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Mardi 17 Janvier 2006  (un peu théorique : pourquoi mettre un journal en ligne?)

Je pourrais commencer aujourd’hui ce journal pour le web. Depuis que j’ai eu cette idée, je me suis un peu renseigné, et j’ai découvert que j’étais loin d’être le seul  à l’avoir eue.


Ce n’est  pas grave, le monde est vieux et les gens sont tellement nombreux : comment pouvoir espérer avoir une idée originale !

 En tout cas ce journal en ligne est quand même une idée personnelle. Je ne fais que de passer du stylo/cahier au clavier/écran. C’est presque la même chose sauf que l'un était secret, l'autre sera public (donc un peu différent).

Mais pourquoi en ligne ? La question est épineuse.

Cela concerne, on va dire, une idée que j’ai de l’artiste. Artiste professionnel même, par opposition à l’artiste amateur qui, je crois, sera (le temps libre augmentant) en nombre croissant.

S’il devait y avoir une différence entre l’artiste professionnel et l’amateur, c’est que l’artiste professionnel n’a pas de voie de secours. L’amateur se dédommage de l’aliénation de la vie sociale auquel il s’est attaché en s’échappant dans la création. L’artiste professionnel doit bâtir une situation sociale sur la base de sa création. Vu les priorités des sociétés actuelles il est évident qu'il prend un risque terrible.

Ce risque qui peut être de jeter sa vie au feu…

 C’est pourquoi, conscient de ce risque, que peut bien me faire de jalouser ma propre vie !

Comme tous ces gens qui portent plainte : « atteinte à la vie privée ». Quelle vie privée ?

Ma vie privée entre et sort dans mon œuvre comme ça lui chante. « Non mais va z’y ! Fait comme chez toi ! lui dit mon œuvre – mais chez toi c’est chez moi ! lui réponds ma vie ». Et c’est peut-être bien cela qui justifie et l’une et l’autre.

Mon œuvre ne m’appartient pas.

Ma vie privée ne m’appartient pas.

Alors, mon journal, pas plus.  

Car enfin, l’art existe-t-il encore ? Où ? Pourquoi faire ?

A qui profite-t-il ?

Et qu’exprime-t-il ?

Que lui reste-t-il à exprimer dans des sociétés qui n’ont de cesse d’arrêter l’histoire ? Pas de passé, pas d’avenir : le présent éternel ?

La toile & co (le web et autres communications expresses de données) ont arrêté le temps. Comme le disait Foucault, le pouvoir s’est dissous, conséquence : l’être est de plus en plus soluble, il n'est pris en compte que comme faisant partie d'une quantité (exemples : l'audimat, les catégories de consommateurs etc.)

L’être disparaît dans le mouvement des ondes, dans la gestion des données et des flux, - et l’artiste disparaît aussi.

Il disparaît s'il ne réagit pas. S'il ne crée pas des valeurs nouvelles en réaction aux valeurs des structures dominantes.

Certains croient en la vie éternelle, à la résurrection, et même, à la réincarnation. Moi, je vois le vide et je crois à la vie.

Une vie c’est un des rares états qui s’opposent au vide. L’univers est vide. La matière est remplie de vide. Les noyaux, les électrons se baladent dans un vide infini et c’est pourtant de ça que la matière est faite.

Je regarde mes doigts qui tapent sur le clavier, je regarde l’écran, je sens les couleurs des choses autour de moi : quelle présence ! Incroyable ! N’est-ce pas formidable !

Voilà à quoi je crois. La vie.

Alors, contre le grand effacement du présent universel, j’écris ma vie.

Et j’écris mon œuvre. Ma vie, mon œuvre, mon œuvre ma vie. Et cette écriture mène tout doucement à une des formes limites de l’Art.

L’art doit maintenant vivre dans ses limites. D’autres limites. Après s’être fait abstrait, objet, concept, l’art doit revenir à la vie, à la vie totale, à son expression mais aussi à son processus de création. La vie de l’artiste doit se fondre dans ses créations. Parce que l’objet, la machine, la communication numérique objectale sont partout. Partout la matière, partout l’objet. Alors l’art doit revenir à la vie. A l’humain. A l’intimité entre le créateur, l’œuvre et le spectateur.

Un cri en hommage à la vie, aux vivants qui la constituent, - et même aux vivants qui l'ont quitté, la vie....

Je me pousse vers vous. Tiens ! Voilà une vie ! Pas plus pas moins qu’une autre. Mais une vie qui se manifeste : j’existe, tu existes, ils existent.

Et nous nous appartenons :  toi à toi, lui à lui, moi à moi. Notre vie nous appartient.

La liberté n’est pas qu’une illusion. Même si nous subissons des influences, même si en quelque sorte nous appartenons à notre époque, nous pouvons choisir d’être libres.

Etre libre c’est avoir confiance en soi-même. J’ai confiance, je m’avance. Tout peut arriver, le meilleur comme le pire.

Mais quoi qu’il arrive, je serai en accord, je resterai en quelque sorte souverain, - libre de vivre comme de mourir.

Peu importe de perdre ou de gagner, l’essentiel est d’aimer …  

d'aimer ceux qui viennent et qui cherchent

ceux qui résistent

celle ou celui qui dort dans notre lit

ceux qui nous ressemblent

ceux qui ne nous ressemblent pas mais qui veulent bien qu'on essaie de se comprendre

ceux, celles, d'ici, d'ailleurs

les français, de souche ou pas, les pas français de France ou d'ailleurs

tous ceux qui aiment l'homme

tous ceux qui savent que l'homme vit dans un monde fragile

un monde aussi fragile que l'est un homme

tous ceux qui savent qu'il faut se battre pour protéger : et l'homme et la vie qui l'entoure

La vie des arbres, des plantes, des animaux, des micro organismes, 

et l'équilibre des milieux ou cette vie s'est ancrée

oui aimer

N'aimer peut-être qu'un jeu...

mais un jeu qui en vaille la peine !

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2006-02-13.

 J’avais écris cette première page de journal dans l’idée de créer le site. "Comment faire ce site?" était la plus grande question.

Cette première page en somme c’était le manifeste, l’explication.

Et puis Titi (le bassiste du groupe) m’a envoyé Filezilla, un logiciel gratuit pour envoyer le site en ligne et ça a été le déclic. En quatre jours le site était sur le web !

Il m'a semblé normal de publier cette première page écrite au mois de janvier. Ca avait été assez pénible d'avoir à écrire "pourquoi je fais ça?" J'allais pas m'y coller une deuxième fois. C'est fait.

Donc les dates de février approchent, après demain, mes amis tchèques vont arriver, avec leurs instruments, leurs packs de bière tchèque et leurs provisions (les constantes : saucisses, et toujours de quoi faire un bon goulasch). On va parler anglais, ils vont parler tchèques et je vais essayer d’attraper quelques mots à la volée.

C’est la partie agréable de notre métier, l’amitié, des moments de connivence, -et ces échanges de cultures moi j’adore ! La partie la plus désagréable c’est ce manque d’argent que l’on traîne comme un boulet, et qui fait que des fois on se retrouve en conflit avec des gens que l’on aime bien, comme Lionel par exemple (qui a enregistré le CD) à qui je dois de l'argent et qui me le rappelle sévèrement en réponse à mon mail d'information.

Si on pouvait travailler normalement, juste de quoi rembourser nos dettes et vivre sans flipper tous les jours…

Ce journal sera aussi un témoignage. On fait monter la tête aux consciences naïves en leur faisant croire que la musique c’est le sac de billets qui vous tombent sur la tête. Et je vois avec les jeunes de Clairs-Soleils avec qui je suis en contact pour un projet de clip, combien ils croient au miracle, parce qu’ils ont écrits dix chansons. Et j’ai envie de leur dire : on vous ment, on vous fait croire que tout est beau, tout est simple. Mais non, il y a tellement de facteurs qui rentrent en jeu. La plus grande partie des artistes est celle qu’on ne voit jamais à la télé, et la plupart rament au quotidien. Et moi je rame aussi. Et je le dis.

Les gens aiment rêver. Moi aussi j’aime rêver. Mais je ne crois pas souvent à mes rêves. Et quand je décide de mettre en route un projet dont j’ai rêvé, j'y travaille et je m’accroche.

Et même sans argent, à ce moment là, on a l’impression qu’on touche la vie du doigt, c’est bon quand même. Alors venez mes amis tchèques, et toi Titi, et toi Biniou. On va se mettre a jouer et on va tâcher de donner quelque chose de bon à notre public, on va tâcher de leur en mettre plein les bras, qu’ils rentrent chez eux avec le sourire en fredonnant « t’as des sentiments, t’as des sentiments, mais t’as pas d’amour » ! 

                                                                                                                                      

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  Vendredi 17 février 06

Matin du premier concert de la série. Radek et Karel sont venus avec Rostia qui les a conduit avec son monospace Volkswagen. Les pauvres dorment à 3 dans la chambre de Théo. On se débrouille, mais c’est sympa.

Finalement ils sont arrivés hier à 17 h 30, Karel avait cours mercredi. On a commencé immédiatement la répétition à leur arrivée à Esprels, dans le local de répétition de Biniou (batteur). On a terminé la répétition à 22 h. Titi (bassiste) était satisfait, mes amis tchèques, épuisés (900km depuis Tábor) était néanmoins satisfaits de la répétition eux-aussi. Les mises en place sont de plus en plus précises.

Retour à la maison. J’ai préparé une sauce bolognaise qui fait toujours l’unanimité de mes invités et entre bière tchèque et vin d’Alsace nous avons rechargé nos batteries. Mélange de français, de tchèque et d’anglais, la conversation n’a pas marqué de trève, et, bien que Karel, à son habitude, a éprouvé le besoin de rajouter du ketchup à ma sauce bolognaise, il n’y a pas eu un mot regrettable durant tout le repas.

Hier, gros problème avec le site. Les images sortent avec une qualité horrible et, soudain, plus d’affichage, rien que des lignes de code. Titi a rafraîchi le système au moment où les problèmes n’étaient pas apparus, je suis en train de scanner le système des fois que le problème vienne d’un virus. C’est dommage, j’étais presque au bout de notre site !

Donc on se retrouve ce soir au Groony’s ? ou demain au Brussel’s ? Ou encore après demain à Saulxure, chez Biscotte (ou il paraît que c’est la fête assuré !) ? – Petite tention : y aura-t-il du monde ? Est-ce que ça va leur plaire ? Est-ce que je vais être en forme ? etc ? etc ?

Le trac classique quoi.

                                                                                                                                 

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Lundi 20 février 2006

Voici une nouvelle page qui s’est tournée. Trois  nouveaux concerts derrière nous et sans voix depuis ce matin. Il faut dire que le concert d’hier soir a sollicité des débordements vocaux très particuliers qui, avec la nuit un peu froide passée chez Biniou (notre batteur) a eu raison de mes cordes vocales maintenant dévastées.

Sans compter que ce troisième concert chez nos amis vosgiens a été vraiment le meilleur des trois après un sérieux point qui nous a mis le doigt sur des parasites qui s’étaient installés dans nos esprits et que notre public de la vielle, à Belfort, avaient un peu fait les frais. Bon, cela ne s’appelle pas de l’art vivant pour rien, la musique ça explose des fois, et des fois ça prend l’humidité. C’est comme les feux d’artifice en somme.

 

Et puis des fois on a envie de donner plus que d’autres, parce qu’on a senti une demande, une demande discrète, respectueuse, et qu’on a envie d’y répondre. Des lèvres qui fredonnent vos chansons en même temps que vous les chantez par exemple. Ça vous donne envie de vous surpasser, ça vous donne l’énergie d’une concentration extrême qui fait jaillir tout votre potentiel. C’est comme ça. Alors du coup le concert s’est un peu dilaté dans le temps et, entre Titi, Karel, Biniou, et Radek pas plus avares les uns que les autres de chatouiller leurs instruments, c’est devenu quelque chose d’indescriptible, un menu complet voire même la succession de tous les repas d’une bonne journée . Et notre public vosgien s’en est allé tardivement joyeux et l’œil brillant.

 

J’ai su que quelques uns reprenaient le travail dès 4 heures du matin ! Mais, néanmoins, en repartant, ils avaient le cœur joyeux. C’est cela notre rôle en somme, donner de la paix, du rêve et du plaisir « Mettre juillet en hiver, briser les chaînes intimes et passer les frontières » : c’était bien ce que j’écrivais dans le morceau « Frontières ».

Prochaines dates en avril pour notre tournée en Tchéquie, à moins que ce ne soit avant ?

 

Quel dommage que je ne puisse pour l’instant envoyer ces pages directement sur le web comme je le faisais avant que ce putain de virus ressurgisse d’un disque de stockage… Je ne sais pas ni quand ni comment je vais pouvoir nettoyer cela.

 

                                                                                                                              

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Mercredi 22 février 2006

 

Les virus courent. Il y en a même un dans ma gorge que j’ai du mal à avaler. Ma voix a pris un son très bas que Ludmila a trouvé très érotique. Peut-être qu’elle trouve les casseroles érotiques aussi car c’est bien une voix de casserole que j’ai l’impression d’avoir. Des fois elle déraille bizarrement. Vivement demain. Inch allah ça ira mieux.

 

J’ai repoussé mon départ pour Tábor vendredi. Il y avait une soirée musique française à Česke Budějovice demain soir, organisé par l’alliance française, mais je n’y serai pas. Pas question de prendre la route bourré d’aspirine.

 

Mais enfin, vendredi viendra vite. « J’aime ton pays baroque, ses fresques et ses stucs, et son langage surgi des profondeurs du continent » voilà une façon de parler de la Bohème Sud. « Je t’emmènerai le soir par les rues aux pavés brillants, dans un resto gothique aux arcs déformés par le temps…. » Ceci dit ce n’est pas sûr. Ludmila n’aime pas trop les restaurants, et encore moins à Tábor. Mais bon, c’est quand même bien l’ambiance : la nuit, la brume, les pavés, les arches, le passé tout proche, intime, les ruelles étroites, qui montent, qui descendent, parfois des escaliers aux marches brinquebalantes, parfois des Cesta (des chemins) de terre qui mènent dans un parc au fond duquel bruit une rivière…

 

Sans compter l’appartement si particulier de Ludmila, - décor de la plupart des images de ma série photographique « Close Up ». Le mobilier a été peu changé depuis que la maison n’est plus à sa grand-mère. Ludmila qui aimait la vieille dame a gardé beaucoup des meubles,  accessoires lui ayant appartenus : les couverts, les assiettes, les soupières en porcelaine, quelques verres en cristal de bohème, le tapis rouge, la couverture, le costume traditionnel slovaque aussi, les tableaux (compositions florales), la vierge de Klokoty, les moulures au plafond, les livres, napperons etc.

 

Les pièces n’ont pas été re-calibrées. Il paraît qu’elle serait la seule du vieux Tábor a avoir gardé l’aspect original des pièces. C’est étrange au premier abord, un petit côté empire austro-hongrois, et puis on s’habitue, et puis on adore.

 

Non, pas de regret de quitter Besançon. Ce matin j’ai croisé une fille qui était plutôt sympa avant. Je ne sais pas pourquoi ce matin elle m’a fait ce bonjour à la froideur bien ostensible. Que lui est-il passé par la tête ? Sûr que de mon côté rien n’a changé, je ne lui ai rien dit de désobligeant, ni dit, ni fait. Alors quoi ? Sans doute quelque racontar, ces cochonneries dans lesquelles les gens se roulent pour faire passer le temps…

 

A propos, ce soir nous avons regardé avec Théo « L’adversaire », le film réalisé par Nicole Garcia. Justement, comment est-il possible que Romand soit passé à travers les mailles des racontars et de la rumeur publique ? Comment a-t-il pu pendant 15 ans abuser son monde ainsi ?

 

Je pense que les gens ont envie de croire à ce maudit rêve de l’ascension sociale. Le mensonge de Romand (qui, pendant 15 ans s’est fait passer pour un médecin chercheur et vivait avec de l’argent que des membres de sa famille lui donnaient pour qu’il le place en Suisse !) le mensonge de Romand était le rêve de tous, la respectabilité qui surgit soudain dans une famille et dont tout un chacun la reprend pour soi et s’en gausse….

 

Et Romand n’a pas pu décevoir ce rêve, il n’a pas eu la force de le combattre, de se dresser devant lui et de dire : « non, je ne suis et n’ai jamais été médecin » Il a préféré tuer sa femme et ses enfants que de s’attaquer à cette sordide vanité qu’est la réussite sociale.

 

L’histoire de Romand est un terrible révélateur de la force de ces signes et de la faiblesse humaine. Quelque soit le milieu d’origine, tous en sont là à bander devant la réussite sociale. Et il s’en engouffre une quantité de souffrance et de mal-être dans cette stupide fascination d’animal grégaire.

 

Je préfère Titi lorsqu’il me dit « Quand on n’aime pas spécialement l’argent, quel intérêt peut-on bien trouver dans le fait de se faire chier 8 heures par jour ? »

 

Ceci dit je travaille plus de 8 heures par jour, et j’aime ça, - et le comble ! c’est que le plus souvent ça ne me rapporte rien !.Mais voilà, tout est affaire de souveraineté.

                                                                                                                                     

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 Jeudi 23 février 2006

« Inutile de passer des heures à remplir des valises

Je ne pars pas pour l’inconnu chez toi j’ai même ma brosse à dents

Je ne pars pas pour le grand sud

Je ne traverse pas d’océan

Presque même latitude demain vers toi je m’en irai »

 

Eh oui, c’est aujourd’hui, la veille du départ, le soir du blues.

C’est le sujet de ma chanson « Dobru noc » mais j’y reviens un peu. Ce n’est pas un stress (souvent les gens qui s’en vont stressent et s’engueulent la veille du départ) le stress c’est lié au matériel. Non, c’est quelque chose lié à l’humain :

 

« j’aimerais que mes amis viennent boire un verre qu’ils se tiennent là

Qu’on sente que chez moi la vie est aussi chez elle

Que partir c’est pas mourir

Que le passé a son prix

Sinon pourquoi revenir et pas s’en aller à jamais… »

 

Tout me paraît vide les veilles de départ, peut-être aurais-je envie que quelqu’un me dise « ne pars pas, reste ! », mais qui, à part Théo (c’est mon fils, Théo), s’occupe vraiment que je reste ou non ? Les amis ? Les amis sont patients, et puis ils savent que je reviendrai, même dans deux ans. Alors ? Alors la vraie vie est absente comme le disait Rimbaud qui, question voyage, a pas mal donné lui aussi…

Et qui l’a regretté quand il a déserté la poésie et s’est enfui en Afrique ?

Sa sœur qui lui écrivait régulièrement ? Peut-être...

Sa mère ? Pas sûr.

Verlaine et sa femme ? Certainement pas ("Ouf, l'enfant maudis est parti, on peut enfin respirer").

Faut dire qu’il était assez tumultueux, Rimbaud, comme garçon, certainement très fatiguant.

 

Corto Maltese, lui, avait toujours une jolie femme qui lui plantait ses yeux dans les siens et lui disait « Quand cesseras tu de fuir ainsi beau marin ? » Mais Corto Maltese aimait toutes les femmes qu’il croisait mais aucune en particulier. (on ne le voit jamais les coucher d'ailleurs…) Peut-être que lorsqu’on tombe dans les bras d’une femme en particulier on échappe à ceux de toutes les autres en général ?

En tout cas les bras qui m’attendent sont au bout de 700 km d’autoroutes ennuyantes et de 200 km de routes tchèques que, personnellement, j’adore. Quand on passe la frontière tchèque, très vite, on sent dans l’air une odeur de fumée de charbon. Cette odeur est pour moi synonyme de Bohème (ça commence comme bonheur). A Plzen je m’engouffre dans des routes de campagne, et ce sont des alignements de pommiers, des églises jaunes à clochers en coupoles, des petites chapelles jaunes à la lueur des phares, des larges fermes baroques à tympans, des grosses publicités peintes avec le tchèque qui retentit comme une suite d’énigmes, et, de temps en temps, un marcheur solitaire, ou une petite marcheuse, dans l’obscurité.

La solitude va bien aux gens. Surtout la nuit.

Bien sûr il y a la joie d’arriver. Il y a la promesse des dialogues amoureux, celle des plaisirs, - mais oui ! là bas, quelqu’un m’attend !

Alors roule ma vieille bagnole, la nuit tchèque est bénie !

 

Mais la veille des départs, - la veille!...

On voit les gens, et ils ont l’air de n’être pas habités. On dirait qu’ils ont oublié de prendre leur tête et leur cœur avec eux ! Étrange ! Ils vaquent à leurs habitudes, ils n’ont rien envie de changer.

Exception faite, peut-être, de ceux qui sont allés, un jour, à Prague ou ailleurs, - eux se remettent à se souvenir :  "Quelle beauté cette ville !" 

C’est pas à Prague que je vais mais ça ne fait rien, c’est toujours bon à entendre ! A près tout, Prague, ce n’est qu’à 80 km de Tábor !

 

Comme mon appartement est vide ! J’ai l’impression que je suis déjà parti. C’est pour ça que c’est angoissant, parce que la veille, on n’est déjà plus là. Donc l’appartement est doublement vide, vide des autres, et vide de soi-même. Donc on ressemble à ceux qu’on a vu l’après-midi, on n’est là sans sa tête et sans son cœur. Pour les gens qui ont perdu le goût, tous les mets sont insipides….

Ce matin, mail d'Alain Jean-André  qui me propose de parler de mon site et notamment de ce journal, dans « Le journal de la Luxiotte ». Il me dit que, sans faire aucune promotion, ils reçoivent 10 000 visites par mois ! C’est étonnant l’internet. S’il était un journal en papier, vendant chaque mois 10 000 exemplaires, ce serait une revue qui marcherait bien non ?

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Samedi 25 février 2006

Matin à Tábor. J’ai voulu aller boire mon café au Havana, puis au "Na Schudkach", mais aucun des deux n’était encore ouvert. C’est vrai qu’ici, le samedi, c’est un peu comme chez nous le dimanche. Et je crois que c’est ainsi dans tous les anciens pays communistes. C’est pourquoi le vendredi soir il y a tant d’embouteillages : tout le monde fout le camp dans les maisons de campagnes et le samedi les villes sont désertes.

 

Mais je pense que le commerce va comprendre qu'il n'y a rien de mieux que le samedi pour vendre puisque les gens sont disponibles pour acheter et, peu à peu, le samedi va s’animer de consommateurs.

 

En tout cas à Tábor, encore recouvert de neige, il fait un joli soleil ce matin. Frisquet certes mais agréable. Ludmila préfère la chaleur de son lit, moi j’aime voir ce soleil pétiller dans le ciel.

 

C’est dommage quand même pour le Havana. J’aime bien ce café. J'y suis allé souvent. Il y a une photo d’ailleurs dans mon exposition "Laissez-vous conter la Bohème" qui a été prise sur la terrasse du café. On voit une fille attablée et de profil et, derrière elle, le tympan de l’hôtel de ville. Le café se trouve sur la place Žižka, la place centrale de la vieille ville. Et les places de Bohème, franchement, c’est du pur bonheur !

 

Donc, le café Havana, c’est mon café des origines. Je me souviens du premier jour de résidence, c’était en septembre (un des meilleurs mois pour visiter la Tchéquie). Sur la place il y avait le marché et j’avais fait quelques clichés, dont trois je crois on été présentés dans l’exposition. 

Les premiers moments sont ceux où notre concentration est la plus grande, les clichés sont meilleurs et les bons sont plus nombreux qu’à la fin, quand on commence à s'habituer, à n’être plus aussi surpris par la nouveauté du lieu. 

D’ailleurs les deux vieux qui discutent, complices, en face du fronton de la mairie de Tábor, est, je crois, le meilleur cliché de l’exposition, - et il a été pris le premier jour. 

 

Cet enthousiasme des premières heures avait connu cependant un bémol. Après avoir sillonné le marché, je vais retrouver ma vieille Mercedes quand je vois agrippé à sa roue arrière un horrible Alien en métal jaune : ça s'appelle un sabot  ! Merde ! question accueil les tchèques ne sont pas des virtuoses ! 

Mais bon, après une visite à la responsable de la culture à la Mairie, le sabot sur ma roue a été retiré gratuitement et, depuis, je n’ai plus jamais eu de problème de stationnement.

 

Mais que dire d'autre de l’accueil des tchèques ?

 

Dans les commerces. Le passage du communisme n’a pas donné de bonnes habitudes aux commerçants ni aux agents d’accueil des administrations (postes, gares etc.) A l’époque, comme on se foutait que les mouches viennent ou non, on ne se gênait pas de les attirer avec du vinaigre. Maintenant le commerce privé a compris que le vinaigre n’était pas bon pour les affaires et on vous accueille de mieux en mieux. Je parle ici de la Bohème Sud que je connais. En revanche, à Prague, que je connais un peu aussi, dans la zone très touristique entre le pont Charles et la place de la Vieille Ville, je crois qu’ils reçoivent tellement de touristes qu'ils en sont saturés. Effectivement ces tchèques là ne sont pas très aimables.

Mais je crois que partout où les gens sont blasés par un tourisme de masse c’est pareil. 

Il n’empêche que Prague est certainement une des plus belles villes du monde. 

Une ville vraiment faite pour les amoureux qui aiment flâner dans la nuit…

Mais, pas de bol, Ludmila n'aime pas Prague !



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Dimanche 26 février 2006

Ce matin, à peine ouvert les yeux « Qu’est-ce que c’est que cette odeur ? Ah ! Tábor ! Il fait bon ! »

Les parfums des lieux où nous vivons, où nous avons vécus… Je ne veux pas adapter la petite madeleine de Proust (d’ailleurs, je ne suis pas convaincu que mon goût soit aussi performant que mon odorat) mais mon nez (que je n’ai pas mince, j’en conviens !) est chez moi le roi de l’anamnèse !

Donc ce matin, encore dans le noir, mon nez me disait que j’étais à Tábor et qu’il faisait bon. Je précise : les temps secs aident à la circulation des odeurs. Quand il pleut, on ne sent pas grand chose, et on dit « Ca sent la pluie »

Comment décrire ce que je sentais exactement ? A-t-on des mots pour ce genre de choses ? Non, rien. Rien que penser « Ca sent Tábor quand il fait bon en hiver »

Pourtant, quand je suis arrivé dans la petite véranda qui ouvre sa surface vitrée sur la cour derrière la maison, sur les jardinets, le sapin d’un voisin, les ruelles, la maison de monsieur Brent (le mari américain qui a donné son nom à son épouse tchèque, maintenant Mme Brentova, un nom très américain !) alors je me suis aperçu qu’il neigeait.

Ah ! je me suis trompé. Il ne fait pas vraiment beau. Une petite neige fine a tombé toute la nuit et a reblanchi la couche précédente que le redoux avait un peu sali. Dire qu’il faut mauvais c’est pas juste nom plus ! Le ciel reste lumineux.

Quelques minutes après, j’arrive dans la cuisine et je vois Boubak (le chat) étendu sur sa chaise qui est placée précisément dans le rais de soleil qui fond dans la cuisine ! Mon nez avait vu juste, le soleil allait venir ! Ce n’était qu’une affaire de minutes.

J’ai écrit cette joie de reconnaître la République tchèque par l’odeur de la fumée de charbon.

Ici, dans le cœur de la vieille ville, beaucoup de gens ont abandonné ce chauffage un peu vieilli et polluant. Le gaz s’est généralisé, - dont le prix, d’ailleurs, n’arrête pas de monter (les Russes font payer leur départ !) Donc, ici, pas d’odeur de charbon, mais quand même, ça sent comme nulle part ailleurs.

Et j’aime ça.

C’est le parfum du bonheur,

C’est le parfum du pays de Ludmila.

Tout pourrait se mettre à défiler. La première résidence (mais c’était un autre parfum, la fin de l’été), puis le retour pour le film sur Jára Novotný. C’était en novembre, il commençait à faire froid. J’étais venu avec Barbara pour l’écriture du scénario. Toute la journée nous étions chez le photographe, je lui posais les questions, Barbara traduisait, il répondait, souvent longuement, et Barbara traduisait encore, toujours moins longuement (comment se souvenir de l’ensemble des grandes tirades de Jára !)

Et puis Barbara a du rentrer, c’était un samedi. Le lendemain nous devions interviewer le dernier modèle de Jára. Il faisait particulièrement frais, un peu de brouillard et, comme je désirais filmer cet entretien pour ne pas avoir à faire revenir la jeune femme, nous étions allés au bord du Jordan, le lac de Tábor, là où Jára avait fait une série de photos avec elle. Un jeune homme de Tábor, Daniel, devait remplacer Barbara à la traduction.

Nous avons commencé à attendre qu’ils retrouvent l’endroit exact où ils étaient descendus. J’ai d’ailleurs été très impressionné quand j’ai vu la jeune femme se taper un sprint dans notre direction en disant un truc en tchèque qui signifiait : « j’ai retrouvé le sentier !» Quelle santé ! et comment peux-t-on courir aussi vite avec des talons pareils !

Après ça, Jára et la jeune femme (qui s'appelait Ludmila, vous me suivez...) se sont entraidés pour descendre le flanc de la colline. Normal, descendre dans la forêt qui plonge vers le lac avec des talons de 10cm, ce n’est pas à la portée de tout le monde. Soudain elle glisse, il la retient, elle l’emporte, il se raccroche à une branche, ils se ressaisissent, ils rient dans la foret toute rousse de l’automne...

Plus tard l’entretien. Elle me fixe, à travers l’objectif, de ses grands yeux bleus, elle articule, prend des allures un peu. J’ai déjà l’impression qu’elle cherche à plaire, à qui ? A la caméra ? Ou ?…

Mon pote Alain (Tournier), après avoir vu le film m’a dit : « Ils aiment l’éloquence les tchèques, quand ils parlent, on sent qu’ils s’appliquent à bien parler, à prendre les formes de l’élocuteur » C’est vrai, il n’est qu’à écouter les discours des vernissages, inaugurations etc. il est clair qu’on aime parler bien, voire même longtemps. Et, cela fait beaucoup de bien quand on est Français : en Tchéquie, dans les vernissages, le public ÉCOUTE ! Il écoute le galeriste, l’officiel de service, et il écoute l’artiste aussi qui, en quelques mots, va définir sa démarche. Allez voir en France comment se passent le plus grand nombre de nos vernissages ! Nos visiteurs sont incapables, quand il n’y a pas quelque politique haut placé pour leur rappeler le sens du respect, - nos visiteurs sont incapables de cesser de parler et d’écouter. Conséquence, l’artiste a profité de l’occasion pour se débiner et n’est plus capable d’articuler 2 phrases. Et nos vernissages ressemblent de plus en plus à des poulaillers où les gens n’ont de cesse de caqueter et de becqueter !

Mais où j'en étais. Je m'égare. Les associations, les parfums, les souvenirs, les émotions.... Ca ne mène jamais ces choses là, ça... ça nous emporte. Le flot, du temps, le présent, l'avenir, tout est là en même temps, au fil d'une rêverie, un flux continu, le fleuve de la vie....

Mince, le soleil est tombé ! 

Le blanc du ciel se mêle au blanc de la neige sur les toits. 

Aujourd’hui c’est dimanche et nous allons manger en famille…                                                

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mardi 28 février 2006

La tournée d’avril se précise après différentes rencontres : dimanche Richard de l’agence homonyme (RichART) qui va nous organiser les concerts de Brno et Bratislava ; lundi répétition avec Radek ; aujourd’hui rendez-vous à l’alliance française de Česke Budějovice avec son directeur Jérôme Wannepain ; demain rencontre avec Jan Buček à qui j’aimerais confier l’enregistrement du concert au théâtre de Tábor ; vendredi petite collation avec mon ami Karel Dańhel, le directeur du théâtre. Tout semble se mettre en place, mis à part la bourde de Karel Jurań, notre maestro, qui a accepté deux dates avec un autre groupe, les 28 et 29 avril, alors que Richard nous avait négocié ces dates avec Brno et Bratislava ! Espérons qu’il arrivera à les déplacer une semaine avant ! Karel avait pourtant été prévenu, ces artistes, ça n’a pas de tête !…

 

Donc, aujourd’hui nous sommes partis, Ludmila et moi, à Česke Budějovice. Ma voiture a bien failli nous fausser compagnie car, avec les –10° qu’il a fait cette nuit, elle n’a pas voulu démarrer seule. Heureusement que la vieille ville de Tábor est perchée sur une colline ! On l’a poussé avec un voisin jusqu’à une belle pente qui descend dans la vallée de la Lužnice (la rivière de Tábor qui se jette dans la Vltava – la Moldau en allemand), et là, l’Opel s’est mise à peltarader.

 

Sur la route, partout, la neige. L’hiver a été corsé. Ca fait plus de quarante ans que les Tchèques n’avaient pas vu une saison pareille ! Un peu avant Česke Budějovice on voit une jeune forêt de sapins dont presque la moitié a été écrasée par le poids de la neige. Triste de voir ces pauvres sapins de noël qui gisent sur le flanc !

 

A Česke Budějovice, joli soleil sur la place. Éblouissant avec la neige. J’attendais l’heure du rendez-vous avec J. Wannepain en flânant dans le centre. Des écoliers jouaient autour de la fontaine, sur la place centrale. Les instructions de leurs accompagnateurs semblaient  leur passer au-dessus de la tête ! C’est joyeux les cris des enfants. J’en ai profité pour détailler la façade de l’hôtel de ville. Magnifique ! Une femme élégante pourrait en porter au cou une miniature ! Les fresques, les sculptures, les frontons peints avec des escaliers, et surtout, quatre énormes gargouilles en ferronnerie dignes d’un carnaval nordique ! Des dragons avec une gueule !

« J’aime ton pays baroque

Ses fresques et  ses stucs

Et son langage surgi des profondeurs du continent » (c’est dans Dobru Noc, ma chanson franco-slovaque)

 

Les Tchèques, quand ils viennent chez nous, ils disent : « C’est beau mais c’est un peu gris… ». Et c’est vrai qu’ici, les façades sont joyeuses, les couleurs pètent : des jaunes ocres, des bleus… tiens, un peu comme le fond de ce texte ! des rouges terre, des verts, - et puis des mélanges, des fresques noires et blanches qui déclenchent des effets de fausses perspectives, des médaillons peints (de la vraie peinture figurative, avec des voilages, des vierges stylisées, des coupes) - toute une imagerie baroque, à peine chargée, mais qui chante, qui connaît pas l’ennui ! C’est pompeux un peu mais c’est drôle aussi, ça sent la rue, les légendes, les cancans, le commerce, le négoce, le petit ramoneur et les débits de boisson, les politicards ventrus, les curetons espiègles, les femmes poitrinées aux gorges de gorets joyeux, les gosses aux nez coulants, les bourgeoises aux joues couperosées, les maîtresses aux yeux de biches, les chansons paillardes et les larmoyantes que les paysans en fin de marché gueulent en pleurant quand ils sont bien saouls. Pour moi ces places tchèques c’est ça, un truc entre Brüegel le Vieux et les Négresses Vertes, James Ensor et la Tordue, Jérome Bosch et Brassens (ou Brel qu’était moins fin mais qui braillait mieux.)

 

Bon. Après je suis entré dans le couloir qui s’ouvrait juste sous le drapeau français et j’ai monté les marches jusqu’au Café le Chat noir ou J. Wannepain m’attendait.

 

Je pourrais aussi parler du bar où on s’est arrêté avec Ludmila à Sobieslav, cette énorme crêpe fourrée aux fruits, aux boules de glace et recouverte de crème chantilly que nous avons avalés en riant de quelques blagues qu’il ne serait pas correct de raconter dans ces pages mais… si je ne m’arrête pas maintenant, je vais y passer la nuit.

                                                                                                                                

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Jeudi 2 mars 2006

 

Expresso piccolo au Café Havana, Tábor. Beau soleil à travers la fenêtre. La neige fond, se transforme en une glace qui croustille sous les pieds.

Quand j'ai fait ma résidence à Tábor, en 2002, je venais déjeuner ici tous les jours. Ils avaient à l'époque une carte composée de plats mélangeant agréablement des inspirations culinaires tchèques et... comment dire? mexicaine? cubaine? En tout cas un peu pimentés, accompagnés de salades où tomates, poivrons, étaient très rafraîchissants.

La décoration du bar est chaleureuse et originale.

Au dessus du bar, des instruments à vent (trompettes, trombones) tombent du plafond et tiennent lieu de lustres. Sur les murs, jusqu'à mi-hauteur, de la volige en bois vernis foncé. Dans la partie supérieure des murs, la tapisserie orange est recouverte d'objets et de cadres anciens : instruments de musique rares (dont une superbe guitare basse électrique des années 60), bouquets de fleurs séchées, plaques minéralogiques, miroirs, appliques, oiseaux empaillés, jouets jaunis par la fumée de cigarettes, - tout un fatras d'antiquaire qui me ravit.

J'aime ces univers baroques où le passé s'amuse à titiller le présent avec un humour espiègle.

Avec Jean-Philippe Lefèvre (adjoint à la Culture à Dole), nous étions allés dans un bar à Prague, près de la grande tour de télévision, qui avait une décoration semblable mais encore plus délirante.

Je me souviens qu'ils avaient une collection de portraits et de bustes de Lénine dont l'accumulation était le plus drôle des pieds de nez à ce que le pouvoir soviétique avait fait subir à la Tchécoslovaquie. Surtout que cette série était annexée à d'autres telles qu'une série de presse-légumes en fer blanc, une autre de poupées, d'objets agricoles, de masques à gaz, de vieux phonogrammes etc.

Nous avions mangé avec Jean-Philippe et sa secrétaire (une dame vénérable qui pouvait conduire la voiture du Maire, par une pluie battante, à des vitesses impressionnantes !) Jean-Philippe avait commandé pour nous des Topinka.

Les Topinka ce sont, pour être simple, des éponges à bière.

A la base, ce sont des tranches de pain brun frites à la poêle, dans l'huile, et frottés à l'ail après cuisson. On les sert accompagnés de fromages, de jambons et autres salaisons fumées, de préparations de légumes. On met ça sur les Topinka et on mange. Cela bien sûr bien arrosé de bocks de bière tchèque, que ce soit la célèbre Pilsner Urquell de Plzeń ou de plus méconnues comme la Budweiser (Budvar, faite à Česke Budejovice avec une eau qu'on pompe dans un puits de 1000 m de profondeur!) la Regent de Třeboń, ou encore la Gambrinus.

Et j'en passe, car la bière, en Tchéquie, c'est comme le vin chez nous, y'en a à foison. 

Et la bière de Bohème sud est tellement douce, parfumée, qu'on en boirait des litres ! (les Tchèques se passent, eux, du conditionnel !)

Mais bon, cesse de ces débordements hédonistes. Il faut que je rentre travailler à des choses sérieuses (comprendre "ennuyeuses"). Élisabeth (notre trésorière) attend que je finisse l'exercice comptable de 2005 pour qu'elle puisse préparer notre bilan financier. Cela ne me chante guère, d'autant plus que la dixième année d'exercice de Productions du Capricorne a été, financièrement, la pire. Comment peut-on être si occupé et si pauvre!

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Samedi 4 mars 2006, Tábor.

                       

Sommes-nous samedi, sommes-nous dimanche ? Entre les deux. Par une nuit neigeuse où seuls sont sensibles quelques bruits familiers : le ventilateur de mon ordinateur, l’horloge derrière-moi et le brûleur de la chaudière à gaz, qui, au loin, s’allume, s’arrête…

Cet après-midi Ludmila avait invité Jára Novotny et son vieil ami František Korbel (que j’avais interviewé dans mon documentaire sur Jára).

Une après-midi à entendre cette drôle de langue qui, peu à peu, commence à me devenir familière, bien que je n’y comprenne pas encore grand chose.

Jára m’a appris que la Galerie Morave de Brno vient de lui acheter 11 photographies. J’avais fait découvrir le film à Monsieur Pátek (que j’avais aussi interviewé dans le film). Il avait été très sensible au propos du film (dans lequel je m’étonnais que ce Musée, si riche de collections photographiques,  n’ait pas acquis de photos de Jára). Or, après quelques mois, il m’envoyait un mail pour me demander le contact de Monsieur Novotný. Et puis voilà, quelques mois encore après, M. Pátek vient à Tábor, fait une sélection de photos et finit par en acheter 11.

Si je n’ai réussi à vendre ce film à aucune télévision, au moins il aura permis à l’œuvre de Jára d’entrer dans cette vénérable institution.

Pourquoi France 3, après m’avoir laissé espérer qu’ils allaient pré-acheter le film, et après des mois d’hésitation, a fini par changer d’avis et à me laisser en plan? Que s'est-il passé ? Je n’en sais rien. Mais en tout cas, le résultat a été une catastrophe financière qui m’a mis sur la paille pendant tout l’hiver dernier. Je crois que je n’avais jamais galéré autant.

Oh mon Dieu la vie d’artiste ! Celle de Jára n’a pas été très joyeuse, et je suis content qu’il semble aujourd’hui commencer à s’en sortir un peu.

D’ailleurs il travaille maintenant sur l’illustration d’un livre de légendes locales écrit par Jaroslav Wimmer, un écrivain qui a participé au précédent livre de Jára, « Táborsko » En évoquant ce projet, mes amis se sont mis à parler de la légende de la Polednice. Ce personnage a été décrit par un auteur tchèque de la fin du 19ème siècle dans un poème très connu. Et Ludmila, qui adore les sorcières, s’est mis à me mimer la scène.

La Polednice est une sorcière qui apparaît à midi (d’où son nom, déclinaison de midi en tchèque) pour tuer les jeunes enfants. Et voici ce qu’en dit le poème :

Une femme était à la maison avec son jeune enfant. Mais l’enfant était énervé, criait, jetait des objets partout, bref tout le monde a connu ça. La mère s’énerve et lui dit : « Si tu ne te calmes pas, j’appelle la Polednice pour qu’elle vienne te chercher !"  Et midi se met à sonner à la cloche de l’église. La femme regrette aussitôt ce qu’elle vient de dire mais trop tard : la poignée de la porte s’abaisse doucement... 

Et la porte s’ouvre lentement. 

La femme prend peur et saisit l’enfant dans ses bras. Apparaît alors l’horrible sorcière, courbée, avec des doigts crochus et des cheveux comme de la paille. La vieille femme dit alors à la mère : « tu as dit que tu voulais me donner ton enfant, donne-le moi ! » La mère serre son enfant dans ses bras : « non, tu ne me le prendras pas ! » La sorcière s’avance, tend ses doigts crochus « donne ! » Et la mère, pétrifiée, serre son enfant, toujours plus, tant et si bien qu’elle l’étouffe. Voyant l'enfant sans vie elle tombe évanouie sur le sol. 

Quelques secondes après le mari entre dans la pièce, trouve la mère et l’enfant sur le sol. Il arrive à réveiller sa femme, mais l’enfant ne se réveillera pas… 

Midi n’est pas toujours la face blanche de minuit. Pour Bergman le plein soleil de midi, sans ombre, était une façon de symboliser la mort. Il le fait d’ailleurs dans un film, les Fraises sauvages je crois. Et c'est vrai que cette blancheur sans ombre est tout à fait sinistre..

Mais maintenant il est bientôt une heure du matin, tout va bien, les enfants dorment et beaucoup de leurs parents aussi. 

 

Quand les rêves nettoient les angoisses des mères anxieuses, les sorcières sont en congé …

 

 

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mercredi 8 mars 2006, Besançon

 

Fatigue, mal de tête. Rentré de Tchéquie mardi matin à 3 heures et, le soir même, à 11 heures et pour toute la nuit, j’ai attaqué ma première « journée » de travail comme gardien de nuit au foyer Les Chennevières. C’est le premier boulot non lié à mon activité artistique que je fais depuis plus de dix ans. Je n’avais absolument pas le choix. Je me suis rendu compte, en rentrant de Tábor, que mon compte bancaire était vide et que j’avais 15 Euro en poche. 15 Euro pour vivre pendant un mois c’est maigre. Très maigre. Il va falloir trouver des solutions.

En tout cas, grâce à ce petit boulot qui ne m'abîmera pas trop, je pense, l’esprit, je pourrai envisager le mois prochain plus sereinement.

Bien sûr ces considérations ne sont pas du domaine des arguments choisis par les majors, les labels et autres fabricants de stars, pour vendre leurs disques et promouvoir leurs artistes. Mais moi je m’en fous de leurs arguments. Moi je dis que la vérité est toujours plus riche que les mythes fabriqués par les marchants de rêves artificiels. Et la vérité veut que, pour l’instant, je rame, et que je m’en fous de ramer car je sens que le choix que j’ai fait est le bon.

Cette situation qui ne sera pas éternelle je l'espère, au aussi une autre vertu que son seul dépannage financier.  Il me permet en même temps faire tomber les barrières qui pourraient me séparer des vrais gens.

Dans les vrais gens, il y a des riches et des pauvres. Et je ne veux craindre ni les uns, ni les autres. « Passer les Frontières » comme je le dis dans le morceau « Frontières », ce n’est pas seulement aller faire du tourisme dans les autres pays. Je n’aime d’ailleurs pas faire du tourisme. J’aime aller voir les autres, j’aime aller les rencontrer, parler avec, monter des projets avec eux, travailler aux dépassements de ces limites qui voudraient nous enfermer dans un pauvre statut, - dût-il être un pauvre statut de riche !

 

Non, passer les Frontières c’est aller à la rencontre de l’autre, c’est tenter de comprendre, c’est apprendre, c’est dépasser les limites qu’on nous a posées au départ.

 

Passer les frontières, c’est donc aussi aller travailler avec ces gens qui ont choisi d’accompagner de moins chanceux qu’eux. Et dans ce foyer des Chennevières, en côtoyant ces éducateurs, ces jeunes qui ont été placés là par la protection judiciaire,  je n’ai pas l’impression de m’égarer. Je regarde, je discute, je me plonge dans ces problématiques où l’homme, dans ses insondables profondeurs sociologiques et psychologiques, tente de redresser des parcours égarés, tente de lutter contre les mauvais tours du destin des uns et des autres.

 

Cet après-midi j’écoutais les morceaux que nous avons répétés dimanche à Tábor avec Ludmila et Karel. Ce sont deux nouvelles chansons, dont l’une n’a pas encore de texte. Je sais pourtant qu’elle racontera l’histoire de cette jeune femme rom du Kosovo qui a accouché dans le camion bâché qui les amenait en France, elle, son mari, et d’autres rom du même pays. La jeune femme avait (et a toujours probablement) 16 ans et elle venait de se marier.

 

Je pourrais me mettre tout de suite à l’écriture de cette chanson, mais avant, je vais essayer de rencontrer le jeune couple afin d’écrire une « vraie » chanson, sur la vraie condition de ces réfugiés européens.

 

En écoutant ce morceau tel que nous l'avons enregistré dimanche - la mélodie morave qui l’a fondée, les arrangements si fins de Karel au piano, la voix magnifique de Ludmila, et cette histoire humaine que l’on sent déjà sous le yaourt que j’ai utilisé en attendant d’écrire les vraies paroles - des larmes d’émotion me sont venues.

 

Alors, que je rame maintenant, qu’importe. Ca passera, j'ai confiance. Je suis dans le vrai.

 

Oui, la vraie vie, elle est là.

 

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Samedi 11 mars 2006, 2h, Besançon

 

Dernière nuit de cette première semaine comme veilleur de nuit. Je me rends compte sur le planning que j’en aurai 4 autres à la fin du mois. Je commence à faire connaissance avec quelques jeunes. Y. tout à l’heure me dit « Tu n’es pas artiste des fois ? On dirait que tu es photographe ». Sympathique entrée en matière, mais je suis sûr qu’il triche un peu, on a du le lui dire. Il me dit après : « Et tu fais quoi toute la nuit ? Tu ne t’emmerdes pas ?» Et je lui réponds 

 –    Je lis, j’écris un peu, je regarde la télé, mais je pense que les artistes ont plus de capacités que les autres pour ne pas s’ennuyer. On a toujours une petite histoire à se raconter 

 –     Ah bon ? Quoi comme histoire ?

         –     Je ne sais pas ! Par exemple, je t’ai dit que j’écrivais des chansons. Bon, eh ben les histoires des chansons il faut bien qu’elles viennent à un moment ou un autre

        –      Dis-donc, tu ne fumes pas autre chose que des cigarettes toi pour te raconter des histoires comme ça ?

         –     Pas besoin

         –     Bon alors, avant de m’endormir, tu viens me raconter une histoire ?

         –     Écoute, j'ai raconté une histoire à mon fils, pendant son enfance, presque tous les soirs. Quand il a eu 6 ans, j’ai pensé qu’il était trop grand pour que je continue, et qu’il pouvait commencer à se raconter ses histoires tout seul. Alors, toi qui a SEIZE ANS, je crois que tu es vraiment trop grand pour que je te raconte une histoire pour t'endormir ! »

        Il a insisté pour le fun, c’était poilant, plutôt sympa.

 

Ludmila m’appelle. Elle doit préparer ses affaires car elle part en vacances aux Canaries demain matin, pour une semaine. Elle me dit que deux artistes tchèques, la chanteuse Sylvie Krobova et un de ses musiciens, le batteur Stepan Smetaček, voudraient nous inviter à leur concert qui se tiendra dans un théâtre à Prague le 30 avril. Ils ont visité mon site Internet et écouté mes morceaux et ça leur a plu. Le père de Sylvie Krobova? Andrej Krob, est un metteur en scène très connu en Tchéquie, le premier qui a mis en scène les pièces de Vaclav Havel. Il est encore je crois Directeur d’un théâtre important à  Prague.

 

Donc cette invitation me va droit au cœur. Curieusement, personne en France ne m’a jamais fait une telle proposition ! Nul n’est prophète en son pays, on le sait ! Mais quand même, des évènements comme ça c’est bouleversant. Quand les artistes se mettent à être solidaires les uns des autres…

 

- Au fait ! Mon cri d’alarme à la Mairie de Besançon semble avoir été entendu. En effet, l’association a des dettes dangereuses (caisses sociales ) qui pourraient vite conduire à un dépôt de bilan si personne ne répond à notre appel. Or il semble que l’on m’aurait entendu. Une commande de film est dans l’air, et en plus, cela s’inscrirait dans une thématique qui aurait pour titre « passer les frontières ». Ca ne vous dit rien ? Alors voici la fin de ma chanson « Frontières » :

 

« Je fais de la chanson française pour marier les styles, marier les origines.

Mariages, pas « variétés »

Mariages mixtes de préférence, entre le noir et le blanc, entre l’Est et l’Ouest, l’apatride et l’émigré.

Mettre un vent de large dans les pensées, partir avec les migrateurs, s’envoyer en l’air, pas croupir dans les chaumières. J’aime pas bien les clameurs, les pensées pré-conditionnées. J’aime pas les chants de tribune, les cris de guerre, les appels des bergers, les paroles sectaires.

J’aime : les chansons qui plongent dans le nerf de la guerre, celles qui dansent sous la glace, qui cassent les vitrines, les chansons sous-marine.

J’aime : les intracellulaires, celles qui vont, au fond, repêcher les victimes, mettre juillet en hiver, briser les chaînes intimes et….

Passer les frontières

Passer les frontières

Passer les frontières ! »

 

On ne peut pas plus proche, thématiquement parlant. Il s’agirait d’un documentaire sur les réfugiés qui arrivent à Besançon. Une belle façon d’aller à la rencontre de l’Autre…

 

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Mardi 14 mars 2006, Besançon

Journée passée à développer mon site et à tenter de le faire connaître. Plus on plonge dans le web, plus on y trouve d’intérêt. J’ai apprécié la réponse de CharlElie Couture et sa phrase « un site internet, c’est comme un aquarium ».

 

En fait on retrouve un peu les correspondances d’autrefois, mais en plus rapide. Clac clac c’est fait, on n’a pas dépassé les 500 mots.

 

Le monde d’aujourd’hui, si rapide, et où, en même temps, on perd tant de temps.

Si un homme moyen devait compter combien d’heures il a perdu en regardant la télévision…

 

La télévision je ne la regarde pas. Je n’ai pas ce besoin. Je m’énerve devant.

Ces émissions de variétés, cela me fait mal, la façon dont on y parle, les équipements des studios, ces grosses machines à spectacle qui, sans cesse, s’efforcent de gonfler les effets pour captiver les attentions. Je n’aime pas qu’on me prenne en charge de cette façon.

 

Et c’est la même chose avec les films commerciaux où l’on me pousse aux fesses pour avancer du début jusqu’à la fin. J’aime les films où on me laisse tranquille, où on me laisse errer un peu, où je peux bouger les prunelles, de droite à gauche, de haut en bas.

J’aime qu’on me laisse faire mon histoire, qu’on sollicite ma pensée, mon imagination, mon émotion.

Je n’aime pas être une marchandise qu’on pousse avec un bulldozer.

 

Les films qu’on peut regarder en connaissant déjà la fin, ce sont pour moi les meilleurs.

 

On m’a proposé aujourd’hui de participer à une exposition pour l’anniversaire de Ledoux (bi centenaire ?) Je voudrais faire quelque chose avec Ludmila. Mais pourra-t-elle venir avant début juin ?

 

 

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Mercredi 15 mars 2006, le site a un mois

Certes, le site a un mois aujourd’hui - mais il a fallu que le serveur de wanadoo se mette en panne ! Résultat, journal inaccessible pour l’instant.

Mais ce premier anniversaire (pour un mois le mot est exagéré !) offre un bon bilan puisque nous avons reçu 500 visiteurs !

Merci à tous ceux qui sont venus !

Aujourd’hui j’ai trouvé un article dans le web qui m’a beaucoup intéressé et qui correspond tout à fait à la position dans laquelle je me place.


 

Voici l’essentiel :

 

« En tant que responsables, salariés et bénévoles d’entreprises artistiques et culturelles à but non lucratif, en majorité des associations, nous déclarons notre attachement à un modèle de développement local et mondial fondé sur les valeurs de la solidarité, de la coopération et de l’équité, et notre engagement de contribuer à ce développement à travers les projets que nous imaginons ou que nous accompagnons, et les formes d’organisation que nous adoptons.

Par la signature de cette déclaration, nous affirmons notre appartenance à la sphère de l’économie solidaire. 
»

 

Il le faut bien sûr ! Le fonctionnement actuel de l’économie fait qu’une petite structure artistique, qui produit réellement de la création originale, en interaction avec la réalité sociale, - non des produits ciblés et calibrés aux sondages d’audimat et d’analyse des ventes, - une telle structure est aussi fragilisée qu’un petit producteur de café ou de cacao d’un pays émergeant !

 

Et pourtant, ce producteur là est lui aussi nécessaire à l’équilibre du terrain où il travaille, il fait partie d’un équilibre identitaire, il fait partie d’un tissus de régénération, de tempérance sociale. Un « socio-système », un « identito-système » comme on le dit d’un écosystème.

 

En tant qu’artiste indépendant, porté par cette structure associative, « Productions du Capricorne », je suis aussi fragilisé, précarisé et menacé de disparition (cela s’appelle le dépôt de bilan) que les petits producteurs dont je parlais.

 

Et nous ne sommes pas les seuls. Les labels qui ont fermé ces dernières années, la précarisation des artistes que je croise, - combien vivent dans des conditions pas dignes du début du 20ème siècle !

 

C’est exactement comme lorsque vous voulez louer un appartement : on vous demande de plus en plus de garanties, de justificatifs, d’acomptes ou de cautions. Et les loyers augmentent à des niveaux délirants. Eh bien, une petite structure c’est un locataire sans garanties : il vit dans des hôtels au mois, pas de prêts, pas de locations, l’argent public comme aide sociale quand on vous l’accorde, et des coûts bancaires étouffants car il faut toujours travailler avant d’encaisser l’argent.

 

Un creux qui dure un peu trop et  c’est le dépôt de bilan.

 

Et, après le dépôt de bilan, c’est le silence…

 

Oui nous appartenons à la sphère de l’économie solidaire. Nous sommes l’humanité dans le monde du chiffre - le monde de la rentabilité et du profit sans souci des cultures, sans respect des identités, des différences, de la conservation des savoirs (comme on dit la « conservation des espèces » en écologie).

 

Et l'on entend bien travailler avec nos semblables, dans le respect de leur identité propre, - et dans la prise en compte de leur fragilité.

 

Ensemble nous travaillons à ce que l’homme, d’ici quelques siècles, ne devienne pas un zombi nivelé, muselé, assujetti à des princes barbares aux richesses gigantesques et inutiles, dans un féodalisme technocratique imaginé par Jodorovski !

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Vendredi 17 mars 2006, St Patrick

 

Le printemps pointe son nez. Je le sens dans mes membres, dans mon corps, dans mon cortex et ailleurs.

Un tiraillement, une démangeaison, une envie d’ouvrir les fenêtres, les portes, une envie de sortir, d’aller courir les rues, de regarder les filles.

Le printemps pointe son nez et dans les rues je suis allé, ce soir, jour de la Saint Patrick, un autre jour de joyeuse beuverie.

La ville frémit, frissonne, sous son ciel bleu sombre un peu brumeux. Entre les quais éclairés des projecteurs et des néons, la rivière va son cours, mystérieuse, lascive, transpirant le parfum des torrents et des neiges fondantes.

Dans les rues, les hommes vont joyeux, ou peinent à avancer, tout dépend de la quantité de bière qu’ils ont engrangée. Car c’est jour de bière en cette nuit de célébration Irish and british de la sainte biture.

Les cafés sont pleins, la musique s’époumone, pas souvent irlandaise comme la règle le voudrait. Mais peu importe aux brasseurs la musique, pourvu que les fûts se dévident.

J’aime ces soirs de fêtes païennes, ces soirs de sainte picole que les cafetiers fomentent pour arroser leurs comptes. J’aime cette faune qui traîne, les vapeurs au coin des lèvres, ces bandes bruyantes, ces petits couples qui s’enlacent appuyés sur une voiture, ces pantalons moulants qui roulent leur belle mécanique, ces voitures qui vont dans les rues sombres, ces hurluberlus qui projettent leurs moi arrondis à la face du monde. J’aime ces attroupements devant les sandwicheries, les kebbabs, pizzas à emporter, toutes ces boutiques de la nuit, la façade ouverte, qui s’ouvrent aux fêtards comme de gros bras chauds.

C’est dans ces moments que je préfère la ville où je vis.

Et comme le vieux Léon Deubel, Belfortain et néanmoins accueilli dans les poètes maudis de Verlaine je vous dirais, pour cuver votre bière, pour qu’elle ne soit pas trop amère demain :

« Si vivre est bon

Que vivre libre est doux

Ainsi je vis

En regardant le Doubs »

 

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Jeudi 23 mars 2006, 00h30, foyer A.G.E.

Une nuit qui va être très palpitante puisque je dois réveiller un jeune à 4 heures ce matin, puis le conduire à la gare pour 5 heures. Enfin, à 6 heures je dois réveiller les autres.

 

« The night is light

« my light and my delight

 

Ne serait-ce pas de bonnes paroles d’un tube ?

A l’heure actuelle, plutôt d’un j’en souhaiterais deux, de tubes, - dentifrice et aspirine – et je m’endormirais dessus.

 

Mais je suis gardien de nuit. Donc, comme le nom l’indique, je garde la nuit…

Je regardais tout à l’heure le cahier de liaison des éducateurs. C’est étonnant. Il y est écrit, par chaque éducateur, des notes sur la vie, les réactions, les choses que les jeunes font ou ont à faire.

 

C’est écrit. Je veux dire que chacun y a son style. Le plus souvent c’est descriptif, mais soudain une envolée, ça devient personnel, presque éloquent. Tant qu’à devoir écrire, on écrit avec ce que l’on est, avec sa patte. Et on arrive à des phrases comme :

« Plus belle la vie ramène le calme sur le foyer »

Etonnant non ?

Et puis, tournant ces pages et ces pages, où les écritures se relaient, où parfois de si petits faits ou gestes sont consignés, on se dit « mais savent-ils, ces jeunes, que toutes leurs petites manies sont rapportées au jour le jour ? Cela ne fait pas un peu mouchard ? » mais on se dit aussi : « Mais ce journal au quotidien de la vie du foyer, - ne serait-ce pas le plus beau des scénarios de film ? L’évolution de ces adolescents, leurs moments de défiances, de déviance, de confiance… Documentaire ? fiction ? Allez savoir. »

 

Coté écriture, le cahier de liaison des gardiens de nuit est moins éloquent que celui des éducateurs Je vois :

00 h 30  Tout le monde dort.

01 h 30   R.A.S.

02 h 30    R.A.S.

Etc.

Il ne reste au gardien de nuit qu’à compter les gouttes d’eau qui tombent dans la gouttière…

…car, en cette deuxième nuit du printemps deux mille six, il pleut à Besançon.



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