ne connaissais pas encore. On s'en était
totalement remis à lui pour le choix de l'itinéraire.
Nous
sommes donc partis direction sud, laissant passer Ceske Budejovice, puis l'Unesco-tiènne
Ceské Krumlov, et, prenant sur la droite juste avant d'arriver à la
frontière Autrichienne, nous voici attaquant la montagne Šumava (Sumava si
on enlève un accent que certains ne pourront pas lire) une montagne que nous
appelons "les monts de Bohème". C'est pas mal non plus, en
Français ! Une petite route, toute neuve en noir asphalte, bordée d'une
belle ligne blanche toute fraîche et à la largeur en conformité avec les
normes européennes. Nous étions heureux de quitter la route vers la
frontière où j'ai eu la tristesse de redécouvrir des prostituées tous les
200 mètres, ce que je croyais terminé, car, côté frontière allemande, il
n'y en a plus. Cette vue pouvait, il y a quelques années, avoir pour moi
quelque chose de pittoresque. Maintenant que j'ai appris comment une partie de
ces femmes arrivent là et l'horreur de la situation dans laquelle les
réseaux maffieux les enferment, je ne supporte plus de voir ces pauvres
esclaves Ukrainiennes, Bulgares ou Moldaves offertes à la consommation des
riches malbaisés. On a lutté contre l'esclavage, qu'on aille au bout de
cette barbarie !
Bon,
revenons à notre petite route de montagne, longeant la vallée de la Vltava
qu'on connaît chez nous par son nom allemand : La Moldau. Vous pouvez,
maintenant brancher votre pick up et vous écouter la très jolie sonate de
Smetana, nous sommes en plein dedans.
Nous
avons passé Rybnik, qui veut dire l'étang, et nous nous arrêtons à notre
première destination : Rozmberg (on dirait Rosenberg). Un petit pont sur la
Vltava (à prononcer Voltava) qui n'est encore qu'une rivière de montagne (à
Prague, évidemment, elle a une autre allure !), un très joli château
sur la colline. Nous nous arrêtons sur un parking face à une série de
restaurant avec terrasse au bord de la rivière. Il y a beaucoup de monde, les
restaurants sont pleins, certains complets. Sur les façades on invite les
motards à s'arrêter en annonçant des parkings spécialement faits pour eux
ou en suspendant, sur un totem fantasque, une vieille Pionyr (la 125cm³ de tous au temps du communisme) et un
vélo antique dont le temps a effacé la marque. Nous entrons dans une grande
taverne avec des grandes tables en bois, des bancs recouverts de coussins, des
décorations d'antiquités rurales et un plafond avec des arcs en ogive à la
voûte desquels pendaient de gros lustres en fer forgé. A peine étions nous
la depuis quelques minutes que trois jeunes bien charpentés arrivent et
s'installent à la seule table libre, cette à côté de la nôtre. Soudain un
des jeunes se tournent vers nous, me regarde et commence à s'exclamer :
"Bonovox ! Bonovox !" Les consommateurs tournent la tête vers nous.
Je me demande ce qui lui a pris, essaie de comprendre, demande à Ludmila qui
demande à son tour au jeune tchèque. Et voilà que je comprends que le jeune
kayakiste m'a pris pour Bono, le chanteur de U2. On m'a déjà dit que je lui
ressemblait, mais ça n'a jamais été d'une façon aussi retentissante que
celle là ! Il faut dire, m'explique Karel, que les rameurs qui descendent de
la Vltava ont l'habitude de se réchauffer allégrement aux alcools fort, et
que ceux là sont visiblement bien ivres. Enfin, la petite serveuse a décidé
de s'occuper de nous, Karel me conseille de commander "Le coup du
bourreau" (Katuv sleh), un plat normalement très épicé et composé de
viande de porc en petits morceaux braisés avec des dés de poivrons et de
courgettes.
Les
Kayakistes se lèvent pour partir, sortent, l'amateur de Bonovox revient avec
une bouteille de Rhum tchèque et m'en propose. Je bois, gloups c'est costaud
! Karel et Ludmila déclinent et notre nouvel ami repars hilare rejoindre ses
amis et leurs Kayaks !
Plus
tard nous monterons dans le château, Ludmila n'a pas envie de visiter
l'intérieur, alléguant que lorsque tu en as visité un, tu les as tous vus.
Très jolie vue depuis le couloir qui relie deux bâtiments du château (Rozmberg
est en quelque sorte un petit Ceske Krumlov, où, là, le château est immense
et relié par un couloir suspendu au dessus d'un impressionnant rocher), -
nous redescendons.
Au
moment de traverser à nouveau le pont, où vraiment j'avais trouvé qu'il y
avait beaucoup de monde, nous voyons arriver sur la rivière un radeau jonché
de curieux personnages dont un Obélix avec un menhir en carton pâte sur le
dos, une Astérix, et quelques gaulois aux nattes rouges surmontés d'un
casque avec une corne de génisse de chaque côté. Ils s'écrient, en
tchèques, "ils sont où les romains !" et tout le monde sur le pont
rit et les salue. Ils passent de justesse sous le pont et les voici qui
s'approchent, poussant le radeau de leurs longs bâtons, du barrage et de ses
rapides. Tout le monde les suit pour assister à leur passage de l'écoulement
rapide qui se trouve à la droite du barrage, et où, autrefois, devait être
une roue de moulin. On se demande si le radeau ne va pas être trop large pour
le passage. Les bâtons des rameurs le placent dans l'alignement du couloir
rapide, les gaulois tchèques s'accroupissent et se tiennent aux lattes du
radeau et voici le radeau qui fonce dans le rapide sous l'acclamation de la
foule ! Ils sont passés !
Après
les gaulois ce seront les personnages d'un conte Russe "Mrazik"
(petit froid), connu sous la forme d'un film, un des premiers films Russe en
couleur et qui passe à chaque Noël sur la télévision tchèque. Puis ce
sera une Cruella travestie fumant un long fume cigarette et accompagnée de
quelques dalmatiens, puis, les préférés de Ludmila, les verts vodnik (avec
un long "i" pour la prononciation) qui sont les hommes de l'eau d'un
très célèbre conte tchèque, puis les cantonniers avec leur veste orange
fluo sur un radeau signalisé par le panneau "attention, travaux" ;
les cheminots avec, sur leur radeau, une grosse locomotive dégageant une
grosse fumée noire et, avant que nous partions une série de moines blancs
sous leur capuche et arrosant au passage tout ce qui passait à leur portée,
touristes et Canoë.
Ce
joyeux défilé faisait partie de la manifestation du Den Kurioznich plavidel,
le jour des bateaux extraordinaires. Il est à noter que ce fragment de la
Vltava est un véritable autoroute à Kayak, 10 000 Kayak y passent mais,
désolé, je ne sais plus si c'est par jour, par semaine, ou par saison. Mais
en tout cas, des Kayaks, il en passe des tonnes sur ce joyeux torrent qui
devient peu à peu rivière, avec son eau claire aux reflets rougeâtres.
Prochaine
étape, Vyssi Brod, (prononcer vichi) le village où vivait la grand mère de
Karel et où il passa une partie de ses vacances quand il était enfant. Là
se trouve, au bord d'une Vltava plus torrent que rivière, un très joli
monastère cistercien. Le bâtiment, en ruine durant la période communiste,
avec un jardin en friche, a été restauré avec une partie de fonds de
l'Union Européenne. Le jardin a été défriché, laissant voir un petit
torrent qui le traverse (et où Karel, enfant, allait pêcher des truites) un
petit étang sous un mur de fortification impressionnant. Le monastère a
retrouvé ses pignons d'origine, en plâtre peint de jaune et de blanc, le
revêtement typique des constructions de marque, monastères ou châteaux, une
court où siège une fontaine et, à l'intérieur, une magnifique
bibliothèque avec, au plafond, une fresque somptueuse. Mais hélas, il était
trop tard pour que nous la visitions. Il est à noter que les moines ont
ouvert une pension qui ne demande, pour la nuit, que deux ou trois Euro à ses
pensionnaires.
Enfin,
en fin de journée, nous sommes allés visiter "Le mur du diable" (Certova
stena). Un amoncellement de blocs de pierres énormes qui ravinent d'un piton
rocheux vers la rivière. Le lieu mérite vraiment son nom. C'est comme si
tous les menhirs de Carnac avaient été entassés au pied de ce roc,
lui-même tailladé par la hache d'un géant et autour des pointes duquel
plusieurs arbres ont été foudroyés.
Après
une halte à la Marina, un ensemble de constructions touristiques réalisés
en collaboration avec des architectes suédois et construit au bord du plus
gros lac de République tchèque, nous avons repris notre route en direction
de Tabor. En route nous nous sommes arrêtés dans un petit restaurant où
j'ai dégusté une truite braisée à la crème et aux amandes qui m'a quand
même coûté 7 Euro. C'est cher pour les tchèques, peu pour nous, certes.
Mais quand même, les tchèques ont cette curieuse habitude d'indiquer un
prix, pour le poisson, sur une base de 150 grammes. Si le poisson dépasse ce
poids, et c'est toujours le cas, vous payez un supplément de cinq couronnes
tous les 10 grammes supplémentaires. Ce qui fait que votre poisson va vous
coûter la moitié du prix en plus. Il suffit de le savoir. Mais bon,
vraiment, cette truite était excellente, et cette journée, organisée par
mon musicien préféré (mais les autres me sont chers aussi!) un vrai régal
!
Mardi
4 septembre, Besançon
Besançon
m'accueille avec un joli article sur notre histoire Drako et moi. Cela fait
plaisir de se faire accueillir par une touchante intention lorsqu'on rentre de
vacances :
Dimanche
23 septembre 2007, Besançon
Quelques
problèmes d'ordinateur me rendent peu bavard. J'ai hâte de retrouver mon
ASUS qui est parti en garantie. C'est le deuxième que j'ai. Dommage, le
premier avait eu une vie sans faute.
La
rentrée accélère donc les choses. Les délais frappent il faut courir.
Demain par exemple dernier jour pour l'envoi d'une candidature à Utopia. Il a
donc fallu mettre Drako en boite. Mardi et mercredi dernier c'était
l'enregistrement. Chez Hervé Prudent, le luthier et contrebassiste. Philippe
Avocat avait descendu de Paris son matériel et il a retrouvé chez Hervé son
énorme table de mixage qu'il avait laissée pour décorer le salon d'Hervé,
son ami. Pas mal l'effet. Sont venus alternativement P'tit Man, qui avait
amené sa guitare manouche, Titi qui passait de la basse à la caisse claire
et à l'œuf, et un musicien avec qui je n'avais jamais joué encore, le
frère d'Alexis (notre saxophoniste habituel) : François Requet qui,
avec son violon a fait que le morceau s'est mis à tenir tout seul debout.
Cela
a été deux journées très agréables, nous avons mangé ensemble,
travaillé de onze heure du matin au milieu de la nuit, répété d'abord
puis, peu à peu trouvé une méthode d'enregistrement pour ce morceau aux
tempos variables.
Philippe
est reparti pour la capitale où il va habiter encore quelques semaines avant
de revenir s'installer à Besançon. Il est à noter quand même que Philippe
(Avocat) a été l'assistant son de Manu Chao sur deux albums. Ca cause ! A
Paris, donc, il s'est mis au mixage et a commencé un échange de fichiers par
Internet et de coups de téléphone. Peu à peu, de version en version, nous
sommes arrivés à nous comprendre (le son c'est un peu comme les goûts et
les couleurs...) pour arriver à une version définitive qui, j'espère, sera
celle qu'il va m'envoyer dans quelques minutes.... Ah ! le téléphone sonne !
(je vous promets !)
Voici,
le moment d'écouter le résultat... Oui, cela semble être la bonne, je
vérifierai demain à la maison étant donné que je suis de veille au foyer
A.G.E.
Tout
cela est allé très vite. Le retour de Tabor, l'article sur ma chanson qui
parait le jour de mon retour, comme si la ville m'accueillait les bras
ouverts, c'était très agréable. Contact des musiciens, petite tension :
"Est-ce que toute le monde sera au rendez-vous?" Et puis voila que
la saison commence à toute beurzingue sans qu'on n'ait vraiment le temps de
réaliser qu'un nouvel été a pris fin, et qu'on ne se replongera pas dans la
mer ou l'océan avant l'année prochaine... C'est comme cela que les années
s'enfuient dans notre dos...
Ah,
oui aussi ! J'ai profité que mon portable soit en panne pour me consacrer à
un travail que je repoussais depuis un certain temps : le rassemblement de
tous les négatifs réalisés à Quiberon. Cela afin de réaliser un nouveau
portfolio que j'ai envie depuis un petit moment d'appeler : "Bien le
bonjour de la Presqu'île". Trouver les négatifs réalisés sur environ
cinq ans, trier, scanner, développer. J'ai retrouvé tous ces clichés avec
plaisir, et, pour ne pas laisser cela moisir sur les disques durs, je les
présente sur les pages photographiques de mon site. Voici ma photo
préférée de cette série (un lien sur la photo vous emmènera directement
au reste de l'exposition) :
La
photographie a été réalisée sur le bateau pour Belle-Île l'année
dernière. Ce qui fait le flou sur la gauche, ce sont les cheveux de Ludmila.
La beauté de ce visage endormi, seule zone correctement exposée parmi un
environnement surexposé, la position du père, la douceur de la situation, la
confiance qui s'en dégage, et ces cheveux en premier plan qui, par le flou,
décrochent la scène du réel.... Oui, cette photo m'émeut
particulièrement. C'est un don du ciel.
L'expo
est donc prête à être tirée. Ne reste qu'à trouver un lieu d'exposition.
On verra ça.
En
tout cas voilà, c'est comme du temps gagné, retrouvé. "A la recherche
du temps perdu" annonçait Proust puis, soulagé, "le temps
retrouvé" lorsque son grand livre et sa vie arrivaient à leur fin. La
création est une façon de tuer la mort... dans la vie. Une sorte
d'antibiotique en somme... La vraie mort c'est le temps que l'on tue.
Dimanche
7 octobre 2007, Besançon
Ce
soir, fin de la deuxième édition des Musiques de rue à Besançon. Je me
souviens, il y a quelques années, quelqu'un de la Mairie m'expliquait que la
Ville de Besançon avait une très lourde partie de son budget culturel
occupé à la gestion des structures (École des Beaux Arts, Conservatoire,
Musées...) et donc qu'il restait très peu d'argent pour l'action culturelle.
L'action culturelle c'est tous les évènements et les subventions diverses
pour des événements culturels et artistiques. Ce Festival de Musiques de Rue
coûte très cher... C'est de l'action culturelle et pourtant la Mairie a
réussi à trouver les fonds pour nourrir ce colossal budget... Comment
ont-ils fait ? Et puis, conséquence évidente, c'est qu'après ça... pour
d'autres actions culturelles.... y'a plus rien... En trois jours on vide le
portefeuille de l'année...
"Donne
au peuple du pain et des jeux" disait un empereur romain. La solution à
tous les problèmes !. Ca vaut bien une petite folie ! Allez bisontins, voici
plein de spectacles gratuits, mettez vous en jusqu'à la panse et votez pour
nous l'année prochaine !
Et
Zou !
Quand
je pense que dans dix jours il va falloir que les gens paient 14 Euro pour
venir nous voir au théâtre Bacchus... Ils vont halluciner les gens :
"Il y a deux semaines il y en avait partout qui venaient de toutes parts
et on ne nous a rien demandé, et maintenant pour cet inconnu du cru il va
falloir mettre la main au porte monnaie ?!!
J'avais
discuté avec le patron d'un café concert d'Yverdon qui, il y a quelques
années, marchait très bien : Le Citron masqué. Une petite salle et
une grande salle de concert. Le patron me disait qu'aujourd'hui il est obligé
de payer les musiciens au chapeau car les gens ne se déplacent plus pour
venir aux concerts."Depuis qu'ils ont lancé toutes les grosses
locomotives, Nyon, Montreux, et d'autres festivals largement subventionnés
qui font venir de grosses pointures pour des coûts d'entrée très limités,
les gens ne viennent plus à nos concerts...."
Autre
chose : Utopia. Le très sympathique concours d'Utopia, que je trouve très
bien, a pour Président un conseiller municipal, Daniel Magnin, de la liste de
Fousseret, notre Maire. Le concours a été fondé juste après les
élections;
Eh
bien, malheureusement, le concours d'Utopia n'a pas voulu de mon singe
Drako.
Paraît
que nous n'étions pas en mauvaise position. Mais, comme disait Daniel au
téléphone : "Ce qui est bien, cette année, c'est qu'il n'y a que des
amateurs qui ont été sélectionnés" "C'est bien !" reprit-il
encore, plein d'enthousiasme ! Je n'ai pas compris ce qui était bien
là-dedans. Ah si ! Ce doit être cela la réponse : "A quoi bon aider
des gens qui rament toute l'année quand on peut aider des gens qui n'ont pas
besoin !" C'est une question de Potlach probablement : jeter de l'argent
par les fenêtres juste pour sentir, en le faisant, que nous avons le choix,
la liberté de le faire ! Bref, donner des moyens à ceux qui n'en ont pas
besoin, c'est une façon de se sentir souverain. Je crois que c'est ce que
voulait dire Daniel... Je ne vois pas d'autre explication.... Ces gens là
sont tellement compliqués !
Mais,
le lendemain de cette mauvaise nouvelle, j'en apprenais une bonne : Radio Bleu
prenait "Le Singe Drako" dans sa play liste au rythme d'un passage
par jour jusqu'à la fin du mois ! En voilà une bonne nouvelle ! Le thème
d'Utopia cette année c'était "Croissant de Lune". Un croissant de
lune c'est une fortification inventée par Vauban. Drako s'échappe de la
Citadelle une deuxième fois : il saute par dessus Utopia et s'en va courir
sur les ondes de France Bleu...
"Et
Vauban grogne dans son tombeau" !
Et
que Daniel grogne aussi, lui qui m'a déjà exclu de la Biennale des Arts de
Besançon dont il est aussi Président (C'est l'homme de l'ombre de la culture
à Besançon) parce que j'avais fait une photographie de Ludmila
nue dans les toilettes de Micropolis le soir de la précédente
Biennale... Faire une oeuvre d'art dans une enceinte institutionnelle ça
demandait sanction : me voici tricard de la Biennale.
Mon
Dieu ce qu'on est sévère avec moi dans le plomb de l'aile culturelle de la
Ville de Besançon !
Mais
ce n'est pas si grave... Le Parti socialiste, qu'il soit de Besançon ou dans
les rangs de Ségolène Royal, a, en matière de culture, une position extrêmement
décevante, sachant que tant d'artistes étaient de leur bord. Ils ne voient
dans la culture qu'un moyen de faire de la communication, communication a
finalité politique. D'ailleurs l'homme de l'ombre, ce parfois sympathique
Daniel, est directeur de la communication à EDF. Les contenus de l'art ils
s'en balancent, sauf si ces contenus les chatouillent un peu. Alors ils
deviennent impitoyables. Ils préfèrent l'art lorsqu'il est muet et qu'il ne
remet rien en question. Le festival des musiques de rue a remplacé deux
festivals, l'un de théâtre émergent (Les rencontres de jeune création) qui
avait lancé bon nombre de troupes théâtrales, l'autre, les Instempsfestifs,
qui envoyait parfois des critiques sociales hilarantes et acerbes. J'y ai vu
des choses magnifiques. Les musiques de rue, c'est le silence. Le mot a
disparu, et, même si on sort parfois des sentiers battus, jamais on ne peut
entrer dans le politiquement incorrect. L'argent des subventions a muselé la rébellion.
On
fera sans eux. Mais on ne le fera pas facilement...
La
prochaine fois, nous ne voterons pas pour eux. Ils ne nous prendront plus nos
voix. C'est normal, ils nous préfèrent muets...
Lundi
8 octobre 2007, Besançon
Ma
Grand-mère, elle s'appelait Jeanne.
Elle
est née paysanne. De Mougin, elle est devenue Gasparini, épouse d'un petit
fils d'immigré italien.
Son
père était un homme fier et vénérable. On l'appelait le grand-père
Mougin. Ma grand-mère on l'appelait Mamie. C'est ce qui faisait la
différence entre les grands-parents et les arrières grands parents. Papi,
grand-père, Mamie, Grand-mère. Une façon soft de séparer les
générations.
Ma
grand-mère et moi on s'aimait bien. Peut-être qu'on se ressemblait un peu.
Ma grand-mère, à sa façon, c'était l'intellectuelle de la famille. Elle
aimait lire, elle aimait les films de Sacha Guitry. Elle avait de l'esprit.
Tous les jours, jusqu'à hier, elle a lu tout l'Est Républicain. Et elle en a
fait les mots croisés. Le week-end dernier elle découpait un petit article
paru dans les pages du dimanche sur sont petit-fils qui a fait une chanson sur
un singe. C'est pas une aubaine, mais enfin, c'est toujours bien, quand on
habite Contréglise, en Haute-Saône, de voir le nom de son petit fils dans le
journal.
M a
Grand-mère, elle aimait recevoir. Elle a toujours eu des visites. Les gens
l'aimaient bien, elle savait parler de tout. Elle écoutait et elle avait une
mémoire d'éléphant.
Sa porte était toujours ouverte, elle était vive et elle souriait. Elle aimait
rire aussi. Elle sortait ses petits verres, une bouteille de vin cuit, de Suze, une liqueur de
cassis ou un café, et on discutait. On n'était jamais pressé à sa
table.
Depuis une bonne dizaine d'années son dos avait fléchi. Elle marchait courbée mais
elle continuait à tout faire seule dans sa maison. Pour une femme comme elle,
c'est un orgueil absolu d'être capable de s'occuper de ses affaires, de son
hygiène, de son ménage, de sa maison.
Avec le dos elle avait dû abandonner son jardinet. Mais tout le reste elle l'a
fait jusqu'au bout. Elle marchait courbée, mais quand elle s'asseyait on oubliait que c'était une
vieille femme de 95 ans. Elle avait toujours cette vivacité dans son visage,
une forme de jeunesse. Ses oreilles la trahissaient un peu, il fallait parler
fort et pas trop vite pour qu'elle entende. Mais son esprit était vif,
rapide, précis et curieux.
Ma grand-mère connaissait presque toute la région. Je veux dire sa région, son
coin de Haute-Saône, les gens, ce qu'ils faisaient, les liens de parenté.
Des gens du cru bien sûr, mais parfois aussi les nouveaux. Tout était
toujours en place dans sa tête. Et j'aimais parler avec elle.
Ma grand-mère est née juste avant la première guerre mondiale et elle est
morte en ce début de XXIème siècle. Combien de pages d'histoire elle a vu
se tourner...
Mais elle continuait à lire son journal, à écouter les informations à la
télé, - elle continuait à essayer de comprendre.
Son mari, mon papi Émile, était un paysan qui s'était lancé, à la fin de la
deuxième guerre, dans le commerce du bétail. Il allait visiter les
éleveurs, ils traitaient les affaires autour d'un verre, dans la cuisine des
fermes. Il allait aussi aux foires aux bestiaux comme ils disaient, et ça
finissait dans les bars du coin et ça buvait un bon coup. Peut-être bien
qu'il y avait quelques femmes légères dans ces lieux là. Souvent j'ai vu
Jeanne faire des grosses crises de jalousie. C'était assez percutant. Elle
était tenace et lui aussi. C'était une forme de sport. Un sport de combat.
Jeanne
semblait dominer la situation, mais je crois que mon grand-père était assez
malin pour la contrer. Pour nous, les petits enfants, c'était un peu drôle car ils étaient déjà vieux quand
nous avons commencé à comprendre leurs petites affaires. Alors, avec la
distance, c'était pour nous comme de l'opéra bouffe.
Pour maman c'était moins drôle car lorsqu'elle était enfant, les choses
n'avaient pas cette allure de pantomime...
Pourtant
quand mon grand-père est parti, ma grand-mère s'est sentie perdue. Elle
n'avait plus envie de se faire à manger pour elle seule. Ca lui paraissait
absurde de ne cuisiner que pour elle.
Quand
j'étais enfant, tous les dimanches soirs, nous allions manger "chez la
Mamie de Contréglise". C'était une grande table, entre huit et quinze
si on comptait les petits enfants. On disait "chez la Mamie" parce que la
maison était son domaine à elle. Le domaine de mon grand-père c'était
l'écurie, la grange, les champs, les marchés, les éleveurs et son étang. Il allait pêcher dans l'étang, des vieux amis le
rejoignaient et, après la pêche, ils allaient dans la petite
maison, une baraque de jardin posée sur la digue, et ils discutaient
d'histoires d'hommes.
Tous
les deux, à leur façon, avaient un grand charisme. Ils étaient très
respectés. Et ils respectaient en retour. Ils gagnaient bien leur vie, sans
pour autant gagner des fortunes. Le fils de mon grand père a repris le même
commerce, mais il avait la réputation d'être plus dur en affaires et il a
gagné beaucoup plus d'argent que son père.
Je
ne crois pas qu'ils aient pu, autant l'un que l'autre, envier quiconque. Leur
vie a été faite de travail mais je ne les ai jamais sentis stressés en
dehors de leur sport de combat en privé. Le temps leur appartenait, leurs
terres aussi, leurs animaux, vaches, chien, cochons, poulets et chevaux.
Ils n'étaient pas spécialement naïfs,
rien à voir avec ce que disent les citadins des gens de la campagne. A dire
vrai ils m'apparaissaient plus éclairés que bien des citadins que j'ai croisés.
Et
surtout ma grand-mère. Je suis sûr qu'avec l'école et les modes de vie
d'aujourd'hui, ma grand mère aurait pu faire des études supérieures. Mais
ce n'était pas dans la culture des gens des pays que de vouloir faire de
leurs filles des avocats, des médecins, des journalistes ou des écrivains.
C'était comme ça, on avait des terres et il
fallait les faire fructifier.
Le
père de Jeanne parlait bien lui aussi. Quand on était petits il
nous racontait Verdun. Il avait des airs d'homme honorable et on l'écoutait.
Après, on n'écoutait moins car, forcément, la même histoire revenait. La
guerre il n'en avait vécu qu'une.
Mon
arrière grand-père a été très fier quand il a reçu la médaille
d'honneur du mérite agricole !
Et
ma grand-mère était donc, en quelque sorte, la fille de son
père.
Lorsque
je faisais mes études, j'allais de temps en temps travailler mes bouquins
dans une maison en face de la leur. J'allais manger avec eux chaque soir. Cela pouvait durer une semaine ou deux, le maximum
fut un mois. Et tous les soirs je discutais avec eux et j'apprenais à les
connaître mieux. Ils aimaient cela et cela nous a rendus
plus proches.
Après
ils ont commencé vraiment à vieillir. Alors ma grand-mère ne pouvait plus
faire à manger pour trois. Comme elle n'aimait pas trop sortir de chez elle,
on s'est contenté, après, de ses petits apéritifs.
Mon
grand-père est mort il y a trois ans. La semaine dernière j'ai pris le
dernier apéritif avec ma grand-mère. Je passais juste lui dire bonjour et
elle a insisté pour que nous buvions quelque chose. Nous nous sommes assis,
mon fils Théo et moi, j'ai pris une Suze et Théo un vin cuit. Elle s'est un
peu plaint, mais toujours avec le sourire. Seulement ses yeux ont montré une
tristesse lorsqu'elle a dit "tu sais, maintenant je suis au bout". Bien
sûr qu'elle avait peur. Elle a ajouté : "C'est pas bien de devenir trop
vieux, regarde, on ne peut plus rien faire " Je lui ai répondu
"Mais Mamie, tu es chez toi et tu te débrouilles toute seule. Alors tu
vois, tu n'es pas si mal !"
Elle
est morte huit jours après. Elle est morte cette nuit, dans son lit, en
dormant.
Ma grand-mère est morte paisiblement. Elle n'avait pas de regrets, elle n'avait
pas de rancœurs, elle a eu en quelque sorte une vie saine, occupant
sereinement l'espace qui lui avait été alloué, le gérant avec droiture.
Elle n'avait pas de blocage, pas de haine, elle ne détestait pas ce qui ne
lui ressemblait pas. Mieux, je crois que, ce
que faisaient les autres, l'avait toujours intéressé car elle aimait
apprendre, s'informer.
C'est
donc fier d'elle et de ce qu'elle était que je la salue. Je n'oublierai
jamais son franc et frais sourire. Cependant,
maintenant qu’elle n’est plus là, j’ai vraiment l’impression
d’entrer dans une nouvelle ère de mon histoire et de l’histoire du monde, -
l’ère du futur pour ma Mamie qui, quand elle est morte, avait exactement le
double d’années que moi….
Dimanche
21 octobre 2007, Besançon.
Fin
d'un week-end quelque peu éprouvant, attendu, trop, certainement, mais les
premières sont toujours éprouvantes...
C'était
notre première soirée complète dans un théâtre en France. Nous l'avions
déjà fait en République tchèque, en Slovaquie. En France non. Ce concert,
au théâtre Bacchus, était en outre enregistré pour être diffusé samedi
prochain sur France Bleu Besançon et vendredi sur Radio Suisse Romande et la
RAI vallée d'Aoste. D'où un peu d'appréhension, d'où un peu de tension.
Le
concert a semblé plaire au public mais il m'a semblé que je pouvais et que
nous pouvions faire mieux. J'aurais souhaité plus de concentration et plus de
contact entre nous, musiciens...
Je
rêve de pouvoir travailler en résidence dans quelque lieu, ce qui nous
permettrait de régler notre prestation scénique, les espaces entre les
morceaux, - bref d'aller au bout de la fabrication d'un spectacle...
Parfois
quelque chose se passe, une sorte de miracle : tout le monde est
ensemble, en musique et humainement, et là c'est banco, le public est
emporté. Parfois c'est bien, seulement bien car quelque chose manque. J'ai
senti ça jeudi...
Du
coup impossible de trouver le sommeil la nuit, je me suis levé le lendemain
exténué.
Je
dois prendre trop les choses à cœur. Les musiciens étaient satisfaits de
leur soirée. Ils sont allés se coucher sur leurs deux oreilles.
Peut-être
Paulo n'était pas tranquille lui non plus. Il a annoncé qu'il ne pouvait
plus continuer, que ce serait sa dernière série
de
concert. Je le comprends. La journée il travaille comme plâtrier peintre
indépendant, il ponce, il peint, il porte, il plie, il tend les bras, il
monte des escaliers chargé jusqu'au cou, il tourne, il mélange, il projette
le plâtre, les enduits.... Et le soir, il vient jouer, veillant parfois
jusqu'à tard dans la nuit alors qu'il s'est levé aux aurores et tout cela
pour gagner quatre sous...
A
cinquante-cinq ans c'est trop.
Donc
Paulo nous quitte et c'était jeudi notre dernier concert important. Mon ami
Samuele m'a dit que, parmi les huit musiciens qui ont joué jeudi, Paulo
était celui qu'il avait le plus admiré. Il m'a dit "il est
magnifique". Paulo le lendemain m'appelait pour me dire qu'il avait un
terrible mal de crâne qui lui faisait mal jusqu'à l'intérieur de l'œil et
qu'il ne pouvait pas venir jouer avec nous à Épinal. Il allait se coucher.
Il était 18 heures. Je pense que Paulo a vécu ce concert avec une masse de
conflits dans son for intérieur pas si fort que ça d'ailleurs... Ca fait mal
de devoir finir une collaboration comme celle là...
Et
puis, jeudi, on n'a même pas pu se dire au revoir, j'étais en entretien avec
France Bleu lorsqu'il est parti se coucher. Il travaillait le lendemain
matin...
Il
va donc falloir tout recommencer avec un nouveau batteur. Des répétitions,
des recherches, un autre style peut-être, aucun musicien n'a le même jeu...
C'est
toujours un peu vide quand on vient de finir quelque chose qu'on attendait
avec tant d'espoir et d'appréhension. Paulo qui s'en va, c'est comme la fin
d'un cycle... Peut-être qu'il est temps que je termine ce cahier. Il y a
devant nous des choses intéressantes, le concert au Moulin de Poncey, notre
première salle de musiques actuelles. Une radio me contacte aujourd'hui pour
une émission avant le concert. Ca sera avec un nouveau batteur... Et puis,
qui sait, nous allons peut-être avoir des contacts en Suisse bientôt ?
Oui,
bien des premières que tout cela. En outre "Le Singe Drako" dans la
play list de France Bleu jusqu'à la fin du mois. Ca avance...
Oui,
Philippe, méfie toi, tu te fais abuser par la fatigue, d'autant qu'il est
deux heures du matin et que la nuit si calme et un peu institutionnelle du
foyer où tu veilles n'est pas des plus réjouissantes. L'automne s'installe
avec une vague de froid et l'automne n'est jamais légère et enthousiaste...
Pourtant il y a une belle équipe qui a travaillé sur ce concert, les
musiciens, Paulo qui a donné tout ce qu'il a pu, Karel qui a joué si
joliment malgré sa nuit passée à voyager entre la République tchèque et
Besançon, Alexis venu de Lyon avec ses saxo dont il joue avec tant de
nuances, Titi et sa précision rythmique et qui a bien changé depuis les
premiers concerts, il y a trois ans, - changé en bien je précise, Manu qui a
joué avec une belle concentration et beaucoup d'imagination, François au
violon, lui aussi concentré, tâchant de s'intégrer dans cette équipe avec
beaucoup de sérieux et de tact, et Hervé qui n'a pas pu s'empêcher, après
avoir très bien interprété les trois morceaux que nous avions travaillé,
de remonter sur la scène - ce qu'il aurait peut-être mieux fait d'éviter
mais bon... Il y a eu des moments de grâce, il y a eu des flous, mais
c'était quand même un joli concert et une belle équipe, sans compter Tintin
qui nous a offert sa participation, et c'était un vrai cadeau, sans compter
aussi Aurélien qui nous a assuré l'enregistrement filmique du concert, et
sans compter l'équipe de Bacchus qui s'est débattu avec les câbles
électriques tout l'après-midi. Si on ajoute à cela les techniciens de
France Bleu qui enregistraient les 24 pistes de l'ensemble des micros
distribués sur la scène, - eh bien, Philippe, il ne te reste, en cette
tristounette nuit d'automne, qu'à leur adresser un grand merci et à mettre
ton stress et ton spleen automnal de côté !