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Vendredi 1er juin, 1 heure

Un nouveau cahier qui commence avec des bonnes nouvelles.

Tout d'abord une exposition (collective) qui commence aujourd'hui (mais après dormir c'est en fait demain, même si demain restera aujourd'hui, - c'est le conflit des chiffres et des corps...) J'y présente trois photographies que j'avais réalisées dans une série sur le travail d'E.B.C.Y., (Manu pour les intimes) il y a de cela quelques années... trois peut-être, quatre... Manu avait vécu deux ans en Afrique, au Ghana, et elle en avait ramené un container d'objets invraisemblables : algues, bâtons, perles (des tas) souches, et tout un bazar de récupes et de broques. A partir de ces objets elle a réalisé des sculptures et m'avait demandé d'en faire des photos. La série "Une certaine vision de l'Afrique" en a découlé. J'ai demandé à trois amis de poser et j'ai mis en scène tout ce petit monde très sympathique, Chloé, Myriam, José et les sculptures.

 

Voici une des trois photos que j'expose demain :

 

Par ailleurs, j'ai reçu il y a dix jours un appel d'Alex, notre "correspondant" à Moscou,  qui m'annonçait que la revue Territoria, de Saratov, désirait nous commander un concert à l'occasion de leur dixième (ou vingtième?) anniversaire. Nous sommes donc en train d'organiser tout ça. C'est tout une affaire, entre les passeports qu'il faut faire, le voyage qu'il faut prévoir, et tous les problèmes de tout un chacun ! Mais c'est passionnant car je suis très heureux de retourner à Saratov, d'y retrouver quelques amis dont Serguei Karmeev qui nous a décroché ce contrat. 

Il y a quelques années je lui proposais d'organiser un échange de résidences, lui aux Salines d'Arc-et-Senans, moi à Saratov. La roue tourne et les balles se renvoient. C'est ça les vrais amis, ceux qui vous renvoient la balle !

Aussi une nouvelle chanson vient d'être accouchée ce week-end. Je recherchais les diapos de la série "Une certaine vision de l'Afrique" et j'ai du retourner mon appartement. Ce qui m'a valu d'exhumer des tonnes de souvenirs, relire des lettres anciennes d'amoureuses, des heureuses, des pas heureuses, retrouver des photographies oubliées, revoir encore Théo grandir, des portraits aussi de mes amours mortes.... Bref ça m'a pris tout mon dimanche cette plongée dans mon passé. Et c'est dans ce travail archéologique que j'ai retrouvé des chansons (textes) que j'avais écrites quand j'étais à Paris, en 91-92. Il y en a encore des perdues, et notamment une que j'aimais beaucoup. Mais enfin, j'en ai retrouvé pas mal et même certaines intéressantes.

J'ai donc appelé mon ami Samuele qui recherche des chansons en Français et lui ai proposé de passer faire son marché parmi ces reliques. Il en a choisi trois je crois, que je me suis empressé de taper et de corriger un peu. Et je m'en suis gardé une.

Avec les expériences des quatre années passées, je suis devenu compositeur. Cela me surprend toujours de me voir "compositer". Autant quand j'écris un texte je sens que je possède des outils théoriques, une certaines maîtrise du sujet, mais autant la composition m'apparaît toujours comme un miracle venu d'on ne sait où...

Alors, après avoir immédiatement identifié les problèmes de ce texte qui ne me satisfaisait pas quinze ans auparavant (parce que justement il y a maintenant mon expérience de compositeur qui m'aide à voir les textes comme des chansons et non comme des poèmes) je me suis mis à couper dans mes vieilles idées et à en sortir un début de chanson acceptable.

Le soir même je cherchais sur ma guitare ce que j'avais entendu dans ma tête (les musiques naissent dans une partie inconnue de ma tête) et tout ça pour aboutir à "Ilhem, Révélation", la nouvelle chanson.

Je ne vous cache pas que je suis le premier à être surpris quand une nouvelle chanson naît. Je suis un peu comme les premiers hommes qui croyaient que les enfants étaient un don des Dieux car ils ne comprenaient pas que c'était en copulant qu'ils les concevaient. Moi avec les chansons c'est pareil. Il doit y avoir une copulation quelque part mais je ne sais pas où. Et plof, un jour ça tombe ! Un vrai don du ciel !

En tout cas, pour le texte de cette chanson, je sais que l'idée remonte à mon année comme professeur en Algérie. C'était en 1984. C'était l'époque où les jeunes commençaient à se laisser pousser la barbe et où les meilleures élèves, filles, se passaient le turban. Les filles, et les plus douées, elles le faisaient car aller à l'Université Islamique était leur seule chance de poursuivre leurs études. Une de mes élèves s'est mariée en cours d'année avec un professeur de Français algérien. Bien que mon collègue ait été un jeune homme très ouvert et d'apparence progressiste, je n'ai jamais revu mon élève, sa femme, dans mes cours après le mariage.

Alors que je surveillais les épreuves du bac, j'avais complètement flashé sur une étudiante qui était d'une beauté fascinante. Après l'examen, elle était venue me voir pour me demander de lui écrire un mot et le signer. On m'avait jamais demandé un truc pareil et cela ne m'est pas arrivé à nouveau jusqu'à ce que je devienne chanteur ! 

J'avais donc 24 ans, elle en avait dix-huit, il n'y avait pas de quoi faire un drame. En revanche, le lycée fermé, je ne l'ai plus revue. Ain m'Lila n'était pourtant pas une grande ville, mais on sait que dans ces villes des mille et une nuits les rues ne sont pas pour les filles....

Bref la jeune femme s'appelait "Ilhem" et on m'avait dit que ce prénom signifiait "Révélation". 

Oui, en effet, notre rencontre en avait été une....

Et c'est pourquoi la chanson se termine par :

"Mais dans ton beau pays, 

avec ses nom fleuris

L'amour c'est pas permis

Pas de Révélation..."

 

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Lundi 4 juin 2007

Avant dernier soir avant un nouveau départ en République tchèque. Je suis sous tension car les concerts du 20 juin approchent et nous n'avons toujours pas de date pour la fête de la Musique. Je devais avoir une information ce soir mais Jean-Paul, mon Paulo, n'est pas venu à notre rendez-vous et son téléphone n'a pas répondu à mes divers appels. C'est étrange car ce n'est pas le genre de Paulo. J'en suis même un peu inquiet. J'espère qu'il ne lui est rien arrivé. 

Donc on devrait avoir des nouvelles demain. Mais si elles sont mauvaises, comment faire ? Je n'aurai pas le temps de m'en occuper à temps ! Une semaine en Tchéquie, ce n'est pas la meilleure place pour négocier des dates.....

En revanche j'ai eu une bonne nouvelle aujourd'hui. Le théâtre Bacchus nous a programmé le 18 octobre et, France Bleu Besançon viendra enregistrer le concert pour le publier dans un programme de 50 minutes qui sera diffusé sur leurs ondes et sur deux radios suisses ! Je suis très content qu'enfin une salle nous accueille à Besançon et qu'en outre une radio nous fasse un peu exister.

La chanson a besoin de promotion. Et de salles appropriées. Dans un bar, peu de gens arrivent à saisir ce que vous racontez. Le bruit des consommants qui continuent de parler ; des acoustiques inappropriées... Il n'y a donc que la musique qui passe. Donc la moitié. Et puis la chanson est plus un spectacle qu'une animation. Dans une salle de spectacle la chanson peut vivre dans toute sa dimension.

Comment allons-nous être accueillis par le public Russe maintenant, qui ne comprendra pas non plus ce que je vais raconter ? Je crois que l'exotisme de notre langue remplacera les signifiés absents. Je l'espère en tout cas.

Au fait, ai-je écrit que je suis allé voir, jeudi dernier, le premier concert de Théophile ? C'était au Tev', le théâtre de Vesoul, dans le cadre d'une soirée organisée par le collège Jean Macé. Il y avait deux groupes, dont celui de Théo, et une chorale qui a interprété une dizaine de chansons contestataires, ou du moins humanistes.

Théo et son groupe ont interprété trois chansons : une de Tryo, une de Louise Attaque et une d'Olivia Ruiz. Théo a chanté sur les deux premières, a joué du violon sur Louise Attaque et du piano sur les deux autres. J'étais tellement ému de le voir et de l'écouter que j'en ai pleuré. En plus il y avait vraiment des bonnes choses ! A quinze ans c'est super de faire de la musique comme cela ! 

A 47 ans ça devient un autre combat...

On en arriverait presque à la question : "Ca sert à quoi la chanson ?" Certes ça sert à divertir les foules. Mais comment les divertit-on les foules ? Il y a tellement de facteurs qui entrent en jeu. Mais il y a dans l'air une séduction évidente et, à 47 ans, pour séduire des gamines de 15 ans, ça commence à devenir difficile ! Alors quelles sont les autres "séductions" possibles ?

La chanson c'est léger souvent mais pas toujours. La chanson c'est peut-être aussi une histoire d'émotion. Quand une jeune femme craque pour un beau chanteur, elle a une émotion. Mais la gueule du chanteur ne fait pas tout non plus. C'est donc un truc entre deux eaux la chanson, un truc un peu incernable, qui arrive quand même, pour certains professionnels, à s'enfermer dans des grilles de consommateurs.....

C'est ainsi que je me suis vu entendre dire par le directeur de Radio Bleu Besançon, Pierre Desaint, que je faisais partie des cibles.... "Puisque vous être pile dans la cible, nous sommes vraiment intéressés pour réaliser les "Jeudis bleus" avec vous"... Sur le moment, j'étais tellement content qu'il soit intéressé que je n'ai pas réfléchi. Mais qu'est-ce que cela signifie d'être dans la "cible" ? Et s'il m'avait dit "Désolé, vous n'êtes pas dans la "cible"....

J'ai cru comprendre que le fait de faire de la "chanson française" me fait tomber d'emblée dans le mille. La radio c'est pour la chanson. C'est pas pour le hard rock. En tout cas pas ces Radiola. Mais peut-être qu'il y a d'autres critères ?....

D'un autre côté, quand vous allez frapper aux salles de musiques actuelles, vous avez un peu l'impression de ne pas tomber dans le mille. Vous n'êtes plus chez Radiola mais plutôt chez Black et Decker... La radio serait elle un remède à nos maux de mal aimés des boites à zic chébran de chez nous ?

On ne nous dit pas ici "ça pète pas assez" mais "vous êtes dans la cible" A chacun son vocabulaire, - mais si on arrivait à trouver not' place, le vocabulaire, on s'en taperait volontiers !

Alors allons-y vers la cible en zigzagant gaiement comme des hirondelles au printemps ! Et laissons tomber les pourquoi et les comment. La chanson c'est magique voilà tout et si on se sent magicien, autant se jeter dans le chapeau ! On verra s'il y a quelque chose au bout du tube, - ou plutôt : s'il y a tube au bout du trou !

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Tabor, un samedi matin (9 juin 07)

Je relisais la page précédente et il me faut tout de suite calmer mes inquiétudes du début de la semaine : la date du 21 juin est confirmée ! Nous aurons donc nos trois concerts comme prévu, trois concerts indispensables pour rembourser à Karel ses frais de déplacement depuis Tabor. Nous allons donc partager une scène installée dans le quartier Rivotte, face à une demie douzaine de restaurants et cafés, entre le Doubs nonchalant et la Citadelle fière de ces mille néons. Le groupe qui partagera la scène avec nous est constitué d'autres compères de Paulo, les "Poule et Poux Laids". Ils sont trois, Paulo joue de la planche à laver, Jean-Pierre Mazet joue de l'harmonica et Dominique Poular joue de la guitare et chante. Leur répertoire folk-country américain n'est pas ma tasse de thé mais ils sont vraiment sympathiques. Donc je pense que ça va être une soirée très sympa et je m'en régale d'avance.

Mais ne grillons pas les étapes, pour l'instant nous sommes bien à Tabor. Il fait un temps magnifique et nous serions allés nous baigner hier dans un étang si je n'avais pas chopé un chaud et froid, ce qui m'a fait préférer rester à la maison. Nous avons quand même dîné hier soir dans le petit jardin de Ludmila, aux chandelles sous le parasol jaune au branches de bambou, en compagnie du chat Boubák qui veillait, à l'angle d'un mur, que personne ne vienne nous déranger.

Avant hier nous avons passé la nuit et la journée à Česke Budejovice. Ludmila qui fêtait la fin de l'année avec les élèves du conservatoire m'avait demandé de la rejoindre dans la capitale de Bohème Sud. Nous avions prévu de rentrer à Tábor le soir même, mais je suis arrivé tellement tard que Ludmila s'est arrangé avec une amie pour que nous dormions dans la pension dont elle est gérante. La chambre étant sous les toits, il est vrai qu'il faisait un peu chaud, malgré les deux velux grands ouverts. Comme nous étions face à la gare, on entendait régulièrement la musique précédant les messages d'informations horaires puis les messages qui se réverbéraient dans la nuit. De temps en temps un train passait... D'ailleurs ces velux étaient joliment placés puisqu'ils réfléchissaient nos deux corps que la lampe de chevet éclairait très joliment. Le temps passa d'une façon qui ne se commente pas dans un tel journal, nous avions beaucoup de choses à nous dire, et à nous donner cela va de soi... Et soudain j'ai découvert que le ciel au dessus de nous n'était plus noir, mais de ce magnifique bleu qui est pour moi la plus belle des couleurs. C'est d'ailleurs pour cela que je l'ai choisi comme fond d'écran de notre site Internet (et de notre profil myspace).

Oui, j'adore la couleur du ciel lorsqu'il passe à la nuit et lorsqu'il revient au jour. Ne sont-ce pas les plus belles heures de la journée ? Le soleil c'est très bien mais ça révèle trop de couleurs. Et c'est le bordel. Bergman disait que pour lui, l'heure du zénith lui évoquait la mort. Et, autant dans les "Fraises Sauvages" que dans "L'heure du Loup" il a filmé des scènes extrêmement "noires" et cauchemardesques dans la violente lumière de midi.

Non, lorsque le jour plonge dans la nuit et la nuit se change en jour, la délicate lumière d'un bleu profond baigne les choses d'un voile de douceur que les lumières artificielles relèvent de leurs touches de couleurs oranges, rouges, jaunes, vertes.... 

Nous avons passé notre tête par le velux ouvert et nous avons contemplé, Ludmila et moi, nos torses nus par dessus les toits, le manège étrange de cette gare en face de nous avec ses sémaphores, ces réverbères et tant de lumières surprenantes. Peu de gens évoluaient sous le ciel bleu nuit, quelques voitures vrombissaient dans le cañ on des rues, et l'air frais du matin s'immisçait dans notre chambre surchauffée par les rayons du jour.

Après une nuit un peu courte, nous sommes allés déjeuner dans un restaurant situé sur une place plantée de nombreux arbres, avec une grande terrasse aux tables et aux bancs en bois. Un étudiant de Ludmila travaille là et il avait conseillé à son professeur d'y venir manger. Nous apprîmes que les étudiants avaient fait la fête jusqu'à sept heures du matin et que beaucoup avaient dû rejeter sauvagement le trop d'alcool qu'ils avaient bu. Il paraît qu'ils boivent un mélange de vin rouge et de coca cola qu'ils appellent "houba", champignon. Beurk! Pas étonnant qu'ils aient été malade. En tout cas le conseil était bon quant au restaurant de midi : pas cher, bonne chair et terrasse agréable.

Ensuite Ludmila est partie pour deux heures de cours au Conservatoire et je suis allé visiter l'Alliance française en espérant que le Directeur, Nicolas Roussel, pourrait avoir un moment de libre. Il pouvait. Depuis qu'il est arrivé en poste, l'année dernière, nous nous étions toujours parlé par téléphone. Nous sommes donc allés boire un café dans le bar qui se trouve à l'étage sous l'Alliance, "Le chat Noir" et nous avons discuté longuement, tâchant de trouver une solution pour financer une série de concerts l'année prochaine. Nous avons reparlé de ce refus du Conseil Régional, de la DRAC et de l'AFAA de nous accorder 2500 € pour cette tournée. A trois ! Cela leur faisait moins de 900€ chacun ! Une honte ! Sachant qu'il y avait une demande de l'alliance, de la ville de Tabor, que notre formation est franco-tchèque et que, même dans les chansons il y a un mélange de Français et de Tchèque ! Ce refus est une pure absurdité ! Et il vient d'un Conseil Régional a tendance socialiste ! Bravo ! Qu'ils s'étonnent maintenant d'avoir laissé le champs à Sarkozy ! A force de décevoir les gens de leur bord ! Je suis vraiment surpris par le nombre de gens votant socialiste avant et qui m'ont dit qu'ils avaient voté Sarkozy ! Quels arguments donner à ces gens de voter autrement alors que votre parti vous déçoit de la sorte !

L'invitation par la revue "Territoria" à venir jouer à Saratov, aux conditions que nous avons fixées, est la conséquence d'une résidence d'artiste que j'avais fait à Saratov en 2003. Cette résidence avait été aidée par la même commission Conseil Régional/AFAA (je ne sais pas si la DRAC était déjà dans le coup). A cette époque le Conseil Régional était à droite et son Directeur de la Culture était Laurent Decol, un artiste (mime) de la Région, qui avait fonctionné avec une association exactement comme je le fais. Cet homme n'était pas un vrai homme de droite. Mais il était ami avec un Président de Conseil Régional, en l'occurrence de droite. Je me souviens que Laurent Decol, qui m'a toujours reçu dignement (et m'a toujours expliqué ses refus, car il y en a eu) avait dû menacer l'AFAA de mettre fin à leur collaboration s'ils continuaient de privilégier leurs projets dans les choix de cette Commission. Ce bras de fer avait porté ses fruits car, après un premier refus, la Commission a finalement accepté notre projet l'année suivante. Cette aide maintenant porte ses fruits. Nous sommes invités par une revue Russe qui va prendre en charge l'intégralité des frais de voyage et le cachet des musiciens ! 

Et maintenant un Conseil Régional de gauche se fait à nouveau mener en bateau par le petit monde parisianiste de l'AFAA alors qu'il y avait une vraie demande de structures françaises et tchèques pour que nous venions jouer chez eux ! Et ceci en pleine période électorale ! Mon Dieu, mais le parti socialiste serait-il dans une période suicidaire ?

Passons, passons... Pour revenir à Ceske Budejovice, je voulais dire aussi que j'ai découvert cette ville sous un jour nouveau (j'étais venu en hiver ou le dimanche). La ville est de plus en plus vivante et réellement magnifique. Dans les ruelles pavées, sous les arcades du centre ville, dans le parc qui longe la rivière en bordure de la vieille ville, partout une ambiance souriante et décontractée. Beaucoup de petits bars-restaurants à la décoration originale, des terrasses ombragées, certaines à l'étage et dominant des ruelles médiévales où on s'amuse à voir les marcher les passants à leur insu ! Nous avons même surpris un concert organisé par l'école de musique sur une place à l'excellente acoustique, concert d'élèves dont la qualité ferait rougir la grande majorité de nos écoles de musique Françaises. C'est incontestable, la République tchèque a un niveau très supérieur au nôtre dans l'enseignement artistique en général, et musical en particulier.

Ce soir, si mon rhume le permet, nous irons nous baigner dans un étang du coin, car la Bohème sud regorge de ces plans d'eau. Nous irons en fin de journée car j'ai oublié de prendre un maillot de bain. Alors oui, si vous ne savez pas où aller pour vos vacances, n'hésitez pas à venir en Bohème sud ! C'est le pied !

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Lundi 11 juin 2007, Tabor.

Je me suis installé à la terrasse de la pension Alfa, en face chez Ludmila, qui propose à ses clients une connexion  wifi. Très pratique. Il fait chaud et heureusement quelques nuages tempèrent la chaleur du soleil. Un petit groupe de touristes passent, je remarque qu'ils parlent Français. Oui, il y en a pas mal par ici. Normal, c'est la saison idéale pour visiter la Bohème.

Une moto passe, on me klaxonne. Ah ! c'est Radek (le guitariste qui jouait encore avec nous l'année dernière). Il vient de s'acheter un trail Honda 750 cm . Comme quoi ses affaires marchent bien. Radek s'est toujours débrouillé. Au temps où il jouait avec nous, il était intermédiaire entre une société qui vendait des machines à sous et une usine de meubles. Il recevait les plans et les quantités d'objets à fabriquer par mail (des bases en bois pour des machines à sous) et il les réexpédiait à l'usine. Il appelait de temps en temps pour vérifier l'avancement de la commande et, quand c'était fini, il téléphonait au commanditaire pour annoncer quand il allait recevoir la livraison. Ce petit business lui prenait moins d'une heure par jour de travail et il encaissait des commissions impressionnantes avec lesquelles il a vécu grassement presque deux ans. Quand la société cessa de prendre commande, il a ouvert un atelier de restauration de meubles anciens. Ce matin il m'a dit qu'il employait maintenant deux personnes pour son atelier et que ses affaires marchaient bien. Seulement il n'a pas autant de temps libre qu'auparavant regrette-t-il. Certes on ne peut pas toujours avoir le beurre et l'argent du beurre. Mais il ne se plaint pas. Son grand sourire de Viking plein de vie au lèvres il traverse la vie avec une satisfaction ininterrompue. 

L'autre musicien tchèque de notre formation, Karel, ne s'en sort pas si bien. Bien meilleur musicien que Radek, à qui il reprochait de se contenter d'un travail très moyen (je parle de son travail de musicien), il doit faire face à la crise que connaissent actuellement beaucoup d'artistes en République tchèque. D'abord le pays est petit, ce qui restreint les possibilités. Mais, en outre, la grande croissance que connaît le pays actuellement fait qu'on se préoccupe davantage des bonnes affaires qu'on peut y faire que de promouvoir la culture dans le pays. A part quelques artistes pris en charge par la presse et les télévisions, il est quasiment impossible de vivre en Tchéquie de la musique ou d'un quelconque art. Il y a bien sûr beaucoup d'orchestres permanents, résidu du système communisme. Beaucoup de théâtres, d'opéras, ont un orchestre permanent avec des musiciens et même des chanteurs, des danseurs pour le ballet et l'opéra. Mais les salaires sont faibles et la plupart arrondissent leurs salaires en donnant des cours, ou même je crois, en faisant d'autres petits boulots annexes.

Karel est enseignant à l'école de Musique de Tabor. Il a une partie de ses élèves ici, une autre partie dans des villages où l'école a des annexes. Mais l'argent gagné est insuffisant pour vivre convenablement. Il habite une chambre chez l'habitant, partageant cuisine, toilette et salle de bains avec les propriétaires. Depuis longtemps il essaie de trouver quelque chose d'autre mais les appartements à louer sont encore peu nombreux et chers. Mais bon, dans quel pays les artistes vivent tous convenablement ! Faire une petite enquête en France montrerait que, malgré ce magnifique statut d'intermittent, encore beaucoup d'artistes vivent dans de grandes difficultés financières...

Ceci dit, ce n'est pas parce qu'on a du mal à joindre les deux bouts qu'on n'a pas le droit de se divertir un peu. C'est pourquoi, hier, Karel nous proposait d'aller nous baigner. Il tenait à nous faire découvrir une ancienne carrière qui s'est remplie d'une eau parfaitement claire dans un site très agréable. Ludmila est d'accord et, pour éviter de nous trouver au milieu de plein de gens, ils décident d'y aller à 20 heures. Entre l'absence de monde et le soleil, j'aurais peut être préféré le soleil... Mais bon, je m'en remets à leurs exigences d'agoraphobes et nous prévoyons d'en profiter pour pique niquer.

Vers sept heures le ciel commence à se couvrir. Le temps de finir les préparations et d'attendre que Karel nous rejoigne, - il est vingt heures trente quand nous démarrons. Ludmila, qui n'aime pas trop les imprévus, commence à se plaindre qu'il est trop tard et qu'il va pleuvoir. Bon, restons calmes, - on verra bien !

Direction Prague, par les petites routes. Le ciel commence à être du même avis que Ludmila. De gros nuages sombres pointent juste dans la direction où nous allons. Et on commence même par voir les traînées sombres des averses en face de nous et aussi sur notre droite. Encore quelques kilomètres et ça y est, il pleut. Des grosses gouttes. Karel tâche de se montrer optimiste : ça va pas durer, ce ne sont que des orages ! Et effectivement le ciel se lézarde de très beautifull  éclairs ! Beautifull for me bien entendu ! Ludmila de son côté voit les choses plus en noir : elle nous dit que la foudre c'est très dangereux quand on est dans l'eau. Lidunko, don't be so catastrophiste ! J'introduis ces quelques mots en anglais pour signifier que c'est la langue qui nous permet de nous comprendre. De temps en temps, Ludmila et Karel parlent en tchèque et  Ludmila tente tant bien que mal de me fait la traduction en Anglais.

Nous arrivons à la carrière après avoir pris diverses petites routes. Il fait très sombre et il pleut averse. La température a considérablement chuté. Nous garons la voiture dans un parking prévu à cet usage, et, par un chemin ruisselant de pluie, nous nous approchons du petit lac. L'eau est assurément d'un vert qui serait très attirant par beau temps. Mais les arbres autour, le ciel noir, la pluie, le froid... Bref, si Karel est encore motivé par la baignade ("touche l'eau, me dit-il, tu vois comme elle est bonne !"), - il est bien le seul ! 

D'un autre côté il n'avait pas tord : la pluie commence à se calmer.  Ludmila voit les choses autrement, même s'il ne pleut plus, on ne peut pas poser les linges du pique nique sur un sol complètement trempé ! Je propose alors que nous trouvions un endroit sec pour manger et, qu'après, on revienne pour se baigner.

Un peu plus loin l'entrée d'un village. Et un abris de bus. Non. Un abris de bus leur rappelle trop de souvenirs ennuyeux. On va chercher autre chose. Je décide d'aller voir dans le village. "Mais on ne trouvera rien dans un village, on ne va pas faire un pique nique sous le nez des gens !" Je suis sûr, dis-je, qu'il y a un endroit  qui nous attend ! Et je sors notre dicton : "Qui cherche trouve". Ils ne sont pas très convaincu mais nous avançons. Je remarque avec satisfaction que Ludmila ne nous a pas proposé de rentrer, ce qui est bon signe. Elle dit même : "De toute façon, s'il n'y avait pas eu de pluie, ça aurait été trop banal" Le sens de l'humour domine la situation et nous traversons le village plutôt gaiement. 

Il y a beaucoup de villages en Tchéquie qui apparaissent comme le bout du monde étant donné que la route qui y conduit se termine à la fin du village et à l'entrée d'un champ. Et c'est précisément là, à l'entrée du champ en question, que l'on découvre un grand hangar, typique construction de l'époque communiste lorsque l'agriculture est passée des mains des particuliers à celle de l'état. On voit partout de ces immenses hangars dont certains sont pleins de vaches et de bœufs qui ne voient jamais la lumière du jour. Pour cette ferme là, elle est vide mais, ce qui va m'intriguer dans le moment précis, c'est un appentis qui se trouve devant le bâtiment, à deux pas de notre voiture. Sous un toit de tôle quelques grosses bottes de foin cylindriques et un espace libre qui pourrait bien !... Non ! me répondent en choeur Karel et Ludmila, on ne va pas manger là ! On est en Tchèquie ici, si le propriétaire nous voit il va nous chasser à coup de fusil ! - Mais non, je leur dis ! C'est fini le temps de la parano communiste ! Qui va venir s'occuper de ce qu'on fait ici ? Il pleut et personne ne vous voit ! Je vais quand même vérifier l'état de l'endroit et, regardez ! leur dis-je, il y a des souches en bois pour s'asseoir et on peut même en faire une table ! Et look here ! un coussin de canapé ! - on se croirait dans un salon ! venez voir !" Ludmila me dit : "mais je ne vais jamais m'asseoir là dessus, c'est too dirty ! -  Pas de problème !" Je vais dans le coffre de la voiture, en sort une couverture noire qui est toujours là au cas où, je le pose sur le coussin et " Isn't it perfect now ?"

Le jour baisse, bientôt on ne verra plus rien, alors, mon enthousiasme aidant, ils finissent par adopter le lieu. Ludmila sort des torchons, en couvre les souches, une bouteille de rouge est  sortie du coffre,  - des verres, un tire bouchon, et tout un petit fourbis que Ludmila sort de ses sacs en plastique et nous voici en train de trinquer, "Nas dravi !" ravis de pouvoir se poser au sec et, finalement, pas si mal installés : Karel sur son sac à dos-siège pliable de fisherman, ludmila sur son bout de canapé,  moi sur une souche et, au-milieu, la table installée sur la deuxième souche et nappée d'un torchon.

Il faut peut-être préciser ce que ces fermes nationalisées représentent pour les tchèques de la génération de Karel et Ludmila. Lorsqu'ils faisaient leurs études, collège et lycée, avant la "Révolution" (celle de velours qui marqua la fin du régime communiste) il était obligatoire pour tous les élèves et étudiants, de faire des travaux d'utilité collective. Pendant un mois de leurs vacances, ils devaient travailler dans des fermes similaires, pour aider aux cueillettes (fraises, pommes de terre) ou encore pour planter des pieds de légumes divers. La mauvaise foi aidant (comment peut-on aimer faire des travaux obligatoires d'une part et qui n'étaient payés que si vous aviez un bon rendement d'autre part) c'était vécu comme une horrible corvée. Se retrouver dans un lieu similaire quinze ans après, en train de pique niquer à la sauvette autour d'une bouteille de vin français, ça finissait par devenir très excitant. Une sorte de revanche sur des mauvais souvenirs : l'humeur était passée au beau fixe !

On a commencé par se raconter des histoires drôles. Karel en avait une série sur les musiciens. L'une d'elle m'a fait beaucoup rire, je vous la raconte (évidemment, l'oralité va certainement manquer, mais j'essaie quand même) :

Un tromboniste dans un orchestre. Un jour il va voir un des gardiens du théâtre et il lui dit : "J'ai un truc à te proposer. Je dois faire un concert vendredi mais le même jour j'ai une proposition pour jouer en Autriche, c'est super bien payer et je ne voudrais pas rater ça. Alors je voudrais te proposer de me remplacer à l'orchestre. Tu gagneras mon cachet, ça te fera un petit complément de salaire ! Ne t'inquiéte pas pour l'instrument, tu trouveras tout sur place : un trombone, un pupitre, la partition, bref tu n'auras aucun problème ! 

Le gardien répond "Mais je ne sais pas jouer du trombone ! - Pas de problème ! Répond l'autre, tu n'auras qu'à faire semblant de jouer, tu fais les mêmes mouvements que les autres trombonistes et personne n'entendra que tu ne joues pas !" Le type finit par accepter la proposition.

Une semaine après le concert, le tromboniste croise le gardien et lui demande comment ça s'est passé. L'autre lui réponds : "Pour l'instrument, le pupitre, les partitions, pas de problème ! Seulement quand je suis arrivé sur la scène, à la place des trombonistes de l'orchestre il y avait les cinq gardiens du théâtre !"

Je ne sais pas si cette histoire vous a fait rire, mais moi, en me rasant le soir, j'en riais encore ! Bref, la nuit est tombée petit à petit, nous avons fini la bouteille et personne n'est venu nous faire d'ennui. A la fin j'ai demandé à Karel s'il voulait toujours aller se baigner, lui faisant remarquer qu'avec le vin qu'il avait bu cela pouvait être dangereux. Certainement soulagé que je lui donne une bonne raison de ne pas relever son propre défi, il a convenu qu'il valait mieux rentrer directement.

Personne ne s'est plaint en rentrant de notre petite soirée improvisée. En outre je pense que Karel et Ludmila ne regarderont plus jamais une ferme nationale de la même façon et je ne regarderai quand à moi plus jamais un tromboniste d'orchestre, ou un gardien de théâtre, avec indifférence !

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Mercredi 20 juin 2006

Matinée un peu stressée. Karel est en route vers Besançon, il est parti hier soir et il doit être en train de rouler quelque part entre l'Allemagne et la France. Le concert au Savana est ce soir..

Hier les derniers préparatifs, à propos de tifs prendre rendez-vous chez le coiffeur, répéter les morceaux non sûrs, faire des petites mises au point sur la guitare, laver et repasser les habits de façon à avoir des tenues de scène propres.

Petit train train.

Sauf que ce matin je m'excite contre Alex, en Russie, qui ne répond pas à mes mails. Du coup un sérieux doute s'installe. Je n'aime pas du tout ces périodes de silence. Au début ils appelaient tous les jours et maintenant silence depuis presque deux semaines...

Karel commence à penser qu'il ne pourra pas avoir son visa. En effet, il sera ici jusqu'à lundi prochain. Ce qui veut dire qu'il n'aura plus qu'une semaine pour avoir son visa. En République Tchèque, sans le réseau d'amis d'Alex, cela va être difficile.

Alors ce matin j'appelle Alex toutes les demies heures, - pas de réponse. 

Je connais Alex depuis quelques années maintenant. Et ce n'est pas la première fois qu'il fait le mort pendant quelques jours. Mais en général, si mes souvenirs sont bons, c'est rarement bon signe. Alors l'inquiétude monte. Ce concert va-t-il nous filer sous le nez ? 

Peut-être ces délais de passeport... Peut-être.... Quoi ? Qu'il a-t-il de moins simple que d'organiser un concert en Russie pour un groupe Franco Tchèque dont deux des membres n'avaient pas de passeport ? Et si on est contacté par une revue Russe un mois avant le concert ?

Bon, laissons tomber. Bien que, si le concert est annulé, les musiciens vont être très déçus. Toute la ville est au courant que nous devons partir. Ce qui veut dire qu'ils ont tchatché dans tous les coins. C'est pas bon. Par superstition on ne devrait pas en parler avant d'avoir la signature sur le contrat. Ils se projetaient tous sur la route de l'Orient express... Alors, s'ils ont à dire : ben non, ça a été annulé.... Quelle déception....

Ce soir concert au Savana. Alexis ne sera pas avec nous, on jouera donc à quatre. J'espère que Karel ne sera pas trop crevé. Il m'a envoyé un sms hier soir pour me dire qu'il avait été obligé de changer ses pneus avant de partir et que cela lui avait coûté 8000 Cr, c'est à dire presque 300 €. Il m'a écrit qu'il avait mis tout l'argent qui lui restait sur cette réparation... De jouer à quatre ce soir augmentera un peu sa part de salaire...

Quant à demain, nous serons sur l'esplanade Rivotte. Ils vont installer des stores et une bâche pour nous protéger de la pluie car ils annoncent du mauvais temps et nous devons jouer à l'extérieur.

Tout est prêt donc. Il ne reste plus qu'à attendre la réaction du public et... quoi encore ? Que nos doigts, notre cerveau, nos instruments, ma voix.... Que tout soit bien au rendez-vous.... Allez jouez les musiciens !

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Mercredi 27 juin depuis une minute....

Mes doutes dans la page précédente à propos de la Russie étaient fondés. Mercredi vers 14 h j'ai reçu un coup de fil directement depuis la revue Territoria. Une femme m'a annoncé la nouvelle en Français. J'ai compris qu'ils avaient annulé pour deux raisons mais j'ai oublié la première. Je crois que c'était à propos d'organisation. En tout cas la seconde raison étaient à propos des visas. J'ai essayé de poser deux questions à la femme qui me parlait mais elle ne comprenait pas mon Français. Alors j'ai fini par raccrocher après un au-revoir précipité. C'est gentil d'avoir d'abord pensé à nous mais vous auriez pu le faire plus tôt. Un mois c'est trop court. Au moins maintenant les musiciens ont tous un passeport. Surtout les Français. Car il a fallu presque trois semaines pour avoir le passeport de Paulo. Et c'est peut-être bien ce qui nous a planté.

Comme attendu les musiciens étaient très déçus. Cela va sans dire. Paulo avait bloqué son activité pour la période, ce qui fait qu'il se retrouvait sans taf. Et sans beaucoup d'argent car les commandes ne pleuvent pas en ce moment se plaint-il. Karel aussi était très déçu. Je lui ai donc proposé d'aller faire un peu de musique au chapeau du côté de la Suisse la semaine prochaine. Ca nous fera des vacances et si Dieu le veut cela lui fera aussi un peu d'argent.

Pour changer de sujet je veux parler un peu du fonctionnement de ce site internet. D'après les outils statistiques du serveur OVH qui héberge le site, nous avons 700 visites par jour. D'après le compteur qui est placé sur la page d'accueil, il y en aurait une douzaine. Je ne comprends pas ces différences d'opinion, comme quoi la statistique n'est certainement pas une science exacte. Un ami me dit que le compteur sur le site ne compte pas les personnes qui reviennent sur le site. Mais je n'en suis pas plus certain. En tout cas, une chose éclairante, c'est que la plus grande partie des visites ne viennent pas de Besançon. Quand je dis grande je devrais dire écrasante. Surprise de découvrir que, dans la semaine, nous avons eu 10 visites de Courbevoie par exemple, 5 de Paris, deux de Nice, Cannes. Et puis les Etats-Unis aussi, le Canada, La République tchèque bien sûr mais aussi Amsterdam et Oslo... C'est très curieux. Le couplage avec Myspace a d'ailleurs été profitable à la fréquentation du site. Depuis deux mois tous les compteurs, que ce soit l'humble ou l'hyperbolique, s'emballent.

Et puis il y a les lecteurs de ce journal. Des amis souvent, comme les Manus (Emmanuel Baudin et Emmanuelle B. Chan Yu, dite E.B.C.Y.) qui me disaient hier que, depuis Chypre où ils ont vécu cette année scolaire, ils imprimaient de temps en temps un cahier complet pour avoir le plaisir de le lire en continu. D'autres comme mon ami Aurélien qui le suit presque au jour le jour et en fait des "comptes rendus" à nos amis communs. Tout un petit monde paisible et sympathique qui vient s'enquérir de ces quelques réflexions pour certainement en faire rebondir d'autres de leur côté...

J'ai croisé cet après-midi une connaissance, un homme très sympathique d'origine algérienne. Il me dit "Tu sais quoi ? Sarkozy va en Algérie la semaine prochaine ! - Ah bon ? - Ah oui normal il assure !-  Je croyais que tu ne l'aimais pas, tu as critiqué la semaine dernière R. parce qu'elle avait voté pour lui ? - Ouais mais il m'épate ce type, c'est vrai qu'il y a des trucs qui font peur chez lui, mais.... Tu vois, y'a un truc où il a raison, c'est qu'il faut travailler !"

Étonnant ce revirement d'opinion ! Si tous les gens comme lui, originaires de l'immigration, se mettent à changer d'avis de la sorte, aux prochaines élections Sarkozy fait 70% !

En plus, pour un européaniste comme moi, sa relance de l'Europe de la semaine dernière ne peut pas laisser indifférent ! Je l'avais dit quelques pages plus haut, à force de décevoir, les gens du PS vont finir par tuer leur Parti et enterrer les valeurs qu'ils devaient représenter ! Ségolène, et pas plus le PS de Besançon, montrent un mépris pour la culture, pour la création, et pour l'Europe. C'est pour cela, et le social, qu'on a voté pour eux. Mais ils se battent pour leur place et oublient pourquoi on les a placé là. Alors, s'ils se plantent demain, on ne va pas les regretter, et pourtant.... nous restons orphelin. Qui représentera alors nos valeurs et nos convictions.....

Je reçois aujourd'hui une enquête pour le centre 1901, c'est le secteur de la Ville qui s'occupe des associations. Une enquête sur les associations domiciliées à Besançon. Dans le formulaire il faut à un moment définir son secteur. Je cherche le nôtre, celui de Productions du Capricorne, l'association qui porte mon travail et celui de mes compères, - bref l'association qui porte notre travail de créateurs. Il faut déterminer dans le formulaire notre secteur. Je trouve une rubrique "culture" et dans une parenthèse je vois une liste de ce qui répond à leur notion de culture : "musées, monuments, cinémas, bibliothèques, centres culturels, salles de spectacles, centres de congrès, organisation de spectacles vivants, préservation du patrimoine culturel, petits clubs culturels.". Mais le mot "création"  (car enfin c'est bien ce que font toutes les compagnies de théâtres, les groupes de musique, les associations d'artistes, - des créateurs il y en a plein dans le monde associatif !) le mot "création" est absent. Ils n'y ont pas pensé. Ils ont oublié que cela existait les "créateurs"... Alors qu'est-ce qu'on pense, nous autres, en regardant le reflet de leur conception de l'association ? Qu'ils ont oublié que nous existions. Et pourtant, quasiment tous ces créateurs avaient voté pour eux. Comment cela s'appelle des bourdes pareilles ? Est-ce que ce n'est pas cela qu'on appelle de l'incompétence ?

C'est très dommage. Très très dommage. Et je le déplore profondément. Être déçu par les siens cela fait toujours très mal. Habiter une ville de gauche comme Besançon, et voir le peu de cas qu'ils font de notre activité, moins de cas que les administrations territoriales de droite, c'est désolant.

L'esprit de gauche, en France, il n'est pas venu de Marx, il est venu bien avant. Il a été insufflé par une tendance des philosophes grecs et latins, et il s'est développé peu à peu, par petites révolutions successives qui ont mené à la révolution française, à la commune. Mais avant chacun des débordements qui ont éclaté par vagues de ras-le-bol successifs, il y a eu, toujours, des écrivains, des philosophes, des êtres hybrides, penseurs et scientifiques, qui, en profondeur, ont développé une sensibilité, une idée de l'homme, de ses droits universels, de sa souveraineté et en même temps une idée de cité puis de société à dimension humaine. L'idée de gauche qui domine en France vient de cet immense travail souterrain, souvent envié et consulté par les intellectuels d'autres pays, cet immense travail d'une suite immense de penseurs, d'artistes, d'écrivains de toutes disciplines. De Montaigne à Diderot, de Pascal à Bataille, de Voltaire à Bourdieu, de Victor Hugo à Cartier Bresson, de Fourrier à Sartre, d'Aristide Bruand à Brassens.... Tous des créateurs, des inventeurs d'une idée de l'homme à l'encontre du pouvoir des castes, de l'auto-détermination du pouvoir, de l'exploitation illégitime d'une catégorie d'homme par une autre, de la mystification par les religions qui appuyaient ces injustices en leur donnant une fausse justification, et tous ont travaillé sur la construction d'une idée élevée de l'homme, qui incitait à l'éducation, au développement de ses ressources, à la célébration de sa beauté, de sa potentialité illimitée, bref à voir chaque individu comme un être souverain que la société se proposait d'accompagner, d'élever, d'enrichir et non de limiter, s'asservir, d'humilier. Il en a suivi un essor faramineux, preuve que cette idée était bien la bonne. Et un prestige culturel, artistique, intellectuel en plus de la prospérité. Une aristocrate de la cour de Russie devenait la maîtresse de Balzac ! Alors une Ségolène Royal qui fait campagne en mettant de côté la culture et ceux qui la produisent, c'est la mort d'un parti. Et c'est une idée qu'il faut à nouveau reconquérir.....

Faut tout reprendre à zéro....

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Mardi 3 juillet 2007

Je fais actuellement ma dernière nuit au foyer A.G.E., enfin je reprendrai peut-être en septembre. Mais ce n'est pas sûr. Aujourd'hui c'est le premier jour que nous avons la connexion internet. Dernier jour, premier jour, - les extrêmes se confondent cette nuit.

Cet après-midi j'ai fait quelque chose d'important, que je pensais à faire depuis un an, et que je tardais, tardais... Par timidité je crois, à moins que ce ne soit pas humilité ou je ne sais pas quoi. Mais enfin cette fois c'est fait !

Seulement je ne peux pas dire ce que c'est. J'en reparlerai peut-être un jour. Ca dépendra du résultat ou de mon humeur. Mais si j'en parle ce sera peut-être bien, et, à ce moment là, vous serez contents. En attendant, c'est peut-être frustrant. Je n'en doute pas, mais c'est pour vous faire partager ce qu'on endure assez souvent...

Tiens, à ce propos, je vais voir demain Vassili Memaris qui travaille au Conseil Régional. Et je vais lui dire ce que j'avais écrit plus haut à propos de cette subvention qu'ils nous ont refusé pour notre tournée en République Tchèque. Ce refus me scandalise. Oui, des fois, on accepte des refus. Mais celui-là était inacceptable. Et je vais lui dire. En ami. Car je n'ai rien contre Vassili. Mais cette fois il a mal joué son rôle, il a mal travaillé... Il ne s'est pas battu.

D'autre part nous sommes allés hier aux Eurockéennes avec Théo. Je lui avais promis, il voulait voir Tryo. Je n'ai pas pu voir Tryo car il fallait que je rentre au foyer pour bosser à 11 h 15. Heureusement Théo a pu trouver une copine qui l'a invité dormir chez sa mère, ce qui fait qu'il a pu voir le concert.

Les Eurockéennes c'est une drôle de machine énorme.... Avec ses cinq scènes, ses multiples boutiques, sa sécurité, le transport... Tout est énorme ! Le cachet des groupes aussi, sous le chapiteau entre 30 000 et 150 000 € ! Vous imaginez.... un million de francs de cachet pour un groupe qui va jouer pendant une heure quinze !

J'ai bien aimé "TV on Radio". Un groupe de blacks barbus et de blancs en casquette entre funky, rock, world et presque, parfois, progressive. C'était original, couillu mais pas couillon. Le reste m'a fait penser à Europe 2. Des choses  propres, des fois lisses des fois moins, comme les Klaxons par exemple, mais qui tous m'ont fait me demander pourquoi j'étais là. J'en ai marre du feeling anglo-saxon. Leurs voix me fatiguent, - pourquoi les gens aiment tant ces voix maigrelettes, et ces chœurs interminables. Moi ça finit par m'écoeurer. Sans parler des guitares qui ont toutes le même son.... Non. Moi j'aime le sud. J'aime le corazon. Le love me lasse. Et même à Ludmila, à qui je parle couramment en anglais, j'ai cessé de lui dire "I love you", je préfère lui dire "Miluje te" qui se prononce "Milouyi té", - c'est doux, le "m", le "ou", le "yi". Le "ve" de Love est  faux cul. Ca siffle, ça veut donc dire que ça sent le sexe froid, l'amour qui ne se lâche pas.

"Mi Corazon" est bien aussi "Che ora son mi corazon" de Manu Chao, - rien que du bonheur. En fait la pop anglaise c'est de la musique de mal baise, c'est des corps aux culs serrés qui se lâchent et soudain se fâchent pour se débrider, mais au lieu de devenir quelque chose de chaud et rond, ça siffle toujours, ça sent la violence glacée, le truc qu'on retient et qui soudain explose comme quand on vomit.... 

Ca va, ça va, je me calme. D'ailleurs je ne m'énervais pas, c'est sorti tout seul, comme si d'un coup je comprenais pourquoi je n'aimais pas ça. C'est bien une question de feeling. Les voix africaines aussi sont souvent aigües, mais je les aime, c'est une autre histoire qu'elles nous racontent. Au lieu d'adolescents coincés comme les pop stars, les voix africaines nous évoquent les croyances fascinées des enfants, une foi naïve, qui peut être violente elle-aussi, mais jamais acide, jamais amère... Ca cogne, ça caresse, ça rêve, ça rigole d'un seul coup d'un bon rire qui ne se surveille pas. Et quand ça ose pleurer, alors c'est magique. Bonga, Cesaria Evora et, moins connue, mais parfois plus sublime et plus profonde que Cesaria :  Herminia, - oh comme elle m'a transporté la vieille Diva du Cap Vert, si maigre, à la peau ridée comme la grève de ses ïles.....

Oui, la prochaine fois, avec Théo, nous irons à Rencontres et Racines. On y verra peut-être encore Tryo, et j'espère surtout qu'on y verra Tiken Jah Fakoly qui nous chantera "Mon pays va mal ! Mon pays va mal !" Quand le world est en Français, je suis carrément fan. Car enfin merde, quand on comprend ce que les groupes nous chantent, on peut au moins vérifier s'ils ne nous chantent pas de conneries.... Ca me paraît élémentaire....

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Jeudi 5 juillet, 3 h 30

 

Karel arrive de Tchéquie. Il est tard. Ce week-end nous avons décidé d'aller en Suisse repérer des lieux pour de futurs concerts et essayer de jouer au chapeau. Drôle d'idée et drôle de programme. Nous verrons bien. En tout cas je viens de terminer le texte de ce qui pourrait être une chanson sur fond de musique techno. Je vous en livre le contenu en première exclusivité. Vous réactions sont les bienvenues !

 

 

HAPPY REQUIEM

  

Un jour je rentrerai chez moi et elles seront toutes là à me regarder, avec un drôle d’air, comme dans un film de genre, du genre à vous filer des frissons sans comprendre vraiment la raison.

 

Elles seront toutes là avec leur visage d’autrefois, comme si les pages n’avaient jamais tourné, comme si le calendrier n’avait jamais été inventé.

 

Au centre d’elles toutes, une inconnue. Elle sera blême et noir vêtue, avec aux lèvres un sourire jaune un peu austère. Et l’inconnue tendra sa main vers moi, l’air de m’faire une proposition, geste plutôt indécent au vu du proche environnement….

 

C’est bon, j’aurai compris que c’est l’moment. D’une voix détachée – détendue ? Non, faudrait p’t’être pas exagérer - je dirai à l’indécente : « J’ai bien compris votre intention. J’ai donc pas l’ temps d’ changer d’veston. Mais bon, le rendez-vous était fixé, j’vais pas jouer mon innocent,

j’ m’y attendais depuis longtemps.»

 

Y’aura donc pas d’plaintes inutiles, pas d’ostensibles cris d’adieux, pas de noir couloir, de trompettes ou de cors, de violons pleurnicheux. J’ai jamais trouvé l’temps longs, j’ai toujours joué sans concession, j’ai même trouvé ça bien, j’ai même trouvé ça bon. Tout comm’ avec les femmes qui seront là, j’m’suis pas plaints de déception, ni d’incompréhension, je n’regrett’rai pas leurs leçons, leurs émois, leurs tendresses, leurs caresses, pas même leurs prises de tête, faut bien qu’ ça pète de temps en temps. J’aurai aimé leur partition, des notes écrites sur d’la dentelle, pleines d’étincelles et d’émotion....

 

L’indécente, en rabat joie de service me dira alors de fermer mes cahiers, de mettre un point final à mes coups d’ pieds, à mes coups d’dés, à mes non à répétition, à ma rageuse soif de créer, -  à mes amours à mes passions.

 

Faudra finir par s’laisser prendre. Je penserai à mon enfant, et je regarderai celle devant moi, elle, la dernière, la seule, la plus belle. D’un geste tendre j’oserai lui caresser les fesses, avec respect avec tristesse, et ses grands yeux ne me quitteront plus, car il n’y a qu’ l’amour pour nous en mettre plein la vue…

 

Il sera temps d’partir lentement, j’oserais presqu’ dir’ naturellement, mais sans non plus d’empressement, comme une idée qu’on a admis, même si c’est pas c’ qu’on a choisi.

 

J’irai devant sans paniquer, sans vouloir chambouler mon passé, sans r’mise en ordre précipitée, car si j’suis pas l’roi du rangement, les choses, de c’côté là, étaient en ordre depuis longtemps… Prêt depuis toujours,

la vie comme un bonus jour après jour.

 

Sa main de marbre dans ma main, l’indécente me pressera devant. A peine un pas qu’une nuée d’oiseau surgira, battant des ailes dans nos cheveux. Quel vacarme ça fera, les filles entonneront un rire dément, excitées par ce contact soudain et violent. Et leur rire infernal se mêlera aux cris des oiseaux. Autour de moi la frétillance de leurs ailes blanches envahira toute ma vision, un blanc trouble et aveuglant. Un blanc indiscernable qui démantibulera l’espace autour. Y’aura plus rien sous mes pieds, ce s’ra comme une autre façon de voler. Puis la blancheur décantera, le rire des filles s’éloignera, et autour de moi une pluie d’étoiles sans mouvement, qui sembleront là pour un bon bout de temps…. Je n’attendrai pas d’autre chance, j’laisserai la rédemption pour les poltrons. Mes yeux se rempliront de vide, les sensations s’estomperont, 

et n’ rest’ra pas un son dans l’air, pas le plus infime air de chanson.

 

Faudra donc tourner les talons, s’évaporer le cœur léger, les poches trouées, l’être en cavale, 

sans avoir rien à reprocher 

à c’brin de vie sous les étoiles.

   

 

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Vendredi 6 juillet, Yverdon.

 

 

Nous voici donc partis avec Karel. C'était suite à l'annulation du concert en Russie. Comme Karel avait réservé la semaine, qu'il n'a pas beaucoup d'argent, et qu'à Tabor il tourne en rond, je lui ai proposé de partir à l'aventure, faire les restaurants en Suisse et au chapeau. Comme c'est un plaisir de jouer avec mon virtuose tchèque et qu'on s'entend très bien tous les deux, je savais que le risque n'était pas gros de partir à l'aventure.

 

Nous avons quitté Besançon hier vers six heures. Direction la Suisse par Pontarlier. A Pontarlier, le temps de parcourir la déviation, nous ne savions pas si nous n'allions pas nous arrêter là le premier soir. Au dernier carrefour j'ai senti que la voiture ne voulait pas rentrer au centre ville. Nous nous en sommes remis à elle. Arrivés devant le panneau des Fours, j'ai eu soudain un geste inconscient qui m'a fait déclencher le clignotant. Rassurant d'aller voir nos amis du Snabeudzi qui, en mars, nous avaient si bien accueillis. Le problème "où coucher?" revenait régulièrement sur le tapis. Mais j'avais pas envie de forcer une décision inappropriée. On verra dis-je à mon compagnon. Les vieilles fermes du Haut-Doubs, les chalets, les remontées mécaniques pour skieurs, tout cela commençait à faire sensation. Karel me dit "Beautifull, we are in holiday !"

 

Au Snabeudzi, hélas, tous ceux qu'on connaît étaient absents, Marc, sa femme et les serveurs et serveuses de mars. J'ai présenté la situation, ils n'avaient rien contre l'idée qu'on joue ce soir, mais le monde n'était pas garanti. Jour de semaine, au restaurant, il n'y a pas foule. Tant pis, on sera là, on verra le monde qu'il y aura. Et pour dormir ? Au pire on dormira dans la voiture. Pour avoir une idée, on est allé visiter un gîte d'étape. Très joli lieu, 24€ la nuit pour deux. Karel faisait la grimace. 

 

Au Snabeudzi on nous avait parlé d'un endroit sympa qui s'appelle le "Jeudi 12", à Sainte-Croix, pas loin de là, en Suisse. Nous voilà partis en repérage. La patronne, très sympa, nous dit qu'il y a ce soir une Jam cession. Ok, on reviendra après le Snabeudzi. Toute la soirée nous n'avons cessé de rebondir sur le conseil de l'un ou de l'autre. Il n'y en avait aucun de mauvais.

On a donc joué au Snabeudzi pour 4 tables. On a fait 12 €. Mais les gens étaient attentifs, ravis même, et foutre dieu comme Karel joue bien et comme c'est agréable de jouer avec lui !

 

Au "Jeudi 12", petit lieu. Il y avait un guitariste, un percussionniste noir, deux grandes tablées de personnes et quelques uns au bar. Super ambiance, la gentillesse des gens, et toujours le sacré effet de ce guitariste virtuose et du chanteur en pleine forme !

On a fait 48 francs Suisse. C'était pas la panacée mais c'était quand même encourageant pour un banc d'essai et si peu de gens. Il était pas loin de 11 heures. Quoi faire ? "Vous pouvez continuer jusqu'à Yverdon, il y a un bar, le "Coyote" qui ouvre jusqu'à 1 heure. Pas à réfléchir, salutations cordiales, chouette on s'est fait plein de copains et va pour Yverdon !

 

C'était un peu plus loin que nous l'imaginions. Nous arrivons un peu avant minuit au Coyote. C'est là qu'il faut parler du  deuxième objectif de notre petite virée : repérer des lieux pour les futurs concerts du groupe. Au Coyote on a tout de suite senti que, pour un petit tour de chapeau, ce n'était pas le lieu qui convenait. Mais j'ai demandé à parler au patron et lui ai fait l'article quant à notre groupe de musique. J'ai laissé une démo (nous sommes partis avec une quinzaine) et nous sommes repartis en direction du Lac.

 

Il était peut-être temps de trouver une solution pour notre nuitée. Nous arrivons devant le camping qui dort toutes lumières éteintes. Devant le camping deux petites demoiselles de très bonne humeur puisqu'elles ont arrosé ce soir leur succès à la Maturita, le bac des lycéens suisses. On leur demande si on peut s'installer dans le camping et régulariser la situation demain matin. Elles en savent pas grand chose mais essaient de nous conseiller comme elles peuvent. L'essentiel pour nous est qu'elles ont rendu cette arrivée à Yverdon un peu moins vide et austère que s'il n'y avait eu personne. Elles sont sympas, nous discutons un peu et leur jouons trois morceaux. Elles sont ravies et, en remerciement, nous invitent à partager le Bailey chantilly qu'elles ont siroté toute la soirée ! L'une des deux travaille comme bénévole dans un bar associatif qui organise des concerts régulièrement. On lui laisse une démo, elle nous laisse son e-mail et me dit qu'elle verra le patron du bar demain et lui en parlera.

 

Elles nous proposent de nous aider à passer nos affaires par-dessus la barrière du camping. On sort tout notre barda de la voiture quand un gardien sort de la cabine d'accueil du camping. On lui demande si on peut s'installer. Pas de problème, il nous montre où, en nous faisant entrer dans le camping par une allée grande ouverte. Pour nos petites lycéennes il devait paraître tellement excitant de nous faire passer par-dessus la barrière qu'elles en avaient oublié l'entrée principale !

 

On s'est donc retrouvé à notre emplacement régulier, les petites lycéennes sont reparties chez leurs parents et j'ai vu Karel s'exclamer, ravi : "Oh ! beautifull holiday in Switzerland !"

 

Aujourd'hui, vers midi, nous sommes partis en repérage des restaurants où nous pourrons aller jouer ce soir. Nous en avons trouvé quatre, des gros avec plein de gens, avec des patrons ravis de notre proposition que ça semblait magique. Vraiment, qui dira que les Suisses ne sont pas sympas se met le doigt dans l'œil profondément. Tous les gens à qui nous avons parlé, même pour un renseignement dans la rue, nous ont répondu avec une gentillesse surprenante ! Donc, jusqu'à maintenant, on pourra dire que notre virée se passe plutôt bien, sans compter mon carnet d'adresses de lieux pour le groupe qui s'enrichit à vitesse grand V. 

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Samedi 07 juillet 07 ( 07 07 07 ! ), Yverdon

Suite de nos vacances-découverte en Suisse. Aujourd'hui il fait enfin bon et je pense que toute la latitude se régale car de Prague (au moins) à Besançon (de sûr !) c'était la météo sinistrose. Si nous avons cette nuit connu un sommeil réel (contrairement à hier où le contact avec la terre n'avait pas plu à notre organisme qui avait refusé de fermer les volets), en revanche, ce matin, le plein soleil sur la tente a remplacé le chant du coq ! Mais bon, au moins cela nous met à égalité avec les résidents du camping qui se couchent à l'heure des poules et commencent à ouvrir les fermetures éclair de leur auvents au chant de notre symbole national. Bienheureux ceux qui vivent au rythme des basse cours ! 

Et bienheureux les Sarkozistes qui sont encouragés par leur président dans ce sens. La France appartient maintenant à ceux qui se lèvent tôt et s'enrichissent des heures supplémentaires !

Mais nous sommes en Suisse...

Alors, hier soir, après un plat de haricots à la tomate mélangés à des saucisses fumées ramenées de Tchéquie par Karel, nous prenons nos guitares et suivons le chemin qui longe le canal en direction du centre ville. Nous avions décidé, avant notre rendez-vous au premier restaurant à 21 h de nous arrêter au "Citron masqué" gros bar équipé d'une salle de concert, pour faire découvrir notre groupe au patron. Celui dont on nous avait décrit le naturel sympathique était avec deux amis sur la terrasse de l'établissement. Une bonne tête allongée à la bouche souriante, quelques tatouages, il nous reçoit à la hauteur de sa réputation. Seulement lorsqu'on lui parle d'un possible concert, il commence par une argumentation qui ne va guère vers la réalisation de notre projet. Cela fait dix ans qu'il tient cet établissement qui était, au départ, un projet de maison culturelle. Il organisait régulièrement des concerts qui marchaient bien. Il y avait un service de restauration avec un personnel nombreux, et ils compensaient les pertes que pouvaient occasionner des concerts à faible audience par des soirées électro-commerciales qui étaient pleines de monde. 

Seulement, dans un sens inversement proportionnel au développement des grandes messes culturelles comme les festivals de Nyon et de Montreux, la fréquentation du bar a baissé. Le restaurant perdait du monde peu à peu et il a fallu réduire le personnel et cesser la restauration. Maintenant le concert d'un groupe peu connu peut amener dix spectateurs.... Voilà la situation me décrit-il. Aussi, si vous voulez venir, je peux accepter qu'on fasse payer une entrée et qu'on prenne chacun 50/50, mais vous allez repartir avec trente francs en poche.... La situation était donc claire : pas de concert au Citron Masqué pour PB. TRISTAN.

Les festivals deviennent alors les seules possibilités, l'état, ou les collectivités territoriales, en France comme en Suisse, reprennent leurs droits sur la culture...

Après cela nous nous sommes dirigés vers le premier restaurant. Dès que l'on arrive on sent, à la tête que font les gens, qu'on est pas, a-priori, les bienvenus.... En plus on joue risqué : répertoire personnel, pas une petite chanson du top cinquante, d'aujourd'hui ou d'hier, qui puisse évoquer quelque souvenir vibrant ! Malgré certaines magnifiques interventions de Karel à la guitare, pas un seul applaudissement.... On finit par la petite salle qui se trouve à l'entrée du restaurant. Une ou deux tables semblent plus attentives, des regards, des sourires... mais pas d'applaudissement non plus.

Hou, hou !!!! Ca ne rigole pas ! On continue au deuxième restaurant. L'ambiance est un peu meilleure. Une grande tablée (les plus dangereuses) écoute avec l'air d'apprécier et applaudissent. Disons que toute la soirée ce sera comme cela : d'un côté ceux qui, dès votre entrée, vous ont catégorisé comme importuns, et ceux, sans a-priori qui vont vous accepter ou choisir de vous encourager, les applaudissements n'arrivant qu'à cette extrémité. Côté recette, plutôt décevant, pour résumer la moyenne d'une recette en France. Comme le coût de la vie est supérieur ici, cela revient à dire qu'il est plus intéressant de faire le chapeau en France.

Alors nous décidons d'aller boire un verre sur la place de la vieille ville où nous avons entendu de la musique. Un podium, des tables de kermesse avec des bancs en bois. On apprend que c'est une soirée de soutien aux restaurants du cœur suisses (Les Cartons du Cœur) . Le groupe joue ses trois dernières chansons et sort de scène. Alors un type vient nous trouver et nous demande d'aller jouer, soirée de soutien et tra la la. On accepte sous l'effet de son insistance. Ca aurait pu être très bien s'il n'y avait pas eu avec nous deux musiciens qui se sont fait plaisir en nous accompagnant, et ceci sur notre dos, car c'était une horreur. Karel était scandalisé, il me dit "mais si je sens que je ne peux pas accompagner un groupe parce que je ne suis pas à l'aise avec leur musique, j'arrête ! Comment c'est possible de continuer et de massacrer le travail des autres !" Mais voilà, c'est pour cela que je refuse maintenant ces propositions quand elles se présentent en France : tu donnes quelque chose et on te manque de respect. C'est quasiment à chaque fois. C'est pour cela que je dis que l'artiste ne doit pas donner son travail. Le public donne, à l'art, l'argent qu'il y a consacré. Tu vends une oeuvre, peinture ou photographie, les gens respecteront ton oeuvre toute leur vie. Tu la donnes et elle finira dans un placard. Mais bon, côté public la surprise d'un nouveau groupe a toujours un impact positif. La surprise est un autre facteur positif de la réception de la création. Donc les gens étaient content. Et nous avons arrêté le carnage après la seconde chanson.

Après le concert, les organisateurs de la soirée caritative nous ont invités à boire un verre à leur table. Et comme les Suisses aiment les choses qui sont bien à leur place, nous avons été reçus avec sympathie par un ensemble de personnalités très curieux comme peut contenir une association d'aide, mélangeant les généreux qui trouvent un sens à leur existence en aidant les autres et les anciens aidés qui trouvent dans l'activité une sorte de promotion sociale. Conversations à bâtons rompus, Karel était ravi de boire quelques bières gratuitement dans cette tablée joyeuse et pour lui un peu exotique. 

Bref, ambiance bon enfant pour terminer notre première soirée à Yverdon. Nous sommes rentrés vers le lac le cœur léger, pour finir par arriver dans un camping silencieux comme un cimetière. La nuit était douce, quelques cigarettes avant d'aller nous coucher. Nous sommes même allés dans le port à côté fumer la dernière bouffée face au lac endormi, calme comme le camping, sans une vague, sans même un frisson. Un cygne dormait le bec sous l'aile, il était décidément l'heure, pour nous, de suivre l'exemple appuyé de tout ce qui vivait, je devrais dire "de tout ce qui dormait", autour de nous...

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Lundi 9 juillet, La Combette

La Combette est le lieu-dit de la ferme d'un ami, Jack, qui se trouve dans le Haut-Jura, à quelques kilomètres de Mouthe. Nous sommes arrivés hier dans l'après-midi, Jack nous a reçu comme il le fait toujours, avec un art de l'hospitalité que tous ceux qui sont passés ici lui reconnaissent. Je me souviens aussi de quelques fêtes inoubliables passées ici, dans ce petit paradis perdu dans les montagnes.

Nous avons laissé à Yverdon notre voisin de camping, Pascal, un homme de cinquante ans fort comme un roc et qu'une maladie non identifiée a envoyé sur un fauteuil roulant, après une première ablation, puis une seconde. Pascal est un ancien bûcheron féru de musique. Nous avons sympathisé dès le premier matin au camping. Il nous a prêté une table et deux chaises, nous a dépanné de tous les petits trucs qu'on avait oubliés, - étant partis de Besançon avec un minimum un peu trop sommaire.... Le deuxième jour il nous a demandé de venir lui chanter quelques chansons avant notre tour des restaurants. C'était samedi soir. Une amie était avec lui et, sur la petite terrasse devant leur auvent nous leur avons interprété, avec Karel, quelques chansons. Ils étaient ravis. 

Hier matin, nous avons pris un café ensemble dans le café du camping. J'ai alors osé lui demander comment il avait perdu ses jambes. Il m'a alors parlé de l'opération d'une jambe, puis de la seconde un an plus tard. Les médecins n'ont pas réussi à déceler le type d'affection qui avait nécessité l'ablation. Mais Pascal a une idée sur la question. Pour lui tout remonte à son adolescence, alors qu'avec un ami il s'initiaient à la spéléo. Un jour ils étaient descendus dans une faille. Sur les parois du trou, Pascal avait remarqué une espèce de glu verdâtre. Un peu plus bas il a aperçu des barils avec le symbole "produit dangereux" exprimé par la tête de mort bien connue. Il dit alors à son pote : "remonte et surtout ne touche pas les murs !" Seulement son ami avait un gant déchiré et la fameuse glu était sur sa main. Un an et demi plus tard, son ami était saisi d'un cancer foudroyant qui l'emporta en un mois ! Pascal était alors furieux. Son ami avait alors 17 ans, rien qui ne présage un tel cancer. C'est alors qu'il a signalé la fameuse glu dans la faille. Après un peu de longueur de réaction, les médecins ordonnèrent une enquête. Mais quand les enquêteurs sont arrivés devant le trou, il se sont aperçu qu'il n'était plus, qu'on l'avait complètement bouché de remblais. Une plainte a été déposée. Mais très vite on a classé l'affaire sans suite....

Environ 20 ans après, Pascal ressent d'étranges fourmis dans la jambe droite. Les analyses ne révèlent ni germe, ni rien de définissable. Les chairs se putréfient, il faut opérer pour couper l'évolution. Pour Pascal la relation avec le cancer de son ami paraît évidente.... Maintenant il dit qu'il ressent une insensibilité de sa main droite. "Peut-être ça va être pareil qu'avec mes jambes.... " s'inquiète-il....

On peut tout imaginer par rapport à ces mystérieux barils, produit radioactif, bactériologique, chimique.... La Suisse a-t-elle travaillé aux armes chimiques ? Secret de l'état Suisse ?

En tout cas Pascal, au moment de notre départ, nous a salué avec émotion : "Vous m'avez apporté une grande bouffée d'oxygène !" me dit-il.  Il m'a promis qu'il passerait à Besançon, qu'il vienne en stop ou en vélo. Il y a une petite dizaine d'années, Pascal avait battu un record de vitesse avec son vélo à bras : 80 km/h pendant 10 minutes, du jamais vu ! Avec des bras comme il en a ! Non, je ne parle pas de ses tatouages, je parle des muscles !

Avant de quitter Yverdon nous sommes allés jouer une dernière fois au "Ranch", à côté de la piscine, à deux pas du camping. Ce restaurant est de loin le plus sympathique où nous ayons joué en Suisse. Les clients nous accueillaient avec le sourire, et l'équipe du service pareillement. C'était vraiment plaisant, nous avons même vendu un CD, ce qui n'est pas commun après un tour de chapeau.

Voilà, l'aventure Suisse est terminée. Nous ne regrettons pas de l'avoir tentée. Je reviens avec plein d'adresses, on verra si cela mènera à de futurs concerts. 

Le soleil tente maintenant de reprendre le dessus sur les nuages. On entend les cloches des vaches dans le champ d'à-côté, Karel fume sur la terrasse, face au paysage tout vert qui plonge devant lui, Jack fait un peu de bricolage dans son immense ferme qu'il retape au rythme de ses rentrées d'argent. Il travaille comme décorateur pour le cinéma et pour quelques événementiels. Lentement le confort s'installe dans la maison qui était dans son état initial, genre XVIIIème siècle vingt ans auparavant. Finalement, la restauration de cette ferme, ce sera l'œuvre d'une vie, Jack fait tout tout seul.

Ludmila est dans le train qui la ramène de Vérone où elle a suivi un stage de voix classique avec un chanteur américain connu dans le milieu, Myron Myers. Elle arrive ce soir. Encore quelques bouffées d'air de la montagne jurassienne et nous redescendons à Besançon...

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Jeudi 19juillet 2007, Presqu'île de Quiberon

Nous voici arrivés en Bretagne. Nous sommes partis hier soir avec Théo et Ludmila. Direction Dijon où Ludmila devait prendre un bus pour Vérone. Nous avons attendu deux heures car Ludmila pensait que le bus arrivait à 20 H 45 et, après avoir vérifié son billet, elle a découvert que c'était en fait une heure plus tard. Nous avons dégusté notre pique nique, nous nous sommes fait refuser un café par un restaurateur très sympathique, de ces dijonnais qui vous font détester Dijon, nous avons pas mal parlé en blaguant tous les trois, jusqu'à ce qu'on arrive au chapitre de l'athlétisme. Alors Théo et Ludmila se sont mis à se remémorer ce qu'ils savaient (ou avaient su) faire et commencer à les mimer sur la barrière devant la gare Porte Nouvelle. Pendant ce temps les clients pas visiblement pauvres du restaurant aux patrons sympathiques-qui-font-

détester-Dijon, sis en face la gare, les regardaient de temps à autre d'un oeil torve. C'était amusant. Ce qui fait que l'heure a tourné assez vite et qu'on n'a pas trouvé le temps de s'ennuyer.

Le bus Eurolines est alors arrivé et nous avons dû laisser Ludmila se faire avaler par le grand tube et décider de prendre la route. Il était 22 heures 10, le bus avait un peu de retard et nous avions 780 km exactement devant nous. Il fallait quand même prendre un café. Nous avons trouvé un bar à cent mètres de là où la patronne et deux clients ont été tout à fait charmants avec nous, - ce qui nous a amené à penser, soulagés, que les dijonnais n'étaient pas tous des cons. Je n'aime pas penser qu'il y a trop de cons autour de moi. Mon métier de guitariste quêteur m'a appris qu'en fait la connerie est largement minoritaire. Seulement elle a un tel pouvoir de nuisance qu'elle fait de l'ombre aux gens doux et courtois qui sont foison.

Du coup je me méfie toujours un peu des gens pour qui tous les autres sont des cons. La réversibilité de l'impression est telle qu'en mettant trop de gens dans un camp on finit par s'y jeter soi-même...

Le voyage a été long bien sûr mais avec Théo il fait partie d'un de nos plus chers rituels. La première fois qu'il est allé à Quiberon, Théo avait deux mois. Il en a été privé pendant deux étés en quinze ans. C'est dire que, ou bien il aime ça ou bien il se fait avant de partir une virulente poussée de boutons avec blanchiment prématuré des cheveux. Cela n'a pas été le cas. 

Dans ce voyage rituel la musique a une importance clé. Théo a son programme. A début cela a été tous les derniers téléchargements qu'il a fait de ses groupes ou chanteurs préférés. On avait donc au moins dix heures de Louise Attak, des Orgues de Barbak, Thomas Fersen et quelques anglais dont j'ai oublié le nom. Mais, dès lors que l'on approche de la Presqu'île la programmation change. D'abord on écoute La Mano Negra. C'est à peu près du moment que l'on aperçoit le port de Saint Goustant à Auray. Et puis, dès que nous nous sommes engagés sur la partie isthme de la Presqu'île, Théo vire la Mano Negra et charge "Mlah" des Négresses Vertes. Cette ritualité est une sorte d'hommage à tout ce que nous avons vécu ici. Et cela me touche beaucoup que Théo ait mis au point ce programme musical qui rappelle tout ce que nous avons vécu ici et, en fait, la profondeur des liens qui nous lient tous les deux. Oui, c'est certain qu'il y en a eu beaucoup, sur ce bout de sable entre terre et mer, des heures d'enchantement que nous avons su partager mon fils et moi...

Après être allés manger une galette bretonne, autre rituel, nous avons marché le long de la plage. En parlant. Sans nous occuper de l'heure ni de la météo qui n'était pas très rassurante. Le ciel s'est obscurci. Est devenu d'un bleu... d'un bleu avec ces lumières des lampadaires du port, avec ces nuages et leurs percées de grenat ou d'orange... Avec ces fantômes blancs sur le flot noir, des bateaux de pêcheurs, - avec la voix de Ferré qui gueulait "Entends la mer, entends la mer, qui te remonte dans la gueule !" Avec tant d'images partout, des ressauts de souvenirs, des impressions qui remontent, des gens qu'on croise et qu'on salue, - nous qui sommes ici chez nous, comme ces riches gens qui ont acheté les appartements sur le bord de mer. Chez nous, ici, ou je suis venu chaque été sans le sou et suis reparti plus riche, contrairement à tous ces gens qui viennent en vacances ici comme moi. 

"Presqu'île qui m'a pris dans son gant contre une brassée de chansonnettes" ai-je écrit dans "Vivre là" et  "le musicien est l'aristocrate des mendiants" a écrit Paul Auster dans un de ses romans....

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Lundi 23 juillet 2007, Camping de Penthièvre

La Bretagne fait sa chieuse. Il pleut et il ne fait pas chaud. Moi qui fais tout pour contrer ces racontars qui veulent qu'il pleuve toujours en Bretagne, je suis ce soir sans argument et dépité. Il pleut.

Demain nous partons en vacances avec Théo. Nous allons visiter nos amis David et Raphaëlle qui habitent maintenant à l'île d'Arz, dans le golfe du Morbillan. Sans en être sûr je pense que nous dormirons là-bas. Vacances car enfin, sur la presqu'île, je suis ici pour travailler. Résidence d'été, certes, mais avec travail le midi et le soir. Je ne suis donc pas touriste, pas plus en vacances : je suis un musicien en saison d'été.

Et pas malheureux de l'être. Mon répertoire de chansons classiques, entrelardé parfois de l'une des miennes, fonctionne encore bien et, sans l'anxiété de mes débuts, je passe des moments très sympathiques avec un public qui est  heureux de me retrouver chaque année. D'ailleurs cet hiver, à Besançon, j'étais avec Paulo, le batteur du groupe, et nous croisons deux jeunes gens, dont une fille qui s'écrie : "Oh ! Le chanteur de Quiberon !" Depuis, Paulo s'amuse souvent à s'exclamer : "Philippe : Le chanteur de Quiberon !"

Je viens de terminer le livre que m'ont envoyé Claire Legendre et Jerôme Bonnetto. C'est le jeune couple qui avaient découvert mon site parce qu'ils recherchaient des informations à propos de Tabor où Jérôme avait postulé pour être enseignant. Il y a en effet à Tabor un lycée linguistique dont certaines sections ont tous leurs cours en Français. Claire et Jérôme sont tous les deux écrivains, habitent à Nice et ont publié un livre ensemble : "Photobiographies".

Je suis très content tout d'abord qu'ils m'aient incité à me replonger dans un livre, ce qui m'arrive de moins en moins. Je le déplore mais je pense n'être pas assez serein et disponible pour prendre le temps de débrancher le reste et me plonger dans un bouquin. Pourtant Dieu sait quelle cadence de lecture j'ai eu pendant une grande période de ma vie ! Promis, si je trouve un tourneur, je me remets à la lecture.

C'était donc plaisant de retrouver le plaisir de lire, avec un a-priori de sympathie pour ce jeune couple qui m'avait contacté  suite à une recherche par mots clés. Et puis des points communs avec Jérôme qui est aussi photographe, écrivain et qui participe à un groupe de musique ! Ca alors !

Le livre est une suite de petits textes attachés chacun à une photographie. Textes biographiques libres, sans se soucier de l'enchaînement chronologique. Je n'ai pas saisi de plan très précis bien que des thématiques font s'enchaîner certaines suites de texte. Plus on avance dans le livre plus on se rend compte que le petit Poucet de la biographie, en même temps qu'il pose ses galets, essaye aussi, en même temps, d'effacer ses traces. Cette impression est confirmée à la dernière photographie du livre, qui se trouve être aussi la première, et qui est chaque fois attachée à une biographie différente. On en déduit que les auteurs ont voulu exprimer "attention ! La biographie est aussi une fiction !"

La pudeur exprimée, notamment dans la description que fait Jérôme de la personnalité de Claire, peut être une explication à ce brouillage de cartes. Comme si les auteurs nous disaient : "Nous nous sommes dévoilés devant vous, mais méfiez-vous, tout ce que vous avez lu n'est pas entièrement vrai, nous ne nous sommes pas totalement dénudés, vous venez de lire un texte littéraire, n'en demandez pas plus, notre intimité reste entière !" En fait se donner puis se reprendre.

Je ne sais quoi penser de cette reprise en main. Peut-être est-elle nécessaire, comme l'écrivait Maurice Blanchot, pour que le livre se termine, pour qu'il ouvre le creux d'un livre à venir, sinon quel abîme qu'une biographie ! 

La productions des photographies devient le squelette même du livre, et ce sont ces photographies qui ont permis aux auteurs de structurer leurs anamnèses et de rendre fini ce qui pourrait devenir un espace illimité. On pense au travail de Proust qui a été interrompu par la mort de l'auteur, Le livre interminable à peine terminé, - et ceci, malgré une structure qui semblait vouloir rechercher sa finalité !

Ce que j'ai préféré dans le livre de Jérôme et Claire, c'est le regard qu'ils posent l'un sur l'autre. Celui de Jérôme est plus perspicace ou simplement plus attentif et c'est ce qui fait son intérêt. Celui de Claire revient peut-être davantage à elle, mais bon, le rôle de jolie jeune femme à l'enfance toujours vivante et aux sollicitations d'enfant choyée en fait un joli personnage. Joueurs tous les deux, charmants dans leur insouciance et leurs intérêts nourris des livres qu'ils ont lus, le livre nous les rend proches dans leur complicité joyeuse. Après, un milieu social se dessine, et forcément pointe son nez un mur pour peu que vous ne partagiez pas ce milieu. C'est aussi le risque de la biographie, celui en quelque sorte de vous stigmatiser...

Cela me fait penser à cette exposition de Lartigue. J'en suis sorti absolument conquis. Ce qui m'a tant impressionné chez lui c'est l'ampleur de son travail, les albums de photo (des milliers !) complété par un journal à peine dévoilé. Cette acharnement à transmettre, cette générosité en somme, est pour moi le rempart contre toute attaque de l'ordre de la lutte des classes.

Alors ces deux là se donnent, - pas assez ? Mais ce n'est qu'un seul livre ! Alors, quoi ? Il faudra qu'ils donnent encore et beaucoup et qu'une beauté inattaquable naisse de ce don.

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Mardi 24 juillet 2007, Ile d'Arz

Nous sommes arrivés dans l'île hier en début d'après midi. Dans le bateau se trouvait avec nous la douce et belle Raphaëlle avec ses deux filles, la plus petite cachée dans un couffin enroulé autour de la poitrine de la jeune femme, si discrètement que nous ne l'avions d'abord pas vue. Raphaëlle rentrait de faire ses courses sur le continent, soucieuse que ses invités, en l'occurrence moi et Théo, ne manquent de rien, et avait, en plus de ses deux enfants, deux gros sacs plastiques au poids impressionnant. C'est une des contraintes des insulaires que d'avoir à se ravitailler sur la terre ferme et de devoir emprunter les transports collectifs, bus et bateau, pour transporter leurs courses. David nous attendait au port, et immédiatement un petit arrangement a eu lieu avec un voisin pourvu d'une mobylette et d'une remorque pour transporter les lourds sacs qui menaçaient de rompre.

L'ïle d'Arz se trouve dans le golfe du Morbillan, en face de l'île aux Moines. Elle fait trois kilomètres de long par deux de large. Un petit paradis pour ceux qui ont envie de fuir le trafic et le stress de la vie sur terre !

Nous sommes restés quelque temps dans la petite maison de David et Raphaëlle avant qu'ils nous emmènent nous promener dans l'île. Nous avons appris que leur maison fait partie d'un petit quartier HLM aux maisons construites en cercle autour d'une cour centrale, quartier nommé "le quartier nègre" allez savoir pourquoi. Peut-être parce qu'il est le seul quartier de logements sociaux de l'île et que son nom dénoncerait une frontière nécessaire avec les quartiers des autres, ceux qui paient des charges exorbitantes et ne voient pas d'un oeil ravi qu'on puisse pouvoir vivre sur l'île avec un loyer de 400 €... C'est en tout cas l'explication avancée par les locataires...

Raphaëlle et David se sont retrouvés ici suite à la volonté de la commune de "repeupler" l'île de familles avec enfants. Il y a en effet une école sur l'île où viennent de moins en moins d'enfants et qui pourrait, un jour, être amenée à être fermée. L'école est constitué d'une classe unique de 14 enfants tous niveaux confondus.

La promenade vers le bourg, puis vers une plage, nous a permis de découvrir ce petit bout de terre de toute beauté. L'île était auparavant habitée par des anciens gradés de la marine qui y avaient fait construire de très belles maisons. Elle s'est ouverte au tourisme très tard car elle n'avait tout simplement pas besoin d'apports extérieurs pour l'économie locale. 140 personnes l'habitent à l'année. L'été elle se peuple davantage, entre les locataires des résidences secondaires, les propriétaires de résidences secondaires et ceux, dont un grand nombre d'habitués, qui ont choisi de s'installer dans l'unique camping.

Comme toutes les îles bretonnes Arz offre des effets de ciel et de couleurs marines somptueux, mais il y a en outre un petit côté zone préservée qui lui donne un air d'immense jardin public. Tout le monde se salue dans les rues de l'île, bien sûr que tout le monde se connaît et les enfants jouent dans les rues sans avoir à craindre les voitures, très rares, qui roulent à 30 km/h, ce qui est déjà beaucoup vu le peu de distances qu'il y a à parcourir !

Côté commerçants, pas un seul magasin mais quelques bars ou restaurants. J'ai cru comprendre que les insulaires laissent des ardoises un peu partout sur l'île et que les commerçants ont parfois du mal à récupérer les dettes de leur client. C'est le côté sombre de ces petites enclaves. Le paradis accueille bien ses hôtes mais il ne faut pas compter sur lui pour les nourrir. Si peu qu'on n'ait pas envie de le quitter, tant on s'y sent en paix et en harmonie avec la nature.

Nous avons fini l'après-midi chez un habitant qui propose, pour quelques amis, une sorte de bar clandestin. Attablés autour de la table de la cuisine, mes deux compagnons et leurs enfants, moi et le mien, les habitants de la maison et un vieux campeur qui, depuis 20 ans loue à l'année un emplacement pour sa caravane pour la modique somme de 3000 €. Évidemment ici, le terme "modique" est relatif à la bourse de chacun ! La conversation allait bon train, les tournées s'enchaînaient joyeusement, le kir à 1,5 € ne faisant pas affront aux bourses, quelque soient les revenus ! Caractère bien trempé des hôtes de la taverne, anarchistes revendiqués, chacun ayant l'air de donner à cette catégorisation son sens privé ! Joies à gorges déployées, blagues et anecdotes, et puis, au troisième verre on commence à sortir ses fantômes et là on se rend compte que dans ce havre de paix chacun est venu oublier quelque drame, noyer quelques larmes, et c'est à deux doigts des sanglots, dans des émotions aussi épaisses que les galettes d'une chanson de Ferré ("Tellement on y a versé des tonnes de sentiments") que les tournées ont fini par virer.

Nous sommes rentrés manger dans le quartier nègre, un repas encore bien arrosé où mon ami David trahissait son plus gros défaut, défaut je crois partagé par bon nombre de Bretons. Vers minuit nous rejoignait Alexis, un jeune Suisse aux cheveux raz, sauf quelques pics s'élevant de son crâne en épis, les oreilles percées de grosses bagues en argent, et qui nous a chanté quelques reprises de Renaud version punk ! David de sa voix puissante ne cachait pas son plaisir d'avoir chez lui des hôtes qui lui apportaient un plaisir manifeste. Fils d'une danseuse juive italienne, quand je lui ai interprété "Via con me" de Paolo Comte il a fondu en larmes et s'est mis à me raconter par bribes pas toujours compréhensibles l'histoire italienne de sa famille, la richesse puis la ruine, et sa mère, danseuse classique, qui, pour nourrir seule ses enfants, a dû se mettre à danser au Mocambo, un cabaret en vogue de l'époque. Nous sommes allés nous coucher tard, dans ce paradis pour anars car figurez-vous qu'il n'y a pas de policier sur l'île ! Mais de toute façon il n'y a quasiment pas de voitures, on peut donc rentrer chez soi sans se soucier du taux d'alcoolémie que l'on a dans le sang.... Et le vent est toujours là pour vous dégriser : "Entends la mer ! Entends la mer ! Qui te remonte dans la gueule ! Crie !" Ferré plane dans l'esprit des anars de l'île qui, il me semble, représentent bien plus d'un pour cent de la population !

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Samedi 28 juillet 2007, camping de Penthièvre

La Bretagne a bien voulu, aujourd'hui, nous accorder une journée de beau temps. Ca ne fait pas de mal car hier crachins et pluie montraient les crocs et on filait queue basse, la tête entre les épaules. Au camping la famille s'agrandit ,ma mère est venue nous rejoindre hier, et demain soir ma sœur se précipite vers nous en train à grande vitesse. Heureux qu'un coin de camping à l'autre bout du pays réussisse à rassembler la famille, ce n'est pas si souvent.

De son côté Ludmila est partie hier soir, en train elle aussi, mais dans la direction opposée, vers la Pologne où se tient un festival de musique Yiddish. André Ochodlo, acteur, chanteur, et directeur d'un théâtre à Sopot, à côté de Gdansk, est à l'initiative de ce festival. Ludmila a quelques uns de ses disques et elle vient de m'envoyer un texto me disant que son concert se rapprochait plus du théâtre que d'un concert traditionnel. Le festival dure trois jours et Ludmila a décidé d'écrire un article qui sera publié dans une revue tchèque consacrée à la culture et à la mémoire juive. Il paraît que la ville de Sopot, située en bord de mer, est le Monte Carlo de la mer Baltique.

De mon côté chaque soir je vais jouer à l'artisan chanteur qui fait tourner un répertoire éprouvé au fil des années parmi lequel je glisse, de temps en temps, une de mes chansons. Le public est généralement sympathique, familial, et c'est toujours plaisant d'entendre une table, puis une autre, et parfois toute la salle, se mettre à chanter avec moi. Ce travail, dont je suis certainement un des pratiquants les plus réguliers, puisque je déclare une grosse partie de mes recettes pour les convertir en cachets, a le pouvoir de me réconcilier avec la nature humaine. C'est un formidable poste d'observation. Les consommateurs des restaurants où je vais faire la manche ne se doutent pas que j'ai une position avantageuse pour jauger, juger, et apprécier les gens. Le détachement que j'ai aujourd'hui face à ce rôle de chanteur ambulant me permet d'observer les gens sans passion délétère, et je m'en retourne à ma tente avec une sympathie pour les uns et une compassion désolée pour les autres. J'ai eu par exemple la bonne surprise de voir des gens qui, il y a quelques années, me regardaient d'un oeil hostile et mauvais, se mettre à me dire "Ca fait vingt ans qu'on vous voit et c'est vrai qu'il y a toujours quelque chose de sympathique à vous écouter" ! Quel changement ! Je n'ose pas imaginer ce qu'ils pensaient il y a même cinq ans de cela. Je pense que même les plus hostiles du début se mettent à comprendre que le but de l'opération ce n'est pas de jouer la star et de faire du "grand talent mythique". Le but est d'apporter quelques minutes de sympathie et d'harmonie autour de quelques chansons rendues mythiques, elles, par quelque contexte particulier qu'il faudrait une analyse sociale complète des quarante années passées pour comprendre réellement. Comment une chanson de Bobby Lapointe, de Brassens, de Gainsbourg, de Renaud et même de Dutronc ont-elles réussi à entrer dans la mémoire et dans le cœur d'autant de générations, c'est un mystère. Thomas Fersen arrivera-t-il un jour à faire spontanément se mettre à chanter en cœur des publics aussi variés avec son "canasson" ou sa "chauve souris" ? Ce serait bien, certes, mais je n'en suis pas certain. Peut-être quelque chose a changé dans les modes de diffusion, quelque chose qui fait qu'on a multiplié les cibles et donc, qu'on a divisé les publics...

En tout cas ce costume de ménestrel me permet d'approcher des gens fort aimables qui me parlent avec gentillesse, et m'apprennent des choses très intéressantes à propos d'eux, de leur milieu, de leur pays. Comme ce couple de jeunes adultes belges francophones qui me parlaient des actuelles tensions communautaires de la Belgique, avec aujourd'hui, tout récemment élu, un premier ministre (l'équivalent de notre président) Flamingan, de ces nationalistes flamands à qui Brel disait "Messieurs les Flamingans je vous emmerde !"

Comme il est étrange qu'un même pays, aussi civilisé et ouvert au monde, se divise ainsi sur des bases identitaires linguistiques...

Mais c'est vrai que la langue c'est la culture, et que la culture c'est un lien social profond et puissant que les hommes politiques sous estiment trop souvent....

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Mardi 7 août 2007, Ile d'Arz

Retour à l'Ile d'Arz. Je m'installe à la terrasse du café "La Fontaine" pendant que tout le monde dort dans la maison de David et Raphaëlle. Je retrouve l'esprit de l'île : on va à pied ou en vélo et l'on se salue. Ceci devant mes yeux car la "route" est entre la terrasse et le bar. Je veux raconter notre soirée chez les Suisses, le concert d'Alexis, le punk au cœur tendre, puis les avant-premières de ses potes, celui qui fait du Yoyo moderne (impressionnant) et l'autre du jonglage (du style). Mais, me disait David, les Suisses ne sont pas très apprécié dans l'île car ils forment vraiment un clan à part et fermé. Pas si fermé que cela puisqu'on était chez eux hier soir ! En tout cas, comme me disait Théo, entre Alexis, le jongleur, celui au Yoyo et encore Régis, celui qui vient de finir de retaper un vieux petit hors-bord des années 60 et qu'il mettait hier à l'eau après y avoir travaillé nuit et jour pendant trois mois, - et Régis disait Théo qui a un studio d'enregistrement à Genève, ils ont tous un truc bien à eux les Suisses ! Oui, je lui répondais, mais tu n'as eu des contacts qu'avec ceux qui avaient un truc comme tu dis, les autres ne sont pas venus te parler ! Comme quoi, ceux qui créent des liens, c'est toujours les mêmes ! C'est alors que David me rejoins sur la terrasse de la Fontaine en me disant : "j'étais sûr que tu étais là !" Eh bien, c'est comme cela que ma narration a dû prendre fin. Allez, deux crèmes s'il vous plaît !

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Vendredi 12 août 2007, Camping de Penthièvre

Cette année, mon séjour à Quiberon a été dominé par deux activités majeures : mes tournées des restaurants, à Saint Goustan à midi et à Quiberon le soir, poussé par les dettes à rembourser de ci de là, histoire d'assainir la situation avant de retomber dans une période sans statut d'intermittent qui risque de ne pas tarder, et, par ailleurs, par l'écriture d'une nouvelle chanson. 

Je crois qu'aucune chanson ne m'a demandé autant de travail et ne m'a fait autant de soucis. Elle s'appelle "Le Singe Drako". Elle est née de la rencontre de deux idées. L'une où je voulais en quelque sorte affirmer mes choix de vie, ceci à travers le portrait d'un pirate pacifique mais fervent de liberté. Je voulais lui donner un air lyrique du style "Santiano" ou "C'est pas l'homme qui prend la mer". J'avais dans l'idée de présenter cette chanson au concours d'Utopia dont le thème est cette année "Croissant de lune". Un thème qui a été choisi en hommage à l'année Vauban. Le croissant de lune étant un style de fortification. J'avais donc un vers et un style de musique en tête. Le vers c'était : "Il se lave au bandeau de la lune" qui se prononcerait "Vauban deau de la lune" et qui, au lieu d'évoquer les passions militaires de l'architecte, évoquerait totalement leur contraire, à savoir la liberté aux limites du droit dominant, bref un pirate poète comme l'était Villon, le premier poète rebelle de langue française.

J'avais été par ailleurs très enthousiasmé par l'escapade du macaque du Japon qui s'est évadé de la Citadelle de Besançon et qui, depuis des mois, court la nature et qui a réussi plusieurs fois à échapper aux tentatives de récupération du personnel du Zoo de la Citadelle.

La première idée m'avait semblé un peu nombriliste et je me suis rendu compte que l'aventure du Singe évadé collait bien évidemment au thème Vaubanien du concours et qu'il offrait lui-aussi un paradoxe intéressant. En fait il suffisait de remplacer l'idée du pirate pacifique par celui du singe évadé sans que l'idée quelque peu libertaire du début en soit altérée.

La première idée musicale, liée au Pirate se voulait influencée par la musique bretonne ou Celtique. C'est pourquoi j'avais voulu attendre de venir sur la Presqu'île pour me nourrir de ces influences et de finaliser la musique ici. 

Arrivé à Quiberon, j'ai commencé par appeler le responsable des animaux de la Citadelle de Besançon pour avoir quelques éléments précis d'information sur ce singe aventurier. J'ai appris qu'il s'appelait Drako (peut-être avec un "c" mais le "k" le rapprochait du nom de notre Président, ce qui était prometteur de rebondissements !), qu'il avait cinq ans, que, macaque du Japon, il était d'une race de singe qui peut résister parfaitement à nos climats, été comme hiver (ils vivent dans les montagnes enneigées du Japon et sont parfaitement capables de trouver leur nourriture par les plus rudes climats) et deux trois précisions du genre à ne pas tomber dans le panneau des clichés trop primitifs.

L'écriture du texte s'est fait tout doucement mais sa grande difficulté. En revanche, côté musique ça a été plus rude. La première version ressemblait trop à du Renaud, la deuxième version ne me correspondait pas et les autres non plus. C'était comme une obsession. Théo qui me voyait monter et démonter et reprendre ma guitare à deux heures du matin me dit : "Dis donc, quand tu as une idée en tête tu es vraiment acharné !"

Et puis, j'ai finalement trouvé quelque chose qui me paraissait sympa. Mais cela devait être accompagné par un rythme qu'on appelle "la pompe", et que j'avais toujours écarté de mes compositions. Mais là, c'était adapté, après une phrase comme " Vedette acrobate en vadrouille, la nuit il se trouve une cabane. Drako vit d'art et de débrouille comme à l'age d'or perdu des Tsiganes" La pompe est le rythme utilisé par le jazz manouche, et j'aimais bien l'age d'or PERDU. Pas naïf le bonhomme, les tsiganes, et notamment ceux de l'Est européen, vivent dans une misère noire. Ce n'est pas moi qui vais me prendre pour un d'eux et écrire "Hé, Joe, qu'est-ce que tu fais dans ta caravane !" Non. Respect pour ceux qui n'ont pas toujours de caravane d'ailleurs. Le temps des tsiganes, il est où ? Le temps des tsiganes musiciens et heureux d'être libres comme l'air, il s'est enfoui dans l'histoire, pour céder au temps de la misère, du racisme, de l'alcoolisme généralisé et de l'analphabétisme.

Mais c'est sûr qu'ils nous ont laissé une idée de liberté, une sorte de rêve perdu, de vie hors des courants normalisés, idée que beaucoup d'artistes ont fait leur. Mais cette idée est aussi une idée que nous ont laissé nombre de poètes français. Le terrible Villon en premier lieu. Quel bonhomme ! (je viens de terminer le roman de Jean Teulé "Je, François Villon")

Alors voici, "Le singe Drako" est née, une chanson que j'aimerais interpréter avec mes amis bisontins qui se sont perfectionné dans le jeu inventé par Django Reinhart, un manouche qui a emprunté le jazz aux américains pour en développer un style à sa manière ! Les tsiganes ont toujours fait ça, ils prennent les influences locales, et ils les adaptent à leur sensibilité, avec un art du rythme et du chant bien à eux !

Alors voilà, un été au bord de la mer qui a été très chargé de travail. Et alors ? Ca sert à quoi les vacances ? A changer d'air ! Ah ! l'air de la Bretagne ! Pour moi, cette année, il était en ré mineur !

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Vendredi 17 août, Penthièvre

Dernière journée en Bretagne. Le temps est encore couvert, - menaçant ? J'espère qu'il n'y aura pas de pluie pour plier la tente cet après-midi. Cette saison a été un peu bizarre. Je n'ai pas eu droit à de grandes fêtes, du genre une salle qui se déchaîne lors de mon petit tour des restaurants, et tous les clients de se mettre à chanter avec moi, voire à danser. Il y a bien eu des petites tentatives, mais limitées à une table, ou deux, ou trois...

Ici la perception du temps est particulière, comme je reviens chaque année pendant quelques semaines, cela me permet de faire un bilan des années qui passent. Les gens que je revois ici changent, des enfants deviennent adultes et me demandent :  "vous ne me reconnaissez pas ?" Ah ! hou la la, nous avons changé dis-je. Il y en a qui disparaissent, comme ce boulanger qui, un soir au restaurant le Vivier, avait fait monter l'ambiance sur la terrasse où je jouais, véritable complice, et là, oui, nous avions eu une soirée mémorable, déchaînée ! L'année suivante j'avais appris que le feu avait pris dans sa boulangerie, ils avaient dû fermer une saison. Et puis il paraît que depuis cette période, les relations avec sa femme s'étaient détériorées... Et cette année, mon ami Jacky, le patron du Vivier m'a appris que Loïc le Bihan, je crois qu'il s'appelle, s'est pendu ce printemps. Comparé au souvenir que j'avais de cette soirée, ce suicide m'apparaissait quelque chose d'absurde. Comment un homme avec un tel ressort d'énergie peut-il démissionner ainsi...

J'ai croisé cette année un personnage étrange, un poète d'Auray, Serge. Tiens, au fait, il a oublié de m'écrire son nom ! En tout cas il a connu Guillevic, un poète Breton avec une certaine renommée, mort il y a une dizaine d'années, et celui ci l'a porté sous son aile les premières années. Nous nous sommes rencontrés dans un bar crêperie d'Auray, où je chante de temps en temps. Serge a un regard espiègle, qui vous scrute sous ses lunettes et ses longs cils, volubile, peut-être un peu éméché quand je l'ai rencontré, il me racontait l'aventure d'un groupe qu'il a créé, "la grenouille", dont l'amour est le maître mot. Serge ne jure que par l'amour. Il me disait, la deuxième fois que je l'ai rencontré : "Je suis allé voir ton site. C'est pas mal. J'ai lu le premier cahier de ton journal. C'est bien mais il n'y a pas assez d'amour pour moi, trop d'égo  ! - Mais c'est un journal lui disais-je, forcément il y a de l'égo. Mais il n'y a pas que cela il me semble... - Oui, mais pas assez d'amour pour moi.

J'aime bien les poètes quand ils sont capables de vous dire par cœur quelques uns de leurs vers au coin d'un bar. C'est magique, finalement je préfère les écouter que les lire. Mais de toute façon je l'ai dit : je lis trop peu. Donc mon avis sur la question n'a aucun crédit. Serge, lui, semble vivre la poésie comme une sorte de religion païenne ("mais je crois à la transcendance, je ne suis pas matérialiste comme toi, je suis pour Platon !"). Il a la foi, la foi en l'amour, universel, sans sexe, non, l'amour de tous. Comme David j'ai remarqué qu'il avait aussi son ardoise au bar, et, vu comment parfois les patrons lui parlent, on sent qu'à force de dettes son propos a aussi perdu une part de crédit... Serge ne s'en formalise pas. En cela j'ai vu en lui un personnage à la Dostoïevski, avec des yeux vifs presque inquisiteurs, entretenant avec autrui un rapport faussement dépendant. 

Mais ses vers reviennent laver tout ça, son vrai pouvoir est là, là il est souverain. 

Serge voulait m'inviter à Paris, lors du récital qu'ils doivent donner avec l'atelier du Bosco (www.atelierdubosco.com) dans un cabaret de la porte des Lilas. Serge voulait que je fasse un film d'Amour sur leur groupe la Grenouille, Serge me racontait comment il avait rencontré Léo Ferré qui était allé l'attendre à la gare d'Austerlitz, Nougaro aussi, je ne sais plus à quelle occasion, - et tout cela avec une touchante intention de me prouver ce qu'il était vraiment, faisant déferler des informations qui se mélangeaient dans ma tête encore embuée par un troisième verre de blanc (c'était mon dernier midi à Auray, ça se fête !). 

Serge a deux petits bras maladroits, trop courts, qui lui ont valu je pense une pension d'invalidité. Est-ce pour cela qu'il ne veut pas entendre parler d'argent ? et que l'Amour pour lui exprime tout sentiment direct et libéré des rapports avec le monde compliqué de la réalité ? De ces poètes comme les écrivait Ferré, - doux rêveurs reclus dans un monde de mots protégé de l'agression du monde marchand et impitoyable... 

Moi j'aime ces gens là, je ne m'en défends pas. Les gens normaux sont ennuyants. Les passionnés sont les plus beaux. Les désespérés sont les plus touchants. J'ai eu aussi un choc quand je suis allé faire ma vidange au garage Birien, un garage où j'ai pris l'habitude d'aller faire mes petites réparations chaque année. La première fois, il y a des années, j'y avais vu à vendre une superbe Jaguar. Une Souvereign, longue, racée, avec des rayons aux roues. Ils la vendaient 50 000 francs. Je l'ai revue pendant trois ans, toujours pas vendue. Quelle beauté ces anciennes berlines, des voitures de fiction. Et puis un jour, le patron, Monsieur Birien père m'a dit qu'il l'avait vendue (ça avait été sa voiture) à un peintre. J'avais rêvé acheter ce bijou d'évasion... 

L'année suivante, le même Monsieur Birien père vendait sa dernière voiture, une Mercedes 280 SE, une autre classieuse, avec moins de prestige que la Jaguar, mais quand même, un vieux bijou des années 70. Il la vendait 20 000 francs. L'année dernière elle y était encore, j'avais discuté avec le père, je voyais qu'il aimait sa voiture, ses chromes, ses sièges de cuir, son tableau de bord en acajou, son moteur puissant et la douceur de sa conduite. J'étais tenté. De retour à Besançon j'avais demandé à un ami installateur de GPL, s'il pourrait m'installer le gaz sur la 280. Ce n'était pas possible, il n'y avait pas de kit pour ce modèle là. 

Cette année la Mercedes était encore au Garage Birien. Les pneus s'étaient dégonflé. Et puis, soudain, hier, la voilà dans le garage, les roues remises en air ! Je demande "elle est vendue? - Oui - combien ? - 1200 € - Oh non !" Je passe payer ma facture. Discute avec la patronne. C'est Madame Birien mère. "Votre mari me l'avait montrée l'année dernière, j'avais été tellement tenté ! C'était cher pour moi, surtout la consommation,  mais si j'avais su qu'elle ne valait que 1200€ ! - Vous auriez du nous en parler, on aurait préféré vous la vendre à vous ! Mon mari aimait sa voiture, à la fin il voulait la récupérer pour lui.... - Mais il est... - Oui, il est mort l'année dernière au mois d'août ! - Alors j'avais parlé avec lui peu de temps avant qu'il meure ! - Oui, oh il était déjà mal en point. Donc je disais qu'avec son bras, quand il a voulu la récupérer, il s'est rendu compte qu'il ne pouvait plus la conduire, alors il l'a remise à la vente... Il était tellement déçu..."

Je revois cet homme, amoureux des belles voitures anciennes, menacé par son cancer, et qui veut, comme un espoir de vie, ou comme une envie de retrouver sa vie d'homme libre et bien portant, récupérer sa grosse vieille berline de luxe... Et qui découvre qu'il ne peut plus la conduire, que la vie ne veut plus de lui. Je comprends qu'il soit mort un mois après....

C'est bien cela l'amour de ces voitures d'exception. Ce n'est plus une histoire de mécanique, de truc utilitaire à quatre roues, c'est comme un vent de fiction, un rêve intérieur, une idée de la vie hors des bornes de l'utilitarisme et de la valeur marchande de l'argent. Je suis reparti du garage bizarre. Déçu. Comme si un rêve s'était envolé. 

Finalement j'envie les poètes.... 

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Lundi 20 août, Hôtel Ponte Sassi, Turin

Après un retour de Bretagne que Théo a illustré d'un programme musical très adapté (Théo en voiture est un vrai DJ, il a une musique en tête pour chaque étape, départ, approche, arrivée, - le seul problème est qu'il n'aime pas trop les langoureuses notes de Cesaria Evora et que je dois, de temps en temps, faire le forcing pour les entendre) nous sommes arrivés samedi à Besançon.

Mille et une petites choses à régler avant un nouveau départ et, dimanche en fin de matinée, je repars pour Turin où Ludmila doit arriver par le bus à 16 H 30. Un bonheur que de traverser la Suisse par le Lac Leman : Lausanne, Vevey, Rolle où Monsieur Godard a eu le bon goût de revenir vivre, Martigny qui expose en ce moment Chagall (on va essayer de visiter, ce peintre est celui qui m'a le plus inspiré d'images pour mes chansons "Dans le bleu sombre dansent des anges qui jouent des instruments étranges" (Tu es venue) ou "Des rabbins à barbe verte, des hybrides hommes-animaux, des Christ en Croix, des mariés enlacés survolant leur cortège" (La fille du poète). Avec, sur le lac, cette lumière pulvérulente, l'eau ressemblant à celle de la planète Solaris dans le film homonyme de Tarkovski, - et puis des sommets aux élévations fantastiques où les nuages viennent se lover comme un épanchement amoureux. Oh, que ce pays est joli....

L'approche du Saint Bernard, les oreilles qui se bouchent, se débouchent, des chalets avec des fleurs rouges aux balcons et fenêtres, la montagne. Devant nous, avec un air infranchissable, la route qui se faufile dans ce dédale. On ne sait plus si on va vers l'Est ou l'Ouest, l'Italie est donc si proche ? On ne comprend plus guère où l'on est, où l'on va, mais c'est comme si la verdure prenait des teintes fauves, - oui, c'est l'Italie qui approche.

Dans ma tête c'est comme une machine à remonter le temps qui s'est mise en marche. J'ai parcouru les mêmes espaces, il y combien... 30 ans ? A peu près. Jeune homme en fugue, disparu un mercredi après-midi, une lettre sera postée à Vallorbe donnant les explications : " Je ne peux pas continuer comme ça. Je pars. Dans le premier tiroir de la commode, dans ma chambre, il y a une lettre où j'ai expliqué toutes les raisons qui m'ont décidé à partir. Ne vous inquiétez pas, tout va bien, je vais enfin me confronter au monde...." Ou quelque chose comme cela. Train jusqu'à Pontarlier, endormi je me réveille à Vallorbe. J'explique, on ne me fait pas payer de supplément. Autostop, un sac énorme, bourré de bouquins, à cette époque je dévorais les livres. Il y avait de tout, romans, poésie, philosophie. Platon que j'ai lu la nuit, debout, faisant les cent pas dans la chambre pour ne pas m'endormir dessus.

Ici, avant le Saint Bernard, j'avais été pris par un type qui faisait des rallyes. D'un seul coup j'entends un grand coup de freins. Traces sur la route. La BMW recule plein gaz, la porte s'ouvre : "Tu vas où? - Italie ! - C'est bon !"  Houla... "Je travaille aussi dans les cascades, sur les films." M'explique-t-il. On n'est pas sérieux quand on a dix sept ans, on a peur de rien. La voiture fonce mais le type assure. Pas de problème. Ah ! J'oubliais ! Martigny. Je suis arrivé là en début de soirée. Je cherche une auberge de jeunesse. Me renseigne. On m'informe, sympa. "Il y en a une mais maintenant elle est fermée. Mais si vous voulez on peut vous y faire dormir." On entre dans le truc. "C'est un abris atomique" m'explique-t-on. Oui, l'auberge de jeunesse est un abri atomique. Alors, fin novembre quand il n'y a personne dedans, je ne vous explique pas l'ambiance... "Il n'y a pas autre chose? - Je suis pompier, me dit-il, si vous voulez, vous pouvez dormir dans les hangars de la caserne ! Et au moins ça ne vous coûtera rien !" Me voici dans la caserne. Les camions rouges. Ca ne manque pas de place. "Il n'y a que les toilettes qui sont chauffées!" Alors je trouverai une civière que j'installerai dans les toilettes pour y dormir dessus, au chaud....

La route s'est poursuivie. Firenze. L'amateur d'art que j'étais était comblé. Marcher en hiver à Firenze en 1977.... Rencontrer une jeune femme américaine. Et se promener parmi les feuilles mortes et les palazzi, les Ponte Vecchio, les sculptures de David avec leurs feuilles de vigne qui ont fini par tomber, - tout cela dans un parfum de liberté conquise....

Roma. Je dors dans la statione, salle d'attente chauffée. A minuit, contrôle. Seuls ceux qui ont des billets peuvent rester. Je n'en ai pas bien sûr. A côté de moi une jeune femme (femme, c'est plus de vingt cinq ans) espagnole. Je lui dis "je peux vous laisser mon sac?" Elle dit "oui". Je sors. Essaie de dormir dans une entrée de métro. Trop froid. Je décide d'aller récupérer mon sac. J'explique au gardien : "je vais rechercher mon sac" Il me laisse passer. La jeune femme espagnole me dit : "Maintenant tu peux rester, il n'y aura plus de contrôle" Je dors un peu. Elle parle avec un jeune allemand qui est à sa gauche. Vers six heures ils décident d'aller se promener. Je pars avec eux. Vedere Roma alla matina. Quelle beauté ! Piazza Vittorio Emmanuele. Mi ricordo... C'était encore la nuit, le monument en arc de cercle éclairé d'une lumière dorée... Et puis les jardins du Palazzo Farnese. Plus tard le jeune allemand est reparti. Seul avec une bourlingueuse espagnole qui parlait très bien français. Nous avons décidé d'aller visiter le Musée du Vatican. C'était cher. Une collégiale de jeunes italiennes. Elles me regardent en train de compter mes pièces, sceptique. Elles me proposent de se cotiser. Toute la collégiale met sa pièce et voici nos deux places payées plus un petit pourboire qu'on boira plus tard sous forme de capuccini. On fait une photo : toutes les filles, mon amie espagnole et moi. Oh comme j'étais beau sur cette photo... La liberté est génératrice de beauté....

Mon amie me conseille de prendre le train, d'aller dans le sud où c'est la saison des cueillettes d'oranges : ça te coûtera moins cher que de voyager en stop et d'acheter à manger au bord des routes. J'achète un billet, on se sépare. Est-ce qu'on s'est échangé nos adresses ? J'ai dû la perdre. On n'est pas sérieux quand on a dix sept ans.

Dans le train je suis inquiet. Ne pas s'endormir comme je l'ai fait à Pontarlier. La nuit est longue. C'est loin le mezzorgiorno. Au matin je n'y tiens plus. Je descends. Le train repart. Merde, ce n'est pas Reggio Calabria. C'est seulement Catona, juste avant Villa St Giovanni. Je sors de la gare. En bas je vois un berger avec ses chèvres. Plus loin un vieil homme sur un âne. Ah ! Un autre monde. Dans une librairie j'achète un dictionnaire. Je prépare ma phrase : "Vorrai lavoro con le arangie" Je voudrais un travail avec les oranges. Je demande dans les rues. A onze heures on me parle d'une ditta. On m'y amène. Ditta Gionanni Romeo. La patronne baragouine un peu de Français. A une heure je suis engagé pour le lendemain. Je gagnerai 5 francs de la journée... Assez pour se nourrir dans le sud à cette époque.

Je dormirai un mois dans ma tente sur la plage. Je découvrirai des saveurs nouvelles, l'huile d'olive, le fenouil frais, les grosses olives vertes qu'on produit là, délicieuses sorties de leur tonneau de saumure ! Et les Sirenette, petits gâteaux à base de pâte d'amande. Le latte di mandorle, le lait d'amandes aussi, les figues de barbarie et tutti quanti.

Un jour je sors de mon travail et une grosse dame m'accoste. Elle m'explique qu'elle habite au-dessus de l'entreprise qui était à son père. Elle me demande si je veux bien venir manger avec eux. Elle, c'est la signora Romeo. Elle n'a pas d'âge pour moi, mais, selon ma mère qui l'a vue plus tard, elle doit avoir une quarantaine d'année. Son mari, un petit monsieur très doux, est juge. Leur maison est grande et luxueuse. Ils ont un piano, une grande bibliothèque avec plein de livres d'art dont certains sont en Français. Ils ont un grand salon en L avec, dedans, trois mobiliers de salon différents. Au mur, des toiles de maîtres italiens. Ils aiment l'Italie, sa culture.

Ce couple, qui n'a pas pu avoir d'enfant, va en quelque sorte m'adopter. Je vais aller manger chez eux presque tous les jours. Ils ont une bonne et des jardiniers qui amènent tous les jours les légumes frais des jardins qui sont je n'ai jamais su où. Ils ont des vignes aussi. J'apprendrai à boire du vin chez eux. Leur vin. J'apprendrai à fumer des cigarettes brunes, nazionale. Et, enfin, j'apprendrai l'italien avec la Signora.

Je retournerai les voir deux ans après. Et puis les contacts ont cessé.... J'ai appris que le petit monsieur est mort d'un cancer. Peut-être les cigarettes nazionale....

Et puis, il y a quelque temps, sous la pression de ma mère, j'envoie une carte portale avec mon CD dedans. Et je reçois un message, par mail, écrit par le neveu de la signora : 

"mia zia ha ricevuto la tua lettera, ed è stata molto contenta, la hai resa davvero felice. mi ha raccontato la tua storia, ed è vero sono passati molti anni, ma le sei rimasto nel cuore. (...) . Mi ha chiesto di dirti che vorrebbe rivederti. E' un suo grande desiderio.. la renderesti davvero felice." Elle m'a demandé de te dire qu'elle voudrait te revoir. C'est un de ses grands désirs, qui la rendraient très heureuse"

Alors j'ai décidé d'aller revoir cette vieille dame, avec Ludmila qui sera heureuse de partir enfin pour des vraies vacances avec moi (sans concerts, musiciens et surtout, sans camping)

Après un temps pour trouver le lieu où le bus l'avait laissée, corso Vittorio Emmanuele, j'ai fini par retrouver Ludmila qui est venue de Tchéquie en bus. Le seul problème c'est qu'un dentiste philosophe lui a laissé une terrible rage de dents et que nous allons finir la journée à passer de pharmacie en services d'urgence... Et qu'aujourd'hui nous n'en avons pas terminé, la joue a gonflé pendant la nuit, le mal est là, l'infection est certaine, et nous allons passer une sympathique journée à Torino, version dentiste assistance !

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Vendredi 24 aout 2007, Catona, Calabre

Combien il fait chaud en Calabre ! Nous sommes arrivés ici hier soir, après une demie journée de voyage quelque peu harassante. Il souffle sur le sud de l'Italie un vent brûlant venu des déserts du sud, le sirocco, qui blanchit le ciel et plombe l'air. Sur l'autoroute du mezzogiorno, sillonnant parmi les montagnes d'Italie, nous avons découvert une des tristesses du pays, cette criminalité maffieuse qui frappe dans l'ombre, sous la forme d'une multiplicité d'incendies. Cela a commencé dans la ville de Sana C. où les feux étaient partout, mais le pire a été à Cosenza, où l'autoroute a été fermé, ce qui nous a valu plus de deux heures d'attente. Des feux de forets partout, les flammes attaquant les arbres à flanc de collines, et reprenant d'une vallée à une autre. Les habitations à proximité, la fumée qui envahit les vallées, et les gens qui regardent au bord des routes, l'air triste et désolé... Ludmila me disait que ces feux devaient s'allumer tout seul sous l'effet de la chaleur et je lui répondais : "pourquoi à ton avis le feu frappe les zones à proximité des villes? Tu penses que le feu n'aime pas la campagne?" Arrivés ici nous en avons parlé avec les gens de la famille qui étaient venus chez la Signora nous accueillir. La réponse n'a pas tardé : ce sont des incendies criminels. Et oui, représailles ou pression pour forcer les propriétaires à vendre leurs terrains.... La Calabre est belle, mais ce qui s'y passe l'est beaucoup moins...

Alors la Signora n'a pas tant changé que cela. Bien sûr elle a du mal à se déplacer, étant tenu son poids, ce n'est pas surprenant que son corps se soit usé à porter tous ces kilos. Mais le visage, et notamment ses yeux n'ont pas changé et ont gardé la vivacité d'il y a presque trente ans. J'ai retrouvé cette maison qui m'avait reçu tant de fois, où j'ai appris l'italien approximatif que je parle et qui me permet de dire à peu près tout, mal, mais suffisant à me faire comprendre. La Signora (on l'appelle comme cela....) était ravie de me revoir, me le répétant plusieurs fois, comme si je lui ramenais les temps passés où son mari vivait encore. Elle a maintenant 74 ans, sa maison a un peu vieilli au fil des rénovations qui n'ont pas été faites, mais est toujours somptueuse par son mobilier, et la qualité originale de la construction. Elle a été construite par le grand père de la Signora, en 1912, à la suite du tremblement de terre de 1908, qui a rasé Reggio (nous n'en sommes qu'à dix kilomètres) côté continent, et Messina côté Sicile. Le tremblement de terre avait tué 60 000 personnes...

La Signora vit dans un standard social bien éloigné de celui auquel nous sommes habitués. Nous, c'est bien sûr tous ceux que je côtoie habituellement. A l'époque où je suis venu ici pour les premières fois, presque chaque jour de janvier à mars 1979, elle avait déjà une vieille domestique, Margherita, et je voyais régulièrement les jardiniers venir livrer les légumes du jour. Aujourd'hui Margherita est trop vieille pour travailler et, suite à une broncho pulmonite qui l'a profondément ébranlée, la Signora a préféré, au lieu qu'elle aille se perdre dans une maison de retraite où un hôpital, la garder à la Maison. Elle vit donc ici et, comme elle est en face de moi, de l'autre côté de la table où j'écris, sans bruit, sans visiblement une part de sa tête, je la regarde tête basse, ressassant probablement des idées fuyantes, où soudain me regardant, me souriant, intriguée mais n'arrivant pas à se souvenir qui je peux être. Une autre domestique travaille ici maintenant, Tania, qui s'occupe de la Signora et de Margherita, ce qui ne doit pas être un maigre travail. Elle vient d'Ukraine, a environ trente cinq ans. Je pense qu'elle n'est là qu'une partie de la journée. Comme Margherita d'ailleurs qui, généralement, partait au moment où je venais, à l'heure du déjeuner. Elle devait revenir le soir, pour aider à préparer la cena, le dîner.

La Signora fait donc partie de ces familles riches de Calabre, sa grande et belle maison l'atteste et la façon qu'elle a de vivre aussi. Cependant il y a quelques marques qui montrent que cette richesse tient davantage du passé que du présent : par exemple, ce gros morceau de plâtre qui est tombé du plafond et dont le trou n'a jamais été comblé (je suis dans la salle à manger). Dans beaucoup de pièces c'est ainsi, des infiltrations d'eau ont taché le mur et attaqué le plâtre, faisant une tache vilaine, et les dégâts n'ont jamais été réparés. Parfois il y a eu un début de travaux, le plâtrier est venu, mais il a laissé le plâtre nu et le peintre n'a pas fini le travail. Dans la chambre où nous dormons dans un somptueux lit, énorme, en bois d'acajou dans lequel sont incrustés des bas reliefs en bronze, on trouve une de ces taches dans un coin de la pièce, donnant à ce luxe un côté un peu décadent qui, du reste, plaît beaucoup à Ludmila. Mais le pire est encore le plancher. Le plancher est à la limite du parquet et de la marqueterie. C'est un magnifique travail dont j'ai vu de similaires dans les châteaux que j'ai visités. Et pourtant, sous les tapis qui le recouvrent en partie, on s'aperçoit que nombre de lattes sont cassées sans avoir jamais été réparées. Ces réparations seraient-elles trop coûteuses? Ou alors la Signora n'a pas envie de voir venir des équipes de plâtriers ou d'ébénistes qui risqueraient de salir toute la maison ? C'est étrange. Un monde difficile à comprendre....

Je viens d'aider Margherita à tourner les pages du magazine qui était ouvert devant elle, mais de travers. Elle ne peut plus synchroniser ses mouvements et j'ai donc décidé de lui tourner les pages du magazine. Elle semblait s'y intéresser, malgré le contenu à des milliers de kilomètres de ses préoccupations. Je sentais, par un léger mouvement de ses doigts, qu'elle voulait que je tourne la page. Pauvre petit corps, maigre, nerveux qui n'arrive plus à se mouvoir seul....

Ludmila va bientôt se lever. Elle a évidemment du mal avec ces températures. Nous avons eu de la chance au début du séjour, le ciel était gris et il a plu quelques fois. Heureusement car, avec sa rage de dents, des températures telles que nous avons aujourd'hui eurent été vraiment insupportables pour ma pauvre amie, avec sa joue qui enflait heure après heure. A Turin nous sommes allés à un hôpital qui avait un service dentaire. Nous avons été pris en charge rapidement, de jeunes dentistes, très délicatement, ont ouvert le pansement de la dent, l'ont désinfectée et rebouchée. Comme l'intervention était considérée comme une urgence, nous n'avons rien eu à payer. Ludmila qui craignait y passer toutes ses économies m'a demandé, par deux fois, de reposer la question. Eh oui, c'était gratuit ! L'état prend à sa charge les urgences en Italie. C'est pas beau ça ?

Les antibiotiques ont fini le travail des dentistes et la bonne humeur est revenue. Le soir nous arrivions à Genova. Je ne me suis pas rendu compte que la rue où nous avons commencé à chercher un hôtel était proche du port. Une chambre libre pour 35€. Nous prenons. Nous nous retrouvons au quatrième étage dans une chambre à trois lit qui pue. Une terrible odeur de charogne que la fenêtre grande ouverte sur la rue pluvieuse n'arrive pas à effacer. Glauque. Je regarde par la fenêtre. Micro scènes qui commencent à m'alarmer : un vieil homme, sorte de SDF chargé de deux gros sacs, fait les cent pas sous notre fenêtre. Qu'attend-il ? Plus loin un prostituée vient elle-aussi faire les cent pas devant une station service. Un jeune homme arrive. Ils partent ensemble. Arrive une famille, gros homme et femme, trois enfants. Une jeune femme s'arrête à leur niveau. A côté d'elle deux types aux épaules larges comme des tables. Je crois d'abord qu'elle veut faire diversion en parlant à cette famille, afin de laisser les deux baraqués s'éloigner. Mais j'ai l'impression qu'ils échangent quelque chose. La jeune femme repart. Elle a de longues jambes à talon sous une minijupe. Elle marche vite, rattrape les colosses, les double. Je reviens à la famille. Ils viennent de repartir et je m'aperçois que le SDF, qui était là depuis au moins 20 minutes, a disparu. On descend trouver quelque chose à manger avec Ludmila. Devant chaque bar où on passe il y a une fille. Elles sont jeunes et mignonnes, avec de longues jambes... D'où viennent-elles ? Pas d'Italie. Probablement encore de Moldavie, Bulgarie ou d'Ukraine.... Pas de restaurant ouvert. Nous nous retrouvons dans une pizza à emporter tenue par un maghrébin, apparemment, qui se fait aider de son fils et de sa fille d'une douzaine d'années. Je reconnais la famille qui était sous notre fenêtre. Ils ressemblent à des tsiganes. Mais il n'y a que les femmes, le gros homme n'est plus avec elles. Que font ces gens à aller et venir dans ce quartier à prostituées. Comment se fait-il que, quand ils sont passés, plus personne n'attend dans les rues. Vendraient-ils quelque chose à ses SDF et ces prostituées?

Nous remontons dans la chambre manger nos pizzas. On a trouvé d'où venait l'odeur de cadavre. Du bidet. Le siphon était vide et l'odeur remontait. Un peu d'eau, le bouchon et l'odeur a disparu. Nous avons ouvert une bouteille et mangé la pizza. Elle était bonne.

Dans le port d'Amsterdam.... Nel porto de Genova.... c'est la même chanson.

Le lendemain la Toscane. J'ai tenu à faire découvrir à Ludmila un lieu qui m'est cher en Italie : Saturnia. Il pleuvait des cordes. Dans la nuit nous avons cherché un endroit pour dormir. Il devait être au moins dix heures et ce ne fut pas chose facile. Les crapauds traversaient la route, des bêtes énormes. De bar en bar nous tentions d'avoir des renseignements. Finalement nous sommes arrivés dans un petite bourg à quatre kilomètres de Saturnia. Et nous avons trouvé une chambre à domicile pour 45€. Nous sommes allés manger un panini dans une trattoria, il était tard et les fourneaux étaient éteints. Mais avec un très bon vin blanc en carafe, c'était parfait. La Toscane est le paradis de la gastronomie. Un vin ordinaire ici est un nectar. Et combien les Italiens sont chaleureux ! Bref à minuit, le repas terminé, je propose à Ludmila d'aller nous baigner à Saturnia. Elle accepte. J'aurai un peu de mal à trouver ce que les Italiens appellent La Cascada. C'est un lieu que je trouve miraculeux. Une rivière d'eau chaude, chargée de sels de souffre et descendant de l'hôtel thermal qui se trouve un peu plus haut, se jette en cascade là où se trouvait, auparavant, un moulin. Après la cascade, les sels de l'eau thermale ont formé des vasques sur le flanc du talus, juste sous la cascade. Des vasques placées comme des pétales de fleur à flanc de coteau où l'eau chaude ruisselle gaiement. Le lieu est libre d'accès et on y vient à toutes les heures du jour et de la nuit. On s'y éclaire de lampes électriques, parfois de lampes à pétrole. Dans cette nuit de mercredi il n'y avait pas de lumière. Nous nous sommes donc glissé dans une des vasques, dans quarante centimètres d'une eau à trente degrés idéale pour un bain nocturne. La vapeur de l'eau chaude faisait comme un écran entre nous et les autres baigneurs qui apparaissaient comme des fantômes pacifiques. Des hommes, des femmes, des couples, généralement jeunes, des voix dans la nuit, quelques étoiles dans le ciel encore un peu couvert... Et nos deux corps à moitié nus, enlacés dans cette eau chaude et courant de vasque en vasque. Oui, Saturnia est magique. Le corps s'y trouve comme en communion avec le pays. C'est sacré, c'est païen, c'est génial.

(une photo de Saturnia trouvée sur internet)

Nous sommes rentrés dans notre chambre vers deux heures. La peau avait gardé l'odeur de l'eau sulfureuse. Une odeur agréable pour qui sait l'aimer. Ludmila préfère l'odeur des savons....

En tout cas, depuis cette heure et demie passée dans les eaux de Saturnia, les petits problèmes de peau que j'avais entre deux doigts de pied ont cessé. Le souffre débarrasse la peau de toutes les affections bactériennes. 

Vraiment, Saturnia est un des lieux que je préfère au monde. Le rapport intime qu'il permet est unique, sa vie nocturne et sauvage, cette rivière comme vivante. Je suis un païen et ce lieu est mon temple....

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Samedi 25 aout 2007, Catona

Deuxième et dernier jour en Calabre. Demain nous remontons. Certes nous sommes bien ici, aux petits soins de la Signora et de sa maison où les visiteurs se relaient tout au long de la journée. Il fait très chaud, environ 35 dans la maison. Je me suis habitué. Ludmila a plus de mal. Dans notre grand lit sécession, il n'est besoin que d'un seul drap, celui sur lequel nous dormons. Tout autre literie est inutile.

Hier soir nous sommes allés à la plage, à 300 mètres de la maison. Mais je n'ai pas réussi à me souvenir ni du chemin, ni des abords de la plage. Il faut dire que beaucoup d'aménagements ont été faits, on a construit une route qui longe le bord de mer et qu'on utilise comme promenade, le soir. Des bars se sont installés, louant sur la plage des transats rayés bleus et blancs... Sur la plage il y a toujours les barques que je voyais autrefois, en bois, longues de quatre mètres environ et qui servent au pêcheurs. En face de la plage, la côte sicilienne, elle, toute proche, n'a pas changé. J'avais installé ma tente sur cette plage. En décembre la température était bonne, et, le soir, je regardais cette côte en face la mienne, avec les lumières de Messina qui luisaient dans la nuit. Je me souviens de l'odeur du vent, du bruit qu'il faisait en caressant les palmes, et de la couleur des maisons, de ce jaune sableux. Je me souviens que les rues étaient étroites, je me souviens de ce petit homme assis sur son âne qui était parfois chargé par des sacs plus gros que lui. Mais j'ai oublié le reste. 

L'eau de la mer était d'un bleu magnifique, et d'une transparence impressionnante. C'est curieux, en Bretagne, l'eau est verte. Ici elle est bleue, d'un bleu turquoise. J'ai vu deux hommes, des pécheurs je crois, qui se lavaient les cheveux dans la mer. Ainsi j'avais fait, c'était comique, comme un clin d'œil ...

La Signora, Maria en fait est son prénom, est en train de parler, dans la cuisine, avec Tania. Tania qui, bien sûr, parle Russe, a pu discuter hier avec Ludmila, qui parle Russe aussi, - tous les habitants des anciens pays soviétiques ont été obligés d'apprendre le Russe. Elle a donc fait des études d'architecture, jusqu'à l'académie où on ne forme pas des tâcherons mais de véritables créateurs. Elle a réalisé ensuite la conception et les plans de plusieurs bâtiments importants, dont une école et un cirque d'hiver. Un jour, son frère se tue dans un accident de voiture. Elle se retrouve le dernier enfant à vivre, son père est mort, il ne lui reste que sa mère. Elle se marie et a un enfant. Après quelques années son mari meurt lui aussi dans un accident de voiture, la laissant avec l'enfant. Seule à pourvoir aux frais du foyer, cela devient difficile, elle n'arrive pas à payer les frais de sa maison, sa vie avec l'enfant. Sa mère, de son côté, avec sa retraite n'y arrive pas non plus. Tania décide alors de vendre sa maison et tout ce qu'elle possède. Elle donne une partie de son argent à sa mère et elle achète un visa au black pour elle et son fils. Elle paiera 2000 € pour venir en Italie et elle arrivera ici...

Mais son diplôme d'architecte n'est pas reconnu. Alors elle doit trouver autre chose. Elle travaille pour Maria depuis quatre ans. Maria lui déclare quatre heures de travail par jour. Elle en fait au moins huit. Comme elle n'a pas de plein temps elle n'arrive pas à avoir de vrais papiers... Qu'est-elle venue faire dans cette terrible région ?

Quand je pense que j'ai refusé, en 82, un poste de lecteur à Lecce. Comme j'ai bien fait. Les Pouilles sont-elles plus ouvertes que la Calabre ? Je n'en crois rien.

Le principe de fonctionnement de ces familles riches est proche d'un système féodal. Le père de Maria était un grand négociant qui  exportait des spécialités de Calabre dans le monde entier. Par exemple il vendait à de grandes sociétés de mode françaises, un extrait de fleurs d'oranges amères qu'on utilisait comme fixateur pour les parfums de luxe. Cela coûtait très cher. Il possédait des champs, des vergers. Maria et son mari, à l'époque où je les ai connus, avaient dix ouvriers qui travaillaient dans leurs champs, leurs vignes et leurs vergers. Les ouvriers étaient dirigés par deux métayers. Je lui ai demandé si elle faisait encore son vin blanc au parfum unique. Elle m'a répondu qu'après la mort de son mari elle avait tout arrêté. En fait elle a tout vendu ses terrains. Ce qui lui a valu un compte en banque que Tania nous a dit être énorme. Maria m'a dit que ces douze fermiers à l'année lui revenaient à un million de lire par jour. Elle ne m'a pas dit combien cela lui rapportait, mais il faut croire que l'affaire n'était pas très rentable. En tout cas il semblerait aujourd'hui que ce patrimoine perdu soit changé en un colossal compte en banque dont il paraîtrait que son neveu, que nous avons croisé plusieurs fois, va hériter.

Toute la famille de Maria est constituée de gens fort riches, qui ont tous des professions d'élite : des avocats, des juges, des médecins, des chirurgiens. Une élite qui emploie des gens de maison, des ouvriers qui ont la charge des petits travaux et qui sont considérés vaguement comme une race inférieure. J'ai la chance d'avoir connu Maria et son mari dans un contexte particulier et qu'ils se soient attachés à moi car j'étais un peu le substitut de l'enfant qu'ils n'ont jamais pu avoir. J'ai eu aussi la chance que ces gens soient un peu plus sensibles et généreux que les autres. Mais en fait ces familles sont totalement closes et ne sont ouvertes qu'à leur pairs. Élitistes, repliés sur leurs valeurs de caste, ayant en main l'économie du pays, ou du moins de la région, ces familles enferment la Calabre dans leur prédominance. Les gens que j'ai croisés ici sont des gens doux, sympathiques, et Maria et son mari étaient même assez cultivés. Ils m'ont ouvert leur toit et, si j'avais eu besoin d'une aide, même plus tard, ils auraient pu, quelque soit le niveau, interférer en ma faveur. Ils m'accueillent encore aujourd'hui, nous dégustons avec Ludmila de somptueux repas méditerranéens que Tania prépare, et je porterai toujours Maria dans mon cœur pour son aide, pour son enseignement même, et pour les moments passés à parler avec elle pendant des après-midi entières. Seulement ce monde d'économie close et de familles aux valeurs d'élite forte, pour qui n'a pas accès à leur caste, c'est la soumission et la pauvreté assurée, et cela est désolant dans un pays de démocratie affichée, profondément ancrée dans l'Europe....

La critique de cette société doit être nuancée par l'accueil que Maria nous fait. Même si elle est, c'est évident, très attachée à ces valeurs familiales et à celles de son père dont elle parle toujours avec un grand attachement, il est évident que c'est avec beaucoup de cœur qu'elle nous accueille chez elle. Avec Tania, elles travaillent à nous proposer ce que la Calabre peut offrir de meilleur, car Maria est une gastronome fière des recettes traditionnelles qu'elle connaît depuis toujours. Sa grande maison nous est ouverte sans restriction, nous pouvons aller et venir comme nous voulons. Le soir nous parlons pendant des heures sur l'immense terrasse que le vent marin rafraîchit de la chaleur laissée dans les pierres par le soleil torride de la journée. Quelque soit les tendances de cette société élitiste et fermée à laquelle Maria appartient, il faut reconnaître aux personnes ce qu'elles sont capables de donner. Une seule famille m'a accueilli comme celle-là, et je leur rends hommage avec tendresse. Il est midi.  Je suis venu sur la terrasse finir cet article difficile. Dans des cas semblables nous sommes pris dans une contradiction douloureuse entre condamner un système et remercier des personnes de ce système pour l'accueil exceptionnel qu'elles nous font.

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Lundi 27 août 2007, quelque part en Toscane

Sur la route du retour. Ce soir nous devons être à Besançon pour pouvoir repartir demain en République tchèque. Ludmila doit être à sa prérentrée après-demain.

Hier sur la route la chaleur était vraiment torride. Il paraît qu'il a fait 48° à Messine. L'air est chaud et fraîchit peu la nuit. J'avais d'abord pensé nous arrêter au bord de la route pour nous reposer avant de reprendre, mais après une chaleur pareille toute la journée,  ma tête menaçait d'éclater.

Nous avons vu d'autres feux encore au retour, et les hélicoptères qui, avec leur réservoir pendus au bout d'un câble, tentaient de les éteindre. Comment est-il possible que des gens aient envie de dévaster leur pays de la sorte ? Lorsque le feu est passé, la végétation a du mal à se fixer et parfois, à la place d'une forêt ne reste qu'une montagne jaune et chauve où le roc affleure. Quelle tristesse....

Hier nous avons fait la visite de la Maison de Maria avec Tania. Maria ne peut plus marcher que quelques mètres et très lentement alors elle a confié la visite de sa maison à celle qui travaille pour elle. Et quelle guide Tania ! Après les études d'architecture qu'elle a faites, elle connaît l'histoire des différents styles, elle connaît les matériaux et surtout, elle connaît la valeur des objets dont on lui a confié l'entretien. Elle nous a dit qu'il a fallu presque une semaine pour nettoyer le salon car Maria avait voulu qu'il soit en ordre quand on le visiterait. Le salon de Maria est un trésor. La moindre tasse coûte 300€, le moindre tapis 10 000, sans compter les meubles d'exception dont cette table en marbre d'éléphant rouge dont Maria dit qu'il en a été réalisée que deux, la seconde ayant été pour la Reine d'Angleterre. Tania est sceptique à ce sujet. Il lui semble avoir vu des tables similaires dans d'autres collections. Mais, encore qu'il n'y en ait plus de deux, quelle pièce ! Dans le grand salon en L, il y a quatre ensemble de petits salons, certains du XVIIIème, il y en a même un du seizième sur les fauteuils duquel il est déconseillé de s'asseoir. Je ne parle pas des collections d'objets, les différents services, des commodes somptueuse, les toiles sur les murs dont une, un portrait de Tolstoï, avait été vendu par le musée de l'Hermitage dans une vente à Rome. Tania nous disait qu'un miroir, plaqué à la feuille d'or, était un de ses meubles préférés et qu'elle en avait réalisé la remise en état. Il avait fallu tout nettoyer au pinceau pour ne pas risquer de ternir ou de décoller la feuille d'or. Elle avait réussi à redonner au miroir son éclat, l'ensemble lui avait pris une demie journée.

Le plus étonnant était peut-être la façon dont Tania nous présentait ce mobilier d'exception. Elle, employée de maison en même temps qu'architecte de formation et même de pratique pendant plusieurs années. Il était évident qu'elle aimait ces objets, des objets dont elle avait rêvé lorsqu'elle avait appris leur histoire dans les livres de la faculté, dans un pays où l'on prônait les valeurs du communisme, en même temps que la haine de l'élite bourgeoise et ses propriétés illégitimes !....

J'attends que Ludmila descende de la chambre d'hôtel pour repartir. Il reste encore 1000 kilomètres environ. Si partir est mourir un peu, que dire de revenir ?

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Jeudi 30 août 2007, Sobieslav, République tchèque 

Nous sommes arrivés en République Tchèque la nuit dernière. Nous sommes partis de Besançon accompagnés de Patrick Barbenoire, un de mes amis musiciens. Il m'avait accompagné à la batterie lors de la mise en musique de mes premières chansons. Aujourd'hui il fait partie de l'équipe du Cirque Plume. C'est le clown-batteur du spectacle "Plic Ploc". A deux chauffeurs la route est plus rapide et beaucoup moins fatigante. Patrick est resté hier pour visiter Tabor et il est aujourd'hui allé à Prague avec l'idée d'y retrouver James Mac Gaw, un musicien originaire de Besançon et qui vient de s'installer à Prague avec une petite amie tchèque. Il a ainsi pris un risque que je ne prendrai pas, - s'installer en République tchèque. Mais bon, si Ludmila avait habité à Prague, il en aurait été peut-être autrement. Mais vivre à Tabor, non.

Cependant j'aime Tabor lorsqu'il s'agit d'y passer quelques jours. Hier soir, avec Patrick, nous sommes allés écouter le concert du groupe de Karel, mon maestro (Karel joue avec nous depuis maintenant quatre ans). Cela se passait sur la place Jizka, la place de la vieille ville de Tabor.  Le concert était sonorisé par David, le frère de Karel, qui travaille comme ingénieur du son au théâtre de Tabor (c'est lui qui avait sonorisé notre concert au théâtre l'année dernière) et, comme d'habitude avec lui, le son était excellent. Dommage qu'ils n'interprètent que des reprises de rock international, car les musiciens sont bons et les deux chanteurs excellents. Le concert se tenait à côté de la taverne en bois qui est sur la place et qui ouvre pendant la saison d'été. Lenka en est la propriétaire, qui est aussi la gérante du bar Na Schludkach où nous avions joué il y a deux ans. Nous commençons à bien nous connaître.

Après le concert, Lenka nous a offert une Becherovka et nous a fait goûter les filets de truite qu'ils font cuire au grill. C'était excellent. Après le rangement des instruments et la fermeture de la taverne, nous sommes allés dans un bar voisin car l'un des chanteurs, Jan, fêtait son anniversaire. Vin pétillant, bière, et joyeuse atmosphère avec les musiciens et une autre Lenka,  la directrice du service culturel de la Mairie de Tabor. Ivan, le second chanteur du groupe, et ami depuis quelques années, a sorti sa guitare et tout le monde s'est mis à chanter des chansons tsiganes et tchèques. Les tchèques, lorsqu'ils ont bu quelques verres, se mettent facilement à chanter. On a eu droit à une magnifique interprétation de Dobru Noc, accompagnée par Karel à la guitare et que tout le monde s'est mis à chanter à plusieurs voix. A chaque fois cette chanson me donne des frissons et je pleurerais de joie en l'écoutant. Lenka, la gérante de Na Schludkach, m'a demandé de jouer une de mes chansons, et j'ai été surpris, pendant les refrains, que tout le monde se mette à chanter avec moi, dans un français approximatif dont ils ne connaissent certainement pas le sens, mais, en revanche, dont certains connaissaient les deuxièmes voix. C'était très émouvant.

Je suis allé retrouver Ludmila vers deux heures du matin, Patrick est resté avec la joyeuse compagnie, ravi de se trouver ainsi accueilli dans un pays où il n'était jamais venu. Ce sont des moments que les touristes ignorent et qui sont l'essence même du voyage.

Aujourd'hui nous avons décidé avec Ludmila de nous promener dans la région, après qu'elle aura repris sa bouche à son dentiste philosophe. J'espère que cette fois il prendra soin de ne pas lui déclencher une nouvelle infection, car la course aux services d'urgence, j'aimerais éviter de recommencer. Qu'il prenne donc un peu moins de temps à exprimer sa cosmogonie, sa culture et son amour de l'art, et un peu plus à maximiser les mesures d'hygiène.

Pendant l'intervention stomatologique, je prends le temps de découvrir cette petite ville qui n'est pas une perle d'architecture comme peuvent l'être Telc, Ceske Budejovice ou Ceske Krumlov, ni même Bechine pour prendre une ville d'importance comparable, mais qui n'est pas désagréable à visiter. Aujourd'hui est jour de marché. Sur la place centrale, voisinent les marchants tchèques et les Vietnamiens qui sont foison en République tchèque et occupent une place très importante dans le commerce du pays.

Voir ainsi, en si peu de temps, défiler des architectures urbaines si différentes, de l'Italie du Sud à la République tchèque, en passant évidemment par la France, est une bonne façon de réaliser combien la communauté Européenne est riche et belle, et prometteuse d'avenir. Je suis heureux d'être le témoin de cette évolution tellement visible et évidente lorsqu'on voyage un tant soit peu. Il est regrettable que les médias n'insistent pas davantage sur cette richesse historique, culturelle, et sur cette formidable évolution des pays entrants qui permet d'en révéler l'énorme potentiel. Le seul problème c'est que ces pays ne se connaissent presque pas. Les quelques conversation que nous avons eues avec des Italiens ont révélé leur méconnaissance quasiment totale de l'Europe centrale. Les autres, français compris, ne valent pas mieux. A quand l'histoire Européenne, la littérature, l'art européen dans les programmes scolaires ? 

Et de vous dire, et de vous redire, après l'avoir parcourue dans plusieurs sens : mon Dieu que l'Europe est belle !

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Samedi 1er septembre 2007, Tabor

Eh oui, le pauvre singe aventurier est mort !

Il a  réjouit tous ceux qui ont eu la chance de le voir filer dans les mailles des gardiens du Zoo. Et notamment ces enfants qui, un matin, le découvraient en train de pirouetter sur un pont, spectacle rare et que, j'espère, ils n'oublieront pas. J'ai passé l'été à songer au bel animal, me battant pour accoucher d'une chanson qui en faisait le fléau de l'artiste évadé de la voie officielle. Et pendant qu'en Italie j'oubliais ma chanson sous le spectacle d'autres merveilles, le pauvre héros se faisait buter par un conducteur qui n'a même pas daigner s'arrêter et déclarer sa sinistre identité !

Patrick m'avait mis la puce à l'oreille en me parlant d'une vague information qu'il avait entendu à la radio parlant d'un animal échappé d'un zoo qui s'était fait buter par une voiture. J'ai donc envoyé un mail à Fred Jimenez, un ami journaliste de l'Est Républicain, pour lui demander ce qu'il en était. Et voici sa réponse :

" hélas oui, tu es bien informé. Draco s'est fait shooter par un véhicule qui ne s'est même pas arrêté en tentant de traverser l'autoroute à hauteur de L'Isle-sur-le-Doubs. Ce après 82 jours de cavales au cours desquelles il aura progressé à un rythme pépère de 50 km en remontant le Doubs. Le macaque s'est apparemment bien acclimaté, surtout avec ce temps pourri car originaire de Nagano (2000 m d'altitude) au Japon il n'apprécie pas trop les grosses chaleurs. Il a pris 4 kilos durant son périple a révélé l'autopsie ( de 7 à 8 kilos évalués à son départ il est arrivé à 11). Son estomac était gavé de mûres sauvages.

  Voila en gros l'histoire tragique de Draco..."

 

Il m'a donc fallu changer la fin de ma chanson, sa mort prenait sens : "Liberté chère oh combien cher - Tu peux faire payer tes cadeaux" La métaphore avec l'artiste va donc chatouiller ses confins : liberté oui, mais où mènera-t-elle est la question...

 

M'amusant à suivre quelque inspiration musicale, en attendant que Ludmila finisse sa toilette, - cela peut être très long - j'ai trouvé un splendide petit break musical qui a remplacé la danse écossaise initialement prévue. J'ai demandé à Karel de me la jouer et, avec son magnifique doigté, le résultat est très satisfaisant. L'annonce de la fin de Drako, dans le dernier couplet, prend des allures lyriques et larmoyantes de tsiganes russes, ce qui boucle l'idée de départ : "Drako vit d'art et de débrouille - comme à l'âge d'or perdu des tsiganes"

 

L'air fraîchit, les sons, la lumière, les odeurs se teintent de nuances automnales. L'échappée de Drako n'a duré qu'un été, le singe cigale n'aura besoin de prier aucune fourmi. Il emporte avec lui toutes nos illusions, il nous a rappelé que la réalité est impitoyable et que, curieusement, elle donne raison à la conformité, la norme et à la routine des hommes... et de bêtes...

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Dimanche 02 septembre 2007, Tabor 

Petite tentative de soleil aujourd'hui, mais le ciel de la République tchèque n'arrivera pas à nous cacher que l'automne arrive... Hier cependant, Karel avait décidé de nous organiser une journée de découverte de la bohème sud, enfin d'un endroit que je ne connaissais pas encore. On s'en était totalement remis à lui pour le choix de l'itinéraire.

Nous sommes donc partis direction sud, laissant passer Ceske Budejovice, puis l'Unesco-tiènne Ceské Krumlov, et, prenant sur la droite juste avant d'arriver à la frontière Autrichienne, nous voici attaquant la montagne Šumava (Sumava si on enlève un accent que certains ne pourront pas lire) une montagne que nous appelons "les monts de Bohème". C'est pas mal non plus, en Français ! Une petite route, toute neuve en noir asphalte, bordée d'une belle ligne blanche toute fraîche et à la largeur en conformité avec les normes européennes. Nous étions heureux de quitter la route vers la frontière où j'ai eu la tristesse de redécouvrir des prostituées tous les 200 mètres, ce que je croyais terminé, car, côté frontière allemande, il n'y en a plus. Cette vue pouvait, il y a quelques années, avoir pour moi quelque chose de pittoresque. Maintenant que j'ai appris comment une partie de ces femmes arrivent là et l'horreur de la situation dans laquelle les réseaux maffieux les enferment, je ne supporte plus de voir ces pauvres esclaves Ukrainiennes, Bulgares ou Moldaves offertes à la consommation des riches malbaisés. On a lutté contre l'esclavage, qu'on aille au bout de cette barbarie !

Bon, revenons à notre petite route de montagne, longeant la vallée de la Vltava qu'on connaît chez nous par son nom allemand : La Moldau. Vous pouvez, maintenant brancher votre pick up et vous écouter la très jolie sonate de Smetana, nous sommes en plein dedans.

Nous avons passé Rybnik, qui veut dire l'étang, et nous nous arrêtons à notre première destination : Rozmberg (on dirait Rosenberg). Un petit pont sur la Vltava (à prononcer Voltava) qui n'est encore qu'une rivière de montagne (à Prague, évidemment, elle a une autre allure !), un très joli château sur la colline. Nous nous arrêtons sur un parking face à une série de restaurant avec terrasse au bord de la rivière. Il y a beaucoup de monde, les restaurants sont pleins, certains complets. Sur les façades on invite les motards à s'arrêter en annonçant des parkings spécialement faits pour eux ou en suspendant, sur un totem fantasque, une vieille Pionyr (la 125cm³ de tous au temps du communisme) et un vélo antique dont le temps a effacé la marque. Nous entrons dans une grande taverne avec des grandes tables en bois, des bancs recouverts de coussins, des décorations d'antiquités rurales et un plafond avec des arcs en ogive à la voûte desquels pendaient de gros lustres en fer forgé. A peine étions nous la depuis quelques minutes que trois jeunes bien charpentés arrivent et s'installent à la seule table libre, cette à côté de la nôtre. Soudain un des jeunes se tournent vers nous, me regarde et commence à s'exclamer : "Bonovox ! Bonovox !" Les consommateurs tournent la tête vers nous. Je me demande ce qui lui a pris, essaie de comprendre, demande à Ludmila qui demande à son tour au jeune tchèque. Et voilà que je comprends que le jeune kayakiste m'a pris pour Bono, le chanteur de U2. On m'a déjà dit que je lui ressemblait, mais ça n'a jamais été d'une façon aussi retentissante que celle là ! Il faut dire, m'explique Karel, que les rameurs qui descendent de la Vltava ont l'habitude de se réchauffer allégrement aux alcools fort, et que ceux là sont visiblement bien ivres. Enfin, la petite serveuse a décidé de s'occuper de nous, Karel me conseille de commander "Le coup du bourreau" (Katuv sleh), un plat normalement très épicé et composé de viande de porc en petits morceaux braisés avec des dés de poivrons et de courgettes.

Les Kayakistes se lèvent pour partir, sortent, l'amateur de Bonovox revient avec une bouteille de Rhum tchèque et m'en propose. Je bois, gloups c'est costaud ! Karel et Ludmila déclinent et notre nouvel ami repars hilare rejoindre ses amis et leurs Kayaks ! 

Plus tard nous monterons dans le château, Ludmila n'a pas envie de visiter l'intérieur, alléguant que lorsque tu en as visité un, tu les as tous vus. Très jolie vue depuis le couloir qui relie deux bâtiments du château (Rozmberg est en quelque sorte un petit Ceske Krumlov, où, là, le château est immense et relié par un couloir suspendu au dessus d'un impressionnant rocher), - nous redescendons.

Au moment de traverser à nouveau le pont, où vraiment j'avais trouvé qu'il y avait beaucoup de monde, nous voyons arriver sur la rivière un radeau jonché de curieux personnages dont un Obélix avec un menhir en carton pâte sur le dos, une Astérix, et quelques gaulois aux nattes rouges surmontés d'un casque avec une corne de génisse de chaque côté. Ils s'écrient, en tchèques, "ils sont où les romains !" et tout le monde sur le pont rit et les salue. Ils passent de justesse sous le pont et les voici qui s'approchent, poussant le radeau de leurs longs bâtons, du barrage et de ses rapides. Tout le monde les suit pour assister à leur passage de l'écoulement rapide qui se trouve à la droite du barrage, et où, autrefois, devait être une roue de moulin. On se demande si le radeau ne va pas être trop large pour le passage. Les bâtons des rameurs le placent dans l'alignement du couloir rapide, les gaulois tchèques s'accroupissent et se tiennent aux lattes du radeau et voici le radeau qui fonce dans le rapide sous l'acclamation de la foule ! Ils sont passés !

Après les gaulois ce seront les personnages d'un conte Russe "Mrazik" (petit froid), connu sous la forme d'un film, un des premiers films Russe en couleur et qui passe à chaque Noël sur la télévision tchèque. Puis ce sera une Cruella travestie fumant un long fume cigarette et accompagnée de quelques dalmatiens, puis, les préférés de Ludmila, les verts vodnik (avec un long "i" pour la prononciation) qui sont les hommes de l'eau d'un très célèbre conte tchèque, puis les cantonniers avec leur veste orange fluo sur un radeau signalisé par le panneau "attention, travaux" ; les cheminots avec, sur leur radeau, une grosse locomotive dégageant une grosse fumée noire et, avant que nous partions une série de moines blancs sous leur capuche et arrosant au passage tout ce qui passait à leur portée, touristes et Canoë.

Ce joyeux défilé faisait partie de la manifestation du Den Kurioznich plavidel, le jour des bateaux extraordinaires. Il est à noter que ce fragment de la Vltava est un véritable autoroute à Kayak, 10 000 Kayak y passent mais, désolé, je ne sais plus si c'est par jour, par semaine, ou par saison. Mais en tout cas, des Kayaks, il en passe des tonnes sur ce joyeux torrent qui devient peu à peu rivière, avec son eau claire aux reflets rougeâtres.

Prochaine étape, Vyssi Brod, (prononcer vichi) le village où vivait la grand mère de Karel et où il passa une partie de ses vacances quand il était enfant. Là se trouve, au bord d'une Vltava plus torrent que rivière, un très joli monastère cistercien. Le bâtiment, en ruine durant la période communiste, avec un jardin en friche, a été restauré avec une partie de fonds de l'Union Européenne. Le jardin a été défriché, laissant voir un petit torrent qui le traverse (et où Karel, enfant, allait pêcher des truites) un petit étang sous un mur de fortification impressionnant. Le monastère a retrouvé ses pignons d'origine, en plâtre peint de jaune et de blanc, le revêtement typique des constructions de marque, monastères ou châteaux, une court où siège une fontaine et, à l'intérieur, une magnifique bibliothèque avec, au plafond, une fresque somptueuse. Mais hélas, il était trop tard pour que nous la visitions. Il est à noter que les moines ont ouvert une pension qui ne demande, pour la nuit, que deux ou trois Euro à ses pensionnaires.

Enfin, en fin de journée, nous sommes allés visiter "Le mur du diable" (Certova stena). Un amoncellement de blocs de pierres énormes qui ravinent d'un piton rocheux vers la rivière. Le lieu mérite vraiment son nom. C'est comme si tous les menhirs de Carnac avaient été entassés au pied de ce roc, lui-même tailladé par la hache d'un géant et autour des pointes duquel plusieurs arbres ont été foudroyés.

Après une halte à la Marina, un ensemble de constructions touristiques réalisés en collaboration avec des architectes suédois et construit au bord du plus gros lac de République tchèque, nous avons repris notre route en direction de Tabor. En route nous nous sommes arrêtés dans un petit restaurant où j'ai dégusté une truite braisée à la crème et aux amandes qui m'a quand même coûté 7 Euro. C'est cher pour les tchèques, peu pour nous, certes. Mais quand même, les tchèques ont cette curieuse habitude d'indiquer un prix, pour le poisson, sur une base de 150 grammes. Si le poisson dépasse ce poids, et c'est toujours le cas, vous payez un supplément de cinq couronnes tous les 10 grammes supplémentaires. Ce qui fait que votre poisson va vous coûter la moitié du prix en plus. Il suffit de le savoir. Mais bon, vraiment, cette truite était excellente, et cette journée, organisée par mon musicien préféré (mais les autres me sont chers aussi!) un vrai régal !

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Mardi 4 septembre, Besançon 

Besançon m'accueille avec un joli article sur notre histoire Drako et moi. Cela fait plaisir de se faire accueillir par une touchante intention lorsqu'on rentre de vacances :

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Dimanche 23 septembre 2007, Besançon

Quelques problèmes d'ordinateur me rendent peu bavard. J'ai hâte de retrouver mon ASUS qui est parti en garantie. C'est le deuxième que j'ai. Dommage, le premier avait eu une vie sans faute.

La rentrée accélère donc les choses. Les délais frappent il faut courir. Demain par exemple dernier jour pour l'envoi d'une candidature à Utopia. Il a donc fallu mettre Drako en boite. Mardi et mercredi dernier c'était l'enregistrement. Chez Hervé Prudent, le luthier et contrebassiste. Philippe Avocat avait descendu de Paris son matériel et il a retrouvé chez Hervé son énorme table de mixage qu'il avait laissée pour décorer le salon d'Hervé, son ami. Pas mal l'effet. Sont venus alternativement P'tit Man, qui avait amené sa guitare manouche, Titi qui passait de la basse à la caisse claire et à l'œuf, et un musicien avec qui je n'avais jamais joué encore, le frère d'Alexis (notre saxophoniste habituel) :  François Requet qui, avec son violon a fait que le morceau s'est mis à tenir tout seul debout.

Cela a été deux journées très agréables, nous avons mangé ensemble, travaillé de onze heure du matin au milieu de la nuit, répété d'abord puis, peu à peu trouvé une méthode d'enregistrement pour ce morceau aux tempos variables.

Philippe est reparti pour la capitale où il va habiter encore quelques semaines avant de revenir s'installer à Besançon. Il est à noter quand même que Philippe (Avocat) a été l'assistant son de Manu Chao sur deux albums. Ca cause ! A Paris, donc, il s'est mis au mixage et a commencé un échange de fichiers par Internet et de coups de téléphone. Peu à peu, de version en version, nous sommes arrivés à nous comprendre (le son c'est un peu comme les goûts et les couleurs...) pour arriver à une version définitive qui, j'espère, sera celle qu'il va m'envoyer dans quelques minutes.... Ah ! le téléphone sonne ! (je vous promets !)

Voici, le moment d'écouter le résultat... Oui, cela semble être la bonne, je vérifierai demain à la maison étant donné que je suis de veille au foyer A.G.E.

Tout cela est allé très vite. Le retour de Tabor, l'article sur ma chanson qui parait le jour de mon retour, comme si la ville m'accueillait les bras ouverts, c'était très agréable. Contact des musiciens, petite tension : "Est-ce que toute le monde sera au rendez-vous?" Et puis voila que la saison commence à toute beurzingue sans qu'on n'ait vraiment le temps de réaliser qu'un nouvel été a pris fin, et qu'on ne se replongera pas dans la mer ou l'océan avant l'année prochaine... C'est comme cela que les années s'enfuient dans notre dos...

Ah, oui aussi ! J'ai profité que mon portable soit en panne pour me consacrer à un travail que je repoussais depuis un certain temps : le rassemblement de tous les négatifs réalisés à Quiberon. Cela afin de réaliser un nouveau portfolio que j'ai envie depuis un petit moment d'appeler : "Bien le bonjour de la Presqu'île". Trouver les négatifs réalisés sur environ cinq ans, trier, scanner, développer. J'ai retrouvé tous ces clichés avec plaisir, et, pour ne pas laisser cela moisir sur les disques durs, je les présente sur les pages photographiques de mon site. Voici ma photo préférée de cette série (un lien sur la photo vous emmènera directement au reste de l'exposition) :

La photographie a été réalisée sur le bateau pour Belle-Île l'année dernière. Ce qui fait le flou sur la gauche, ce sont les cheveux de Ludmila. La beauté de ce visage endormi, seule zone correctement exposée parmi un environnement surexposé, la position du père, la douceur de la situation, la confiance qui s'en dégage, et ces cheveux en premier plan qui, par le flou, décrochent la scène du réel.... Oui, cette photo m'émeut particulièrement. C'est un don du ciel.

L'expo est donc prête à être tirée. Ne reste qu'à trouver un lieu d'exposition. On verra ça.

En tout cas voilà, c'est comme du temps gagné, retrouvé. "A la recherche du temps perdu" annonçait  Proust puis, soulagé, "le temps retrouvé" lorsque son grand livre et sa vie arrivaient à leur fin. La création est une façon de tuer la mort... dans la vie. Une sorte d'antibiotique en somme... La vraie mort c'est le temps que l'on tue.

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Dimanche 7 octobre 2007, Besançon

Ce soir, fin de la deuxième édition des Musiques de rue à Besançon. Je me souviens, il y a quelques années, quelqu'un de la Mairie m'expliquait que la Ville de Besançon avait une très lourde partie de son budget culturel occupé à la gestion des structures (École des Beaux Arts, Conservatoire, Musées...) et donc qu'il restait très peu d'argent pour l'action culturelle. L'action culturelle c'est tous les évènements et les subventions diverses pour des événements culturels et artistiques. Ce Festival de Musiques de Rue coûte très cher... C'est de l'action culturelle et pourtant la Mairie a réussi à trouver les fonds pour nourrir ce colossal budget... Comment ont-ils fait ? Et puis, conséquence évidente, c'est qu'après ça... pour d'autres actions culturelles.... y'a plus rien... En trois jours on vide le portefeuille de l'année...

"Donne au peuple du pain et des jeux" disait un empereur romain. La solution à tous les problèmes !. Ca vaut bien une petite folie ! Allez bisontins, voici plein de spectacles gratuits, mettez vous en jusqu'à la panse et votez pour nous l'année prochaine !

Et Zou !

Quand je pense que dans dix jours il va falloir que les gens paient 14 Euro pour venir nous voir au théâtre Bacchus... Ils vont halluciner les gens : "Il y a deux semaines il y en avait partout qui venaient de toutes parts et on ne nous a rien demandé, et maintenant pour cet inconnu du cru il va falloir mettre la main au porte monnaie ?!!

J'avais discuté avec le patron d'un café concert d'Yverdon qui, il y a quelques années, marchait très bien : Le Citron masqué. Une petite salle et une grande salle de concert. Le patron me disait qu'aujourd'hui il est obligé de payer les musiciens au chapeau car les gens ne se déplacent plus pour venir aux concerts."Depuis qu'ils ont lancé toutes les grosses locomotives, Nyon, Montreux, et d'autres festivals largement subventionnés qui font venir de grosses pointures pour des coûts d'entrée très limités, les gens ne viennent plus à nos concerts...."

Autre chose : Utopia. Le très sympathique concours d'Utopia, que je trouve très bien, a pour Président un conseiller municipal, Daniel Magnin, de la liste de Fousseret, notre Maire. Le concours a été fondé juste après les élections;

Eh bien, malheureusement, le concours d'Utopia  n'a pas voulu de mon singe Drako. 

Paraît que nous n'étions pas en mauvaise position. Mais, comme disait Daniel au téléphone : "Ce qui est bien, cette année, c'est qu'il n'y a que des amateurs qui ont été sélectionnés" "C'est bien !" reprit-il encore, plein d'enthousiasme ! Je n'ai pas compris ce qui était bien là-dedans. Ah si ! Ce doit être cela la réponse : "A quoi bon aider des gens qui rament toute l'année quand on peut aider des gens qui n'ont pas besoin !" C'est une question de Potlach probablement : jeter de l'argent par les fenêtres juste pour sentir, en le faisant, que nous avons le choix, la liberté de le faire ! Bref, donner des moyens à ceux qui n'en ont pas besoin, c'est une façon de se sentir souverain. Je crois que c'est ce que voulait dire Daniel... Je ne vois pas d'autre explication.... Ces gens là sont tellement compliqués !

Mais, le lendemain de cette mauvaise nouvelle, j'en apprenais une bonne : Radio Bleu prenait "Le Singe Drako" dans sa play liste au rythme d'un passage par jour jusqu'à la fin du mois ! En voilà une bonne nouvelle ! Le thème d'Utopia cette année c'était "Croissant de Lune". Un croissant de lune c'est une fortification inventée par Vauban. Drako s'échappe de la Citadelle une deuxième fois : il saute par dessus Utopia et s'en va courir sur les ondes de France Bleu...

"Et Vauban grogne dans son tombeau" !

Et que Daniel grogne aussi, lui qui m'a déjà exclu de la Biennale des Arts de Besançon dont il est aussi Président (C'est l'homme de l'ombre de la culture à Besançon) parce que j'avais fait une photographie de Ludmila nue dans les toilettes de Micropolis le soir de la précédente Biennale... Faire une oeuvre d'art dans une enceinte institutionnelle ça demandait sanction : me voici tricard de la Biennale. 

Mon Dieu ce qu'on est sévère avec moi dans le plomb de l'aile culturelle de la Ville de Besançon !

Mais ce n'est pas si grave... Le Parti socialiste, qu'il soit de Besançon ou dans les rangs de Ségolène Royal, a, en matière de culture, une position extrêmement décevante, sachant que tant d'artistes étaient de leur bord. Ils ne voient dans la culture qu'un moyen de faire de la communication, communication a finalité politique. D'ailleurs l'homme de l'ombre, ce parfois sympathique Daniel, est directeur de la communication à EDF. Les contenus de l'art ils s'en balancent, sauf si ces contenus les chatouillent un peu. Alors ils deviennent impitoyables. Ils préfèrent l'art lorsqu'il est muet et qu'il ne remet rien en question. Le festival des musiques de rue a remplacé deux festivals, l'un de théâtre émergent (Les rencontres de jeune création) qui avait lancé bon nombre de troupes théâtrales, l'autre, les Instempsfestifs, qui envoyait parfois des critiques sociales hilarantes et acerbes. J'y ai vu des choses magnifiques. Les musiques de rue, c'est le silence. Le mot a disparu, et, même si on sort parfois des sentiers battus, jamais on ne peut entrer dans le politiquement incorrect. L'argent des subventions a muselé la rébellion. 

On fera sans eux. Mais on ne le fera pas facilement...

La prochaine fois, nous ne voterons pas pour eux. Ils ne nous prendront plus nos voix. C'est normal, ils nous préfèrent muets...

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Lundi 8 octobre 2007, Besançon

Ma Grand-mère, elle s'appelait Jeanne.

Elle est née paysanne. De Mougin, elle est devenue Gasparini, épouse d'un petit fils d'immigré italien.

Son père était un homme fier et vénérable. On l'appelait le grand-père Mougin. Ma grand-mère on l'appelait Mamie. C'est ce qui faisait la différence entre les grands-parents et les arrières grands parents. Papi, grand-père, Mamie, Grand-mère. Une façon soft de séparer les générations.

Ma grand-mère et moi on s'aimait bien. Peut-être qu'on se ressemblait un peu. Ma grand-mère, à sa façon, c'était l'intellectuelle de la famille. Elle aimait lire, elle aimait les films de Sacha Guitry. Elle avait de l'esprit. Tous les jours, jusqu'à hier, elle a lu tout l'Est Républicain. Et elle en a fait les mots croisés. Le week-end dernier elle découpait un petit article paru dans les pages du dimanche sur sont petit-fils qui a fait une chanson sur un singe. C'est pas une aubaine, mais enfin, c'est toujours bien, quand on habite Contréglise, en Haute-Saône, de voir le nom de son petit fils dans le journal. 

M a Grand-mère, elle aimait recevoir. Elle a toujours eu des visites. Les gens l'aimaient bien, elle savait parler de tout. Elle écoutait et elle avait une mémoire d'éléphant.

 

Sa porte était toujours ouverte, elle était vive et elle souriait. Elle aimait rire aussi. Elle sortait ses petits verres, une bouteille de vin cuit, de Suze, une liqueur de cassis ou un café, et on discutait. On n'était jamais pressé à sa table. 

Depuis une bonne dizaine d'années son dos avait fléchi. Elle marchait courbée mais elle continuait à tout faire seule dans sa maison. Pour une femme comme elle, c'est un orgueil absolu d'être capable de s'occuper de ses affaires, de son hygiène, de son ménage, de sa maison.

 

Avec le dos elle avait dû abandonner son jardinet. Mais tout le reste elle l'a fait jusqu'au bout. Elle marchait courbée, mais quand elle s'asseyait on oubliait que c'était une vieille femme de 95 ans. Elle avait toujours cette vivacité dans son visage, une forme de jeunesse. Ses oreilles la trahissaient un peu, il fallait parler  fort et pas trop vite pour qu'elle entende. Mais son esprit était vif, rapide, précis et curieux.

 

  Ma grand-mère connaissait presque toute la région. Je veux dire sa région, son coin de Haute-Saône, les gens, ce qu'ils faisaient, les liens de parenté. Des gens du cru bien sûr, mais parfois aussi les nouveaux. Tout était toujours en place dans sa tête. Et j'aimais parler avec elle. Ma grand-mère est née juste avant la première guerre mondiale et elle est morte en ce début de XXIème siècle. Combien de pages d'histoire elle a vu se tourner... Mais elle continuait à lire son journal, à écouter les informations à la télé, - elle continuait à essayer de comprendre. 

 

Son mari, mon papi Émile, était un paysan qui s'était lancé, à la fin de la deuxième guerre, dans le commerce du bétail. Il allait visiter les éleveurs, ils traitaient les affaires autour d'un verre, dans la cuisine des fermes. Il allait aussi aux foires aux bestiaux comme ils disaient, et ça finissait dans les bars du coin et ça buvait un bon coup. Peut-être bien qu'il y avait quelques femmes légères dans ces lieux là. Souvent j'ai vu Jeanne faire des grosses crises de jalousie. C'était assez percutant. Elle était tenace et lui aussi. C'était une forme de sport. Un sport de combat.

 

Jeanne semblait dominer la situation, mais je crois que mon grand-père était assez malin pour la contrer. Pour nous, les petits enfants, c'était un peu drôle car ils étaient déjà vieux quand nous avons commencé à comprendre leurs petites affaires. Alors, avec la distance, c'était pour nous comme de l'opéra bouffe. Pour maman c'était moins drôle car lorsqu'elle était enfant, les choses n'avaient pas cette allure de pantomime...

Pourtant quand mon grand-père est parti, ma grand-mère s'est sentie perdue. Elle n'avait plus envie de se faire à manger pour elle seule. Ca lui paraissait absurde de ne cuisiner que pour elle.

Quand j'étais enfant, tous les dimanches soirs, nous allions manger "chez la Mamie de Contréglise". C'était une grande table, entre huit et quinze si on comptait les petits enfants. On disait "chez la Mamie" parce que la maison était son domaine à elle. Le domaine de mon grand-père c'était l'écurie, la grange, les champs, les marchés, les éleveurs et son étang. Il allait pêcher dans l'étang, des vieux amis le rejoignaient et, après la pêche, ils allaient dans la petite maison, une baraque de jardin posée sur la digue, et ils discutaient d'histoires d'hommes.

Tous les deux, à leur façon, avaient un grand charisme. Ils étaient très respectés. Et ils respectaient en retour. Ils gagnaient bien leur vie, sans pour autant gagner des fortunes. Le fils de mon grand père a repris le même commerce, mais il avait la réputation d'être plus dur en affaires et il a gagné beaucoup plus d'argent que son père.

Je ne crois pas qu'ils aient pu, autant l'un que l'autre, envier quiconque. Leur vie a été faite de travail mais je ne les ai jamais sentis stressés en dehors de leur sport de combat en privé. Le temps leur appartenait, leurs terres aussi, leurs animaux, vaches, chien, cochons, poulets et chevaux. Ils n'étaient pas spécialement naïfs, rien à voir avec ce que disent les citadins des gens de la campagne. A dire vrai ils m'apparaissaient plus éclairés que bien des citadins que j'ai croisés.

Et surtout ma grand-mère. Je suis sûr qu'avec l'école et les modes de vie d'aujourd'hui, ma grand mère aurait pu faire des études supérieures. Mais ce n'était pas dans la culture des gens des pays que de vouloir faire de leurs filles des avocats, des médecins, des journalistes ou des écrivains. C'était comme ça, on avait des terres et il fallait les faire fructifier.

Le père de Jeanne parlait bien lui aussi. Quand on était petits il nous racontait Verdun. Il avait des airs d'homme honorable et on l'écoutait. Après, on n'écoutait moins car, forcément, la même histoire revenait. La guerre il n'en avait vécu qu'une. 

Mon arrière grand-père a été très fier quand il a reçu la médaille d'honneur du mérite agricole !

Et ma grand-mère était donc, en quelque sorte, la fille de son père.

Lorsque je faisais mes études, j'allais de temps en temps travailler mes bouquins dans une maison en face de la leur. J'allais manger avec eux chaque soir. Cela pouvait durer une semaine ou deux, le maximum fut un mois. Et tous les soirs je discutais avec eux et j'apprenais à les connaître mieux. Ils aimaient cela et cela nous a rendus plus proches.

Après ils ont commencé vraiment à vieillir. Alors ma grand-mère ne pouvait plus faire à manger pour trois. Comme elle n'aimait pas trop sortir de chez elle, on s'est contenté, après, de ses petits apéritifs.

Mon grand-père est mort il y a trois ans. La semaine dernière j'ai pris le dernier apéritif avec ma grand-mère. Je passais juste lui dire bonjour et elle a insisté pour que nous buvions quelque chose. Nous nous sommes assis, mon fils Théo et moi, j'ai pris une Suze et Théo un vin cuit. Elle s'est un peu plaint, mais toujours avec le sourire. Seulement ses yeux ont montré une tristesse lorsqu'elle a dit "tu sais, maintenant je suis au bout". Bien sûr qu'elle avait peur. Elle a ajouté : "C'est pas bien de devenir trop vieux, regarde, on ne peut plus rien faire " Je lui ai répondu "Mais Mamie, tu es chez toi et tu te débrouilles toute seule. Alors tu vois, tu n'es pas si mal !" 

Elle est morte huit jours après. Elle est morte cette nuit, dans son lit, en dormant.

  Ma grand-mère est morte paisiblement. Elle n'avait pas de regrets, elle n'avait pas de rancœurs, elle a eu en quelque sorte une vie saine, occupant sereinement l'espace qui lui avait été alloué, le gérant avec droiture. Elle n'avait pas de blocage, pas de haine, elle ne détestait pas ce qui ne lui ressemblait pas. Mieux, je crois que,   ce que faisaient les autres, l'avait toujours intéressé car elle aimait apprendre, s'informer. 

 

C'est donc fier d'elle et de ce qu'elle était que je la salue. Je n'oublierai jamais son franc et frais sourire. Cependant, maintenant qu’elle n’est plus là, j’ai vraiment l’impression d’entrer dans une nouvelle ère de mon histoire et de l’histoire du monde, - l’ère du futur pour ma Mamie qui, quand elle est morte, avait exactement le double d’années que moi….

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Dimanche 21 octobre 2007, Besançon.

Fin d'un week-end quelque peu éprouvant, attendu, trop, certainement, mais les premières sont toujours éprouvantes...

C'était  notre première soirée complète dans un théâtre en France. Nous l'avions déjà fait en République tchèque, en Slovaquie. En France non. Ce concert, au théâtre Bacchus, était en outre enregistré pour être diffusé samedi prochain sur France Bleu Besançon et vendredi sur Radio Suisse Romande et la RAI vallée d'Aoste. D'où un peu d'appréhension, d'où un peu de tension.

Le concert a semblé plaire au public mais il m'a semblé que je pouvais et que nous pouvions faire mieux. J'aurais souhaité plus de concentration et plus de contact entre nous, musiciens...

Je rêve de pouvoir travailler en résidence dans quelque lieu, ce qui nous permettrait de régler notre prestation scénique, les espaces entre les morceaux, - bref d'aller au bout de la fabrication d'un spectacle... 

Parfois quelque chose se passe, une sorte de miracle :  tout le monde est ensemble, en musique et humainement, et là c'est banco, le public est emporté. Parfois c'est bien, seulement bien car quelque chose manque. J'ai senti ça jeudi...

Du coup impossible de trouver le sommeil la nuit, je me suis levé le lendemain exténué.

Je dois prendre trop les choses à cœur. Les musiciens étaient satisfaits de leur soirée. Ils sont allés se coucher sur leurs deux oreilles.

Peut-être Paulo n'était pas tranquille lui non plus. Il a annoncé qu'il ne pouvait plus continuer, que ce serait sa dernière série

de concert. Je le comprends. La journée il travaille comme plâtrier peintre indépendant, il ponce, il peint, il porte, il plie, il tend les bras, il monte des escaliers chargé jusqu'au cou, il tourne, il mélange, il projette le plâtre, les enduits.... Et le soir, il vient jouer, veillant parfois jusqu'à tard dans la nuit alors qu'il s'est levé aux aurores et tout cela pour gagner quatre sous... 

A cinquante-cinq ans c'est trop. 

Donc Paulo nous quitte et c'était jeudi notre dernier concert important. Mon ami Samuele m'a dit que, parmi les huit musiciens qui ont joué jeudi, Paulo était celui qu'il avait le plus admiré. Il m'a dit "il est magnifique". Paulo le lendemain m'appelait pour me dire qu'il avait un terrible mal de crâne qui lui faisait mal jusqu'à l'intérieur de l'œil et qu'il ne pouvait pas venir jouer avec nous à Épinal. Il allait se coucher. Il était 18 heures. Je pense que Paulo a vécu ce concert avec une masse de conflits dans son for intérieur pas si fort que ça d'ailleurs... Ca fait mal de devoir finir une collaboration comme celle là...

Et puis, jeudi, on n'a même pas pu se dire au revoir, j'étais en entretien avec France Bleu lorsqu'il est parti se coucher. Il travaillait le lendemain matin...

Il va donc falloir tout recommencer avec un nouveau batteur. Des répétitions, des recherches, un autre style peut-être, aucun musicien n'a le même jeu...

C'est toujours un peu vide quand on vient de finir quelque chose qu'on attendait avec tant d'espoir et d'appréhension. Paulo qui s'en va, c'est comme la fin d'un cycle... Peut-être qu'il est temps que je termine ce cahier. Il y a devant nous des choses intéressantes, le concert au Moulin de Poncey, notre première salle de musiques actuelles. Une radio me contacte aujourd'hui pour une émission avant le concert. Ca sera avec un nouveau batteur... Et puis, qui sait, nous allons peut-être avoir des contacts en Suisse bientôt ?

Oui, bien des premières que tout cela. En outre "Le Singe Drako" dans la play list de France Bleu jusqu'à la fin du mois. Ca avance...

Oui, Philippe, méfie toi, tu te fais abuser par la fatigue, d'autant qu'il est deux heures du matin et que la nuit si calme et un peu institutionnelle du foyer où tu veilles n'est pas des plus réjouissantes. L'automne s'installe avec une vague de froid et l'automne n'est jamais légère et enthousiaste... Pourtant il y a une belle équipe qui a travaillé sur ce concert, les musiciens, Paulo qui a donné tout ce qu'il a pu, Karel qui a joué si joliment malgré sa nuit passée à voyager entre la République tchèque et Besançon, Alexis venu de Lyon avec ses saxo dont il joue avec tant de nuances, Titi et sa précision rythmique et qui a bien changé depuis les premiers concerts, il y a trois ans, - changé en bien je précise, Manu qui a joué avec une belle concentration et beaucoup d'imagination, François au violon, lui aussi concentré, tâchant de s'intégrer dans cette équipe avec beaucoup de sérieux et de tact, et Hervé qui n'a pas pu s'empêcher, après avoir très bien interprété les trois morceaux que nous avions travaillé, de remonter sur la scène - ce qu'il aurait peut-être mieux fait d'éviter mais bon... Il y a eu des moments de grâce, il y a eu des flous, mais c'était quand même un joli concert et une belle équipe, sans compter Tintin qui nous a offert sa participation, et c'était un vrai cadeau, sans compter aussi Aurélien qui nous a assuré l'enregistrement filmique du concert, et sans compter l'équipe de Bacchus qui s'est débattu avec les câbles électriques tout l'après-midi. Si on ajoute à cela les techniciens de France Bleu qui enregistraient les 24 pistes de l'ensemble des micros distribués sur la scène, - eh bien, Philippe, il ne te reste, en cette tristounette nuit d'automne, qu'à leur adresser un grand merci et à mettre ton stress et ton spleen automnal de côté !

 

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