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La Fille du Poète

1) Au début la galeriste s’esclaffait avec une vieille dame snobish.
Mon CV sous le bras, guetter l’instant propice
tout en regardant les toiles autour de moi :
« nuées d’oiseaux », « taches Lila », « Gymnopedic 3 ».
Plus j’attends, plus de monde entre ! Je regarde une affiche :
mince c’est vernissage ! Ils verront pas mon book…
Le temps passe et soudain deux yeux me regardent gentiment.
J’esquive, détourne, y reviens :
ils sont là, calmes, confiants, tandis qu’un sourire, simplement, s’épanouit.

Refrain : Elle était la fille d’un poète
Qui écrivait des paysages blancs
Et avait façonné de neige
Sa peau
Elle était la fille d’un poète
Qui plutôt que de donner son sang
Avait fait jaillir un joyau
D’un torrent

2 ) Son papa lit maintenant un poème de lumière.
Je voudrais y trouver de la foule, des couleurs, de la chair
mais la clarté baigne tout : c’est l’éther…
Applaudissements, deux petits verres…
et comment se retrouve-t-elle devant moi ?
Ses yeux saphirs sont pendus à mes lèvres,
mes yeux experts croquent les lignes de sa bouche.
Cette attention, ses petits airs – que de déroutants présages !
Mais le papa s’approche. Vite ! larguer les amarres !
Surtout ne pas souiller cette empreinte :
deux petits pieds, tout blancs, sur la soie rouge de mes chimères.

Refrain

3) Je ressors de la galerie grisé.
Entre sa beauté de neige et les verres de vin blanc c’est une effervescence dans mon cerveau !
Je ne sais plus si je suis à Paris, Rome Vitebsk ou Sarajevo.
Dans la rue c’est une cohue, un grouillement étourdissant de vie.
Je vais allègrement, croisant des foules de gens étranges aux démarches sautillantes :
des rabbins à barbe verte, des hybrides hommes-animaux, des christs en croix,
des mariés enlacés survolant leur cortège.
Les voitures s’emballent, décollent, croisant des chars à bœufs, des traîneaux,
des meutes de chiens errants, des troupeaux de coqs, d’oies, de canards de barbarie.
Des minarets hurlent des prières lancinantes, des sabines à moitié nues dirigent des armées
tandis qu’en lisière des mendiants boivent du champagne au goulot.
De la terre au ciel il y en a partout ! Des fiancées dans les bras du vent,
des anneaux planant d’archevêques et de papes, des colombes de lumière,
des chevaux et leurs écuyères, des archets affranchis jouant, seuls, du violon !
Deux paysans prient, tête basse, au crépuscule, quand j’arrive à ma voiture.
Sur le pare-brise, mince !… une amende !… Majorée elle en vaudra le double !
Comment je vais payer ça…. Mais…

(Refrain)


Philippe B. Tristan – Besançon, le 9 mai 2005