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Mercredi 29 mars 2006, Besançon

J’ai terminé hier soir ma chanson dont je parlais dans la page du 8 mars, et qui s’inspire d’un épisode de la vie d’un jeune couple de Roms originaires du Kosovo. Quand mon amie éducatrice m’avait parlé de ce jeune couple, je ne savais pas grand chose du Kosovo, et notamment de ce qu’y subissent les Roms sous les yeux des soldats de l’ONU (dont pas mal de Français).

Mon idée était de rencontrer ces jeunes réfugiés et de transcrire leur témoignage dans une chanson. Mais, derrière le mur du secret professionnel sont restés ceux dont je ne saurai jamais que les prénoms, « Nědo et Sanela », prénoms qui seront le titre de la chanson.


Suite au refus d'une structure d'accueil de demandeurs d'asile de me mettre en contact avec le jeune couple de roms, il ne me restait plus qu’à imaginer leur voyage dans leur camion bâché, - camion dans lequel, au cours du voyage, la jeune mariée de 16 ans a accouché de leur petite fille.

Il m’a donc fallu me documenter sur la condition de ces Roms du Kosovo. Et j’ai découvert l’horreur. 

Les Roms du Kosovo se sont trouvés mêlés au conflit entre les Serbes et les Albanais. Ils devaient faire leur service militaire pour l’armée de Milosevic. Qu'ils l'ait voulu ou non, ils étaient du service. C'est comme ça que les Roms se sont trouvés mêlés à quelques basses besognes lorsque Milosevic a chassé les Albanais du Kosovo.  Donc, lorsque l’ONU a pris en main le Kosovo et a permis aux Albanais de rentrer, ceux-ci ont crié vengeance, chassant les Serbes qui ont passé la frontière vers la Serbie Monténégro (ou s’enfermant dans quelques enclaves proches des frontières) et les Roms qui, eux, ne seront jamais accueillis bras ouverts quelque part !

Intimidations, violences, crimes, quartiers Roms entiers brûlés, presque tous les Roms ont été chassés. Certaines familles parlant Albanais (on les appelle les Ashkalis) ont pu rester au pays. D’autres ont été parqués dans des camps, sachant que certains de ces camps ont été situés sur d’anciennes mines de plomb. Conséquence : des enfants et des adultes avec un taux de plomb dans le corps supérieur à ce que les appareils actuels permettent de mesurer !

Il se produit donc tout simplement, aujourd’hui au Kosovo, sous les yeux des soldats de l’ONU, une épuration ethnique quasiment totale dont les Roms subissent le plus cruel tribut ! Bravo ! Hitler aurait été content !

Et je parle d'un cas particulier de ce que subissent les Roms aujourd’hui, mais qu’en est-il de tous les autres Roms? De tous ceux qui vivent dans la misère sous nos yeux, chez nos voisins, dans cette nouvelle Europe dont les futurs livres d'histoire raconteront la terrible pauvreté dans laquelle nous les avons laissés, et la déchéance que cette pauvreté va leur faire subir ! Honte à nous !

Alors cette chanson sera dédiée à ce tiers monde de l’Europe, et, dans cette chanson, on ne dansera pas, on ne folklorisera pas nos désirs de gens riches de faire la fête, on se fixera quelques minutes en se demandant : « Mais que se passe-t-il avec ces Roms au Kosovo ? »
Du Kosovo et d’ailleurs….

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Vendredi 7 avril 2006, 00 h 30

J’ai regardé la fin d’un film américain étrange où un avocat d’une société véreuse prend soudain conscience qu’il est pourri et décide de changer sa vie, de rendre l’argent qui lui a été extorqué à un type noir, qui est en train de perdre sa femme et ses enfants etc.

On nous fait espérer des miracles…

En fait, c’est du flanc. Ces gens ne changent pas.

Les gens ont toujours une bonne raison d’être ce qu’ils sont, de faire ce qu’ils font.

Et les miracles n’existent pas. Ce sont des histoires pour les enfants.

Ceci dit il y a quand même des choses sympas qui peuvent arriver à n’importe qui ! Seulement encore faut-il donner une valeur à ces choses sympas là.

La philosophie devrait nous apprendre à apprécier les choses sympas que la vie met à notre portée.

Chacun a les siennes.

Mais, quand on ne s’aime pas, on ne sait pas aimer ce qui est à notre portée.

Donc il faudrait aider les gens à s’aimer.

Il faudrait aider les gens à avoir confiance.

A ne pas avoir peur.

Mais ce n’est pas rentable d’avoir sous la main des gens qui s’aiment, qui ont confiance et qui n’ont pas peur.

Les gens qui ne s’aiment pas admirent ceux qui les dominent.

Les gens qui n’ont pas confiance aiment être entouré de flics, ils payent des assurances très chères. Et puis pour se rassurer ils achètent plein de trucs inutiles, seulement pour se donner la preuve qu’ils existent.

Les gens qui ont peur soupçonnent leurs proches. En revanche ils sont prêts à donner tous les pouvoirs à un type X qui dit qu’il va les protéger. C’est pourquoi ces types X là aiment à brandir des épouvantails pour faire venir à eux les petits peureux.

Les gens qui ont peur sont les plus dangereux pour ceux qui les entourent.

Le rêve des tyrans serait que tout un pays soit constitué de gens qui ont peur.

La peur c’est leur beurre aux tyrans.

Et des tyrans, il y en a plein qui courent les démocraties.

 

Et puis, pour les gens sympas qui lisent ces lignes de philosophie domestique, un petit cadeau, un morceau enregistré pendant une répétition avec Titi (Thierry Lorée) Si nous avons un tube, ce sera peut-être celui-là

Alors, puisqu'on parle de "Quitté", je peux dire en passant que cette chanson est ma première chanson d'auteur-compositeur. Toutes les autres chansons sont les filles de celle-ci.

Rarement je me suis levé de bonne heure mais très longtemps j'ai cru que je ne pourrais jamais faire la musique d'une chanson. Jusqu'au jour où j'ai entendu Gainsbourg qui répondait à la question "Comment écrivez-vous vos chansons?" C'était quelque chose comme ça : "Je prends un disque que j'aime bien, je le pose sur mes genoux et j'écris dessus"

Je me souvenais de la phrase. Puis un jour je me suis dis "essayons". J'ai donc pris un disque de Manu Tchao et j'ai écrit dessus. Et cela a donné "Quitté" que vous avez peut-être déjà chargée et écoutée?

En tout cas cette première expérience a eu l'avantage de lever le blocage. Après j'ai écrit des autres chansons, sans avoir besoin de mettre sur mes genoux un disque pour écrire dessus.

"Quitté" c'est donc pour moi une première pierre, un lever de rideau ou le plaisir d'un blocage qui m'a quitté.

"Quitté, - quitte" et merci à Gainsbourg et Manu Tchao !

 

 

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Mercredi 12 avril 2006, Besançon.

 

La tournée en Tchéquie et Slovaquie approche. On le sent. Nos amis, Radek, Richard, Ludmila sont aux fourneaux, ils arrangent tous les problèmes, recherchent les dernières dates, dispatchent les affiches et sermonnent ceux qui nous font faux bond, - il y en aurait…

Quelques journées sans nouvelles pages. Peut-être que des fois ça fait peur un journal.

Quand on a des soucis, des incertitudes…

- Ce n’est pas toujours pour tout le monde ce qui vous arrive !

Mais l’horizon se dégage. Deux films institutionnels en perspective, dont un qui m’a été proposé par le CCAS de Besançon suite à mon appel au secours du début de l’année. Car le déficit devenait très menaçant.

Donc il y a des gens pour écouter les sonnettes d’alarme des artistes. C’est bien. Et, disons le, ces gens sont formidables!

Comme le dit si joliment Frédéric des Karpatt, tant qu’au moment de "baisser les bras on se raccroche aux branches", il y a des chances de vies supplémentaires - un peu comme dans les jeux vidéo...

 

En terres tchéquo-slovaques, nous allons donc partir pour six dates . Dans toutes sortes de lieux : un théâtre (Tábor) une salle de musiques actuelles (Košice) un centre culturel (Prague) et des clubs.

Il y a même un endroit qui n’est pas encore confirmé, mais en tout cas qui est négocié par les élèves de Ludmila, du conservatoire de Česke Budějovice ! Merci à eux !

 

Avec Titi nous avons travaillé cette semaine sur deux morceaux : « quitté » et « La poupée ». C’est bien de travailler à deux. On peut vraiment creuser les possibles, aller au bout des choses. On a enregistré une maquette de chaque morceau, histoire de se faire comprendre par le restant de l’équipe.

« Nědo et Sanela » sont maintenant dans ma tête, et dans mes doigts.

Répétition samedi avec Biniou et Titi. Assurer le rythme, - le rythme c’est primordial.

Et dimanche on s’envole !

 

Jamais joué aussi loin de Besançon. Coup de chapeau à Barbara Eydely, de l'alliance française de Košice, qui a posé la première pierre de cette tournée. Et Košice c'est loin! Tout à l'Est de la Slovaquie ! Environ 1600 km !

Alors je lui attribue la palme de cette tournée. Et un grand merci !

 

Maintenant, c'est vraiment là-bas que l'aventure va commencer. Aller rencontrer un public tout neuf, qui ne connaît pas le chemin que l’on suit (ou qu’on invente), - quelle émotion !

 

Et on se retrouve tous au retour, d’accord ?

Déconnez pas ! Tirez vous pas à l’anglaise pendant notre absence !

Le journal se continue quand on est là-bas, - ce serait presque du blog en fait ! 

Mais blog, c'est quoi? Pas trouvé sur mon dictionnaire. "Journal" c'est mieux. Je parle francophone, Yes !

 

 

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Lundi 17 avril 2006, Tábor

Nous sommes arrivés hier soir à Tábor. La route était tranquille, un dimanche de Pâques sans camion. Biniou et Titi étaient un peu embrumés vu qu’ils s’étaient couché un peu tard la veille, - une grande fête organisée chez la mère de Biniou à l’occasion de la dégustation, délicieuse cela va sans dire, d’un sanglier.

Ludmila nous attendait avec un repas typique du samedi de Pâques, le samedi blanc ils disent ici („Sekanice“).

Elle avait préparé la table dans sa salle à manger-salon (notre chambre aussi où ont été faites une partie des photographies de Close Up). Deux appliques diffusaient une lumière faible, rehaussée par quelques bougies. Sur la table elle avait installé un bouquet de pâques, composé de branches d’arbustes où pendent des oeufs teintés et décorés à la main. C’est très joli ces oeufs, et leur décoration fait appel à des techniques élaborées (à partir de cire chaude)

Nous avons bu en apéritif un petit verre de Becherovka, la boisson nationale tchèque, puis accompagné potage et cette tourte pascale (à base de viande fumée, d’œufs, de pain, de lait et d’orties) de bière tchèque, la Kosel brune puis la Regent.

A la fin du repas Titi s’est endormi sur sa chaise. Puis, Biniou et lui sont partis avec leur bagage dormir dans la chambre de Radek.

Quand on parle des fêtes religieuses en Tchéquie, et dans tous les pays qui ont connu le régime communiste, il ne faut pas perdre de vue que, pendant de longues années, on a réprimé tout ce qui tournait autour de l’église et des religions. Un prêtre pendant la période communiste, c’était une victime. Quand il avait continué, clandestinement, au risque d’un emprisonnement très sévère, à faire des messes ou tout autre rituel religieux, il pouvait même devenir un héros. C’est pourquoi il est impossible de voir la religion ici comme on la regarderait chez nous. Moi qui ai connu l’école jésuite, qui ai subi quelques abus de pouvoir des gens de robe, j’ai une opinion pas très flatteuse du clergé français. Mais ici c’est différent, ce doit être vu avec des yeux éclairés.

Il est bon parfois de mettre quelques jugements nationaux au placard.

En fin d’après midi nous avons commencé les répétitions. Il y avait tout le monde, Karel, Radek, Ludmila, Titi, Biniou et moi. Nous avons travaillé dans l'appartement d'Alena, la petite amie de Radek. D’ailleurs Alena n’a pas été contente que nous ayons commencé à travailler bien après l’heure fixée. A neuf heures et quart nous avions rangé le matériel.

C’est toujours difficile de trouver des lieux de répétition qui permettent de travailler sans avoir de problèmes.

Après nous sommes allés travailler avec Karel et Ludmila dans l’école de Musique où ils travaillent tous les deux. Là nous avons répété "Nedo et Sanela" que nous allons jouer tous les trois, ainsi que "Qu’est-ce que tu fais?", une chanson que nous ne jouerons que lorsque Ludmila sera avec nous, et que dans les salles de spectacle, là où les gens sont attentifs et réceptifs à des ambiances plus intérieures. Moi j’adore ces chansons, - le jeu au piano de Karel, la voix incroyable de Ludmila (Ludmila est chanteuse lyrique et professeur de chant.)

Enfin, la première journée de l’avant concert s’achève. J’ai mal au ventre mais ça passera. Partout à Tábor on voit nos affiches. Sur la façade du théâtre le nom du groupe (et un peu le mien) est écrit en grosses lettres tracées au pinceau... 

L’impression de préparer quelque chose de solennel.

 

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Mercredi 19 avril 2006 – Tábor

 

Dans quelques minutes sonnera la fin de l’avant. Demain c’est le départ.

Nous avons présenté une répétition générale dans la cave de la pension Alfa . C’était là que nous avions fait notre concert test avec Karel et Radek, il y a un peu plus d’un an.

Quelques « témoins » avaient été invités. Ils nous ont pardonné nos dernières erreurs car les retours ont été bons.

Nous avons présenté les deux parties que nous jouerons demain, Ludmila a fait la traduction de la présentation des morceaux. Il me semble nécessaire de faire comprendre aux gens de quoi nous parlons. Pour moi les chansons ça doit dire quelque chose…

 

Cet après-midi j’ai rencontré Karel Dańhel, le directeur du théâtre, un monsieur que j’aime beaucoup. C’était lui qui m’avait pris en main lorsque j’étais venu en résidence à Tábor en 2002. Nous avons beaucoup ri dans son bureau, nous avons chanté ensemble dans son appartement, avec ses voisins M et Mme Korbel. Karel est plein de talent, dessinateur, caricaturiste, accordéoniste, auteur de pièces de théâtre pour enfants, acteur et chanteur dans sa formation Pouličníci qui interprète des chansons pragoises de la fin du XIXème siècle, des chansons de rue où on se mêlent critique sociale satyrique et hommage aux plaisirs de la vie.

Ensuite, je suis passé à l’agence de la télévision tchèque de Tábor pour essayer d’avoir une annonce. Mais je pense que ce genre de sujets n’est pas ce qu’ils préfèrent. Si nous avions percuté trois voitures de police en essayant de sauver une tonne d’héroïne, je crois que nous aurions eu plus de succès.

Mais on verra. Ces démarches doivent être faites, par principe.

 

Pour le reste, croisons les doigts. En tout cas ce sera la première fois que nous aurons un théâtre pour nous tout seuls. Il devrait y avoir deux heures de spectacle, on a dû supprimer une chanson pour que ce ne soit pas trop long. Il va falloir apprendre à mesurer le temps de ce genre de lieux, mesurer le temps et gérer l’espace car, si aujourd’hui nous étions un peu à l’étroit, demain nous risquons bien de nous sentir perdus sur cette grande scène…

 

Je suis dans mes petits souliers. Les musiciens n’ont pas l’air de s’en faire. Ils parlent joyeusement, boivent de la pivo (bière). Titi et Biniou commencent à avoir de nouveaux amis et amies, ils commencent à se faire des petites histoires dans leur for intérieur. Des plans sur la comète.

Ca va, le moral des troupes est bon. C’est important, l’équilibre d’un groupe est tellement fragile…

 

Quant à Lumila, j’ai assisté hier soir à sa séance d’essayage : « comment allait-elle s’habiller pour le concert ? » Les femmes prennent ces choses très au sérieux ! La difficulté était de trouver des choses qui sortent de ce qu’elle porte habituellement dans ses concerts classiques.

Ca a duré plus de deux heures. A partir de la robe il fallait trouver les hauts, et après les hauts il fallait trouver les bijoux. Et hop je mets et j’enlève ! Et moi je récupère quelques miettes entre l’essayage de deux corsages… Finalement elle a fini par trouver une tenue qui sera assortie à la mienne (elle y tenait), qui sera à l’image de notre style de musique, qui ne fasse pas démodé (sachant que nos modes, en France et en Tchéquie, ne sont pas les mêmes) et qui convienne à chacun.

 

Bref, pour l’instant tout va bien, d’autant plus que le temps est avec nous, - le soleil efface peu à peu le souvenir de ce terrible hiver…

 

 

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Vendredi 21 avril 06, Tábor

 

Très beau soleil ce matin sur la Bohème sud. Il fait bon, presque possible de sortir en tee-shirt.

 

Et notre concert à Tábor est maintenant du passé...

C’était la première fois que notre groupe jouait seul dans un théâtre, c’était un beau moment.

Sont venus environ 150 personnes qui sont reparties enthousiastes. Le son était comme jamais nous pouvons en avoir dans les clubs. David Jurań, le frère de Karel, était à la console et nous a fait un très beau travail. Jouer dans ces conditions, c’est comme être assis dans un fauteuil, - les sons ne se recouvrent pas, tout est clair. 

En revanche les lumières étaient au plus simple : projecteurs blancs, fixes.

Je pense que nous avons fait un bon premier concert. Ce sera mieux je crois à Košice mais il y a pas mal de morceaux qui sont très bien sortis. Un gros problème a été ma seconde guitare qui m’a lâché en milieu de concert. Il a fallu adapter.

Je voulais vendre cette guitare il y a un mois, elle se venge…

Jára Novotny a fait les photos du concert. Il a choisi le noir et blanc. Nous aurons donc de quoi communiquer, car Jára est un grand photographe !

C’était un plaisir de se retrouver ainsi autour d’un nouveau projet (le précédent étant le documentaire de 52 minutes que j’ai réalisé sur lui en 2004-2005)

C’est vrai qu’il commence à y avoir une longue histoire entre Tábor et moi.

Et dans cette longue histoire est né un grand amour… Et cela grâce à Jára, car Ludmila était son modèle !

 

Ce soir nous allons jouer à Havlíčkův Brod, c’est une ville en direction de Brno, à l’intersection entre la route et l’autoroute (en venant de Tábor).

Nous allons jouer dans un club en première partie d’une chanteuse, Monika Naceva et de Michal Pavlicek un des meilleurs guitaristes tchèques (le meilleur selon Radek !) C’est intéressant de rencontrer d’autres artistes, musiciens. Et vraiment, c’est comme cela que nous devrions voyager toujours. Voyager en travaillant ! Cela évite d'être considérés comme des portefeuilles ! Parce que, pour le tchèque, le français qui traîne chez lui, c’est quand même bien souvent un portefeuille sur pieds. Le reste, ce sont des images d'Epinal : Paris, la tour Eiffel, Montmartre, le Moulin Rouge, la liberté ! 

Comme ils sont déçus quand ils viennent chez nous de voir la liberté au réel ! 

Alors, un Français qui vient chez eux pour gagner de l’argent, ça remet un peu les choses en place. 

C’est comme cela qu’on apprend à devenir européens…

 

Ce soir donc, un groupe français jouera en première partie d’un groupe tchèque avec un guitariste très connu. Eh bien, ça me convient. Et j’espère que beaucoup de sympathie sortira de cette rencontre !

 

 

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Samedi 22 avril 2006, Tábor 

 

 

Ce matin, je m’offre un grand plaisir, un plaisir inouï pour ceux qui, comme moi, vivent en ville dans un appartement sans terrasse, sans balcon. Ludmila a un petit jardin, de trois mètres de large à peine et de six mètres de long, avec un arbre, un Lila et un mur recouvert de vigne grimpante. Et, sur ce petit jardin qui pourrait faire penser à celui de la chanson de Dutronc, il y a le soleil.

C’est donc ici que je suis venu prendre mon petit déjeuner en écoutant le Matador de Mickey 3D. Le Lila sort ses premières feuilles et casse un peu la morsure du soleil en la découpant en langues de lumières qui me lèchent comme un vieux chien. Sans salive c’est très agréable !

Donc, hier soir, nous avions un concert à Havlíčkův Brod. Cette ville s’appelait, jusqu’à la fin de la seconde guerre Nĕmecký Brod, ce qui veut dire « Bac allemand », - bac dans le sens de ces radeaux qui servaient à franchir une rivière. Après l’invasion hitlérienne, on a enlevé le Nĕmecký, on en avait soupé de l’Allemagne, et on l’a remplacé par le nom d’un poète tchèque du XIXème siècle, Karel Havlíček Borovský, qui, du reste, s’était révolté contre l’empire autrichien et contre l’invasion de la culture germanique en Bohème.

 

Nous avions rendez-vous sur la place de la ville, une jolie place baroque comme c’est la règle en Bohème. Karel et Radek avaient donné entre midi et  deux, un concert caritatif dans un hospice. Titi et Biniou les avaient accompagnés et nous avions convenu de nous retrouver sur la place centrale, sans la connaître. Car il y a une place centrale dans toutes les villes de Bohème. C’est clair. Donnez-vous rendez-vous dans une ville nouvelle, en France ou ailleurs ! Vous allez voir la différence !

J’ai suivi Karel qui nous a menés, en lisière de ville, à l’entrée d’une ancienne caserne où nous avons trouvé cette salle de concert très bien insonorisée. Nous devions passer en première partie d’un groupe de trois musiciens, un guitariste, Michal Pavlíček, une chanteuse, Načeva, et un DJ dont hélas j’ai oublié le nom (dommage, car c’est lui que j’ai préféré). En voyant le matériel qu’ils étaient en train d’installer, nous avons commencé à nous sentir tout petits. Le guitariste faisait partie d’un groupe extrêmement populaire en République tchèque il y a une quinzaine d’année, les Stromboli. Réputé meilleur guitariste de Tchéquie, c’était une véritable star. Et l’accueil qu’il nous a fait lorsqu’on est arrivé a été des plus froids. En gros il nous a ignorés.

 

Radek est allé parler avec lui et j’ai entendu que Pavlíček lui parlait très autoritairement. Radek est venu ensuite nous dire que Pavlíček ne voulait pas qu’on joue en première partie, que c’était son concert et qu’il n’avait pas envie que son public s’en aille en nous voyant jouer. Donc on jouerait après lui.

Soit, un public chaud est toujours meilleur qu’un public froid. Il me semble que c’est une règle élémentaire.

Mais l’équipe avait peur qu’après des rythmiques électroniques hyper dynamiques et modernes nous nous retrouvions un peu frêles...

Le moral était au doute complet.

Après l’installation du matériel, enceintes de deux mètres, tours d’éclairages, projecteurs motorisés, ils ont pris le temps de faire une balance qui a duré facilement une heure et demie. Une répétition en somme. On a eu le signal ensuite pour faire une balance, une demi-heure avant l’arrivée du public. On a eu le temps de passer la batterie, la basse et le clavier…

 

Le concert a commencé à 19h30. Souvent les concerts en République tchèque commencent à ces heures. Nous, on appellerait cela des matinées…

Et malgré le fait que ces musiciens (le guitariste, mais aussi la chanteuse) soient très connus, je crois que le public a senti la froideur de ce concert. Pavlíček ne s’est pas levé de sa chaise pour adresser un seul mot au public.

De plus la formule, de premier abord très actuelle et séduisante (guitare, DJ, chanteuse), montrait des failles. Parfois Michal Pavlíček accompagnait seul la chanteuse et on se retrouvait dans un univers en somme assez classique de chanson à texte qui était décevant par rapport à d’autres morceaux hyper rythmés dont le DJ était le vecteur essentiel.

 

Bref, cette faille a remis notre équipe sur pied, peu à peu ils reprenaient confiance.

C’est incroyable combien une équipe de musiciens est un ensemble mouvant, l’émotion à fleur de peau, susceptible de se charger ou de se recharger en un instant.

Et j’aime bien ces musiciens pour ces qualités, même si des fois j’en prends plein la gu… parce que, dès que les doutes surgissent, c’est sur moi qu’ils se déchargent !

 

Bon, le concert se termine, une partie du public s’en va. On a l’impression qu’il n’y a plus personne. On fait le restant des balances en deux temps trois mouvements. Pas le temps de régler les retours, j’entends une cacophonie sans nom, mais bon, il faut se jeter à l’eau.

On commence quand même par un petit coup de théâtre. Les musiciens sont à leur place et je dis au micro : « now, we’ll start » et tous les musiciens s’en vont ! Je m’excuse, dis qu’ils ont peur de jouer et que je vais commencer tout seul.

Et j’entame « la phrase de Laurence » Dans cette chanson, je commence tout seul et un à un les musiciens arrivent, en cours de morceau pour finir par une ambiance pop très lyrique.

On marque un point : la sympathie.

Le public revient, je crois que nous en avons récupéré la moitié et, au deuxième morceau, miracle !, ils viennent au milieu de la piste et ils commencent à danser !

 

L’esprit français a fait son effet ! La France c’est le monde latin, c’est la fête ! Eh oui, c’est comme l’Espagne pour nous !

On avait confectionné un set énergique d’une petite heure, et l’équipe a donné le meilleur d’elle-même. A la fin, les doutes du début s’étaient dissipés !

On a gagné des clopinettes, mais la responsable du lieu a dit que nous reviendrions et que, cette fois, nous serions bien payés.

 

 

Il est midi. J’écoute maintenant Rezvani chanter « Ma ligne de chance, ma ligne de chance, dis moi chérie qu’est-ce que t’en penses ? - Ta ligne de chance, quelle importance, moi je préfère ta ligne de hanche (…) ta ligne de hanche, ta ligne de hanche, c’est une fleur dans mon jardin »

 

Les oiseaux tournoient dans le ciel, j’entends le gazouillis des hirondelles, - tiens, elles sont revenues !  Midi sonne au clocher pas très loin. Les angles heurtés des toits, des pans de murs font penser à une composition cubiste, ou à du Chirico sans mélancolie. C’est un joli samedi matin, souriant, joyeux comme le printemps.

 

Ce soir, concert à Jindřichův Hradec.

 

 

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Dimanche 23 avril 2006, Tábor

 La journée d’hier pourrait être qualifiée de dionysiaque. Il y a eu tout, les conflits, le bruit, l’alcool, la fête, l’anarchie, le délire, les rencontres, le brouillage de toutes les cartes, une fusion déstructurée et la reconquête de nouvelles donnes, plus profondes, que ce soit entre les musiciens, entre le groupe et le public, le public et nous, et entre Ludmila et moi.

 

Autant dire que la journée a mal commencé. Ludmila après une très mauvaise nuit d’insomnie s’est réveillée avec une humeur terrible qui nous a valu une engueulade plutôt mauvaise. Du coup j’en oublie notre rendez-vous avec les musiciens. Ils arrivent à la maison furieux. Nous partons en catastrophe. Le temps n’arrête pas de changer, soleil, nuages, soleil, pluie.

Nous arrivons à Jindřichův Hradec, nous avons même pas le temps de contempler cette magnifique place avec quelques bâtiments couverts de fresques noires et blanches de toute beauté. Le centre ville est barré par des travaux de restauration du pavé. On tourne. Titi et Biniou sont dans la voiture de Rostia (un ami à Karel et Radek qui, par deux fois, les avait emmenés en France) et Dana. Dana est la femme d’un ami de Rostia et Karel. Seulement, depuis notre dernière tournée en République Tchèque, Titi a flashé sur elle, et Dana ne s’en plaint pas. Rostia essaie de calmer les ardeurs de Titi, faisant office de garde du corps de la jeune mariée. Titi est déchaîné par un long temps de célibat. Et va-z’y que j’te fais des bisous, que je te passe la main dans le dos, que je te caresse sous la table. Rostia est ennuyé, sait plus trop quoi faire pour rester agréable tout en essayant de rester loyal avec son ami. Karel s’écarte, ne veut pas assister à ces embrouilles, d’autant plus qu’il y a quelques années il avait été victime d’infidélités à peu près identiques. C’est chaud !

Nous finissons par accéder au bar Dada. Le nom est bien choisi : pour les Dadaistes, les conventions c’était plutôt à mettre au bûcher ! Titi est sur un nuage, il a l’air d’un ado enivré de désir et de ce plaisir espiègle de chatouiller les interdits. Et que je te prends en photos et qu’on regarde le magnifique résultat en se faisant des œillades complices pendant que les autres, c’est à dire nous, on commence à décharger le matériel !

Voilà même maintenant Rostia qui les prend en photo ! C’est à n’y rien comprendre, le gardien devient complice ?

 

Le patron du « Dada » est très content de nous voir. C’est un grand gaillard aux cheveux longs, aux grandes lunettes carrées, au parler direct, immédiatement fraternel. Il fête ce soir le quatorzième anniversaire de son bar. Il essaie de nous raconter ses intérêts dans un anglais plus qu’approximatif qu’on ne comprend pas toujours. Je saisis que sa passion c’est d’écrire des chroniques de son bar, des conversations de comptoir. Mais je n’arrive pas à comprendre ce qu’il en fait exactement. Il nous raconte que son bar marque le début de l’ancien quartier juif de la ville. Son arrière grand mère était juive allemande et il nous fait remarquer ses longs cheveux blonds pour nous montrer qu’il a gardé le type de son ancêtre. Il nous explique qu’il y a une synagogue un peu plus loin mais qu’elle est fermée. Des juifs, en République tchèque, il n’y en a plus beaucoup tellement le pouvoir d’Hitler s’est acharné à tuer ces pauvres gens ! Mais il est là, lui, et il a envie de nous dire qu’il est fier de descendre de ce peuple.

 

Il nous dit aussi qu’il a tout fait dans son bar, le travail du métal, la maçonnerie, peinture, aménagement etc. Il a travaillé avec l’aide d’un ami ou d’un autre. En général, ils travaillaient à deux.

Le bar, au départ, était minuscule. Et puis il a recouvert d’une verrière escamotable la cour qui était derrière la maison. C’est maintenant la salle principale. Et il a gardé, au milieu de la salle, l’énorme puits circulaire qu’il a recouvert d’une vitre en plexiglas. La salle est très agréable. La verrière s’ouvre en un instant, par un système motorisé.

 

On s’installe, nous avons peu de place, mais bon, on fait une balance, ça va. On arrive à peu près à s’entendre les uns les autres. Seul, Biniou, qui se trouve sous une arcade, souffre de l’acoustique.

 

Après un petit repas, saucisses au vinaigre (« Utopenec », noyés ) et fromage macéré dans l’huile (« sýr v olejí »). Vers huit heures on commence à jouer.

Les clients entrent peu à peu, et rapidement la salle est comble. Le patron nous a demandé de faire plusieurs petits sets de vingt minutes. On sent au départ que les gens ne sont pas habitués à ce style de musique. Ils sont un peu bruyants et je vois sur leur visage une curiosité un peu confite. Ludmila n’étant pas avec nous, je suis obligé de parler anglais pour expliquer les paroles. Mais il est clair que la majorité ne comprend pas. Je parle lentement, parfois je répète. Car j’ai découvert que les quelques rares anglophones traduisent aux autres.

Et puis, peu à peu, l’intérêt monte. A la fin du premier set, nous sommes bien applaudis et on nous demande de poursuivre. J’explique que nous respectons la consigne. Ah ! dans ce cas !

 

A la fin du set, je presse sur une touche de la table de mixage pour déconnecter ma guitare. Sinon, on va entendre un gros « crac ! » quand je retirerai le jack.

C’est alors que je me fais engueuler par Radek avec une force ! Il a l’air à bout de nerf. Je suis dos au public, lui de face. Faut imaginer toute cette scène en anglais ! Les yeux lui sortent des orbites, on dirait qu’il va se jeter sur moi. Simplement parce que j’ai pressé sur un bouton ! Je lui dis « Radek, stop this hysteria, you are un front of the public, please ! stop it ! » Il se calme. Mais il reste renfrogné.

Depuis qu’on est arrivé, Radek est nerveux. Il a travaillé à l’organisation des concerts dans les clubs de Bohème. Ce n’était pas facile.

De plus, comme je l’avais écrit avant de partir, nous avions travaillé avec Titi sur deux chansons, cherchant des arrangements plus convainquant. Or il s’avérait que le clavier ne trouvait pas sa place dans ces morceaux, et que la guitare acoustique était très efficace. L’erreur a été de commencer les répétitions par ces morceaux. Comme Karel a l’habitude de jouer la guitare acoustique, on a demandé à Radek de laisser sa guitare électrique et de jouer du Shaker. Grosse frustration, rendue plus douloureuse encore par tout le temps qu’il avait passé à organiser la tournée. La frustration devenait cinglante.

Il faut régler cette situation. Quelques minutes après la scène qu’il m’a faite, je lui demande de venir parler avec moi. Nous sortons du bar. Je lui dis « qu’est-ce qu’il se passe Radek, pourquoi es-tu si nerveux que tu sois capable de m’engueuler de la sorte devant le public ! » Et il me déballe tout. Il me dit : « J’ai toujours organisé ma vie pour n’avoir jamais un chef sur les épaules. Tu viens et tu me dis : « tu ne joues pas de la guitare sur ce morceau, tu joues ci, tu joues ça , sans me demander mon avis ! Ca ne peut plus durer comme ça. Je ne joue pas de la musique comme un ouvrier. J’ai envie de proposer des choses, j’ai envie de me sentir créateur »

Je suis d’accord sur le principe. Mais je lui explique qu’on n’a pas de temps pour travailler ensemble. C’est pourquoi avec Titi on s’est mis à restructurer ces morceaux. Ca nous a pris presque deux semaines. Si on n’est jamais ensemble, à 900 km les uns des autres, et qu’on ne travaille pas, le répertoire ne pourra jamais avancer ! Alors comment faire ? »

On a commencé à réfléchir ensemble. Parce que Radek n’est pas un type borné. C’est un type bien. Et puis cette collaboration franco tchèque, c’est grâce à lui.

Nous nous sommes finalement mis d’accord sur le fait qu’on pouvait travailler par échanges internet. Bientôt il va avoir un ordinateur. Alors, lorsqu’on travaillera un morceau en France, on leur enverra une maquette par mail. A partir de cette maquette, ils nous diront s’ils sont d’accord, ou, sinon, ils enregistreront leur proposition et nous l’enverrons.

L’idée a eu l’air de bien lui convenir et nous avons fini pour nous excuser l’un et l’autre.

 

Ce que cette longue parenthèse signifie, c’est que, avec les limitations de moyens que nous avons et cette situation d’un groupe mixte, français et tchèque, il faut trouver des solutions particulières pour pouvoir travailler ensemble. J’ai aussi appris, pour moi-même, que je dois être plus ouvert aux propositions des musiciens et respecter leur spécificité, leur créativité. Et les consulter avant de prendre une décision.

 

Nous sommes rentrés au bar tous les deux soulagés.

Et nous avons recommencé à jouer.

J’avais compris aussi que, vu l’ambiance particulièrement festive du lieu, c’était l’occasion de libérer les musiciens des contraintes que nous devons respecter sur une scène d’écoute, telle qu’un théâtre ou une salle de concert. Alors tout est devenu ouvert. J’ai dit à Biniou : tu peux tout tester. Ici on a droit à l’erreur donc on se lâche  et on essaie des choses nouvelles.

Dès lors ça a été un défoulement que le public a pris en pleine face. Et c’est devenu quelque chose d’échevelé, de délirant et de puissant.

Le public a reçu le message droit au cœur.

Parallèlement le patron nous faisait déguster ses cocktails très brûlants. Les clients parlaient de plus en plus fort. Titi avait Dana dans les bras pendant l’essentiel des poses, Rostia avait oublié de la surveiller. On nous offrait des verres de partout, la fête battait son plein.

A la fin du répertoire, Titi s’est mis à interpréter des chansons de Thiéfaine et d’Higelin. Puis le public nous a demandé de reprendre quelques chansons. Cette fois il n’y avait plus d’incompréhension. Notre système était admis.

Une bande de Hollandais qui ont passé la soirée au bar sont venus me demander de chanter Isabelle des Poopy’s ! Incroyable ! Je chantais ça quand j’avais onze ans ! Et puis une bande de tchèques m’a demandé de chanter « Sur le pont d’Avignon » ! Vous voyez ce que les étrangers connaissent de la chanson française !

Plus tard on m’a demandé de jouer un Salvador, « je voudrais du Soleil vert ». Comme on commençait à démonter la sono, je l’ai joué acoustique et la tablée a écouté sagement ce chuchotement.

Le matériel était rangé mais Karel ne voulait plus partir. Il s’était mis au piano et chantait avec le public des chansons à boire ! Les tchèques, quand ils sont saouls, ils adorent chanter ! Et ça boit, et ça tangue de droite à gauche, - les filles sont aux anges et les garçons savent que c’est le moment ou jamais !

Il était à peu près une heure et demie quand Ludmila m’a appelé. Elle était déchaînée, ayant appris que Dana était avec nous. L’ayant vu à l’œuvre lors de notre première tournée, c’était la panique ! Déferlement de mots, d’énergie, - ma pauvre Ludmila était à bout.

Ca lui arrive parfois. C’est peut-être bien son seul défaut….

Nous sommes rentrés à 3 heures et demie. Ludmila s’était calmée, mais il restait encore que la tension baisse, que la paix et la connivence reviennent.

Les mots, les caresses… Peu à peu la confiance est revenue, - la confiance, le calme et la complicité.

A six heures et demie nous nous endormions plus amoureux que jamais….

 

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Mercredi 26 avril 2006, Tábor, 2h30

 

Dans le lit j’ai installé mon ordinateur portable sur mes genoux. Cela me rappelle lorsque j’écrivais mon journal intime, avant que cette curieuse idée vienne de le publier sur le net. J’avais un cahier à couverture cartonnée et j’écrivais le soir avant de me coucher.

Ce soir nous avions un concert à Pehlřimov, une petite ville de 20 000 habitants. Je ne pourrais rien en dire pour la bonne raison que le club se trouvait à l’entrée de la vieille ville et que nous avions rien vu. Ah, si ! En face du club il y avait une église et j’ai découvert que, lorsqu’une heure sonne, il y a un automate qui accompagne les coups de cloches. Il s’agit de deux béliers qui se font face et qui, à chaque coup de cloche se jettent l’un contre l’autre et s’assènent des coups de corne. Je n’ai pas bien compris la symbolique religieuse de cet ornement. On croirait une contamination par quelque religion paienne…

Le club se trouvait dans une très grande cave aux murs de briques. Il y avait au fond une scène où nous nous sommes produits.

Mardi soir dans une ville de cette dimension, fallait pas rêver, on n’allait pas avoir foule. Trente personnes sont venues mais ont manifesté un grand enthousiasme.

Biniou m’a encore agressé en se plaignant de mes problèmes de rythme, mais je crois que le concert était plutôt bien. Les morceaux décantent, les tempos se fixent, et on ne sent plus trop la crispation du début.

Karel a trouvé un effet très sympa pour illustrer « Shenzhen 2002 », une petite touche futuriste opportune.

Il y avait trois lycéennes qui étaient venues parce qu’elles apprennent le français au lycée. Elles nous ont acheté un disque. Au moins je laisserai une trace à Pelhřimov.

Nous avons réussi à rentrer pas trop tard. Demain, départ à Bratislava. Quel joli nom de ville. Se dire « je vais jouer à Bratislava », ça sonne comme quelque chose d’extraordinaire.

Et puis ce sera Košice.

Notre concert à Prague a été annulé, faute de moyens. Mais nous avons récupéré un nouveau concert, dans un hospice de vieillards.

Et cette tournée sera terminée….

 

Mais nous n’y sommes pas encore et, si je veux être en forme demain, il faut vraiment que le silence tombe, comme ce terrible silence qu’il y avait dans les rues de Pehlřimov lorsque nous avons quitté le club….

 

 

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Mercredi 26 avril 2006, 19 h 30, Bratislava.

 

 

Nous sommes dans le club. C’est, d’après Richard qui nous a négocié la date, le plus gros pub de Bratislava. Il y a deux salles, une grosse salle de concert, et une petite salle très chic, style boite de jazz, avec des chaises en velours rouge, des petites tables en bois, parquet sur le sol, lumières indirectes et un bar éclairé par quelques lumières fluorescentes.

Nous attendons nos pizzas et les musiciens répètent « Les sentimentent », un morceau laissé à leur improvisation.

Ludmila se prépare dans les toilettes.

Nous avons eu un joli temps sur la route, le voyage a été très agréable. Tout le monde se retrouve dans un sentiment d’aventure et d’évasion.

Nous nous sommes arrêtés dans un petit restaurant où nous avons eu un menu délicieux avec boissons et café pour 120 couronnes chacun, c’est à dire à peu près 4 Euro.

 

Chacun en était à quelques confidences, les problèmes sexuels des uns, familial des autres etc. Ludmila, étonnée qu’on en arrive à une telle confiance me dit « Now we’re like a family !»

Dans à peu près une demi-heure nous allons commencer. Mais pas de nervosité, l’équipe se pose dans sa vitesse de croisière, connivence, amitié, respect.

 

Maintenant la balance est terminée, on nous sert les pizzas. Il est temps que je m’arrête, il est 20 h 20, un ange passe…

 

 

 

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Vendredi 28 avril 2006, Košice

 

Le concert à Bratislava a certainement été le meilleur concert qu’ait fait ce groupe. C’était un plaisir de jouer ensemble et de se reposer les uns sur les autres, sans tension musicale. Les tempos étaient parfaits (parfois la nervosité les accélère et ça devient très fatigant) et le confort sonore donnait une clarté qui a fait dire à Ludmila « Ce soir ton chant était parfait, pas une seule fausse note »

Il faut dire que, des fois, le son a une telle épaisseur (tout se mêle dans les basses), qu’il devient très difficile de régler sa justesse.

Nous avons fini de plier nos affaires vers une heure et, l’argent que le patron avait donné pour le concert et pour payer notre hôtel dans la poche de Radek, nous partons nous coucher. Arrivés à l’hôtel, problème ! Le patron a donné 2500 couronnes slovaques et les chambres coûtent le double !

Radek et Karel repartent au club pour essayer de trouver le patron ! Attente… Demain nous nous levons à 8 heures et demie pour aller à Košice…

On attendra une heure…

 

Ceci dit l’hôtel était confortable, typique architecture de l’époque communiste : raideur, efficacité, espaces vides, luxe lourdaud sans subtilité mais quand même fait pour des gens qui ont envie de se sentir importants. Bref, agréable et dépaysant ! Le dernier hôtel où j'étais allé était un Formule 1 où nous avions dormi à quatre dans une chambre ! Un cauchemar !

 

Retour le lendemain à la boite pour aller récupérer le matériel et prendre l’argent qui manquait à notre nuit. A onze heures on décolle pour Košice. Barbara Eydely, la directrice de l’Alliance française, qui organise ce concert, nous a conseillé de prévoir large : la dernière fois qu’elle a fait ce voyage, elle a mis 7 heures. Pour à peine plus de 400 km!...

Nous sommes passés par le Nord, voie plus longue en km mais plus rapide.

A partir de Želina le paysage devient magnifique. Les petites Tatras d’abord, vallonnées, ou plutôt « ballonnées » puisque cela fait vraiment penser aux ballons des Vosges.

Plus loin, la chaîne nouvelle des grandes Tatras, avec leurs cimes couvertes de neige, leurs lacs, chalets, torrents, châteaux de contes de fée perchés sur des rocs… Magnifique paysage que nous avons largement eu le temps de contempler étant donné que la vitesse moyenne vacillait entre 60 et 70 km/h !

 

Radek nous a demandé une petite pose à un endroit bien exposé aux vents des altitudes. Il nous dit : « J’adore cet endroit, j’y suis venu avec mon ex-petite amie, et c’est absolument nécessaire que je boive un café pour honorer ce souvenir ! »

Bon… d’accord… Allez, "Café prosim !"

Nous arriverons à Košice avec seulement une heure de retard. Quand j’appelle Barbara depuis l'endroit prévu pour le rendez-vous elle me dit « vous êtes déjà là ? »

La salle « IC culture train » fait un peu penser à ces anciens cinémas de quartier. C’était à l’époque un centre culturel. Celui-ci a été repris par une jeune équipe très dynamique et ouverte à toutes sortes d’initiatives.

La sono était installée et nous n’avons eu qu’à brancher nos instruments et commencer à faire la balance.

C’est vrai qu’après sept heures de route, enchaîner de la sorte demande une certaine maîtrise de son énergie. On avait tous l’impression d’avoir reçu un coup derrière la tête.

On a eu le temps de bien soigner la balance (c'est le réglage des niveaux, correction des sons etc). Heureusement ! Cela nous a permis de ne pas trop souffrir pendant le concert : la salle vous renvoyait notre son comme s'il venait de quelqu'un d'autre. A un moment cela m’a tellement surpris que j’ai vraiment eu l’impression que quelqu'un chantait à ma place ! Comme un cynique dédoublement.

On se rapproche de la Russie, Dostoïevski n’est pas très loin et son double non plus !

 

Peu de gens à l’heure fixée pour le début du concert (8 heures). On décide d’attendre un peu. Barbara nous dit qu'ils ont placé en dernière minute un concert gratuit d'une star slovaque. A 6 heures, dans une tribune au centre ville. Ceci en rapport avec le train européen (constitué de jeunes Européens qui se déplacent dans toute l'Europe), opération dans laquelle notre concert s'inscrit, en même temps que les semaines culturelles françaises.

Bonne idée que d'attendre un peu. Les gens arrivent progressivement. A neuf heures nous avons commencé et la salle n’a pas cessé de se remplir, jusqu’à l’arrivée des jeunes européens (majoritairement allemands) qui ont fini par occuper le parterre (le public tchèque et slovaque se met toujours en retrait, jamais près des artistes, comme s’il fallait laisser un espace de… sécurité ?)

Comment s'est passé ce concert ? On avait des atouts par rapport au premier concert de Tábor : une plus grande maîtrise du répertoire. Une meilleure homogénéité de jeu. Mais il y a eu aussi de mauvaises surprises dues à la fatigue : des ratés de texte pour moi, et, pour Radek, un cafouillage qu’il ne nous avait jamais fait dans l’introduction de « Frontières » !

Mais bon, cela s’est plutôt bien passé, et dans la bonne humeur. 

Titi comme d’habitude ne veut plus rentrer « On pourra charger demain, on aimerait bien profiter un peu !… »

Le temps de lui faire comprendre que Barbara nous attend pour nous conduire à nos chambres, que Radek et Karel doivent prendre la route dès neuf heures le lendemain, - et nous voilà en train de charger le matériel dans les voitures ! Il suffit d’expliquer !

 

A une heure et demie nous sommes arrivés au centre culturel tchèque qui nous accueillera la nuit. Barbara Eydely est tellement fatiguée qu’elle ne retrouve plus nos chambres dans le sous-sol du centre tchèque. Nous finissons par entrer dans un petit appartement de deux chambres, cuisine, et salle de bain.

Un peu l’impression d’être dans un abri atomique... mais bien contents de  pouvoir s'allonger enfin et de fermer les yeux…

 

Fermer les yeux et voir défiler le flash back de tous ces moments à courir de théâtre en clubs, de clubs en salles de concerts. Voir les bons moments défiler et pas réussir à chasser le souvenir des erreurs, les doutes... Bien sûr, on n’est jamais content de ce qu’on a fait. On voudrait que tout soit parfait, chaque erreur revient comme un remors... Mais en même temps, on a senti que notre message est passé, que nous avons donné à ce public quelque chose de nouveau et qu’il a apprécié. 

Quelque chose qu'il a même parfois été surpris d’apprécier. Comme ce jeune homme hier soir qui vient m’acheter un cd et qui me dit qu’il est un fondateur d’une radio à Prague et qu’il aimerait diffuser deux titres. A la fin de notre discussion il me sort : « Je ne m'attendais pas à ça ! J'ai été surpris, ça m'a vraiment plu ! »

 

Eh bien voilà. Notre tournée musicale s’achève. Un grand merci à tous ceux qui ont permis que cela ait lieu, les Alliances françaises de Košice et de Česke Budějovice, la ville de Tábor, Richard Dušak, Radek, Ludmila, et Alain Jean-André, qui a publié en direct ce journal dans "Le journal de la Luxiotte", revue en ligne que je conseille de visiter car il s’y fait un très beau travail autour de la création littéraire. 

Et merci à Barbara, - qui vient nous chercher pour aller déjeuner tous ensemble à Košice, deuxième ville de Slovaquie, au plein cœur de l’Europe….

 

 

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Dimanche 30 avril 2006, Tábor

 

 

Barbara nous a conduits dans un petit restaurant super mignon de la rue Hrnčiarska ("le céramiste"), autant dire un nom imprononçable. C’était dans une cour intérieure avec des grands parasols à l’effigie d’une bière tchèque. Nous avons mangé des spécialités slovaques délicieuses faites à partir de lard très fondant et succulent, de viandes fumées, de fromages fondus et de choux. Un régal sous le soleil, - exactement !

Puis nous sommes allés retrouver Barbara à l’alliance. Comme elle avait déjà mangé elle n’est restée pas avec nous pendant tout le repas.

A l’alliance nous avons réglé nos affaires, fait un petit bilan du concert et discuté de la situation des français vivant à l’étranger. Barbara est mariée à un Russe et ils ont un enfant. Mais, comme l’un a la nationalité française et l’autre la nationalité russe et que la Russie refuse parfois de délivrer des visas à des diplomates français (et réciproquement), ils ont le plus grand mal à partir en vacances ensemble !

Barbara ne peut pas accompagner son mari lorsqu’il va en Russie et son mari a dû rester 3 semaines à Košice lorsque Barbara est venue en vacances en France la dernière fois ! Situation pas toujours facile à vivre.

Nous avons parlé du journal avec Barbara. Elle me dit « Ah oui, Titi, je voyais très bien qui c’était avant que je le rencontre ! Je le connaissais par le journal ! » Et ainsi de Ludmila et des autres musiciens. La conséquence c’est qu’on a l’impression de nous connaître et que, lorsqu’on se rencontre, les confidences viennent immédiatement ! Barbara et Ludmila se sont mises à discuter comme si elles se connaissaient depuis des années !

Nous avons quitté l’alliance après plus d’une heure. Les nouvelles pages ont été expédiées depuis leur ordinateur. Nous sommes tous sortis ensemble car il était 15 h 30. Et le personnel de l’alliance était ravi de partir pour un week-end de trois jours (1er mai inclus). Barbara a pris sa voiture, et Marianna, une jeune femme de Prešov travaillant à l’alliance, nous accompagne en ville. Elle nous conduit jusqu’à la rue Hlavná (« grande »), rue piétonne et centrale. Elle nous montre la fontaine qui chante (magnifique ensemble de jets d’eau synchronisés à la musique qui vient de quelques hauts-parleurs), le carillon contemporain, qui, toutes les heures, diffuse une musique du folklore slovaque, la cathédrale, le théâtre national…

C’est très agréable de pouvoir enfin se promener calmement dans une ville, après en avoir traversé plein sans rien voir !

Ludmila veut faire du shopping mais les premières boutiques commencent à fermer. Un superbe magasin Bata (savez-vous que Bata était un tchèque, fabriquant de chaussures, qui a émigré au moment du putsch communiste, et est allé s’installer en Amérique du Sud pour continuer ses affaires ?) restait ouvert jusqu’à sept heures, la majorité des magasins fermant à six.

A huit heures nous avons rejoint Titi et Biniou qui nous attendaient au centre tchèque, allongés sur leur petit lit.

 

Là va commencer un épisode difficile de notre séjour.

Nous avions prévu de rentrer le lendemain mais Titi, qui voulait voir Dana, avait demandé de rentrer pendant la nuit. Cela écourtait un moment de repos qui, vu la série des concerts passés, était bien nécessaire. Négociations, on finit par conclure un accord, on partira dans la soirée mais, en échange, Ludmila demande à ce qu’on ne fume pas dans la voiture et qu’on n’écoute pas de musique pendant le trajet. D’accord. Un avantage sur le voyage de jour sera qu’on pourra rouler plus tranquillement. Le jour, sur les petites routes pleines de camion, c’est infernal.

Après un course en ville pour trouver un Kebab (où ils ne vendent pas de nourriture végétarienne, Ludmila ne mange pas de viande) on part à 21 heures. On fait quelques kilomètres, message de Barbara „vous avez oublié de laisser une clé au centre tchèque“ je cherche dans ma poche, merde! La clé de la chambre que j’avais d’abord laissé sur la serrure! On, retourne. On repart à 10 heures.

Je conduis jusqu’à 2heures et demies. Titi et Biniou se sont lancés dans une longue discussion politique à laquelle je participe parfois. Ludmila ne comprend rien. Ca tchatche, ça tchatche. En gros la question est comment, de plus en plus, les libertés individuelles disparaissent. Titi, gros téléchargeur de musique sur Internet, a du cesser de le faire puisqu’il a eu quelques problèmes avec la justice. Il n’a pas digéré cette restriction. Fait étrange, on dirait que pour eux l’Europe est à l’origine de cette perte de souveraineté. J’en doute. Je pense qu’Europe ou pas, la technologie a tellement évolué que n’importe quel pouvoir l’utiliserait pour contrôler sa population. Et puis, dans cette population, il y a quand même des mafias terribles qui ont toujours profité des frontières entre les états. Mais il y a certes quelques peurs fondées dans le discours de mes amis musiciens.

Ils parleront plus tard de leur sortie de l’école à la fin du collège. Biniou garde de l’école un souvenir terrible. Il accuse le système scolaire, il a vécu les heures de cours comme des heures d’emprisonnement. Titi pareil. Son père, à sa sortie de l’école lui dit "tu as voulu quitter l’école, maintenant tu vas travailler" Frustration : "je voulais faire de la musique depuis très longtemps mais il ne m’a pas entendu, - la musique c’était pas un travail"

Trait curieux, tous les deux on fait la même formation professionnelle : "pâtisserie". Puis, après, travail à l’usine pour Titi, dans quelques entreprises pour Biniou. Jusqu’à ce qu’ils décident que c’en était fini et qu’ils commencent à essayer de vivre de la musique. Titi dit "Ce qui m’énerve, c’est qu’en ne gagnant pas vraiment d’argent, je donne raison à mes parents.“

Pour qui comprend la conversation, c’est intéressant et prenant. Pour celui qui comprend pas, c’est du bruit, des blablas interminables.

Biniou prend le volant. 3 heures. Titi est passé devant, à côté de lui. Et ils recommencent à parler. A peine moins fort, mais quand même, impossible de dormir. De plus un courant d’air frais vient de la soufflerie car il pleut des cordes et on est obligé d’aérer si l’on ne veut pas que la buée recouvre le pare brise. Ce n’est pas plaisant derrière. Je sens Ludmila qui commence à soupirer, à se tourner et se retourner.

Trois heures et demie Ludmila me dit (en anglais comme d’habitude, je traduis) „S’il te plait, demande leur de parler moins fort, je n’en peux plus“ De leur côté, il est clair que la fatigue tombe aussi et que parler c’est lutter contre l’engourdissement. Je lui dis „Ludmila, c’est à toi de leur demander“ Elle leur dit gentiment : "est-ce que vous pourriez parler un peu moins fort" Titi prend la mouche "pas de musique, pas de cigarette et en plus il ne faut pas parler!" Je n’aime pas cette façon de réagir. Je prends la défense de Ludmila "Vous nous imposez un voyage de nuit alors qu’on avait prévu de dormir tranquillement à Kosice, parce que tu as prévu de voir Dana, on prend quand même la route. Il est trois heures et demie et on ne peut fermer l’oeil. Quand Biniou a dit qu’il allait dormir avant de prendre le volant, à un moment je parlais et Ludmila m’a fait „chut“ en me montrant Biniou qui dormait derrière. C’est normal. On s’est tu. Pourquoi vous ne feriez pas la même chose? C’est le moindre des respects. Vous ne pouvez pas nous prendre en otage de la sorte, on a le droit de pouvoir dormir !"

Le mot "prise en otage" est mal passé. A la prochaine station ils s’arrêtent. J’imagine que la conversation qu’ils ont n’est pas très enjouée. Ils reviennent, reprennent la route, sans parler. Mais la tension est grande et durera jusqu’à la fin du voyage. Très lourd !

 

Cette longue séquence n’est pas seulement pour faire dans l’anecdote. Elle a aussi une signification qui dépasse notre petit groupe de musiciens.

Nous sommes six, avec des différences sociales, culturelles, nationales marquées. Aucun élément naturel aurait pu mettre ces gens en présence. Biniou, Titi et Radek s’inscrivent dans une mouvance très ouverte de fréquentations populaires, bars, fêtes et ivresses, jazz, rock, amis, voire bandes d’amis. Karel, depuis qu’il a rencontré sa petite amie (encore une histoire de femme mariée et malheureuse) a un peu changé et, disons que, maintenant, il a une vie mixte, plus modérée que les premiers, un peu semblable à ce que je peux vivre à Besançon. Ludmila quant à elle est dans un parcours professionnel plus balisé, certainement plus responsable, disons qu’elle assume une vie d’adulte, ce qui est le dernier des soucis de nos adulescents.

Les longues conversations que nous avons, nous, français, n’est pas du tout une spécialité de la culture tchèque. Ludmila un jour me dit : „C’est dans une des premières leçons d’un manuel tchèque de Français : Monsieur Dubois rencontre monsieur Novak. Ils parlent de Charles.

-         Que pensez-vous de Charles monsieur Novak?

-         Oh, je l’aime bien, c’est un homme très sympathique

-         Alors que diriez-vous de venir à une petite réception qu’il organise ce soir à l’occasion d’un anniversaire?

-         Oh non merci! Je vais rentrer chez moi continuer mon livre tranquillement. Vous savez, je n’aime pas trop ces conversations inutiles qui durent des heures. Non, ce n’est pas mon hobby. Vous savez, j’aime bien Charles mais il est vraiment trop bavard pour moi. En fait, je l’aime bien quand je ne suis pas avec lui dans ses longues conversations.

 

Si en plus, on prend en compte la différences des itinéraires de vie, Ludmila et ses deux doctorats et la fuite de l’école de Biniou et Titi à quinze ans, il est évident qu’il n’est pas facile de marier les affinités et de faire face à toutes les situations.

Pourtant, je dis à Ludmila "même s’ils l’ont fait à contre cœur, Titi et Biniou ont arrêté de parler, n’ont pas fumé et n’ont pas écouté de musique pendant le voyage." Et je dis à Biniou et Titi : "Même si elle n’aime pas les réceptions, Ludmila vous a invité deux fois chez elle, vous a fait à manger des spécialités longues à préparer et, la cuisine, c’est pas sa tasse de thé ! A Kosice elle vous a prêté de l’argent ; dans la station où on a mangé elle a donné ses dernières couronnes à Titi pour qu’il puisse s’acheter un sandwich et du coup, comme je n’avais plus rien, elle n’a pas pu manger. Pour la deuxième fois car, dans le Kebab, il n’y avait rien sans viande.“

Essayer de faire valoir les efforts que chacun a à faire, et que chacun fait, pour se mettre à la portée de l’autre, pour unir des mondes séparés.

Moi, personnellement, je trouve qu’arriver à trouver des terrains d’entente, c’est génial. C’est en fait se dépasser soi-même, c’est une autre façon de "passer les frontières"!

 

Et puis, et surtout, ces différences, lorsque nous sommes en concert donnent au groupe des couleurs rares, puissantes et qui font notre succès auprès du public, - qu’il soit tchèque, slovaque ou français.

C’est le miracle de notre formation, ce qui fait que nous sortons de ces normalisations que l’on reproche souvent aux dirigeants européens.

 

Et c’est là mon point de conclusion.

 

En quelque sorte, ce sont des initiatives comme les nôtres qui construisent la vraie Europe, non l’Europe du fric presque crapuleux des grandes sociétés, non l’Europe de la banalisation, de la normalisation, mais l’Europe du mélange d’énergies, de richesses pas toujours simples à combiner, mais que le miracle de projets collectifs peuvent arriver à faire agir ensemble et dans la même direction.

 

Ce groupe est composé de fortes personnalités, toutes très riches et ayant toutes un fond humain généreux et respectueux. Et, même lorsque nous frisons la catastrophe, dans des moments où les spécificités se heurtent, je garde confiance, je crois en eux et je sais que l’estime gagnera la partie.

 

Musicalement, entre la maîtrise harmonique et rythmique de Titi, qui, en outre, a une culture de la chanson très proche de la mienne ; entre la disponibilité et la passion pour son instrument, la batterie, de Biniou ; entre la virtuosité harmonique et d’interprétation de Karel ; l’intérêt pour la teneur internationale de notre musique de Radek ; la culture savante de Ludmila dans l’histoire de la musique contemporaine qu’elle enseigne, et sa profonde connaissance des folklores que son doctorat sur Novak l’ont amené à explorer en profondeur, - je crois vraiment que vous avons dans les mains des éléments extrêmement puissants, extrêmement originaux, et que la recette, parfois explosive, n’a pas fini de surprendre et de convaincre.

 

Reste donc, à chacun, de devenir un peu druide, et à tous veiller à ce que le chaudron n’explose pas, chacun y amenant son ingrédient avec nuance, avec mesure. Ainsi nous pourrons vivre de grands moments qui n’auront rien à envier aux odyssées d’Astérix et Obelix!

 

Car, n’oublions pas, nous faisons de la musique populaire !..

 

 

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Mercredi 3 mai 2006, Besançon

 

Le temps passe trop vite ! Je voulais écrire depuis Tábor notre dernière journée passée là bas mais nous avions tant de choses à faire avant le départ !

Notre dernier jour était donc dimanche. Nous avions un gros programme. D’abord trier le matériel et charger notre voiture pour le retour. Nous avons oublié un pied de guitare. Ca va. J’ai aussi oublié mon blouson. Ca va. Ah ! j’ai aussi perdu mon accordeur. Ca… pourrait être pire…

Ensuite, Ludmila avait prévu que nous allions au vernissage d’un artiste de Tábor mondialement connu.

Kristian Kodet est le troisième numéro d’une lignée d’artistes. Fils et petit fils de peintres et sculpteurs. Son grand père a fait aussi une série de photos de ses modèles et c’est tout à fait curieux que l’une d’elle avait un corps presque similaire à celui de Ludmila. Mais bon, on va encore dire que cela ne regarde que moi…

Donc, Monsieur  Kodet  a créé un musée à Tábor présentant ses œuvres et celles de ses père et grand-père. Pendant le pouvoir communiste il est allé vivre aux Etats Unis. Il s'est fait connaître à New-York où il a vécu pendant des années, et, l'année dernière, il a réalisé une exposition à Hollywood où il a dû vendre ses tableaux à quelques stars. Il est donc considérablement riche. Son musée est installé dans une très belle maison de la vieille ville qu’il a restaurée en laissant aux pièces leur aspect original. Il est propriétaire d’autres maisons, toujours restaurées dans le style original et meublées de pièces de valeur.

Le Maire de Tábor était présent au vernissage et il nous a salué, Ludmila et moi, avec un large et avenant sourire, - preuve que notre concert a laissé une bonne impression. Les Maires sont des sortes de baromètres. En les saluant on sent ce qu’on leur dit dans les couloirs. C’est probablement pour cela que Monsieur Fousseret est toujours gêné quand il me croise. C’est normal. Je sais que le service culturel m’adore, enfin certains fonctionnaires. Je me dis que si nous vivions dans une politique à la soviétique, certaines personnes du service culturel m’auraient déjà envoyé visiter leur camp à Mouthe (la petite Sibérie).

On a de la chance de n’avoir jamais été tchèques ou Slovaques, ou Russes !

Combien d’artistes auraient été brisés, harcelés, humiliés.

Les gens sont partout les mêmes, ce ne sont que les pouvoirs qui changent.

Heureusement nous n’avons pas connu ce que nos amis de l’Est ont du endurer...

Mais Kristian Kodet  a réussi à s’échapper aux États Unis où il a connu un confortable succès. A la Révolution de velours, il est revenu riche et, comme il est ami avec l'actuel président, Václav Klaus, le retour s’est fait à bras ouverts.

Un homme comblé en somme.

Longue conversation avec sa fille, qui vit encore la moitié de l’année en Amérique où elle est née. Mondaine, très drôle, parlant un anglais tout à fait compréhensible, un verre de vin blanc tous les trois à la main, nous sommes restés les derniers à parler et à rire.

 

En sortant de chez Kodet nous sommes allés rejoindre nos amis qui étaient en pleine garden party.

Alena, la petite amie de Radek, qui a pas loin de dix ans de plus que lui je crois, a derrière sa maison un joli jardin, spacieux, avec un barbecue au milieu. Toute la bande était là sauf Karel qui avait joué la veille jusqu’à l’aube et qui était allé se coucher.

Titi était un peu chose car il avait passé la nuit avec Dana qui l’avait intronisé dans la maison de campagne de ses parents. Biniou, les yeux dévorés de désir s’entretenait avec Hanka, la fille d’Alena, sous le charme duquel il plane depuis notre arrivée. Pas de bol, Hanka sort depuis un mois avec un grand baba cool aux yeux perçants qui, c’est pratique, habite dans la maison voisine de celle de sa mère. Ca n’empêche pas Biniou d’être sur son petit nuage qu’il consolide en échangeant des joints avec Hanka. Façon indirecte de se faire des bisous.

 

Radek est hilare. De la soirée est son ex girl friend, une jolie brune avec qui il disparaîtra presque une demie heure. Je n’insinue rien, je ne fais que relater des faits.

Régulièrement aussi Radek prend une grande cruche d’au moins trois litres et va le remplir de bière dans le bar d’à côté.

Titi prend la guitare et joue du Higelin, puis du Gainsbourg qu’on chante tous les deux. Un type avec une bonne grosse tête et un chapeau dessus chante aussi de temps en temps, d’une voix basse et profonde, des chansons un peu mélancoliques qui pourraient faire penser à du Léonard Cohen… s’il ne chantait pas en tchèque !

 

Un géant de plus d’un mètre s’en vient parler avec Ludmila. Il a des percing aux oreilles et l’air d’un grand enfant. Ludmila l’écoute en riant. Elle me dit plus tard qu’il était amoureux d’elle quand ils étaient au primaire et qu’il vient de lui dire qu’elle n’a pas changé ! Elle est ravie. Normal, les femmes aiment qu’on les flatte et qu’on les courtise gentiment. Je ne m’en plains pas non plus. Je l’aime bien quand elle est à l’aise et qu’elle a l’air heureuse.

 

Le soleil baisse. Un réverbère projette l’ombre d’un arbre sur le mur de la maison. Au dessus du toit, la flèche du clocher de l’église de Tábor. C’est beau et tourmenté.

 

Le géant demande à Ludmila : « Alors c’est lui ton Anglais ? » Ludmila lui répond : « Non, avec mon Anglais c’est fini depuis huit ans, lui c’est Philippe, il est Français ! – Ah, tu préfères les étrangers ! » Il finira par me serrer la main. Après tout, on est dans la même fête et on a les mêmes amis.

 

On rentrera dans la soirée. Un peu gais, prêts à rebondir sur la moindre blague… On a même fait escale au bar de l’hôtel Nautilus qui, après deux ans de travaux, est enfin ouvert au public. Une vraie merveille dont les intérieurs ont été conçus par le fils de Jára, Peter Novotny. Des œuvres originales d’artistes contemporains partout, c’est un vrai écrin. Nous avons parlé avec le barman qui est aussi peintre et qui a déjà travaillé dans le monde entier. Je filme Ludmila, elle me dit devant l’objectif : « Je t’aime ». Eh oui, la vie est belle…

 

Finalement les ombres ont été effacées.

Chacun garde un souvenir profond de ces deux semaines passées ensemble.

Chacun les regrette déjà…

 

Le lendemain, en route, Titi et Biniou parlent de leurs inquiétudes de rentrer en France. Les factures, les problèmes d’argent, et un peu l’ennui aussi. Titi dit qu’il considère maintenant que Dana est sa petite amie : « je rentre en France mais je reste avec elle »

Biniou est encore dans son petit nuage : « Hier à la fête elle m’a dit que j’étais quand même son amour ! »

A un arrêt d’autoroute nous croisons un groupe de Français. Bruyants, braillant des banalités. Biniou et Titi les regardent atterrés : « Merde, ça y est, on y retourne ! »

 

Allez ! Ne vous inquiétez pas, le vent nous remportera !

 

 

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