Lundi 13 janvier 2014, dans le train
Me voici une nouvelle fois dans un de ces trains russes que j’aime particulièrement. Et, pour la première fois, je suis dans ce qu’on pourrait appeler, en France, la troisième classe. A vrai dire, ces wagons ne sont pas déplaisants, ils ont à la fois le côté relaxant et confortable des deuxièmes classes des trains de nuit, avec couchettes, matelas, oreillers, couvertures, mais en outre ils offrent une ouverture qui n'est pas désagréable, contrairement aux compartiments clos des deuxièmes. On peut ainsi voir défiler le paysage par les fenêtres des deux côtés. Probablement la seconde classe est plus cosy la nuit, quand on dort et qu’on peut verrouiller la porte. Mais Lena me disait que c’est à double tranchant. Car si tu te trouves enfermé avec un type bizarre et ivre dans un compartiment, ce peut être le piège parfait. C’est pourquoi elle a l’habitude de dormir dans ces compartiments ouverts, protégés par la surveillance mutuelle des occupants de tout le wagon.
Pour la première fois aussi je vois défiler à travers la fenêtre d’un train russe un paysage de neige. Et les bouleaux de la Sibérie se sentent véritablement dans leur élément parmi cette étendue blanche. Cela donne un paysage tout en douceur, en nuances de blancs, de bleus, et la poudre marron de la végétation en panaches, herbes sèches, plumeaux de joncs ou brindilles dans les arbres surgissant de l’écorce blanche. Quand viennent les maisons, on comprend que les couleurs qu’on a choisi pour les peindre l’ont été pour l’hiver, les verres et les bleus tranchent merveilleusement sur le blanc de la neige.
C’est une chance que nous ayons du soleil aujourd’hui. Ce n’est pas un temps si courant, les jours de neige, ceux de brume sont monnaie courante et moins engageants vus de la fenêtre d’un train. Alors j’en profite pour emplir mon regard et ma mémoire (carte mémoire y comprise).
J’avais déjà souhaité, en 2004, revenir à Saratov l’hiver après mon séjour à la fin de l’été. L’état de mes finances m’en avait empêché. Et maintenant je commence à me sentir ici un peu chez moi, pensée attendrie lorsque je regarde Léna dormir devant moi, sur la couchette en face, son front sortant de son manteau d’hiver qu’elle a préféré à la couverture de la RGD, les chemins de fer russes…
A propos de manteau, ce n’est pas qu’il fasse froid dans ce wagon qui traverse la plaine sibérienne, mais il ne fait pas chaud non plus. J’ai tellement pris l’habitude des appartements surchauffés des immeubles russes, qu’ils soient staliniens ou kroutcheviens. Non, ici on supporte un pull-over. Dans les appartements on doit l’enlever au bout de dix minutes. A la gare de Novossibirsk j’ai vu un panneau à leds qui indiquait -12°. Il pourrait faire beaucoup plus froid dehors, donc le wagon ne doit pas être à ses limites… Est-ce à cause du soleil qu’on a réduit le chauffage ? Ou la provodnitsa (gardienne du wagon) n’a pas eu le temps de recharger en charbon le système de chauffage ?
Il y a toujours dans ces forets de bouleaux un aspect tumultueux. Certaines troncs sont brisés et couchés à l’horizontale, mais il y a bien d’autres cas de figures beaucoup plus vivants ou dramatiques. Certains jeunes troncs sont courbés de tout leur long, voussure gracieuse, voire un peu maniérée, d’autres sont brisés en leur milieu et exhibent leur fracture comme un permanent cri de douleur. D’autres encore semblent avoir été décimés par série, comme une mise en alerte sur la violence de l’orage et des tempêtes.
Et puis une ville, un village, finissent par s’annoncer par quelques bâtiments, maisons « privées » comme on les dit ici, ces isbas en rondins, ou quelques bâtiments industriels, échalas d’acier rouillé et de briques, sortes de revenants dont on ne sait pas bien s’ils sont vivants ou non, en ruine ou encore en service…
Mais voilà, ce voyage n’est pas aujourd’hui au long cours. Barabinsk approche, il faut se préparer à descendre. Mon voisin du dessus est profondément endormi, il ronfle. Peut-être va-t-il à Moscou ? Nous nous contenterons d’une petite ville de Sibérie que j’ai grand hâte de découvrir, - surtout que notre visite a pour objectif une fête familiale ! Plonger dans les arcanes sibériennes… Ca me va !
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Mercredi 15 janvier 2014, Novossibirsk
Lever à 9 heures ce matin. J’ai vu la lumière monter. Neuf heures trente maintenant et déjà on peut dire qu’il fait jour. Il y a une demi-heure, c’était encore la nuit.
Je reviens sur notre petit séjour à Barabinsk. Au sortir du train nous avons eu le droit à un très beau soleil. Depuis la passerelle métallique qui permet de passer d’un quai à un autre, nous avions une vue très agréable sur la ville, d’abord sur l’avenue qui vient de la gare, et puis sur une église orthodoxe en fond de décors. Des maisons traditionnelles bordaient l’avenue, une image typique d’une Russie peinte par Ilya Repine. Mais, personnellement, cela me fait penser à la peinture de Breughel l‘ancien, « les chasseurs dans la neige ». La vue est identiquement plongeante et, au lieu des patineurs de Breughel, en contrebas, on a ici des passants qui viennent de la gare et probablement du même train que nous…
Nous devons aller directement au café où se tient la « fête ». Lena n’est pas trop entrée dans le détail de ce qui nous attendait. Pour l’heure, elle est en train de demander à une passante où se trouve le café. Rapidement nous nous retrouvons devant un établissement en briques rouges, assez récent, sur lequel est écrit « Café Pit ». Nous entrons par une porte de l’aile droite, sous le mot « café, bar » en néon fluo rouge. Là un type nous demande ce qu’on veut et nous indique que nous nous sommes trompés de porte. Il faut entrer par le côté gauche.
Lorsque nous entrons à la porte indiquée, nous tombons en pleine panique des dernières minutes de préparation. On finit de s’habiller, on va et on vient, on se croise, on parle à la volée. Nous sommes rejoints par la mère de Léna qui a été chargée de l’animation de la fête. Elle a une valise pleine de costumes, et deux grands sacs en plastique. Du vestibule ou vestiaire nous passons dans la salle de la fête proprement dite. Ca ressemble à une petite salle des fêtes. C’est un grand rectangle orné de quelques fantaisies kitch et terminée par une petite scène. Là un homme a déjà installé une sono et différents lecteurs musicaux. On découvrira plus tard que c’est un chanteur qui va se charger de toute l’animation musicale dont il chantera les 90%. Un vrai pro, belle voix, infatigable, avec une énergie communicative.
La partie gauche de la salle est vide, la partie droite occupée par une grande table pour une soixantaine de personnes. La table est déjà mise et le centre couvert de plats divers et de bouteilles nombreuses. Les plus remarquables de ces plats sont deux poissons énormes recouverts de fleurs fabriquées à base de fines tranches de légumes rosés. Il y a des assiettes de tranches de saumon, des toasts recouverts de caviar rose, des salades… Je commence à m’apercevoir que ma tenue n’est pas du tout adaptée à la situation. Les femmes sont en robe de soirée, les hommes en costume. Moi je suis en pull-over, en pantalon de rappeur et en bottes en poils de loup ! Pas du tout le style ! Quand je fais remarquer à Lena qu’elle aurait pu mieux me présenter la circonstance, elle me répond « Ce n'est pas grave, tu es étranger ». En gros, tout ou presque m’est permis.
Donc nous sommes venus pour assister à la fête des cinquante ans de Larissa, qui est une petite cousine de Léna. La table est à peu près divisée en deux partie, du côté du couple de Larissa, la famille, à laquelle j’appartiens. De l’autre côté, les collègues de Larissa. Elle travaille à l’administration de la ville. Ils sont une vingtaine à avoir pris une journée de congé, nous sommes lundi, autant dire que tout le service doit être fermé !
La fête a commencé et c’est la mère de Léna, Lioudmila, qui mène le déroulement. Car une fête russe est assez structurée. Il y a un rituel précis. Et pour mener ce rituel il faut un leader. Lioudmila a préparé de nombreux textes qu’elle lit, en gros, entre chaque toast. Oui, un toast en Russie ne se résume par à un « santé ! » ou un « à la vôtre ! », non, il y a beaucoup plus de mots, que certains improvisent, mais que beaucoup, ici, on préparé à l’avance. Donc Lioudmila mène le jeu, c’est une vraie pro car c’est elle qui s’occupe de l’organisation de toutes les fêtes et évènements de la bibliothèque de Novossibirsk où elle travaille. Les toasts permettent aussi d’introduire la remise d’un cadeau. Ce qui n’empêche pas qu’on boive un coup derrière.
Lioudmila présente le couple de Larissa et son mari Youri. Elle les fait lever, mettre un petit costume de papillon et faire quelques pas de danse. Elle a d’ailleurs un programme musical spécifique et c’est Léna qui a été chargée de démarrer les morceaux sur un ordinateur installé sur le podium.
Une heure environ est passée quand c’est au tour des collègues de travail de prendre le relai. Eux aussi ont bien préparé leur partie. Chacun a son papier tapé à la machine avec le texte qu’il doit lire. Mais une voix va rapidement devenir majoritaire, celle d’un grand jeune homme à lunettes, à la dentition imposante, une sorte de grand étudiant à la carrure avantageuse et qui semble en avoir profité pour servir son ambition puisque j’apprendrai qu’il est le chef du service et le mâle dominant de toutes ces femmes autour de lui. Les maris sont d’ailleurs là, eux aussi, et ils ont décidé de rester sur la réserve.
On a commencé à manger pendant la série des toasts. Car on ne boit jamais sans manger en Russie. C’est ce qui protège l’estomac contre l’agression de la vodka. Tous ces petites entrées ou toasts sont d’ailleurs délicieux. On a apporté aussi un plat de poulet rôti découpé en parts, et des toasts gratinés chauds - délicieux. Je tâche de faire attention à ce que je bois, on s’est levé à cinq heures trente le matin et un excès d’alcool aurait un effet déplorable. En gros, je limite la tradition russe de boire son verre cul sec et ne bois qu’une gorgée à chaque toast. Cela permet de suivre la conversation sans se lancer dans de dangereux discours. Oui, boire c’est comme discuter.
Et puis, après les introductions de Lioudmila, les toats des collègues de travail, c’est au tour de l’animateur engagé de prendre la relève. En fait, cet homme est un chanteur. Et il va avoir la difficile mission de faire danser les invités presque toute l’après-midi et les trois quarts de la soirée en chantant sur une musique pré-enregistrée. J’avoue avoir été impressionné par sa voix qui semblait pouvoir se glisser dans tous les répertoires. Il aurait pu chanter Claude François aussi bien que Johnny ! On comprend qu’entre ces deux extrémités tout est possible ! Bien sûr son répertoire était essentiellement russe, ce qui est tout à son honneur. Il chantait donc et aidait les danseurs à se chauffer, et, quand les verres commenceront à rendre les jambes lourdes, à dépasser leurs limites. Et le résultat fut à la hauteur ! De trois heures de l’après-midi jusqu’à presque minuit on a festoyé joyeusement et dansé presque sans relâche !
Il faut préciser quand même que la mère de Léna a parfois repris le relais très efficacement, comme lorsqu’elle a engagé quatre autres femmes pour les habiller et les lancer dans un french-cancan qui a arraché des rires aux larmes.
Enfin on a commencé à rejoindre le vestiaire, mais quand après presque une heure on s’est retrouvé dans l’appartement de Iouri et Larissa ils ont ressorti les restes ramenés du restaurant et se sont remis à table ! J’en ai profité pour sortir ma guitare et jouer quelques chansons. A un moment Lena a dit à Larissa qu’il faudrait peut-être que les hommes arrêtent de boire. Larrissa lui a répondu « Mais non, tant qu’on le peut encore, il faut continuer de boire ! » Mais au bout de quelques minutes les plus grands buveurs avaient mystérieusement disparu et devaient ronfler quelque part. Vers trois heures tout le monde avait rejoint son lit. Nous étions au minimum quatre par chambre, l’appartement était au maximum de ses possibilités. Mais on voyait que pour les circonstances importantes, les russes sont près de se serrer un peu pour accueillir leurs lointains parents.
Le lendemain la mère de Lena nous conduisait en ville pour une visite rapide des lieux de son enfance. Sur la place centrale, face au centre culturel et à l’imposante statue de Lénine, on avait fait un grand toboggan de neige et quelques habitants se lançaient dans la glissade. Lioudmila avait d’ailleurs pris un de ces petits accessoires en plastique qu’on passe sous ses fesses pour glisser. Nous avons donc eu chacun notre tour, riant comme des gosses…
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A quatorze heures nous avions rejoint un nouveau train. Troisième classe à nouveau, wagon plein cette fois. Quatre jeunes sportifs jouaient aux cartes sur notre droite, empruntant un bout de nos couchettes. L’heure n’étant pas au couchage nous les avons laissé. Mais la mère à Léna n’était pas contente, jugeant pas correcte l’attitude des adolescents. Ce n’était pas bien méchant. Dehors il a neigé pendant tout le voyage et le paysage se nimbait d’un voile blanc lui donnant une apparence irréelle…
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Novossibirsk, le 18 janvier 2014
Léna et notre voisine et amie Luba ont réussi à me convaincre de faire partie d'un club de chansons folkloriques russes.
Ce sont bien sûr mes premiers pas et, sans les paroles écrites en main, il m’est impossible de chanter avec les autres. Mais au moins je peux mémoriser les mélodies.
Or, entre Noël (07/01) et la fête du baptême du christ (19/01) une tradition populaire veut que des petits groupes aillent chanter de porte en porte un répertoire de chansons de Noël. Et voilà que je me suis retrouvé à accompagner ces chanteurs ambulants dans ce rituel qu’on appelle ici « kolyadki ».
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Il y avait les membres du club et trois de leurs enfants d’une petite dizaine d’années. Le principe est le même que l’halloween des américains out que le carnaval de chez nous : il y a toujours une petite contrepartie versée, sous forme de gourmandises diverses. Mais la spécificité peut-être de ce rituel-là, c’est la participation qui est demandée parfois aux personnes visitées. Notamment aux enfants. D’abord ce sont les adultes qui commencent. Ils commencent même dans la rue ! Dès qu’on nous a ouvert la porte de l’immeuble et durant toute la montée des escaliers, jusqu’à l’entrée des appartements. Ensuite vient « Dobri vetcher » ou une autre chanson de Noël. Et puis c’est au tour des trois enfants de lancer une chanson qui dit à peu près « Donne nous du saucisson ou nous brûlons ta maison », et qui continue par une histoire de petite chèvre. C’est alors qu’un enfant de la maison visitée se met à mimer une chèvre qui va piquer de ses cornes les adultes et les enfants présents. La chanson continue et soudain l’enfant chèvre s’écroule et fait le mort. Alors on lui apporte des gâteaux ou des chocolats et on lui fait manger. L’enfant chèvre se réanime alors et se lève. La chanson est finie. C’est très amusant ce petit jeu de rôle, les enfants sont ravis et il y a eu une sorte d’échange. Et le répertoire des chansons est vraiment riche et authentique.
En repartant dans les cours d’immeuble recouvertes de neige et parsemées d’arbre, il y avait une résonnance particulière des voix dans la nuit. Un vrai émerveillement. Un peu de lumière venait des multiples fenêtres des appartements, parfois des entrées d’immeuble, et rampait sur la neige. Les enfants étaient en tête, avec leurs trois capuchons, et derrière leurs parents et amis chantaient - une vraie atmosphère de conte populaire…..
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19 janvier 2014, Novossibirsk.
Cela fait un long moment qu’on me parle de la fête de Krechenié, "le baptême du christ". Pour la bonne raison que les russes ont la fierté de prouver au monde, à cette occasion, leur courage et leur résistance physique. Fête religieuse, aux origines peut-être païenne, on prend cette journée très au sérieux, proportionnellement peut-être à l’effort que cela va coûter. Car un grand nombre de russes vont aller, à cette occasion, se plonger par un trou dans la glace dans une eau proche de zéro degré.
J’avais manifesté mon intérêt pour l’évènement et était prêt à me prêter au jeu. Des amis m’ont donc proposé de venir avec eux. C’est toujours difficile en Russie de se représenter exactement ce qu’on va découvrir quand on nous invite. Je savais qu’on allait se rendre à une « source ». L’idée me plaisait davantage que d’aller me tremper dans la mer d’Ob que je connais déjà. Nous voici donc à 7 dans le combi Toyota de Marina et nous partons en direction de Barnaoul par la M52 qui deviendra, un peu plus au sud, la tchouisky tract. Marina ne connait pas bien le chemin et se fait aider par son fils de 16 ans, Sacha, qui a bien sûr un smartphone, et au téléphone par son mari qui est parti avec leur seconde voiture.
A un moment il faudra même faire demi tour et, après quelques kilomètres, prendre une route à droite en direction du village d’Iskitim. Marina se met à m’expliquer que, pendant la période soviétique, il y avait ici une mine de chaux. … Cette miné était un goulag et beaucoup de prisonniers qui travaillaient là mouraient rapidement à cause de l’effet sur les poumons de la poudre blanche qu’on y extrayait.
Un des prisonniers était un prêtre orthodoxe qui un jour fut exécuté. La légende dit qu’à l’endroit où il fut tué surgit une source. Et c’est vers cette source qu’on se dirigeait. Un panneau ne tarda pas à surgir quelques kilomètre après le village annonçant : « la source sainte ».
Je m’attendais à un lieu bucolique dans le calme et le silence d’une forêt, et voici que surgit un parking plein de voitures avec quelques policiers qui ont bien du mal à faire régner un peu d’ordre face à cette invasion de voiture ! Sur la gauche on voit une église encore en construction dont les coupoles dorées resplendissent au-dessus des murs verts tendre et blancs. On met un certain temps à trouver une place libre. Il semble y avoir autant de gens qui arrivent que de gens qui partent. Des jeunes, des vieux, il n’y a pas de genre dominant, c’est tout le monde qui vient ici, des riches, des pauvres aussi, à en juger de l’apparence des voitures.
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En contrebas de l’église une foule de gens s’agglutinent à proximité d’un pont. Il y en a avant le pont, sur le pont, après le pont et sous le pont. Sur la droite du pont, un petit bâtiment en bois de style religieux se voit entouré d’une foule de gens. On fait en effet la queue pour aller s’immerger dans l’eau à l’intérieur. Partout c’est une quête de l’eau. Chacun porte quelque conteneur, bouteille en plastique de diverses tailles, jusqu’à dix litres, mais certains se sont même pourvus de bidons de lait qui doivent approcher les 30 litres. Sous le pont, et tout le long du ruisseau, on puise de l’eau. Avec des louches en aluminium, des goulots de bouteilles en plastique utilisés comme entonnoir, des verres et des bols. Je m’étonne, en m’approchant, de constater que des pieds s’approchent de l’eau, remuent des pierres et soulèvent quelques ombres de terre. Et je m’étonne aussi que les gens ne semblent pas s’en apercevoir, pas plus qu’ils ne semblent remarquer que l’eau qu’ils puisent en grande quantité n’est pas si propre finalement… D’autant que le ruisseau est pris d’assaut bien en amont du pont et que donc partout des chaussures s’approchent du bord, glissent sur une pierre et soulèvent des nuages de terre… Il semble que, sous le voile du sacré, toute prudence s’estompe…
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On me conduit par un sentier à un autre lieu fourmillant de monde. Il s’agit en fait d’une piscine qu’on a construite spécialement pour ses immersions baptismales annuelles. Deux échelles de fer et de bois permettent d’entrer d’un côté et de sortir de l’autre, et le parcours est délimité par deux rampes. On fait la queue, les hommes en maillot de bain, les femmes souvent en tuniques de coton qui, une fois mouillé, va révéler les parties nues du corps. On a juste le temps de descendre les marches, de faire deux pas, - l’eau arrivant à la taille , de se plonger, de se signer, de faire deux nouveaux pas et de monter les escaliers de l’autre côté. Beaucoup plongent jusqu’en haut de la tête, certain jusqu’au cou, et les plus zélés plongent trois fois en se faisant un signe de croix à chaque fois. Il y a tous les types de gens disais-je, mais je remarque quand même qu’ici, la majorité a entre trente et cinquante ans, et je remarque aussi que beaucoup ne sont pas des poids légers… Les ventres sont aussi volumineux chez les femmes que chez les hommes, et interrogent sur les modes de vie et d’alimentation qui semblent être ici dominants…
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Souvent un parent attend le baîgneur à sa sortie de l’eau, lui tendant une serviette, un peignoir ou simplement la main. Car sitôt sortis de l’eau les pieds arrivent sur la neige et la glace, et paralysé de froid, on risque en outre de glisser ! Il y a quelques cabines pour se changer, mais vraiment en nombre trop peu important. Alors on se débrouille un peu partout, on s’entraide pour pouvoir s’habiller et se déshabiller décemment, et les corps dénudés se mélangent aux habillés sur la neige qui est partout…
Quelle température fait-il pourrait-on se demander ? Environ – 7°. Ce qui est une chance, il pourrait faire beaucoup plus froid en cette saison…
Mais ce n’est pas à cause de la température que je ne me prêterai pas cette fois au rituel. Il est évident qu’il a ici un sens qui ne me concerne pas. La frénésie religieuse est partout présente, à deux doigts de la superstition. On a l’impression qu’on vient ici chercher le miracle. Une santé miraculeuse qui viendra à la fois de ce bain dans l’eau froide et de l’eau rapportée chez soi. Et d’un seul coup, en voyant ces files de gens sur un sentier un peu plus haut, avec cette église aux coupoles dorées en toile de fond, j’ai l’impression d’être dans un film évoquant le moyen âge comme il en a été fait beaucoup en Russie. Ce paysage traversé par ces foules semble prendre l’intemporalité d’une scène biblique, dont les tenants et les aboutissants semblent échapper à la raison…
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Jeudi 23 janvier. Point de départ : Akademgorodok
Ce n’est pas la première fois que je parlerai d’Akademgorodok. Mais il m’a semblé important, dans ces nouveaux carnets, de partir de là, car c’est bien d’ici que je partirai et c’est ici que je reviendrai.
Point d’origine et point de retour, certes, mais néanmoins un lieu que je ne cesse d’explorer, de découvrir, d’apprécier. Cette ville qu’une inconnue me faisait visiter début septembre 2012, - une inconnue qui peu à peu est devenue la femme que je connaîtrai le mieux… Ce sont ici les beaux hasards de la vie…
Outre d’être la ville de Léna, Akademgorodok, quartier semi-autonome de Novossibirsk, est un lieu qui a suscité beaucoup d’intérêts, à commencer dans ses premières années, lorsque le général de Gaulle vint la visiter en 1966. Elle a eu droit aussi à quelques reportages, documentaires longs métrages produits par la télévision française et a attiré un certain nombre d’écrivains voyageurs.
Conçue par des académiciens, de grands scientifiques russes, elle porte en elle une utopie. D’abord elle devait être un centre de recherche fondamentale et un lieu de vie pour les chercheurs et leurs étudiants. Colin Thubron, dans son livre "En Sibérie" fait une liste très passionnante des très originales et un peu fantasques recherches qui y ont été menées, et qui n’ont pas forcément abouti. Mais cette vision quelque peu condescendante du gentleman voyageur anglais est contestée par de nombreux articles qui soulignent le rôle que la cité a eu dans la recherche en physique nucléaire, en langage informatique, en bio et nano-technologies. D’ailleurs, dès les années 60 le sous-sol de l’institut de physique nucléaire abritait déjà un accélérateur de particules, ce qui explique pourquoi, aujourd’hui encore, les professeurs de l’institut font partie du réseau de scientifiques du CERN.
Ceci dit, je laisse ce qui se passe derrière les murs des instituts dans les mains des spécialistes car ce qui m’intéresse davantage c’est la vie qu’on mène ici. Car l’urbanisation voulue par les professeurs de l’académie, et notamment par le professeur Mikhaïl Lavrentiev, grand concepteur et superviseur des travaux, visait à créer un rapport particulier entre les habitants et leur lieu de vie. L’idée principale a été de conserver la forêt originale. Et, de fait, elle est partout. L’autre idée a été de laisser de l’espace entre des bâtiments de taille modeste (4 étages). En gros, les immeubles ne dépassent pas la cime des arbres. Entre deux immeubles, la forêt apporte son voile de vie. Inversement les arbres sont partout mais, entre leurs branches, on arrive toujours à discerner les ocres, les verts ou les bleus d’un bâtiment. Cela procure une sensation apaisante et rassurante : la rigueur du béton est adoucie par les feuilles et les branches, mais un bout de façade étant toujours visible, cela évite de se sentir perdu ou isolé dans une forêt. Remèdes à la fois contre la suffocation urbaine et la peur du loup !
Et puis, il y a ce qui me plaît le plus, à savoir ces sentiers permettant de se rendre rapidement d’un endroit de la ville à un autre, sans avoir à suivre les tracés rectilignes des rues et des avenues tracées, elles, à l’équerre. Ces sentiers très plaisants en été, sous les bouleaux et divers arbres qui vont se charger de baies en automne, sont encore plus charmants en hiver. Leur tracé est clairement visible parmi la neige poudreuse. Il semble que quelques engins s’occupent de les tracer, comme on le fait pour les pistes de ski de randonnée.
Cela évite de se perdre tout d’abord, mais surtout aux pieds de s’enfoncer dans la neige. Quel plaisir d’aller prendre le bus en suivant ces sentiers ! Lorsque le soleil rasant fait ressortir les reliefs, ou encore la nuit quand un rayon de lune suffit pour en discerner le tracé. Les lumières des fenêtres à travers les troncs des bouleaux est une vraie fête qui me rappelle obsessionnellement la fin de « Bonne nuit les petits » cette série télévisée quotidienne qui a marqué mon enfance…
Cet espace particulier d’Akademgorodok est propice à la vie familiale. On croise souvent une mère et son enfant, lequel a été installé sur des luges conçues comme des poussettes d’hiver, certaines ayant même des roues escamotables pour entrer dans les magasins bien sûr !
On va donc beaucoup à pieds dans cette ville où tout est accessible pour un piéton. Ici pas de grands supermarchés avec leurs immenses parkings. Non, juste quelques supérettes dont on sort chargés de sacs en plastique.
Quelques magasins en pieds d’immeubles, un grand centre culturel, une petite galerie marchande, quelques restaurants et cafés, et bien sûr tout un ensemble d’universités, d’écoles et de cités pour étudiants, les dortoirs comme les appelle Léna, et qui, d’ailleurs, peuvent être habité par aussi bien par des adultes, couples ou célibataires de tous âges.
L’ensemble est très paisible et change un peu avec les saisons. Les jours de soleils et surtout au printemps les enfants vont jouer dans les cours dont beaucoup sont pourvues de jeux, balançoires et toboggans peints de couleurs primaires. C’est au printemps aussi qu’en profitent les moustiques pour s’amuser à faire des trous dans nos dermes. Moins drôle. Mais l’hiver permet aussi un immense aire de jeu, surtout que la municipalité fait construire des toboggans de glace géants où s’agglutinent parents et enfants.
L’hiver, les températures sont le plus souvent comprises entre zéro et moins dix. Bien habillé (souvent en combinaison de ski) on ne sent pas le froid. Mais certains jours le thermomètre plonge à moins vingt, moins trente… Alors les enfants restent à la maison, les jours de grand froid il n’y a pas d’école…
La permanence du gel évite à la neige de fondre, même les jours de soleil, ce qui évite la formation de verglas. La neige reste ainsi praticable et on s’y promène sans risque de se casser la figure tous les 100 mètres. On ne met pas de sel, pas de sable, idem sur les routes. C’est plus joli ainsi et moins polluant. Mais, si en France les clous sont interdits, en Russie il est interdit de circuler si vos pneus n’en sont pas équipés. D’ailleurs ce serait une folie de s’en passer. Je suis impressionné par leur efficacité et l’aisance des automobilistes à circuler sur les routes enneigées !
Et puis, dernier point très appréciable : c’est la possibilité toujours immédiate d’aller faire du ski. On pourrait mettre les skis directement en sortant de l’immeuble. Mais, curieusement, les Russes ne le font pas. Ils se rendent à pieds ou en voiture à une station qui se trouve à environ deux kilomètres à vol d’oiseau. Moi qui ne suis pas Russe, dès l’avenue traversée je mets mes skis et en quinze vingt minutes je suis à la station, prêt pour le parcours de 3 ou 5 kilomètres !
L’été, il y a à environ 3 kilomètres du centre la mer d’Ob. C’est un très grand lac artificiel dont le barrage est situé entre Akademgorodok et le centre de Novossibirsk. L’été on s’y baigne, l’hiver on la parcourt en ski et les « Morses » vont se plonger dans le trou qu’ils entretiennent à cinquante mètres de la rive.
Voilà ce que l’on trouve à 30 minutes de bus d’une ville d’un million cinq cent habitants. N’est-ce pas formidable ? D’ailleurs Léna m’a dit que les habitants d’Akademgorodok s’étaient opposés au projet de prolonger le métro jusqu’à leur quartier. Ils craignent que cette facilité d’accès depuis le centre ville amène les promoteurs à construire en masse de nouveaux immeubles, lesquels risqueraient de casser la paix de cette population calme et souvent bien éduquée…
Ils ont peut-être raison….
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27 janvier 2014, dans le ciel entre Russie et Kirghizstan
Nouveau départ, en quelque sorte imprévu puisqu’il a été motivé par une clause de mon visa indiquant le temps maximum de séjour autorisé en Russie : « 90 jours sur une période de 180 ». Les 90 jours étaient atteints. Alors il a fallu choisir une destination à la mesure de mes moyens financiers et de la facilité des démarches d’accès à un pays. Le Kirghizstan ne requiert pas de visa d’entrée et le vol coûte depuis Novossibirsk à peine plus de 150 euros…
Et puis, rapidement, des liens avec des personnes habitant Bichkek, la capitale, se sont créés. La sœur d’une très proche amie de Léna y habite et me proposait de m’accueillir les premiers jours. Elle finit même rapidement par me trouver une chambre à louer chez l’habitant. Et puis quelques recherches sur internet m’ont révélé l’existence d’une revue en ligne francophone, « Francekoul », dont le siège est fixé à Bichkek. Cette revue consiste à encourager des journalistes débutants d’Asie centrale à publier des articles en français sur leur pays respectif. La revue propose un encadrement pour l’écriture et la traduction en français des articles, soutenue par l’alliance française de Bichkek qui accueille le rédacteur ou la rédactrice en chef de la revue. Depuis septembre 2013 c’est une rédactrice qui a pris le relai, Isabelle Bildstein, et elle a répondu très aimablement à ma demande de contact. Ces carnets risquent donc de nouer une relation de voyage avec Francekoul car j’ai indiqué mon souhait de rencontrer ces rédacteurs locaux et de participer avec eux à quelque projet.
Voici les premiers pas vers ce pays assez peu connu. J’ai été toutefois surpris de découvrir que la France a créé des liens importants depuis 2010, y envoyant un ambassadeur et développant des axes de coopération. Je pense que Francekoul a été fondée à l’occasion de ce rapprochement.
Concrètement, en matière de pas, géants sont ceux que fait cet avion au-dessus du territoire d’Asie centrale. Depuis le hublot on aperçoit un air parfaitement dégagé qui nous permet, malgré l’altitude, de discerner clairement la terre sous nos ailes. Un discernement relatif puisque, ce qu’on voit, c’est une étendue blanche, une immense plaine immaculée. Seules les ombres apportent quelques nuances de gris, et cela, jusqu’à la ligne d’horizon. Il est impossible de savoir ce que sont ces petits reliefs, forêts recouvertes de neige ? Rochers ? La brume parfois vient emballer l’ensemble dans du coton, un coton de barbapapa glacée malgré le très beau soleil qui illumine tout cela.
Autour de moi les visages sont presque exclusivement asiatiques. Mongoloïdes la plupart du temps, mais parfois plus marqués. Je fais partie des quelques visages de type européen qui sont ici en large minorité. Il paraît qu’à Bichkek il y a 20% de Russes. Mais je crois que dans cet avion la proportion est moindre. Alors, dans cette minorité je me mets à ressembler aux russes. Et on ne remarque plus que je suis différent, c’est rassurant. L’avion serait occupé majoritairement par des Russes, on me repérerait immédiatement, et je ne comprends pas bien comment. C’est cela qui est inquiétant, être identifié sans savoir sur quels critères... Il faut se méfier des signes qui nous échappent… Mais ici je me fonds dans la minorité. L’hôtesse de l’air est surprise que je ne la comprenne pas. Disons qu’on ne s’attend pas à ce qu’un Français se soit glissé dans cet avion sibérien.
Dans cette carlingue standardisée, tout est assez banal… J’aurais aimé que Léna puisse m’accompagner. C’est rageant, après un mois, de devoir déjà me séparer d’elle. Je commençais à me sentir bien à Novossibirsk… « Chez nous »... L’aventure n’est pas toujours là où on l’attendait… Mais il faut se laisser happer 34 jours puisque je n’ai pas le choix. Et essayons de rendre fertile cette nouvelle aventure asiatique….
Plus tard
Tiens…
Je n’ai pas pris aujourd’hui de photo…
Je dois avoir le cœur gros….
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Mardi 28 janvier 2014, Bichkek.
Une première journée à Bichkek et un premier bilan, les principaux soucis d'organisation sont résolus... Je me suis installé dans cette famille qui m'accueille chez elle pour trois cent dollars. Et l'on m'a offert ce matin le petit déjeuner, me laissant entendre que celui-ci serait inclus... Mon accueil s'étant fait un peu au hasard d'une conversation, les modalités exactes n'avaient pas été fixées.
Et puis il faut trouver un bureau de change, acheter un plan. Ceci fait, la ville s'ouvre à vous... Alors Bichkek... Nous n'avons guère l'habitude en France d'entendre ce nom, et guère plus le nom de ce pays, le Kirghizstan... Les Russes les appelaient "leurs" Républiques, celles d'Asie centrale, souvenir du temps de l'URSS. Cette affection quelque peu paternaliste est encore sensible, et les Russes sont encore très présents ici, linguistiquement car on entend parler le russe un peu partout, et financièrement aussi, à regarder le nom de nombreuses banques...
Au matin, en ouvrant les rideaux, j'ai découvert qu'il neigeait. Cependant les températures n'ont rien à voir avec celles de Novossibirsk. Il gèle à peine ici. Cette blancheur de la neige fraîchement tombée a contribué à donner un ton particulier à cette première journée. Adoucissant cette ville à laquelle l'hiver, sans neige, donnerait un aspect un peu sinistre. On a en effet, au premier regard, la curieuse impression que la ville n'est pas venue de ce pays. Il y a dans toutes ces constructions une sorte de maladresse, une indécision. Toute l'architecture semble importée. Une partie de russie, une partie du moyen orient. Et puis, le reste, ce sont des immeubles où l'on sent à peu près les mêmes influences. En tout cas c'est l'impression que j'ai ressentie dans le quartier où je loge, quartier central mais qui ne donne pas vraiment l'impression d'un quartier du centre, malgré quelques immeubles cossus, disséminés parmi des isbas en sinistre état et quelques constructions en brique blanche qui semblent venir d'Iran ou de Syrie...
Le traffic des voitures est assez modéré pour une capitale. Les routes ne sont pas en très bon état, comme bon nombre de petites villes de province en Russie. Rien de surprenant donc. Pas plus la conduite des chauffeurs à propos de laquelle dont on m'avait alerté, - oui, certes il faut être prudent. Mais ne faut-il pas être prudent partout ? Bien sûr, ce n'est pas l'allemagne. Mais j'ai vu paradoxalement tellement d'accidents sur l'autoroute en Allemagne !
Ce qu'on remarque peut-être aussi, comparé à la Sibérie d'où je viens, c'est la variété des arbres qui bordent les rues. En Sibérie le bouleau, le pin et les différents cônifères sont la norme. Ici on trouve essentiellement des feuillus, de grands arbres qui ne semblent pas manquer de soleil, et de différentes essences, dont certaines que je n'ai jamais vues, comme cet arbre aux aiguilles menançantes qui m'ont fait penser à la couronne du christ !
Quant aux êtres humains, j'avoue qu'ils m'intimident beaucoup. J'ai passé ma journée à essayer de les comprendre. Le style quelque peu humaniste de ma photographie m'oblige à m'approcher des hommes et des femmes pour les photographier. Comme je le disais à un ami, il y a toujours une prise de risque dans un bon portrait. Je ne suis pas de ces photographes qui forcent les gens à se rapprocher à l'aide d'un zoom. Je travaille à la focale fixe donc il faut que je m'avance vers les gens. Mais pour cela il faut avoir une certaine confiance dans les personnes que je vais approcher. Pour avoir confiance il faut connaître. Il y a une façon de photographier chaque peuple, mais cela s'apprend. J'ai donc commencé ma première journée de photographe avec prudence, observant la façon dont on réagissait à ma présence et à celle de mon appareil photo. Ce qu'on peut en dire c'est que je ne passe pas inaperçu. Même ici ils sentent immédiatement que je ne suis pas d'ici, - ce qui veut dire que je ne ressemble pas plus aux Kirghizes qu'aux Russes qui vivent ici. Je suis un étranger. En tant qu'étranger je ne perçois pas d'animosité particulière, mais chez certains jeunes hommes j'ai senti un regard persistant que je n'ai pas réussi à définir : curiosité ou défiance ?
Il y a aussi la façon qu'ont les gens de se tenir dans l'espace public. J'ai remarqué que souvent on se groupait pas genre. Les hommes vont souvent par deux ou davantage. Partout des grappes de cinq ou six hommes qui échangent des conversations animées, joueuses. Les jeunes femmes vont plutôt par deux ou trois. Elles marchent le long des rues, ou parfois discutent sur un banc dans un parc. On en voit beaucoup se promener aussi avec leur mère, et bien sûr avec un ou des enfants. Donc c'est assez rare qu'en bande les garçons soient mélangés aux filles. En revanche j'ai croisé pas mal de couples, et j'en ai vu plusieurs qui s'embrassaient dans un coin de parc, - chose, soit dit en passant, invisible par exemple au maghreb. Donc, si le pays est en majorité musulman, on voit comment ici on vit au quotidien cette culture : d'une façon relativement libre mais avec, toutefois, l'habitude de se regrouper avec des personnes du même sexe. Ce qui aboutit à une très forte familiarité entre soi : j'ai vu des duos de jeunes hommes dont l'amitié, la complicité voire l'affection étaient vraiment sensibles.
En milieu d'après-midi j'ai parcouru une partie de l'avenue tchoui, l'artère principale de la ville. Et là, tout à coup, j'ai senti que l'architecture prenait soudain une cohérence colossale. Cela commence à peu près à partir de la "maison blanche", la maison présidentielle, et cela continue avec les places officielles en pur style stalinien : un gigantisme implacable. Faut-il remercier l'URSS pour cet apport dans l'aménagement urbain ? Je dis sans hésiter : oui. Honnêtement, l'empire soviétique n'a pas ménagé ses efforts pour apporter à Bichkek un patrimoine durable. Places aménagées de reliefs symétriques et de jets d'eau, batiments monumentaux, grands magasins aux dimensions impressionnantes, monuments aux lignes magistrales, dallages en granit, très larges avenues, parcs, promenades, perspectives ouvertes, c'est du grand art soviétique, très lourd certes, mais véritablement impressionnant. Si le pays a l'envie et les moyens de l'entretenir, ces gigantesques installations seront un avantage certain pour l'avenir touristique du pays.
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Avec la neige, ces paquebots de pierre avaient une belle allure, même ceux qui sont actuellement en ruine, comme ce casino tellement surprenant, tellement anachronique... Pourquoi ne le transforme-t-on pas en cinéma multiplexe, en galerie marchande ou, on peut rêver, en immense centre culturel ?
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Mardi 28 janvier 2014, Bichkek.
Une première journée à Bichkek et un premier bilan, les principaux soucis d'organisation sont résolus... Je me suis installé dans cette famille qui m'accueille chez elle pour trois cent dollars. Et l'on m'a offert ce matin le petit déjeuner, me laissant entendre que celui-ci serait inclus... Mon accueil s'étant fait un peu au hasard d'une conversation, les modalités exactes n'avaient pas été fixées.
Et puis il faut trouver un bureau de change, acheter un plan. Ceci fait, la ville s'ouvre à vous... Alors Bichkek... Nous n'avons guère l'habitude en France d'entendre ce nom, et guère plus le nom de ce pays, le Kirghizstan... Les Russes les appelaient "leurs" Républiques, celles d'Asie centrale, souvenir du temps de l'URSS. Cette affection quelque peu paternaliste est encore sensible, et les Russes sont encore très présents ici, linguistiquement car on entend parler le russe un peu partout, et financièrement aussi, à regarder le nom de nombreuses banques...
Au matin, en ouvrant les rideaux, j'ai découvert qu'il neigeait. Cependant les températures n'ont rien à voir avec celles de Novossibirsk. Il gèle à peine ici. Cette blancheur de la neige fraîchement tombée a contribué à donner un ton particulier à cette première journée. Adoucissant cette ville à laquelle l'hiver, sans neige, donnerait un aspect un peu sinistre. On a en effet, au premier regard, la curieuse impression que la ville n'est pas venue de ce pays. Il y a dans toutes ces constructions une sorte de maladresse, une indécision. Toute l'architecture semble importée. Une partie de russie, une partie du moyen orient. Et puis, le reste, ce sont des immeubles où l'on sent à peu près les mêmes influences. En tout cas c'est l'impression que j'ai ressentie dans le quartier où je loge, quartier central mais qui ne donne pas vraiment l'impression d'un quartier du centre, malgré quelques immeubles cossus, disséminés parmi des isbas en sinistre état et quelques constructions en brique blanche qui semblent venir d'Iran ou de Syrie...
Le traffic des voitures est assez modéré pour une capitale. Les routes ne sont pas en très bon état, comme bon nombre de petites villes de province en Russie. Rien de surprenant donc. Pas plus la conduite des chauffeurs à propos de laquelle dont on m'avait alerté, - oui, certes il faut être prudent. Mais ne faut-il pas être prudent partout ? Bien sûr, ce n'est pas l'allemagne. Mais j'ai vu paradoxalement tellement d'accidents sur l'autoroute en Allemagne !
Ce qu'on remarque peut-être aussi, comparé à la Sibérie d'où je viens, c'est la variété des arbres qui bordent les rues. En Sibérie le bouleau, le pin et les différents cônifères sont la norme. Ici on trouve essentiellement des feuillus, de grands arbres qui ne semblent pas manquer de soleil, et de différentes essences, dont certaines que je n'ai jamais vues, comme cet arbre aux aiguilles menançantes qui m'ont fait penser à la couronne du christ !
Quant aux êtres humains, j'avoue qu'ils m'intimident beaucoup. J'ai passé ma journée à essayer de les comprendre. Le style quelque peu humaniste de ma photographie m'oblige à m'approcher des hommes et des femmes pour les photographier. Comme je le disais à un ami, il y a toujours une prise de risque dans un bon portrait. Je ne suis pas de ces photographes qui forcent les gens à se rapprocher à l'aide d'un zoom. Je travaille à la focale fixe donc il faut que je m'avance vers les gens. Mais pour cela il faut avoir une certaine confiance dans les personnes que je vais approcher. Pour avoir confiance il faut connaître. Il y a une façon de photographier chaque peuple, mais cela s'apprend. J'ai donc commencé ma première journée de photographe avec prudence, observant la façon dont on réagissait à ma présence et à celle de mon appareil photo. Ce qu'on peut en dire c'est que je ne passe pas inaperçu. Même ici ils sentent immédiatement que je ne suis pas d'ici, - ce qui veut dire que je ne ressemble pas plus aux Kirghizes qu'aux Russes qui vivent ici. Je suis un étranger. En tant qu'étranger je ne perçois pas d'animosité particulière, mais chez certains jeunes hommes j'ai senti un regard persistant que je n'ai pas réussi à définir : curiosité ou défiance ?
Il y a aussi la façon qu'ont les gens de se tenir dans l'espace public. J'ai remarqué que souvent on se groupait pas genre. Les hommes vont souvent par deux ou davantage. Partout des grappes de cinq ou six hommes qui échangent des conversations animées, joueuses. Les jeunes femmes vont plutôt par deux ou trois. Elles marchent le long des rues, ou parfois discutent sur un banc dans un parc. On en voit beaucoup se promener aussi avec leur mère, et bien sûr avec un ou des enfants. Donc c'est assez rare qu'en bande les garçons soient mélangés aux filles. En revanche j'ai croisé pas mal de couples, et j'en ai vu plusieurs qui s'embrassaient dans un coin de parc, - chose, soit dit en passant, invisible par exemple au maghreb. Donc, si le pays est en majorité musulman, on voit comment ici on vit au quotidien cette culture : d'une façon relativement libre mais avec, toutefois, l'habitude de se regrouper avec des personnes du même sexe. Ce qui aboutit à une très forte familiarité entre soi : j'ai vu des duos de jeunes hommes dont l'amitié, la complicité voire l'affection étaient vraiment sensibles.
En milieu d'après-midi j'ai parcouru une partie de l'avenue tchoui, l'artère principale de la ville. Et là, tout à coup, j'ai senti que l'architecture prenait soudain une cohérence colossale. Cela commence à peu près à partir de la "maison blanche", la maison présidentielle, et cela continue avec les places officielles en pur style stalinien : un gigantisme implacable. Faut-il remercier l'URSS pour cet apport dans l'aménagement urbain ? Je dis sans hésiter : oui. Honnêtement, l'empire soviétique n'a pas ménagé ses efforts pour apporter à Bichkek un patrimoine durable. Places aménagées de reliefs symétriques et de jets d'eau, batiments monumentaux, grands magasins aux dimensions impressionnantes, monuments aux lignes magistrales, dallages en granit, très larges avenues, parcs, promenades, perspectives ouvertes, c'est du grand art soviétique, très lourd certes, mais véritablement impressionnant. Si le pays a l'envie et les moyens de l'entretenir, ces gigantesques installations seront un avantage certain pour l'avenir touristique du pays.
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Avec la neige, ces paquebots de pierre avaient une belle allure, même ceux qui sont actuellement en ruine, comme ce casino tellement surprenant, tellement anachronique... Pourquoi ne le transforme-t-on pas en cinéma multiplexe, en galerie marchande ou, on peut rêver, en immense centre culturel ?
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Jeudi 30 janvier 2014 : En route pour Karakol
Les jours passent très vite, trop vite parfois pour avoir le temps de s'asseoir et de se mettre à écrire...
Je voulais parler de cette arrivée soudaine du printemps, mercredi, une bouffée de parfums dans les rues de Bichkek, un vrai bonheur qui m'a ramené des émotions de jeunesses, lors de mes premiers voyages en Italie. En effet je retrouvais le parfum de la fin de l'hiver à Reggio Calabria, à Rome... C'était un véritable bol de bonheur et Bichkek devenait soudain un petit paradis.
Mais ce matin le froid (modéré quand même), la pluie, puis la neige... Bref l'hiver était de retour.
C'est curieux, j'ai pensé aujourd'hui à Nicolas Bouvier. J'ai pensé à son séjour en Afghanistan, en hiver justement, à une époque où ces endroits n'étaient pas dévastés par la guerre et les affreux conflits d'influences mondiales... Car le Kirghizstan n'est pas si différent de l'Afghanistan dont parle Bouvier en 1952, et le Kirghizstan, aujourd'hui, est en paix.
Mais le temps a passé très vite et, comme l'écrivait Don Quichotte "Je ne dirai rien des sables du Tage, ni des oliviers du Guadalquivir". A traduire en Kirghize s'il vous plait. Non, c'est trop tard, laissons ce printemps furtif et partons sur la route de Karakol...
Oui je sais, nous sommes là sur un terrain très touristique. Et c'est bien dans ce cadre que je suis venu car mes amis Lena B. et Alexis m'ont gentiment proposé de les accompagner dans leur destination favorite en hiver. Ils vont à Karakol faire du ski. Nous sommes donc partis dans leur 4x4 Mitsubishi, de ces voitures dont les Russes raffolent lorsqu'ils ont les moyens de les acheter. Et on comprend d'ailleurs, en ayant fréquenté leurs différentes routes à diverses saisons, pourquoi ils aiment particulièrement ces modèles. Le couple, leurs deux enfants, les affaires de cinq personnes pour trois jours, une paire de ski, mon gros sac à dos, tout est rentré dans le spacieux véhicule. Et, sous une neige mollement tombante, nous avons pris les routes de Kirghizie !
D'abord, une chose agréable sortis des quartiers de Bichkek, c'est que le trafic est assez peu important. Une seconde chose agréable, au début, c'est que la route est bonne. Très bonne selon Alexeï, qui précisa que cette route a été réalisée par la Chine. Et je me suis rendu compte soudain que j'étais à moins de deux cents kilomètres de la Chine, et de même pour le Kazakhstan. Impressionnant de se retrouver là presque par hasard...
Tout d'abord la route est entourée de plaines, où j'ai cru voir une plantation d'arbres fruitiers en début de parcours. Un ruisseau semble longer la route, révélé par une allée de joncs. Parfois, comme c'était souvent le cas en France, la route est bordée de part et d'autre d'un alignement d'arbres feuillus, souvent des peupliers mais parfois aussi de grands arbres semblables à nos anciens platanes. Et puis une zone d'étangs et de marais, et puis ensuite une sorte de steppe recouverte de neige.
Ce sera ainsi jusqu'à ce qu'on prenne une route à gauche, après notamment avoir passé un check point menant au Kazakhstan.
A partir de ce carrefour la route va commencer à monter et à devenir moins bonne que la route chinoise. Quelques virages aussi, l'autre étant rectiligne. Le 4x4 étant pourvu d'un altimètre, je peux dire précisément que, des 800 mètres d'altitude de Bichkek, on va monter peu à peu exactement au double.
Phénomène curieux : plus on prend de l'altitude, plus la neige s'efface et le thermomètre monte. D'habitude c'est l'inverse. De moins trois degrés on va, dans les pointes de chaleur, monter jusqu'à trois, pour se stabiliser autour de zéro. La végétation change aussi, les arbres sont plus petits, le sol est nu, parsemé par des touffes de grandes herbes qui vous chatouillent les anches... Enfin, c'est ce qu'on découvre aux arrêts !
Et soudain la route se détériore vraiment, pour devenir une piste. Il semble qu'il n'y ait rien ici de définitif, puisqu'il semble que la route soit en travaux. Mais il n'est pas dit non plus qu'il n'y ait rien de durable.... Le 4/4 apporte ici son atout principal : solidité et suspensions étudiées. Le fragment dure une vingtaine de kilomètres. Il se trouve à peu près à la mi-chemin, - nous avons déjà roulé trois heures....
Et puis arrive la région du lac Yssyk Koul. La région la plus touristique du Kirghizstan. La côte d'Azur. Pour les gens que ces choses là intéressent, il paraît que le hachich pousse naturellement au bord du lac. Mais vraiment, ce n'est pas là le plus important. D'abord c'est un lac qui, malgré ses 1650 mètres d'altitude, ne gèle jamais. Alexeï me dit qu'il ne gèle pas car il est à moitié salé. Moitié ? Demi sel en fait comme le beurre ? Non. La moitié du lac est salée, la moitié ne l'est pas ! Ah bon ? C'est possible une chose pareille ? Bien que le phénomène soit assez mystérieux, il proviendrait de l'existence dans le lac de différents cours d'eau qui surgiraient du sous-sol du lac. Comme des rivières invisibles mais au cours bien défini. Certaines sources de ces rivières seraient salées, d'autres non. D'ailleurs, l'eau du lac est véritablement thérapeutique, d'où sa réputation qui remonte très loin avant le tourisme moderne. Les nomades des temps anciens en faisaient leur lieu de résidence d'été.
Le lac fait 200 kilomètres de long. Et quand la route le longe, elle est bordée d'habitations, de magasins qui semblent des kiosques agrandis et dont les fenêtres font voir l'intérieur éclairé, et les murs couverts de mystérieux articles. Zone urbaine donc qui nous oblige à rouler à 60 à l'heure. Il vaut mieux s'y tenir car la police veille, tous feux éteints...
Après avoir passé le lac, la neige revient. Il nous reste encore 140 kilomètres pour arriver à Karakol. Nous sommes sortis du microclimat, le thermomètre redescend à mesure que la couche de neige s'épaissit. La route est bonne et nous permettra d'arriver relativement rapidement au village. Là Lena B. téléphone à ma pension. Eux ont réservé un hôtel plutôt cher au pied des pistes. Alexeï a la chance d'être un cadre responsable dans une grande compagnie. Donc, à chacun la chambre de ses choix professionnels. Je n'envie pas leur chambre, et la mienne ne va pas leur faire envie non plus. Cela ne nous empêche pas d'avoir passé un voyage très sympathique et qu'ils aient réussi à m'impressionner par leur calme et la douceur de leur relation. Un voyage en famille très agréable. Donc Lena B. a téléphoné à mon Hostel, puisque c'est ainsi que l'on nomme ce type de lieux, et, après quelques explications, on se glisse entre deux allées de maisons en brique sans étage. Après un ou deux kilomètres on voit une lampe électrique qu'on agite pour nous indiquer que nous sommes arrivés. Après une petite conversation avec Talaï,le fils des propriétaires de l'hostel Teskey, je salue la petite famille. Il est 23h30 et ils ont hâte d'aller se coucher.
Je suis donc Talaï qui a toujours sa lampe électrique et qui m'explique que le courant vient d'être coupé, probablement une rupture du transformateur. On traverse un jardin, une cour et, alors que nous entrons dans la maison, la lumière revient !
La pension vient d'être restaurée, elle est flambante neuve, entre ses dalles de céramique, ses murs blancs et son grand escalier en bois de sapin. La propriétaire vient me saluer, une charmante petite dame aux yeux tout à faits kirghizes. Son fils parle anglais et, après m'avoir présenté ma chambre, et les différentes commodités, il m'invite à venir prendre un thé. Je vais poser mes affaires, mettre mes petits chaussons en feutre, et je descends à la salle à manger. Talaï me dit alors que sa mère veut m'offrir à dîner. Je ne peux qu'accepter et elle m'apportera de la confiture de framboise, du pain, du beurre, une pomme et, plus tard, une sorte de soupe avec des pates, genre de spaghetti qu'on fait ici, et des morceaux de porc fumé. Pendant que je me restaure, TalaÏ, de sa voix apaisante m'explique tout ce que je désire savoir, et notamment comment je pourrai aller, après-demain, à la source chaude naturelle, l'altenarasha.
Mais... mais vraiment maintenant il est temps que je découvre ce nouveau lit...
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Vendredi 31 janvier 2014, deux parties de journées très distinctes à Karakol
Je serais presque au paradis s'il n'y avait cette musique infernale... Parfois cette bouillie suramplifiée s'arrête une seconde, juste le temps de faire voir combien la vie est belle sans elle...
Je suis au milieu des pistes de Karakol, presque au sommet. On a construit là un petit chalet restaurant et une grande terrasse au plancher de bois. A travers la fenêtre la chaîne de montagnes de l'autre côté de la vallée et le télésiège qui propose un arrêt juste devant les fenêtres pour se rendre au café.
Le domaine skiable est assez grand, j'ai compté six télésièges, chacun assez long. Dommage seulement qu'il ne soit pas tombé de neige récemment, il y a pas mal de verglas sur les pistes. En revanche il y a assez peu de monde, aucune attente au bas des pistes, c'est formidable !
Entre le village et la station il y a 15 km que j'ai fait ce matin avec un "taxi", - on devrait dire plutôt un convoyeur. C'est le très attentionné Talaï qui s'est occupé de l'appeler. Un prix est fixé pour l'aller-retour, - c'est carré. A l'entrée du domaine, le taxi s'arrête pour payer le passage. Puis la route monte beaucoup, une route assez mauvaise, pas très fair-play pour une route payante. Mais lorsque vous arrivez à la station, il n'y a plus rien à signaler, c'est bien organisé, la location des skis, le payage du passe pour la journée. On est dans une station de ski où tout fonctionne normalement avec, notons-le, des tarifs plus qu'accessibles.
Cette journée de ski sera bien suffisante à mon goût. Ce sont des plaisirs d'enfance qui, très vifs les premières heures, se défraichissent très vite. Quelle différence profonde entre une piste ici, une dans les Alpes, voire même une dans le Jura ? Le paysage change certes, mais toutes les montagnes sont belles. Bien sûr que, sur une des premières remontée en télésiège, lorsque je me suis retourné et ai découvert la vallée immense si loin en bas, et la chaîne enneigée qui touchait les nuages derrière, alors oui, j'ai poussé un soupir admiratif, c'est véritablement magnifique. Et puis, quelques minutes après, vous vous mettez à skier, les yeux rivés sur les bosses à franchir ou contourner, et vous retrouvez les mêmes sensations que vous avez toujours connues. Donc cette journée sera certainement magnifique, mais ce ne sera pas un problème si je dois attendre encore une fois 10 ans pour monter sur des skis alpins.
En revanche, la montée vers les sources chaudes demain, après cinq heures de marche, et mon immersion programmée dans un bassin au milieu de la neige et des chaines de montagnes... Alors oui, je brûle d'impatience, vraiment !
Je suis décidément un contemplatif...
Plus tard.....
Alors imaginez que vous avez une amie de votre amie, en l'occurence votre voisine sibérienne, qui s'appellerait Luba. Luba aurait une amie kirghize, Gulmila, qui serait mariée à Maksate. Et que les parents de Maksate ait été la semaine dernière à Novossibirsk, et que votre amie Luba, sachant que vous allez bientôt en Kirghizie ait parlé de vous à Gulmina, d'autant plus que vous lui avez dit que vous souhaitiez aller à Karakol et que justement, les parents de Maksate, qui étaient la semaine dernière à Novossibirsk habitent à Karakol ! Alors, il aurait été impossible que vous dédaigniez de rendre visite à ces personnes. Et voilà ce que j'ai fait ce soir....
Lena B, que j'ai accompagnée en fin de journée de ski en bas des pistes, avec Alexeï son mari et leurs deux enfants, a pris le téléphone et a donc appelé Bouroulouche, la mère de Maksate qui était rentrée de Novossibirsk hier. Et, comme les Kirghizes sont très hospitaliers, ce qui leur reste de leur passé nomade, on me proposa de passer les voir. Lena B. demanda donc à mon convoyeur, qui était là à l'heure convenue, de m'emmener chez eux plutôt qu'à l'hostel.
La famille de Bouroulouche est beaucoup moins standardisée que celle de Kaderbiek qui me loge à Bichkiek. Kaderbiek est directeur d'une école de langue et sa réussite sociale lui a fait s'éloigner de la vie traditionnelle kirghize. Ceci dit, avec sa femme, ils hébergent quand même dans leur appartement deux jeunes femmes, filles de chacun de leurs frêres. Leurs deux frères étant décédés, on a accueilli les nièces pour leur permettre de travailler à Bichkek. Donc, il y a déjà ce standard, qui veut qu'une maison kirghise soit toujours ouverte aux membres de sa famille.
Et c'est bien aussi le cas chez Bouroulouche et Sarendek, à Karakol. Le couple vit dans une maison dont le style semble très fortement inspiré des maisons russes. Sans étage, chauffée par un poêle central, le piechki. Une grande cuisine, une grande chambre, un vestibule où se tient, ici, l'évier. Il est à noter que dans les isbas russes que j'ai visitées, il n'y a pas vraiment d'évier dans la maison.
Quand je suis arrivé, la maison était pleine de monde. Il y avait plusieurs garçons entre vingt et trente cinq ans, plusieurs jeunes femmes de moins de trente ans je pense, et beaucoup d'enfants, pas loin d'une dizaine. Malgré la présence de tout ce monde, je fus reçu avec tous les égards pour un visiteur lointain. On m'installa à table et on me proposa d'abord thé, pains, confitures. Malgré mon niveau de Russe extrèmement débutant, nous avons réussi à communiquer, ce qui est très encourageant pour mes études du russe, et fait preuve de leur côté d'une patience extrême ! Au début, j'avais parfois recours à mon petit dictionnaire bilingue mais soudain l'électricité à cessé de travailler (comme on dit en Russe), et, dans la pénombre, les pattes de mouche de mon dictionnaire sont devenues invisibles.
La fille de Bouroulouche et Sarendek, soeur donc de l'amie de Louba, a pris une grande part dans notre conversation, ainsi que son père et, plus tard, son mari. On échangea des questions et des réponses sur la vie de chacun. Ils étaient bien sûr très intéressés de savoir ce que je voulais visiter au Kirghistan, et m'encouragèrent à aller visiter demain Altenarasha et ses sources chaudes.
Après quelques minutes, et dans la pénombre, Bouroulouche ouvrit la grande poêle qui cuisait sur le piechky et me dit "Pilov". Je compris que j'étais invité pour le dîner. Très vite tout le monde vint se mettre autour de la table et j'en profitai pour faire quelques photos dans la pénombre. Heureusement que le flash existe parfois ! Son usage était incontournable !
Le dîner a duré assez longtemps, et souvent on remettait du Pilov dans ma petite assiette, tradition des nomades qui vous servent tant que votre assiette a été vidée. Je pris garde alors de ne pas manger trop vite.... Il en allait de même pour mon bol de thé qu'on resservait régulièrement.
Mon niveau de russe est encore insuffisant pour que j'aie tout compris de ce qu'on m'a expliqué, et je n'ai pas été capable de comprendre tous les liens qu'il y avait entre toutes les personnes présentes. Mais j'ai compris que Bouroulouche avait dix vaches et qu'ils produisaient leur lait et fabriquaient leur beurre. Le goût d'ailleurs était assez rance, la couleur très jaune, et, pour l'apprécier, je pense qu'il faut y être habitué. Les confitures sont bien sûr faites maison, comme partout en Kirghizie, et comme partout elles sont délicieuses. Il y en avait ce soir aux framboises, aux cassis et aux abricots. On voit bien que le climat n'est plus du tout celui de la Sibérie où l'abricot est bien sûr importé.
Sens de l'hospitalité donc, douceur de caractère, les kirghizes sont très attachants. Vers la fin de ma présence chez eux l'électricité est revenue, mais personne d'autre que moi s'est exclamé, il semble qu'on soit habitué à ces coupures et qu'on s'en arrange très bien. On n'a même pas sorti une bougie, à quoi bon... Une chose remarquée aussi et qui me semble importante de noter, c'est qu'à un moment Aciel, la fille de Bouroulouche, a commencé à donner le sein à son bébé. Peut-être lui a-t-on fait un signe car elle a cessé assez vite. Mais en tout cas, dans cette famille où l'un des frères m'avait accueilli avec un "Salam alikoum", qu'une femme se permette de donner le sein devant un inconnu montre en fait la tempérance de leur culture.
Sans grandes démonstrations, comme si tout ce qui s'était passé, ma présence parmi eux, le partage de ce repas, était tout à fait naturel, on se leva de table et on se salua sans effusions particulières. Ils semblaient me dire : "On n'a fait que perpétuer nos principes, on n'a pas besoin d'en rajouter". Et très gentiment, le couple d'Arciel et son mari, accompagnés de leur bébé, de deux autres enfants et de Sarendek le père, m'ont raccompagné à l'hostel dans leur Toyota. Après le luxe d'une journée de ski, l'authenticité et la simplicité de ce repas était comme une ouverture à l'humanité dans toute sa grandeur...
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1er février 2014, Altinarashan
Nous voici à cet endroit au nom mystérieux, Altinarashan, dont le nom kirghize veut dire « sources chaudes ».
J’écris dans ce qu’on appellerait en France un gîte de montagne. Altinarashan est un hameau situé à 2500 mètres d’altitude, bordé d’un ruisseau dans lequel se jettent plusieurs sources chaudes. Mais l’eau froide est en grande majorité et le ruisseau ressemble à tous les ruisseaux de montagne avec une eau proche de zéro. Le hameau n’a pas l’électricité et son eau court tout autour de lui dans de multiples ruisseaux. Eau courante donc il y a, - mais elle n’arrive pas dans les maisons ! Quant à mon gite, c’est une petite maison en brique chauffée par une petchka russe. Seulement la petchka demande un certain temps pour atteindre sa puissance de chauffe, et on ne peut pas vraiment dire qu’elle a eu le temps de l’atteindre. Le froid se retire tout doucement avec beaucoup de réticence, les murs en brique en sont chargés et peut-être demain matin il fera bon dans la maison. Mais pas maintenant… Quant à l’électricité, elle est fournie par une batterie qui se recharge durant le jour avec un panneau solaire. Elle alimente une rampe de neuf leds qui délivrent une lumière qui permet juste de discerner ce qui est autour de moi. Heureusement que j’écris sur l’écran rétro-éclairé de mon ordinateur, car je ne pourrais pas voir ce que j’écris si je le faisais sur une feuille de papier. Conditions quelque peu particulières, certes, mais cela ne manque pas de charme…
Alors, le décor de l’écrivant posé, venons-en à cette journée de découverte…
Tout à commencé à la guesthouse Teskey lorsque, au petit déjeuner, Taalaï m’expliquait comment me rendre aux sources. Il fallait donc que je prenne un premier Marchroutka (minibus) qui me conduirait à l’Astilek Bazar où se trouve le « central gate » (il faut essayer de donner un aspect mental à tout cela….). Là je devais prendre un nouveau Marchroutka, le 350, au chauffeur duquel je devais demander de m’arrêter à la route pour Altinarashan. Après, je devais suivre la route jusqu’au hameau. Il m’annonçait 5 heures de marche ! Tout était assez clair, mais pas très rassurant en plein hiver… Si je me trompais de route, la nuit pourrait me le faire payer cher…
Après s'être laissé photographier avec sa mère, Taalaï m’a accompagné à la rue d’à-côté pour m’aider à prendre le bus. Après cinq minutes d’attente le bus s’est arrêté et Taalaï m’a redit en anglais « N’oubliez pas de rappeler plusieurs fois au chauffeur de vous arrêter à la route d’Altinarashan ! »
Je me retrouve sans difficulté au Bazar, un marché. J’en profite pour acheter des vivres pour mes cinq heures de marche et je finis par trouver, après renseignements, le départ des bus 350. Il y en a pas mal qui sont garés là. Un homme s’approche de moi et me dit en Russe : « bus 350 ? ». Il m’indique alors le véhicule où je dois monter.
Cinq minutes après le marchroutka est plein et le chauffeur démarre. C’est comme ça aussi à Novossibirsk. Ce qui change c’est les visages des gens. Je photographie une dame avec un enfant, plus tard une autre dame qui semble être accompagnée par son fils d’une vingtaine d’année… Dehors il fait soleil, et, de ma fenêtre je vois, derrière la rangée des maisons, les montagnes qui s’érigent insolemment comme des adolescents vêtus de blanc.
Taalaï m’a dit qu’il y avait une quinzaine de kilomètres, j’essaie de comprendre à quel moment je devrai rappeler ma destination au chauffeur. Longtemps on va traverser des banlieues, deux villages puis le bus va s’engager entre les montagnes. Je décide de me rapprocher du chauffeur pour lui rappeler ma destination. Il semble ne pas avoir oublié. Quelques minutes plus tard il s’arrête et me fait signe de descendre. Me voilà seul face à ma destinée…
Et ma destinée c’est cette route enneigée qui part sur la droite. Taalaï m’a bien dit « prenez bien la route principale, il y a des touristes qui avaient pris un sentier sur la droite et ils ont perdu beaucoup de temps »… J’espère pour eux que c’était en été…. La voilà donc cette grande route en question. Elle n’est pas si grande que cela. En France on dirait une route forestière…. Au début quelques fermes et j’en profite pour prendre en photo deux petites filles qui me saluent en anglais ! Elles se laissent photographier comme si c’était un jeu. La « route » continue entre quelques prés dans l’un desquels broute un troupeau de chevaux. Des engins ont transformé la route en bourbier et mes chaussures se lestent de terre. Après un hangar de ferme la neige remplace la boue et la route commence à monter. Le soleil brille, j’ai chaud. Je retire mon anorak. Cinq heures avec ce sac sur le dos, ça ne va pas être une partie de plaisir…
La route a pris maintenant son régime de croisière. Complétement recouverte de neige elle a une forme de dos de chameau, une bosse au milieu et deux ornières de chaque côté. C’est le résultat du passage des voitures. Je comprends assez vite que la route longe un torrent et qu’elle le longera jusqu’à Altinarashan. Ce sera certainement un moyen pour ne pas se perdre, ne jamais trop s’éloigner du torrent….
Je commence à m’abandonner à la contemplation des lieux. Plus j’avance, plus c’est joli autour de moi, cette route toute blanche, les sapins, les montagnes de part et d’autre et la rivière tantôt à côté, tantôt en contrebas. Avec le gel, il semble que l’eau s’amuse à se construire des tunnels, des ponts et de somptueuses sculptures quelque peu effrayantes puisqu’elles ressemblent à des gueules de monstres avec des stalactites en guise de dents. Le tracé de la route est assez charmant aussi, lézardant entre les rochers et le ruisseau, plongeant et remontant au gré du relief. En face de moi, derrière l’alignement des versants qui m’entourent, de grandes cimes blanches qui disparaissent dans les nuages. Le soleil est devant moi aussi, se diffusant parfois derrière des nuées de condensation. La température fraîchit et je déciderai quand même de mettre un pull sur mon sweet-shirt. La première heure est lente à passer. Je n’ai pas l’habitude de porter un sac aussi lourd, le bas de ma colonne vertébrale se révolte.
Après une heure et demie environ un portique où sont écrits de mystérieux caractères signale une aire de repos. On y trouve des tables et des bancs en bois assez joliment assortis à la nature environnante. Le torrent passe près des tables. Ce serait très agréable de s’arrêter là en été. Mais en hiver, ces endroits soigneusement ombragés ne font pas vraiment envie. Je décide de reporter mon repas à plus tard.
Comme Taalaï m’a dit qu’il me faudrait marcher cinq heures, et que je suis parti à 11h30, je devrais normalement arriver à 16h30. Or Taalaï m’a dit qu’en ces endroits le jour se termine vers 17 heures. Je suis donc en souci de ne pas perdre de temps, en cas d’erreur de chemin, ou de je ne sais quel évènement imprévisible qui pourrait me retarder. Je marche d’un bon pas et mon sac me le fait payer. A un moment il me semble entendre un hurlement de… de chien ou de loup ? Une inquiétude qui m’était venue hier ressurgit : et s’il y avait des loups par ici ? Je commence à regarder les arbres, imaginant des scénarios de fuite ou de lutte, - mon esprit n’est jamais en reste de ces inventions. Et en même temps je me raisonne. En effet, dans ces zones d’élevage il est évident que le plus grand ennemi n’est pas la bête mais bien l’homme. S’il y a eu un jour des loups, ils ont dû être rapidement massacrés, surtout au prix où on peut vendre leur peau. Et puis, étant donné sa sollicitude, Taalaï ne m’aurait jamais laissé partir dans une zone à risque. Il a même appelé quelqu’un hier pour savoir s’il n’y avait pas de risque avec les avalanches. On lui a répondu que je pouvais monter. « Faîtes quand même attention a-t-il ajouté, ne commettez pas d’imprudence et surveillez les sommets !». Donc, peu à peu la menace des loups céda à la raison, et à mon dos qui continuait à se plaindre de la présence de ce sac gênant.
Deux billes de sapin m’invitèrent à m’asseoir pour déjeuner. Il était une heure trente et il me restait encore trois heures à marcher.
Plus tard je croisai une autre aire de piquenique, et, plus loin, un camion de bucherons qui attendait silencieux ses propriétaires. A plusieurs occasions je vis des sortes de roulottes métalliques qui devaient servir de salle à manger pour les bucherons. Je ne pense pas qu’ils puissent dormir là-dedans. A côté de l’un d’eux une buche de bois fumait encore.
Le temps passait lentement, d’autant plus que la route semblait monter de plus en plus. A un moment j’arrivai à un croisement. La route se divisait en trois. Quelle était la principale ? En face les montagnes s’étaient resserrées autour du torrent. Donc probablement que la route allait contourner la montagne. Je pris la voie de gauche. Après deux cent mètres, la voie du milieu rejoignit celle que j’avais prise. Mais alors je découvris quelques mètres plus loin que la route repartait en arrière et se mettait à monter terriblement ! Horreur de devoir à la fois monter et revenir en arrière ! Mon corps commençait à fatiguer, je marchais lentement, et culpabilisait d’être si lent. Alors une voix intérieure me disait « Mais il n’est pas dit que cinq heures doivent être faits toujours à la même vitesse ! Tout le monde doit ralentir à cet endroit, tu n’arriveras donc pas plus tard que les autres ! » Il faut parfois s’encourager soi-même quand personne n’est là pour le faire à notre place ! »
Le contournement est assez long, et, pendant un long moment on perd la proximité avec le ruisseau. Heureusement quand même on l’entend toujours un peu frémir au loin, ce qui évite de se sentir perdu. Mais je pense quand même que ce tronçon est le plus difficile du parcours. C’est aussi là que j’ai croisé quelques bucherons qui, à la main, en s’aidant de cordes, tiraient les grumes de sapin et les aidaient à glisser le long de la pente. Lorsque j’ai voulu les photographier, l’un d’eux me fit signe qu’il ne voulait pas. Serait-il possible qu’ils coupent ces arbres sans autorisation ? La montée qui suivit leur rencontre fut la plus terrible de toutes, il fallait passer par une sorte de col pour traverser la montagne par l’autre versant que celui collé à la rivière. Après ce passage, la route a redescendu un peu et les quelques montées furent plus faciles.
J’arrivai à un endroit où la route, une nouvelle fois, repartait en arrière. Et là, sur la droite, je vois un chemin qui a été tracé par des piétons. Je pense aussitôt à un raccourci. Quelques secondes de réflexion me décident à le prendre. De toute façon me dis-je, ce chemin mènera forcément à un endroit peuplé de gens car les pas qui tracent ce chemin dans la neige sont nombreux et frais. Grand bien m’en a pris ! Le petit sentier qui serpentait entre les arbres, traversait des zones totalement vierges était vraiment pittoresque. Je vis aussi des traces de ski et eus l’intuition qu’on approchait d’une zone d’activité humaine. Serais-je en train d’arriver ? D’après le timing de Taalaï, je devais marcher encore une heure et demie…. Quelques minutes encore et soudain, derrière un dernier monticule, je vis une sorte de plaine entre les montagnes où étaient plantées plusieurs habitations. Altinarashan ? Je pris le temps de photographier un très bel arbre et me mis à descendre d’un pied joyeux vers le hameau.
A l’entrée, un poteau d’où sortaient en épis des pancartes indiquant Berlin, Tokyo, Moscou et ? Ak-Suu, le nom du gîte que m’a conseillé Taalaï ! Je suis arrivé ! Oh, la joie des randonneurs quand ils arrivent à destination ! Il est à peine 15h15, j’ai presque l’après-midi devant moi ! Je m’approche de la maison indiquée, frappe à la porte, puis à la fenêtre. Personne… Je tourne la tête et vois, au loin, venant de la même direction que moi, un homme qui marche vers la maison. C’est Vitali. « C’est comme Italie mais avec un V devant » précise-t-il. Il s’occupe du gîte. Je peux dormir ? Mais oui ! Répond-il.
Il passe par derrière pour ouvrir la porte. On entre. Dedans, la même température que dehors. Dans une bassine sur l’étagère à côté de la table, un énorme glaçon. Vitali se propose de m’offrir un thé. Mais d’abord il faut aller chercher de l’eau. Nous ressortons et je suis Vitali qui a pris deux seaux. Il ne veut pas que je l’aide. A une centaine de mètres il s’arrête, soulève une pierre et, à l’aide d’une barre à mine, il commence à casser un bloc de glace. Après quelques minutes on voit une source apparaître derrière la glace. Il peut alors remplir ses deux seaux. Nous rentrons à la maison et il s’en va dans une pièce à côté pour préparer le thé. Sans bouger, le froid m’assaille et il me faut remettre mon anorak que je porte encore au moment où j’écris (il est 23h30 !) Un homme nous rejoint et ils discutent tranquillement pendant que le thé se prépare tout doucement dans la froideur. Je lui demande alors de m’expliquer les sources. J’ai décidé de privilégier les bassins qui se trouvent dans la nature. Bien qu’il estime qu’il fait trop froid et que je devrais plutôt aller à ceux qui sont couverts, il m’explique qu’il y a plusieurs bains le long de la rivière, mais deux sont vides en cette saison. Je décide de partir. C’est l’objectif de ces cinq heures de marche, pour rien au monde je ne veux rater çà ! En revanche Vitali me rassure à propos de la durée du jour. « Le jour dure jusqu’à sept heures me dit-il, vous avez largement le temps de vous baigner ». Je prends ma serviette et sort de la maison inquiet : le feu n’a toujours pas été allumé...
Je reprends la route par laquelle je suis arrivé, - mon raccourci a rejoint la route à l’orée du hameau. Après environ trois cent mètres une trace de pas descend sur la gauche. Je la suis. Vitali m’a dit de me laisser guider ainsi. Le sentier descend vers la rivière puis longe la pente, à une dizaine de mètres de la rivière. Je ne sais combien il faut marcher, peut-être cinq cent mètres. Et puis on arrive à une zone où la neige a disparu et même, où l’herbe est encore verte ! Une eau dont le tracé est un peu rougeâtre forme quelques flaques et, en m’approchant, je vois frétiller dans l’eau des têtards ! Je lève les yeux et, dans un creux de rocher, j’aperçois une construction en pierre qui ressemble à un gros nid d’hirondelle. Voilà le bain dont m’avait parlé Taalaï ! Le problème c’est que le bassin se trouve en quelque sorte suspendu à trois bons mètres du niveau où je me trouve. Il faut donc escalader la paroi sur les côtés, tâche pas si facile équipé comme je le suis. Pas pratique, c’est ma première impression. Je peste un peu : mais quand même, ils auraient pu faire un système qui facilite l’ascension ! Et comment se déshabiller, tout est en pente ! J’arriverai, malgré la difficulté, à me déshabiller et à entrer dans le bassin. Dès que je pose le pied au fond, des fragments de mousse se collent à ma peau, cela non plus n’est pas très agréable… Vitali m’avait prévenu. Ce bain n’est pas vraiment assez chaud pour la saison. 37° il m’a dit. Je dirais 35. Cela me fait penser à la température de Saturnia, en Italie. Sauf que j’avais pratiqué Saturnia en été et ici il fait à peu près moins deux degrés et il y a du vent ! Je ne resterai pas longtemps dans ce bain, n’arrivant pas à m’y sentir bien... Le moment difficile c’est lorsqu’on sort des bains chauds en extérieur. Le temps de s’essuyer et de se rhabiller est un calvaire qui dure quelques minutes. C’est le prix à payer du bonheur qui a précédé. Sauf que là, le bonheur était assez faible… Je pars déçu. En passant sur une petite flaque d’eau chaude, j’aperçois un couple de crapauds en plein coït, - décidément, je ne suis pas tombé dans la bonne symbolique... L'été, ce bain doit être beaucoup plus drôle.
En rentrant, j’aperçois une autre piste qui descend sur la droite. Vitali m’a bien dit qu’il y avait plusieurs bains. J’essaie. Quelques mètres plus bas, au bord du ruisseau, on a construit une sorte d’igloo de pierre qui recouvre un autre bain. Là, au moins, tout est pratique : l’accès est facile, on peut se déshabiller et laisser ses habits à côté du bain.
Ma serviette est mouillée mais je me décide de tester quand même ce nouveau bain. Aussi vite que je peux je tombe mes vêtements, et je descends tout doucement dans le bain, en faisant attention de ne pas trop décoller la mousse qui se trouve ici aussi dans le fond. A l’intérieur de son igloo le bain est ovale, et sa longueur un peu plus de deux mètres. Si l’on prend garde de ne pas décoller la mousse, on peut s’en faire une alliée. Car la pierre sous les fesses, ce n’est pas du tout agréable. Or cette mousse, en fait, est assez confortable, pourvu qu’on l’accepte. Lorsque je fus allongé dans ce bain, une paix profonde me prit. Je me demande si je n’y suis pas resté une heure… Le seul problème, au bout d’un moment, c’est le nez. Du fait de l’air frais et humide qu’on respire. Mais je garderai de ce bain un souvenir magique !
Quand je suis rentré au chalet, le feu marchait mais la température était toujours assez froide. Vitali a proposé de devancer le diner d’une demi-heure puisque le repas était prêt. Il était 18h30.
Il est maintenant bientôt minuit et, surprise, je n’ai plus froid aux pieds. La pietchka bien alimentée est en train de trouver sa vitesse de croisière. Vitali et son ami, qui ont mangé avec moi, sont partis vers 9 heures. Cela fait maintenant 3 heures que j’écris, que j’alimente le feu, que je vais chercher du bois devant la maison. Dehors il fait moins cinq. Je redoute un peu cette nuit. D’autant que je me suis rendu compte qu’il y avait une cassure dans la deuxième fenêtre et que la première fenêtre n’est pas en verre mais en film plastique. Isolation médiocre… Mais voilà, il faudra faire avec et j’espère que cette longue marche, et le bain qui l’a suivie, m’aideront à passer une bonne nuit….
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Au matin j’ai décidé d’aller découvrir les bassins privés. Vitali m’avait dit que cela coûtait 200 soms, environ trois euros cinquante. Il m’a indiqué depuis le gîte une petite baraque au toit bleu qui se trouvait à l’autre bout du hameau, près de la rivière : le bain était dedans.
Il y a deux propriétaires à Altinarashan, Galina et Valentin. Chacun a un gîte et chacun a sa source. Valentin, qui d’ailleurs venait d’arriver, gère trois bassins. Après avoir traversé le hameau dominé par une très belle maison russe, je découvre les trois baraques. Celle avec le toit bleu est la plus grande et est ouverte. Une seconde est aussi ouverte mais, quand j’ai voulu l’ouvrir, la porte m'est tombée dessus ! Il n’y avait plus de charnière ! Elle me semble moins agréable. Le bassin est de la largeur de la baraque, ce qui semble assez étouffant. Je choisis donc le bain au toit bleu que m’a conseillé Vitali. A l’intérieur un bassin carrelé, une fenêtre, un espace pour circuler sur les deux côtés du bassin. La condensation dégouline des murs en billes de sapin. Sur le plafond, une ouverture permet à la vapeur de s’échapper. L’air est saturé d’humidité et mon appareil photo va vite se couvrir de condensation. Toujours le problème de trouver un endroit sec où entasser ses habits. Mais me voici bientôt nu descendant les trois marches de l’entrée du bassin…
L’eau est plus chaude que celle des bains dans la nature. Vitali m’a dit qu’elle arrivait à 42 degrés. Donc l’évaporation enlève quelques degrés et je dirais qu’elle est à 38°. Ce qui fait que vous allez toujours sentir que vous avez chaud. A moins de trente sept il y a un moment où vous sentez que vous vous refroidissez. A partir de 37 vous avez toujours chaud, et au-delà vous transpirez. Voilà ma façon de mesurer la température d’un bain.
Le bassin est propre, pas de mousse ici. L’eau est d’un bleu un peu laiteux, parfaitement transparente. Pas d’odeur de soufre, contrairement à Saturnia (qui restera toujours ma référence). Il ne faut pas s’attendre à une thérapie fulgurante (l’eau de Saturnia est un véritable médicament pour toutes les affections de la peau). Mais sa composition montre des effets bienfaisants, on peut voir l'analyse détaillée ici.
Ce bain est donc très agréable mais après dix minutes j’ai envie de sortir. Ce serait préférable d’y aller à plusieurs et de discuter tranquillement, assis sur le banc immergé. Je suis sûr que quelques Russes doivent y amener une bouteille de vodka bien fraiche et quelques tranches de saucisson à grignoter. Mais pour le solitaire que je suis, rien de mieux que les bains extérieurs, qui sont une communion avec la nature, un moment quasi sacré, une immersion sensuelle dans le corps de la terre…
Il va falloir redescendre maintenant, quatre nouvelles heures de marche m’attendent. Je vais récupérer mes affaires au gîte. Vitali a fait à manger, des pommes de terre à la poêle en guise de petit déjeuner. Très bien quand on a une longue marche devant soi ! Je demande à Valentin combien je lui dois. C’est 800 soms me dit-il. C’est-à-dire 12 euros pour la nuit, le repas du soir, le déjeuner et le prix d’entrée dans le bain.
Je pars vers midi. Le soleil a réussi à se débarrasser de ces nuées qui le masquaient. Mais le vent l’empêche de vous réchauffer. Cette fois j’ai gardé l’anorak. Je croise à nouveau les bucherons et leur adresse un signe. Ils me saluent plus cordialement qu’hier. Plus loin je vois un autre bucheron, près de la roulotte où une buche fumait encore hier. Il fait sa prière face au levant. Je lui adresse un Salam aalikoum. Il me répond par une même invitation à la paix...
Une heure et demie plus bas, les bucherons me rattrapèrent avec leur camion chargé de grumes de sapin.
La descente est évidemment plus facile, et donc assez agréable. Tout vous est devenu plus familier, et notamment les raccourcis pour les piétons. Je n’en ai pas raté un seul cette fois !
Quelques kilomètres avant les fermes, je vois sur le côté un grand traineau. Pendant que je le photographie, j'entends quelqu’un qui me siffle. Sur la gauche, à une centaine de mètre au-dessus de la rivière, un adolescent me faisait des signes. Je lui réponds en me demandant qu’est-ce qu’il peut bien faire perché ainsi à flanc de colline, dans une neige qui doit enfoncer jusqu’au genou. Mystère…
Lorsque je suis à une cinquantaine de mètres de la route, je vois une marchroutka qui démarre. Mince, à quelques minutes j’aurais pu le prendre. Il va certainement me falloir attendre longtemps. Je m’installe au bord de la route.
Au bout d’un quart d’heure je vois approcher une marchroutka noire. Je lui fais un signe au hasard. Il n’a pas de numéro et ses vitres sont fumées. La porte s’ouvre. Je demande « Marchroutka ? » On me répond « Niet » mais on me demande où je vais. Je réponds « Karakol » et on me fait signe de monter. A l’intérieur environ sept personnes dont deux enfants. Une femme à l’entrée semble la patronne. C’est elle qui a indiqué aux chauffeurs que je pouvais monter. Les deux chauffeurs sont plutôt barraqués, la tête rasée, mais ont l’air affable. Une fois entré ils commencent à me poser plein de questions : d’où je viens, ce que je suis allé voir. La femme me dit qu’elle est d’ici et pourtant qu’elle n’est jamais allée à Altinarashan. Au dessus de nos têtes, un téléviseur diffuse des clips kirghizes. Il y a dans ce minibus une ambiance particulière. Comme si, faire ce travail était pour ces gens un jeu. On dirait qu’ils sont d’une même famille. Leur bus pourtant est le plus beau que j’aie vu au Kirghizstan et même en Russie. Un Mercedes tout neuf avec deux projecteurs fixés sur le haut du pare-brise, ses vitres fumées comme les berlines des maffieux. Un vrai bijou.
Ils me demandent où je veux m’arrêter, comme Taalaï me l’a indiqué je dis « Lencom » (c’est facile m’a-t-il dit, Len comme Lénine, com comme communisme). Pas de problème ils répondent. Dix minutes après ils me déposent à l’endroit que je leur indique, à quelques maisons de la guesthouse de Taalaï. Lorsque je sors, la femme me demande de faire une photo avec elle. Le chauffeur prend son e-phone et nous photographie elle et moi. Je leur propose de les photographier à mon tour. Ils prennent la pose, enjoués.
Arrivé chez lui, Taalaï me fit venir dans la maison de ses parents. Là où était la pension avant la construction du nouveau batiment. Il m’invite à manger. Je me retrouve face à une nouvelle assiette de soupe aux pâtes et à la viande. Un délice après 4 heures de marche ! En discutant je lui parle de ce hurlement que j’ai entendu en montant. Il me dit « Mais c’était certainement un loup ! Il y en a beaucoup, et même des ours ! - Quoi lui dis-je ! Mais pourquoi tu ne m’as pas prévenu ? – Mais les loups et les ours ne s’approchent jamais des hommes, ils les évitent. Le seul risque avec les ours, c’est qu’ils peuvent venir vous prendre votre sac. » Oui, c’est vrai, j’ai déjà entendu ça. Les ours vous arrachent votre sac car ils savent qu’il y a à manger dedans. Heureusement qu’il ne m’avait pas parlé de ça avant. Quelle panique j’aurais eu ! Surtout que ces hurlements de loup ne devaient pas venir de très loin…
Taalaï me demande ensuite si je connais le lac Teleskaïa en Altaï. Je lui dis qu’il se trouve en République d’Altaï, et que j’ai visité le kraï de l’Altaï, la région voisine. Je ne connais donc le lac que de nom. Il me dit alors que sa famille, les Dëëlec, descendent d’un riche propriétaire des bords du lac Teleskaïa. Dëëlec se dit en effet Teles en Russe. Le lac porte donc le nom de son ancêtre. Il me montre alors un arbre généalogique où l’on voit la chaîne de ses ascendants. 16 générations plus haut que Taalaï se trouve Toliman, à l’origine de la lignée. Il me précise que Tëlëc vient du chinois et signifie « L’homme qui a une charrette ». Ce qui était un signe de richesse, - seul les très riches avaient une telle charrette.
Bref, grâce au récit de ses origines, Taalaï me permettait de faire un lien entre ces nouveaux Carnets et ceux que j’avais écris sur l’Altaï. Je pouvais même imaginer que l’ancêtre de Taalaï avait une charrette chinoise semblable à celle que j’avais vue au musée de Biïsk.
Mais cette relation n’a rien en fait d’exceptionnel car il y a beaucoup de liens entre l’Altaï et le Kirghizstan, leurs populations sont très proches et leur langue aussi.
Enfin Taalaï, voyant mon intérêt pour l’histoire de sa famille ajouta : « Kirghize » signifie dans notre langue « 40 familles ». Il y a dans le pays quarante familles comme la mienne. C’étaient, au départ, des familles nomades. Je lui demande alors si le président actuel du Kirghizstan est d’une de ces familles. Il me répond que non, que nul ne sait d’où viennent ses ancêtres…
Lena B me téléphone alors pour me dire qu’ils sont arrivés. Nous sortons pour rejoindre la Toyota garée devant la palissade. Nous allions reprendre la route pour Bichkek. Quelques kilomètres plus loin, il se mit à neiger. Le retour fut difficile pour Alexeï. Parfois on n’arrivait plus à voir les limites de la route, la neige recouvrait tout.
Les enfants jouaient avec leurs iPods, tout le monde avait un peu sommeil,- c’était la fin du week-end.
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Mercredi 5 février 2014, Bichkek
Nous sommes rentrés dans un Bichkek très froid. Le jour de printemps de la semaine dernière se transforme en mirage… Alors qu’à Novossibirsk il fait la bagatelle de – 30, ici il ne fait « que » - 17°.
J’ai encore peu parlé des contacts que j’ai pris avec une revue créée après 2010 dans la périphérie de l’alliance française. C’est un web magazine en français qui concerne les pays d’Asie centrale, Francekoul. Le projet consiste à proposer à des habitants locaux, et notamment à des étudiants, de devenir journalistes et d’écrire sur leur pays. Leur article sera écrit en français et quelques professionnels offriront leur soutien pour la relecture du texte, et même, si besoin, pour l'aide à la rédaction.
J’ai donc décidé, pendant ma présence ici, de proposer ma contribution au projet. La rédactrice en chef à Bichkek, Isabelle K., m’a donc fait rencontrer la petite équipe de journalistes étudiants locaux et nous avons esquissé quelques projets.
Par ailleurs un concours a été lancé par RFI et TV5 monde pour les étudiants en lycée bilingue. Isabelle s’est chargée de motiver des lycéens pour la réalisation d’un portrait qui serait mis en compétition. Je me suis donc proposé pour accompagner deux jeunes à la réalisation d’un film de 3 minutes, après la vingtaine de portraits que j’ai réalisée pour le site migrations à Besançon, ce format est devenu, un peu, ma spécialité…
La rencontre a eu lieu hier dans le collège-lycée N°26. A Bichkek les écoles ont pour nom des numéros. En arrivant, nous croisons une classe de petits kirghizes qui doivent avoir sept huit ans. Ils sont trop mignons. Isabelle attendait quatre lycéens, deux seulement nous attendent. Pas toujours facile de motiver des jeunes. Mais ces deux là ont une belle motivation, ils sont musiciens, je sens qu’on va faire un très beau film !
Sur le chemin du retour, nous croisons la boutique d’un boulanger, qui doit faire trois mètres carrés (la boutique) ! Il est justement en train de sortir de son four des liepiochka, pains ronds du kirghizstan. Son four est une spère, posée sur le sol, d’un petit mètre de haut. L’ouverture se trouve sur le dessus et l’homme plonge une pince pour y retirer les pains dorés et décorés. Je lui en achète un. Tout chaud, dans les moins dix-sept que le vent agite, c’est un véritable régal…
Nous prenons un taxi pour rentrer dans nos quartiers respectifs. Il y a un chauffeur et un autre homme à sa gauche. La Toyota japonaise a le volant à droite. Les deux hommes se mettent à nous poser plein de questions. Ils sont curieux et enjoués. Isabelle descend la première et je poursuis avec eux. Malgré mon peu de rudiments en langue russe, on arrive à se parler non-stop pendant le quart d'heure de trajet restant. C'est très amusant. Je garde leur téléphone.
Le soir, j'irai manger dans une petite gargotte qui me rappelle l'Algérie. D'ailleurs les deux femmes qui font le service ont un voile blanc sur les cheveux. Je mange bien pour trois euros, les musulmans sont corrects, je reviendrai... En rentrant je retourne aux passages souterrains vers le philarmonie qui sont, la journée, de véritables galeries commerciales. Des boutiquiers y vendent des cahiers, des livres, des dvd, des accessoires de droguerie, des cosmétiques bon marché, toute une gamme de produits éclairés par des ampoules nues.
Rien à voir avec la Galerie Bichkek Parc, hyper luxueuse, qui propose toutes les grandes marques de l'économie mondialisée. Et j'ai repéré, ce matin, qu'on peut acheter dans la galerie souterraine des cigarettes à l'unité ! L'idéal ! Mais pas de chance, le soir la galerie est vide, les boutiques fermées... Je retourne à l'appartement vaguement déçu, mais amusé quand même de voir, dans les alentours justement de Bichkek Park, des jeunes qui mangent dehors, sur la terrasse des fast food à la mode ! A moins dix sept, il faut avoir le courage ! Et là, juste en face, je découvre un kiosque qui exhibe quelques paquets de cigarettes ouverts ! Impatient, je frappe à la petite trappe en verre, qui s'ouvre, et je demande une Winston ! Cinq soms me demande la vieille dame. Sept centimes ! J'allume la cigarette avec émotion. Derrière moi, les voitures passent sur le boulevard Tchoui. Je croise des beautés asiatiques le visage entouré de fourrure. La neige, les lumières très variées du centre commercial, les arbres aux branches bordées d'un liseré blanc, la frénésie joyeuse partout autour de moi. Instant de grâce....
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Jeudi 6 février 2014, Bichkek.
C’était un joli jour d’hiver, froid et ensoleillé. La neige était restée blanche, propre. C’est l’avantage des froids importants, si elle ne fond pas, la neige reste propre. C’est pour les photographies que je dis cela. Quand la neige est grise, maculée de boue, mieux vaut laisser l’appareil photo à la maison.
J’avais remarqué qu’il y a une très belle lumière sur la place du Philarmonique, et que c’était un endroit où les élégantes aimaient passer. Je me décide donc d’aller me poster là et d’attendre.
Avec mon anorak bleu et jaune et mon sac à dos, j’ai vraiment l’air d’un étranger, d’un touriste, enfin bref, l’incognito faut oublier. Il faudra donc faire avec. Un bon moyen de capter comment sont perçus, ici, les étrangers. A en juger par les sourires que j’ai collectés, je pense qu’on peut dire que les étrangers sont très bien perçus. J’ai donc passé une journée à faire essentiellement des portraits. Portraits de femmes. Interloqué peut-être par leur beauté mystérieuse, comme surgie d’un livre de contes pour enfants.
Je me dirige vers la place Ala-too. Il fait froid mais le soleil et la neige sont un régal pour les yeux. Je passe devant le palais présidentiel et ne résiste pas à photographier les ferroneries des grilles qui entourent le parc.
En me réchauffant dans un café de la place, je remarque le motif en plastique qui décore la vitrine. Je saisis une passante qui traverse les arcades recouvertes de marbre de la place des défilés, - quel bonheur de se laisser emporter par la magie des êtres et des lieux....
Plus tard je décide d’aller visiter l’énorme musée historique de la place Ala-too. Ce musée était à l’origine un musée Lénine. Tout y est colossal et honnêtement il faut dire que tout y est pour que les Kirghizes, avec leur culture nomade, si subtilement riche mais aussi si modeste, se sentent écrasés par la mythologie soviétique.
Le gigantisme est autant dans l’architecture que dans les contenus : les proportions, les matériaux utilisés, les colossales sculptures en bronze qui pendent du plafond, et, pour commencer, rien que la porte, - tout est là pour vous intimider.
Le premier étage est donc de cette facture. Des sculptures monumentales de groupes plus grands que nature, rehaussées au plafond de fresques au lyrisme nationaliste, saturent l’espace, pourtant grand. Je pense qu’il fallait avoir une sorte de cynisme pour envisager un musée pareil… Ou peut-être était-ce dû au contexte de la guerre contre l’Afghanistan ?… En effet, ce bâtiment a été construit en 1985, en même temps que la maison du gouvernement. Nous étions aussi à quelques années de la fin de l’ère soviétique… Une sorte de chant du cygne…
Alors, rien que pour cette étrangeté, je conseillerais la visite. Il y a ici, c’est certain, une prouesse architecturale, qui s’insère parfaitement à l’ensemble de la place Ala-too. Mais il y a aussi le deuxième étage consacré à la culture et à l’histoire kirghize. On y voit des bijoux, des costumes et des tapis, une yourte grandeur nature, et une partie est consacrée à l’archéologie. Je m’aperçois alors combien la Kirghizie est liée à l’Altaï. Les Kirghizes ne le cachent pas, les Altaïens sont leurs ancêtres. Leur langue est si proche qu’ils se comprennent, leurs amis et leurs ennemis sont à peu près les mêmes, et on retrouve les Djoungars, grands dominateurs et exploitants qui, si vous ne payiez pas ce qu’ils vous imposaient, détruisaient tout ce que vous possédiez. On retrouve l’or des Scythes, leurs kourganes, on retrouve la civilisation des Huns avec leurs pétroglyphes placés au pied des tombes et qui étaient comme le portrait stylisé du mort. On retrouve l’art de monter les chevaux et de les seller. Le travail du cuir et ses riches ornementations de pierres et de métal.
J’ai eu la chance à un moment de m’insérer dans une visite guidée en anglais. Probablement une prof et ses élèves dont la moitié de la classe semblait s’en contreficher. Elle parlait du début de la période musulmane, donc du moyen âge, et présentait quelques bâtiments du passé, dont une tour de garde qui ressemble à une tour de Babel, et qui existe encore à quelques kilomètres de Bichkek. Elle présenta aussi des objets archéologiques attestant de l’existence de cinq religions pratiquées par les kirghizes. On y trouvait des objets attestant de pratiques bouddhistes, zoroastriennes, musulmanes, chrétiennes et chamanistes. Je m’étais raccroché à cette visite trop tard car elle terminait déjà. Et j’ai regretté ne pas avoir eu de guide pour tout la visite. Je suis donc allé demander à l’accueil si des visites en anglais n’étaient pas prévues. On m’a répondu qu’elles avaient été arrêtées. Que ce n’était plus possible maintenant. Grand dommage…
La route de la soie traversait la Kirghizie. A droite le lac Issyk-Koul, voisin de Karakol.
Après la descente du grand escalier je suis allé à la galerie des souvenirs. J’ai fait connaissance avec la jeune femme qui s’occupe de la boutique et nous avons discuté un moment au milieu des pièces d’antiquités, des feutres colorés, des tapis et des figurines. Un très joli cadre pour un portrait…
Dehors, on était tout surpris qu'il fasse encore jour. J'en profitai pour faire les derniers portraits de la journée. J'ai rendez-vous à l'Alliance Française pour rencontrer les jeunes rédacteurs de FranceKoul. Il faut que je me presse maintenant...
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Samedi 8 février 2014, Bichkek.
Avant de reprendre la route, pour aller visiter, à environ 80 km d'ici, un nouveau lieu géothermique, Issik-Ata, je publie une carte du Kirghizstan empruntée au très joli livre de Jacqueline Ripart "Terre des chevaux célestes". Cette passionnée des chevaux qui vit à Bichkek, a contribué à sauver une race de petits chevaux locaux qu'utilisaient les éleveurs d'altitude. Mais j'espère que nous pourrons revenir sur le sujet, si j'arrivais pendant ce séjour à rencontrer l'écrivaine et, du reste, très bonne photographe. Pour l'instant, juste une carte, C'est toujours mieux de voir où se trouve ce dont on parle. La carte peut-être grossie en faisant clic droit "voir l'image"
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Samedi 8 février 2014. Yssyk-Ata
Il était convenu depuis hier que je devais partir à Issik-Ata. Kaderbiek, chez qui je loue une chambre, avait décidé de m’aider à organiser mon voyage. Ce matin il vient me voir avec les horaires des marchroutka (minibus). Il m’explique que je dois prendre le bus n° 11 qui mène à la gare de bus, puis, de là, je dois prendre le marchroutka qui mène à Kourort Yssyk-Ata. Il précise bien, Kourort ! Je dois ainsi arriver au sanatorium. Après quelque temps, il vient me dire qu’il va m’accompagner à la gare. Passe encore un peu de temps, et, après avoir donné un long coup de téléphone, il me dit qu’un ami va nous emmener à la gare en voiture ! Nous descendons au bas de l’immeuble, dans la rue Isanova. Un 4x4 Toyota volant à droite s’arrête. Nous montons. Kaderbiek me présente l’homme, Marad. Nous démarrons, ils discutent et Kaderbiek se tourne vers moi et il me semble qu’il me dit : « Nous t’accompagnons à Yssyk-Ata ! » Mais je ne suis pas sûr d’avoir bien compris, est-ce une blague ? Un peu plus loin je dis « Elle est loin la gare de bus !» Et il me confirme « Mais nous n’allons pas au bus, on t’accompagne à Yssyk-Ata ! Ils sont incroyables et formidables ces Kirghizes !
Kaderbiek demande à son ami de s’arrêter pour que je prenne en photo le drapeau kirghize qui flotte sur un récif dominant la ville. Puis il me dit « Si tu veux prendre une photo, tu dis « stop ! » » Et nous repartons. Le ciel est couvert, le thermomètre indique moins 9°. Marak me dit qu’il va neiger. Parfois quelques rayons arrivent à traverser les nuages, une éclaircie surgit alors et les cimes des montagnes s’illuminent. Nous longeons longtemps une agglomération qui s’allonge sur le bord de la route. Il s’agit de maisons de plein pied, le plus souvent en brique blanche. Cela fait penser parfois à Galbstadt, la ville allemande sibérienne que j’avais visitée en octobre 2012. Malgré leur taille et leur apparence modeste, beaucoup sont entourées de murets faits de la même brique et fermés de palissades en bois et de fer forgé.
« Nous roulons vers le sud » me dit Marad. Plus tard nous tournons à droite pour prendre une route secondaire. L’agglomération de Bichkek va donc cesser et nous parcourons des espaces non habités où nous croisons souvent un troupeau de chevaux où quelques vaches qui ont décidé d’emprunter le même chemin que les voitures. Plus loin un fermier grimpe un sentier en faisant aller devant lui un troupeau de cinq vaches. Quand un village revient, on aperçoit dans une rue perpendiculaire sur la route des enfants qui font de la luge, ou plutôt du bob, en plein au milieu de la rue enneigée. Depuis la dernière précipitation, la nuit de dimanche dernier, la neige est partout.
La route est très pittoresque, Kaderbiek me fait comprendre que le marchroutka ne prend pas cette route, mais contourne les montagnes. Ils ont décidé de prendre cette route pour me faire découvrir le paysage. A la sortie d’un village, j’aperçois sur un relief un cimetière qui ressemble à ce que j’avais vu dans le livre de Jacqueline Ripart. Effectivement le style hésite entre voussures musulmanes et armatures métalliques rappelant la forme d’une yourte des nomades chamanistes. Le soleil réussit parfois quelques percées dans les nuages. Les reliefs prennent alors un aspect extraordinaire, une cime apparaissant au milieu des nuages et évoquant « Les monts célestes », comme on appelle traditionnellement les montagnes du Kirghizstan.
Un peu plus loin nous arrivons dans une très originale station de sports d’hiver. Ici il n’y a pas de skieurs mais cependant une grande quantité de monde. La plupart ont des sortes de bob qui ont l’air d’être bricolés à partir d’une roue de voiture. D’autres ont des bobs plats que l’on glisse sous ses fesses, d’autres des luges et des bobs classiques. Mais ce n’est pas tout, il y a aussi un grand nombre de chevaux montés par des cavaliers, - beaucoup de jeunes garçons, d’une dizaine d’années, mais aussi par des adolescentes. Deux pistes semblent avoir été aménagées, sur deux flancs de montagnes. On parle beaucoup, on bouge, on discute par groupe, - l’impression d’une grande gaieté règne. Au bord de la route un commerçant ambulant a dressé un stand couvert de bouteilles de vodka et de confiseries. A côté fume un samovar. Cela donne l’impression d’un désordre joyeux, et surtout, cela donne l’impression d’un vrai rituel populaire. Ici, pas de tenue synthétique et d’équipement high-tech importés du monde occidental. On y est habillé chaudement, comme on doit s’habiller tous les jours en hiver, un point c’est tout.
Je ne veux pas trop retarder mes guides alors je reviens au 4x4 et nous repartons. La route est maintenant uniformément recouverte de neige. Mais les véhicules ici sont équipés pour ces conditions et il n’y a pas à s’inquiéter. Le 4x4 est ici chez lui. Nous grimpons doucement, sans s’élancer vers des altitudes extraordinaires. Le dénivelé ne doit pas dépasser quelques centaines de mètres. Mais les cimes, quand les nuages les rendent visibles, s’élèvent avec fierté autour de nous.
En roulant doucement - Marad n’est pas un dingue du volant - il nous faudra une heure trente pour arriver au-dessus d’une large vallée, quand Marad me dira : « voici Yssyk-Ata. » Nous longeons quelques minutes le torrent du même nom puis arrivons devant un portique où la voiture s’arrête. C’est l’entrée de la zone du sanatorium. Les deux hommes discutent avec un gardien et la voiture redémarre. Encore une bonne centaine de mètres et nous nous garons dans un petit parking, à côté d’une maison pourvue, au premier étage, d’une grande terrasse. Le long de la ruelle qui se transforme en passage piéton, un petit ruisseau fumant. Un peu plus haut une canalisation perd une partie de son eau qui jaillit comme un petit geyser, lui-aussi fumant. Le chemin dallé de béton nous conduit à l’entrée d’un bâtiment. Des séniors en sortent. Nous traversons un salon aux fauteuils lourdauds, prenons un couloir et arrivons dans un bureau où une femme en blouse blanche et coiffée d’une toque de vison reçoit et gère les entrées et sorties. Probablement des sortants, heureux de ses services, lui demandent de poser avec eux pour une photo.
Il ne faut pas être pressé et Kaderbiek et Marad qui m’accompagnent ne montrent aucun signe d’impatience. Enfin on s’occupe de mon séjour et on m’annonce le prix de 1400 soms par jour pour une chambre luxe ( ?), prix qui comprend la pension complète et les bains, sauf que je ne sais pas lesquels. Cela doit faire environ 20 euros. En revanche la piscine extérieure est payante me dit-on, 60 soms.
Nous descendons vers le bâtiment à côté de la voiture avec son grand balcon à l’étage. Dommage, par cette saison on en n’aura pas usage… On frappe à l’entrée, la porte est fermée à clé. On attend un moment. Et puis Kaderbiek retourne à la réception et nous l’attendons avec Marad. On en profite pour explorer les alentours, et on découvre la cascade que j’avais vue en photo sur le net, avec, devant, une sculpture en bronze d’un bouquetin Marco Polo, avec ses énormes cornes recourbées. Ce bel animal menacé de disparition peut peser jusqu’à 200 kilos et est très primé par les chasseurs européens qui doivent payer plusieurs milliers d’euros pour avoir le droit de la chasser.
Un peu en amont, un bassin décoratif dominé par une sculpture en métal représentant un poisson exotique, et un bâtiment où est écrit « salle à manger ». L’été, cet endroit doit ressembler à un jardin d’agrément. Avec la neige, tout est plus sauvage, les allées d’arbres, les bordures de pierre, tout cela se fond dans la blancheur uniforme de la neige. Sans bouger, le froid monte aux pieds, il fait quand même moins neuf degrés. Heureusement Kaderbiek revient. Il frappe à la porte et une jeune femme vient ouvrir. Il faut attendre encore, je ne comprends pas bien quoi. On s’assoit. Je suis un peu gêné de faire attendre mes guides si longtemps et me demande comment j’aurais pu faire si j’étais venu ici tout seul ! Au bout d’une dizaine de minutes trois jeunes hommes arrivent, cela semble être la clé du problème. On se relève et je vois Kaderbiek discuter avec les jeunes, je pense qu’il me confie à eux et leur fait quelques recommandations. En effet je vais vivre avec l’un d’eux. Maintenant il faut retourner à la réception pour payer me dit-il. On reprend le chemin, je paie mes deux mille huit cent soms et ils m’accompagnent au magasin car il est trop tard pour le repas. J’achète un peu de fromage, du pain et un yaourt. Il est temps pour eux de redescendre, - ils ont passé une demie journée à m’accompagner. Chapeau bas et merci !
Me voici dans la chambre avec les trois jeunes. Ils ont l’air un peu embarrassé avec ce nouveau fardeau qui comprend un centième de ce qu’ils me disent. Je pose mes affaires, la gouvernante m’apporte draps et serviette. Je leur demande s’ils veulent aller à la piscine. Ils disent qu’ils iront demain car ils y sont déjà allés. Je leur dis que je vais y aller seul. Ils décident de m’accompagner. On évalue mal quand on arrive dans un tel endroit qu’on ne connaît pas, les enjeux et les risques. Je suis un peu gêné qu’ils aient décidé de m’accompagner, mais je ne suis pas sûr d’avoir bien compris que tous ne voulaient pas se baigner. Ce n’était peut-être que le cas de celui qui m’a répondu. En tout cas nous sommes partis. Nous redescendons vers le portail du sanatorium, prenons un chemin sur la droite. Mes compagnons ont des petites chaussures de ville, dans la neige sous nos pieds, ils ne doivent pas se sentir très au chaud. L’un faillit tomber en glissant. Sur notre gauche deux immeubles Khrouchtcheviens. Des canalisations descendent vers l’immeuble, sans isolation. Je les palpe elles sont chaudes. Les jeunes m’expliquent alors qu’ils alimentent d’eau chaude les immeubles. C’est encore une des sources thermales qui fournit cette eau. Partout des ruisseaux fument, par endroit des petits marécages fumant eux-aussi et dégageant l’odeur caractéristique du soufre. Cette eau est beaucoup plus concentrée en sulfures que celle d’Altynarashan.
On parcourt quelques étendues de neige, suivant un chemin tracé par des pas. Devant nous le bleu d’un grand bassin. Sur notre droite, à flanc de coteau, des promontoires en bois, couverts, abritent des bancs. De très curieux solariums… Enfin nous arrivons à la piscine. Le premier bassin, assez grand, est vide. Un peu d’eau cependant s’y écoule depuis une canalisation. Derrière un autre abri recouvert de plastic bleu transparent, le bassin d’eau chaude, d’une douzaine de mètres de long. Quelques jeunes hommes s’y ébrouent bruyamment, ayant décidé de se réchauffer par un double moyen : l’eau thermale et la vodka. Le bassin fume abondamment, alimenté en eau par une canalisation qui déverse chaque mètre un jet d’eau chaude. Les baigneurs viennent souvent près de ces jets, les endroits les plus chauds de la piscine. Maintenant il faut se déshabiller et la question se pose d’où je vais laisser mes affaires et notamment mon sac avec mes papiers et l’appareil photo. Toujours le problème d’appréhender une situation qu’on ignore totalement...
Je décide de laisser mes affaires dans la cabine et d’emmener mon sac près de la piscine, ce qui me permettra d’avoir mon appareil sous la main. Donc il faut se déshabiller ! Dans la cabine, l’eau, au sol, a gelé. J’accroche aux portes manteaux toutes mes épaisseurs et pose le premier pied sur la glace. Pas agréable … Il faut aller vite ! Je sors donc en slip le sac à la main, pose le sac sur le rebord et plonge dans l’eau. Oui, elle est vraiment chaude, malgré le froid. C’est étrange de voir en face les montagnes enneigées, et de respirer cette vapeur chaude… La surface importance du bassin empêche de respirer de l’air trop frais. Une fois dedans on est bien. Et on serait mieux encore s’il n’y avait pas ce jeune un peu ivre qui commence à hurler qu’il enc… l’Amérique, la Russie, l’Allemagne, les Ouzbeks, les Etats-unis… en faisant des gestes obscènes. Je regarde l’œil inquiet de mes accompagnateurs qui se demandent comment cela va tourner. On voit bien quand même qu’il y a plus d’esbroufe dans son attitude que d’agressivité. L’un des baigneurs me demande d’où je viens. Quand j’ai répondu, le brailleur semble avoir respiré un parfum délicieux. Le voilà qui s’adoucit et qui s’extasie devant cette idée de pays qui vient de lui entrer dans la tête : la France ! Et le voilà qui déclame toutes les célébrités françaises qui lui viennent à l’esprit : Napoléon, Zidane, Aznavour, de Gaulle, Jacques Chirac ! Et que je t’envoie des « vive Napoleone ! » et des « bonjour mademoiselle ! » et des « Merci beaucoup ! ». Le voilà heureux. Il m’apporte un verre en plastique empli d’une vodka glacée et une pomme. Je ne peux refuser sans humilier toute la Kirghizie ! Mon verre terminé il le reprend, le rempli et porte un toast. Il reprend ses hommages à Napoléon et en même temps s’excuse. Les autres sont hilares sauf mes accompagnateurs qui restent méfiants. L’un d’eux d’ailleurs a plongé et a retrouvé le sourire avec le contact de l’eau chaude.
L’ambiance est maintenant détendue. On se prend en photo, iphones, ipods, portables et mon appareil sont mis à contribution. Je me colle au plus grand des jets et sa chaleur me masse agréablement le cou et les épaules. Elles en avaient besoin.
Plus tard il va falloir se décider à quitter le bain et marcher sur la glace. Cinq minutes désagréables, vite se sécher et se couvrir. Les pieds sont servis les derniers et sont pas très contents d’entrer dans des chaussures elles-mêmes à moins dix. Mais le corps était bien chaud et se remet vite de ces minutes de torture. Nous rentrons tous les trois dans nos quartiers. Un des hommes se déchausse, met son pied dans un sac plastique et remet ses chaussures. Elles sont percées et il a froid. Un autre va m’emprunter un gant car ses doigts qui portent le sac de plastique où il a mis son slip et sa serviette sont gelés. Je m’aperçois alors, même pas cinq minutes après le départ de la piscine, que mon slip mouillé est devenu tout rigide : il a complétement gelé…
Nous sommes heureux de retourner dans la chambre bien chauffée. Notre hôtesse vient afficher sur la porte vitrée de la salle de bain « Merci de ne pas fermer les robinets d’eau chaude et d’eau froide ». Puis elle fait couler l’eau du lavabo et de la baignoire. Probablement pour éviter que les canalisations extérieures ne gèlent ? Car l’eau chaude arrive directement des sources chaudes de la montagne. Je vais peut-être bien reprendre un bain….
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Malgré quelques festoiements de mes colocataires qui ont retardé mon endormissement, on peut dire qu’on dort bien à Yssyk-Ata. En tout cas dans les chambres luxe bien ionisées puisque l'eau thermale coule des robinets 24h/24. Je me retourne et me rend compte de ce que veut dire « luxe » pour cet établissement pensé à l’époque soviétique. Cela signifie que pour deux vous avez une chambre qui ne fait pas loin de 60 m2, salle de bains incluse. Je voudrais aller visiter les autres chambres, non luxe, pour mesurer véritablement la différence. A en juger par l’extérieur des pavillons accueillant les autres catégories, il est probable que la différence soit importante. Mais faudrait voir. En tout cas cet espace est un peu inutile. Cela ressemble un peu à un affichage de privilège, certainement réservé, à l'époque soviétique, aux dignitaires du parti.
Bref, je me réveille avec une envie de profiter de l’aspect thérapeutique de l’endroit. Je voudrais essayer de trouver quelqu’un qui pourrait s’occuper de ce mal de cou qui me tourmente, notamment lorsque j’écris. Je laisse mon voisin de lit dormir et je pars à la réception. La dame qui m’accueille était là hier, mais ce n’est pas le médecin à la toque. Au départ elle me répond qu’aujourd’hui dimanche tout est fermé. Mais l'autre femme qui est avec elle lui signale quelque chose. Elle m'invite alors à la suivre. Nous montons quelques étages dans le bâtiment et arrivons dans un couloir avec un tapis qui court jusqu’à la fenêtre.
Là elle ouvre une porte et je me retrouve dans une pièce où deux lits sont encadrés de rideaux et où deux personnes sont allongées. La masseuse arrive et me demande si je veux qu’elle vienne me masser dans ma chambre. Comme mon voisin dort encore, ce n’est pas la meilleure solution. Alors elle me demande si je veux me faire masser ici. Je réponds « bien sûr » un peu étonné par la question. Je n’ai pas le goût des privilèges à domicile. Elle me fait donc attendre quelques minutes puis me prie de prendre place sur le lit de gauche. Elle m’a demandé quel était mon problème. Elle prend un flacon d’huile de massage, s’en enduit les mains, la répartit sur mon dos. Et le massage commence. La voilà qui enfonce ses doigts pour aller chercher ces nerfs qui ont dû se mettre en boule. Je sens qu’elle a tout de suite compris mes problèmes, ses doigts vont droit au but, saisissent un nœud, le malaxent. Ca fait mal parfois, rien à voir avec un massage de détente. Je grimace et tente de respirer amplement pour éviter parfois de gémir. En tout cas elle fait très bien son travail et je peux remarquer la force qu’elle a dans les doigts. Je pense à certaines séances de kiné que j’ai eues et je me dis qu’on s’amuse un peu de nous en France…
A la fin, 30 minutes après peut-être, elle me propose de faire des massages électriques. J’ai vu ça dans des films soviétiques, - pourquoi ne pas essayer ? Elle m'installe un oreiller à électrodes sur le dos, met en marche. La machine, en fait, envoie des courants électriques qui font travailler tel ou tel muscle. A un moment je crie, elle m’a demandé si la position normale me convenait, je pense qu’il faut descendre un peu en régime ! Elle engage donc la position « faible ». Cela me suffit largement. Cet appareil a un programme très intelligent. J’ai l’impression que mon dos se transforme en jeu vidéo ! Les muscles se tendent par série, donnant l’impression qu’on dessine sur mes omoplates. Une petite demi-heure après, la jeune femme me dit vsio « c’est tout », expression typique russe. Je lui demande si ces séances sont payantes, elle me répond que c’est 200 soms. C’est à peu près dix fois moins qu’une séance de kiné en France. Je lui demande donc de réitérer demain. Si je pouvais me débarrasser de cette tension, j’écrirais plus sereinement…
Je décide ensuite d’aller explorer les alentours. Et notamment d’essayer de savoir d’où viennent tous ces tuyaux qui acheminent l’eau chaude et froide dans le sanatorium. Il fait un joli soleil matinal et assez froid. Moins douze peut-être. Je regrette mes bottes sibériennes laissées à Novossibirsk... La vapeur en tout cas s’harmonise bien avec le froid. Autour des rigoles d’eau chaude, la condensation s’est transformée en cristaux de glace qui se sont fixés sur les brins d’herbe. Les arbres aussi, autour, et les branches des buissons se sont couverts de givre.
Au loin je vois un cube de béton d’où se dégage une vapeur abondante. Mais contrairement à ce que je pensais, ce n’est pas encore l’origine de la source, juste une sorte de château d’eau qui déborde abondamment. Non, les canalisations repartent vers les hauteurs. Je dois passer par-dessus une grille pour continuer. L’aire du sanatorium est ainsi totalement cloturée, peut-être une protection contre les animaux sauvages, et notamment contre les loups. Un peu plus haut, on sort de cette forêt de buissons et on aperçoit un petit pavillon, comme un poste de pilotage, d’où partent tous les tuyaux. La source doit surgir à cet endroit. En tout cas c’est assez extraordinaire de penser que toute la chaleur du sanatorium vient de là, le chauffage central, l’eau chaude et l’eau froide. Bienfaisante nature…
Je franchis une nouvelle barrière dont la porte baille, entrouverte, et suis un sentier marqué par de nombreuses traces de pas. C’est probablement le sentier qui mène à la cascade. Je décide de l’emprunter, histoire de profiter de la belle lumière de cette fin de matinée ensoleillée. Il fait froid mais l’air est pur et le silence m’envahit de paix. Sur la neige scintillante on voit parfois la trace laissée par quelque animal. Je me demande quelles traces peut laisser un loup, ou plutôt, une meute de loups… Je m’arrête parfois pour écouter et regarder s’il n’y avait pas quelque bête à observer. Mais rien, à part quelques corbeaux. Décidément, je ne pourrais pas être un photographe animalier, ni a fortiori un chasseur…
Je retourne au bout d’un kilomètre. L’heure du repas approche et j’ai prévu d’aller à la cascade cet après-midi. En rentrant au sanatorium je croise deux adolescentes qui discutent près d'un gros rocher, sorte de panorama. Plus tard elles me rattrapent et je les photographie tandis qu’elles descendent un sentier en contrejour. Cela les amuse. On se recroise alors que je viens de photographier une statue de Lénine, le petit père du peuple qui indique le sanatorium du doigt l’air de dire « Vous voyez ce qu’on a fait pour vous ?! » Je dis aux jeunes femmes « Après vous je photographie Lénine ! » Elles me demandent d’où je viens et lorsque je leur dis que je suis français elles me demandent si elles peuvent faire une photo avec moi ! Je leur renvoie la politesse et leur croque le portrait.
Je verrai plus tard un homme entrer dans ces baraquements qu’on dirait hors service. Mais non, on vit bien ici, probablement pour passer des vacances économiques. Deux chats se sont installés sur une conduite d'eau chaude, démontrant leur adaptabilité et languide paresse. Plus loin j'arrive à nouveau près de la cascade décorative et du mouflon Marco Polo dont le soleil traverse les cornes. Il va être une heure, je rentre manger dans ma chambre de luxe, avec son confort quelque peu ennuyant et des voisins de chambre qui restent distants. Oui, le courant ne passe pas très bien. On cohabite, point barre...
Je devais aller à la cascade avec eux mais ils ont changé d’avis. Ils vont à la piscine. Tant pis, j’irai sans eux. Je remonte la rue principale du sanatorium et arrive vers le rocher où j’avais vu ce matin les deux adolescentes. Une famille se tient là et semble attendre. Plus loin je demande à deux jeunes hommes la direction de la cascade. Ils me répondent que c’est par là et qu’ils y vont aussi. Ils m’offrent une cigarette, on sympathise. L’un d’eux est photographe. Il a un contrat avec la famille qui attend près du rocher, il les accompagne pour les photographier devant la cascade. Nous partons sur le chemin de ce matin. Il fait toujours un beau soleil et beaucoup moins froid. Le chemin s’élève à flanc de montagne, doucement. Une partie de la famille est déjà en route, formant sur le sentier une caravane humaine.
Nous les rattrapons. Il y a un certain nombre de personnes âgées et je glane, alors que nous les dépassons, quelques portraits. Leurs toques de fourrures, leurs foulards et leurs habits de laine, leur visage parfois ridé, avec néanmoins une expression pleine de fraîcheur, leur confère une beauté placide.
Plus tard, le sentier oblique sur la gauche, longeant un ruisseau qui court sous la glace, affleure et replonge. Le mouvement de l’eau sous la glace transparente donne l’impression qu’une multitude de petits poissons remontent la rivière. Effet visuel assez amusant. Nous nous engageons dans une gorge et le chemin parfois se mêle au ruisseau. Bientôt nous voyons, au bout du canyon, comme s’il en était le bouchon, un glacier bleuté, aspect hivernal de la cascade. Alors commence le rituel des photographies. Notre ami Nourzat s’est mis au travail. Il a sorti son appareil photo, un petit carnet sur lequel il marque chaque photo et il s’est installé sur les pierres du ruisseau, en contrebas de la cascade. Pour ce qui est des touristes, ils vont chacun leur tour gravir un piton de glace au pied du glacier, promontoire permettant d’avoir un point de vue idéal pour la photographie.
Seulement l’ascension n’est pas facile, surtout pour ceux qui sont chaussés de bottes en caoutchouc. Alors l’un d’eux, un homme plus jeune, s’est installé entre le ruisseau et le promontoire, un pied sur une pierre qui affleure sur la glace, et il aide hommes et femmes à escalader le piton de glace. Pendant ce temps, Bekzat et Islam, mes camarades, attendent sur un massif derrière le photographe. C’est assez amusant ce petit manège, tout le monde, malgré les glissades et quelques chutes légères, semble y prendre plaisir. Toute la famille passe devant l’objectif de Nourzat, certains seuls, par deux ou par groupes. Les ainés ont le sourire aux lèvres, fiers de présenter au photographe une si nombreuse descendance. On terminera par une photo de groupe. Nourzat connaît parfaitement le rituel du métier.
La séance est terminée. La famille reprend le chemin du retour. Bekzat me propose alors d’aller boire un peu de vodka. J’accepte avec plaisir. On traverse le ruisseau à la sortie du canyon et allons s’installer sur un terre-plein qui domine le ruisseau et les deux vallées. D’un sac en plastique ils sortent des verres en plastique, une demi-bouteille de vodka, de la saucisse cuite, des pommes et une boisson étrange, un peu épaisse et à moitié gelée. On allume des cigarettes et Bekzat est heureux de se réchauffer avec un peu de vodka. La température est descendue, le vent s’est levé et le soleil n’arrive plus à nous réchauffer. Ils ont des chaussures de ville et doivent avoir les pieds gelés. On trinque à notre rencontre, la vodka est à sa température idéale, ils sont joyeux et chaleureux, nous passons un bon moment de camaraderie malgré le froid.
La bouteille vidée ils remettent tout dans leur sac en plastique et nous prenons à notre tour le chemin du retour. Bekzat m’explique le bizness de Nourzat. Il sont d’ici tous les trois mais lui, Bekzat, travaille à Bichkek. Il me parle de sa famille, s’enquiert de la mienne. Parfois une question reste sans réponse car je ne l’ai pas comprise. Mais je me surprends à pouvoir suivre ces conversations simples et d’être souvent capable d’y participer. Nourzat m’explique aussi qu’il y a, beaucoup plus loin, une autre cascade, plus grande, très belle. Mais il me dit que c’est dangereux, qu’on risque de se faire attaquer par les loups.
De retour au sanatorium je les accompagne. Pas très loin de la cascade décorative, du Marco Polo de bronze (le mouflon) et du bassin se trouve une échoppe minuscule. C’est là que se tient le bizness de Nourzat. Nous entrons par l’arrière. A l’intérieur, un réchaud électrique diffuse assez de chaleur pour chauffer l’échoppe. Un ordinateur, une imprimante, un lit et quelques sièges. A côté de l’endroit où Nourzat travaille une petite fenêtre qui permet de communiquer avec les clients.
Il se met à imprimer la photo qu’il a prise de moi avec Bekzat et Islam. Il vend ses photos 50 soms, un dollars. Je veux lui payer mais il refuse, c’est cadeau. Ils fument une dernière cigarette et je les salue. Ils sont de bonne compagnie, grâce à eux j’ai passé une très agréable journée. Bekzat m’a parlé de participer à une chasse au Marco Polo, mais je ne suis pas chasseur et je serais plutôt triste d’assister à la mort d’un des plus imposants mouflons. Au lieu de chasse je préfère aller collecter des portraits qui pour moi sont aussi sauvages et fascinants qu’un Marco Polo dans la montagne. Et grâce à cette après-midi avec eux, la carte mémoire de mon appareil photo est comme une gibecière pleine. Comment expliquer à Bekzat que cet après-midi avec eux valait en joie et en émotion la plus belle des parties de chasse ?
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Lundi 10 février, Yssyk-Ata-Bichkek
Au sanatorium d’Yssyk-Ata le petit déjeuner est fixé à 8 heures. Ce devait être la règle dans tous les sanatoriums créés sous l’empire soviétique. Le « sanatorium » à la Russe c’est un mélange de maisons familiales de vacances, comme d’ailleurs des associations d’allégeance communiste en avaient fait construire dans les années 60, et d’établissement thermal. On y vient autant pour les vacances que pour les traitements. J’ai vu d’ailleurs, sur la table de nuit de mon voisin, deux sacs en plastique assez gros, l’un contenant des seringues, l’autre des flacons de solutions à injecter. J’ai lu quelque part que certains ouvriers des centrales nucléaires venaient se faire soigner dans de tels établissements. Mais mon voisin m’a raconté qu’il travaille au Kazakhstan dans le textile…
J’avais demandé à la masseuse d’hier de refaire une séance ce matin. Elle m’avait dit qu’elle passerait dans ma chambre à 8h15 car il n’y avait pas d’autre pièce de libre. Elle arrive avec un peu de retard et se met à sculpter mon dos encore sensible de la séance de la veille.
Après, j’étais bien décidé de profiter une dernière fois de la piscine. J’avais des chances, le matin, d’être tranquille, sans les buveurs de vodka d’avant-hier. Je pars serviette en main. La porte n’étant pas verrouillée, je la pousse et entre. Personne à l’intérieur, que le bruit de l’eau qui coule, à l’entrée, dans la grande piscine. Un peu plus loin, le bassin thermal sous le soleil matinal. Personne. La paix incarnée….
Pendant près d’une heure je vais pouvoir nager, sur et sous l’eau, profitant des vertus particulières de cette source assez concentrée en soufre et en divers sels. Je vais rentrer d’Yssyk-Ata bien en forme me dis-je, la peau et les cheveux épurés de tout parasite, - les bains au soufre étant les meilleurs antipelliculaires. J’ai lu à propos de cette source qu’un homme ne devrait pas rester plus d’une demi-heure sous peine de provoquer des troubles de l’érection. Je passe outre l’avertissement, ma libido n’est pas actuellement mon problème majeur. Ce bain à 37° au milieu de la neige et des montagnes est un plaisir rare que je ne vais pas abréger pour des fantasmes de puissance masculine. D’ailleurs je me permets un petit travelling circulaire en faisant la planche au milieu de la piscine. Les montagnes tournent autour de moi, il y en a sous tous les axes, c’est magnifique ! Soudain je vois un animal qui marche un peu au dessus de la barrière qui entoure l’ensemble de la piscine. Serait-ce un loup ? Non, celui-là est bien trop tranquille pour être un animal sauvage. Ce n’est qu’un chien, probablement croisé en partie avec un loup, qui fait sa promenade matinale. Il ne daigne même pas tourner la tête de mon côté, peut-être l’odeur du soufre efface-t-elle l’odeur de l’homme, peut-être que ce chien n’est pas là pour s’occuper d’une quelconque odeur. Un peu plus loin il lève une patte pour pisser, exprimant une nonchalante indifférence à l’environnement.
Il fait moins froid que samedi, et j’ai pris soin de laisser ma serviette sur le bord du bassin, afin de pouvoir me sécher tout de suite en sortant. Ces endroits demandent un peu d’expérience pour éviter de trop gros désagréments. Ma solitude a permis aussi de virer mon maillot, faisant corps avec la nature et les éléments. Un régal…
J’ai même pensé à emmener mes chaussures près du bord. Ainsi, en sortant, je n’ai pas à marcher sur la neige et la glace. Mon anorak dans la cabine est tout craquant de froid. Je repars, content d’avoir pu expérimenter ce lieu autrement que dans la tension que l’alcool sème toujours, surtout dans une assistance essentiellement masculine.
Maintenant il faut penser au départ. De retour à notre pavillon, je retrouve mes colocataires et je me rends compte que nous n’avons pas réussi à nous familiariser les uns aux autres. Cette barrière qui existe toujours entre nous est un peu stressante. Les sourires sont forcés, la barrière de la langue pèse. Je suis content de partir. Peut-être que de tels endroits ne sont pas faits pour y venir seul, ou peut-être que cette vieille institution soviétique a gardé de ce régime une pesanteur. Je lis en attendant le repas, et je lis encore après, tuant le temps avant de partir. Le bus doit démarrer à 14h30. Mais il faut que j’aille retirer mon passeport, et vu la lenteur des visites que les curistes font avant leur départ, il faut y aller en avance. L’excellent livre de Boris Petric, « On a mangé nos moutons. Le Kirghizstan, du berger au biznesman » me retarde, - je voulais finir un chapitre. Je quitte le pavillon à 14 heures.
Arrivé devant la porte de la réception, je vois beaucoup de gens qui attendent dans le salon d’attente. Je comprends que chacun a enregistré sa place par ordre d’arrivée. Il y a au moins trois groupes devant moi. Le temps passe, après un quart d’heure le premier groupe sort. Je n’ose passer devant tout le monde. Dehors j’ai vu le bus qui était déjà là à 14 heures. Je regarde les minutes passer. A 14 heures 20 je commence à désespérer de réussir à avoir le bus si je respecte l’ordre d’arrivée. Je demande alors à un homme s’il prend le bus, il me répond que non. Je lui demande tant bien que mal de passer devant lui car le bus part bientôt. Il accepte. Un groupe sort, je rentre dans le bureau, demande mon passeport à la femme qui le cherche dans plusieurs tiroirs et armoires avant de le trouver. Quand je sors il est 14h25 et… il n’y a plus de bus…
Que faire ? Je n’ai plus les clés du pavillon, j’en ai marre d’être ici. Je me laisse doucement descendre sur l’allée principale du sanatorium. J’aurais pu rester à la salle d’attente, reprendre mon livre… J’aurais pu sortir mon appareil photo et chercher de nouvelles occasions de réaliser quelques portraits. Mais non, j’avais envie de partir, - c’est bête parfois ces idées fixes. Pour moi, Issyk-Ata, c’était fini. Donc je me laisse descendre, arrive en bas de l’allée, pas très loin du portail d’entrée et sa cabane de gardien. Et là, je vois le bus démarrer ! Alors je me dis que je vais pouvoir partir, oui, retourner à Bichkek, en finir avec ce sanatorium ! Je commence à courir. Le bus route très lentement, la route est enneigée. Mon sac est lourd pour un sprint mais je ne le sens pas vraiment. Traversant le portail d’entrée, je fais des signes en direction du marchroutka, le minibus qui se dandine devant moi, à une cinquantaine de mètres. Le gardien, qui a compris mon intention, fait aussi des gestes en direction du bus. Il me semble que je gagne du terrain, le minibus ne va pas vite, mais il ne ralentit pas pour autant. Je cours à grandes enjambées, regardant le bus, faisant des signes. Je fais encore 100 mètres peut-être, bientôt je devrais m’arrêter, - s’il avait voulu, le chauffeur aurait déjà freiné. Mais je cours encore, sans regarder où je pose mon pied et soudain mon pied droit glisse, mon pied glisse de biais, s’écarte de l’alignement de mon corps comme jamais il ne s’est écarté, comme une chiffe molle, comme l’articulation d’un pantin, et je tombe.
Quand j’essaie de me relever, je découvre encore cette incapacité de mon pied à rester dans l’axe de ma jambe. On dirait qu’il n’a plus d’appui. Je ne peux plus compter sur lui, et même, il faut surtout que j’évite de le faire bouger.
Au début la douleur est comme inconsciente, refoulée, déconnectée. Petit à petit elle va monter. Comment marcher ? Je suis assez loin de la cabane du gardien, je vois deux hommes qui marchent à proximité de l’entrée du sanatorium. Je tâche d’attirer leur attention en faisant des signes. Mais ils ne me voient pas, ou ne veulent pas me voir. Debout sur un pied, je regarde autour de moi. N’y aurait-il pas un bâton à proximité, quelque ustensile pour prendre appui. Rien. D’un côté, à droite, il y a le torrent, de l’autre un contrefort qui s’élève vers des maisons. J’ai l’idée d’utiliser mon sac pour m’aider à avancer. J’y pose mon genou et ainsi je peux faire un pas, avancer le sac, prendre appui pour faire un nouveau pas. Mais me trainer comme ça est épuisant et est d’une efficacité vraiment dérisoire. Il me faudra une heure pour arriver à la baraque des gardiens. Je décide d’attendre, après tout il y aura bien une personne qui passera par là, je ne suis pas en pleine nature…. De l’autre côté de la rivière, je vois des adolescentes qui marchent dans un axe parallèle à la route où je suis, vers ma direction mais sans me voir. Je ne vais pas crier au secours, personne ne me comprendrait. Moment de solitude…
J’ai encore à l’esprit un proverbe du Pamir cité par Jacqueline Ripart :
« Voyageur, sois prudent, souviens-toi que tu es ici
Comme une larme tremblante autour d’un cil »
Trop tard, la larme est tombée. J’ai des flashs de l’instant qui a précédé sa chute. J’avais failli m’arrêter peu de temps avant, fatigué. Entêté j’ai repris de plus belle. Je pense à ce moment où j’ai décidé de descendre l’allée du sanatorium. J’aurais pu partir dans l’autre direction, vers le rocher qui domine la vallée, j’aurais pu aussi retourner au salon, sortir mon livre et attendre… Mais je suis là, debout sur une jambe, attendant que quelque chose arrive… Pas besoin de rêver, de se croire en France, avec les assurances, la sécurité sociale, le samu, les appels d’urgence. Je suis dans la montagne, dans un bled paumé, je ne parle pas assez russe pour faire des miracles, dans un pays pauvre où je ne pourrai compter que sur la bienveillance d’un quidam, et sur l’argent que j’ai en poche. Seulement voilà, de l’argent je n’en ai pas beaucoup, neuf cent cinquante soms, et mon portable, suite à une conversation avec Lena en Russie hier, a épuisé son crédit. Comble de l’imprudence, ma pauvre larme, t’as pas beaucoup d’atouts en poche…
Et puis je vois au loin une femme qui part de la cahute du gardien et qui marche dans ma direction ! Un espoir, j’attends. Quand elle arrive près de moi j’attire son attention avec quelques rares mots de mon vocabulaire russe. Elle comprend la situation. La voilà qui repart vers le poste de garde. Quelques minutes après elle revient accompagnée d’un homme. Ils décident de m’aider. L’homme met mon sac (lourd) sur son dos et je passe un bras autour de chacun de leur cou. On commence à marcher. Le pied me fait mal, mais faut oublier d’y faire attention, il faut se sortir de là, c’est le plus important.
Me voilà dans la cabane du gardien. On me fait asseoir sur le lit qui est au fond. Mais c’est insupportable de porter ce pied sans vie. Je leur demande de me laisser étendre mon pied sur le lit. Ils me cèdent la place. Il est temps d’essayer de retirer ma chaussure et voir à quoi ressemble l’invalide. La cheville est très gonflée de chaque côté. La couleur est un peu rouge, mais rien de véritablement sanguin. Je pense à une grosse entorse. Je sors alors de mon sac une serviette et essaie de l’entourer autour de ma cheville. Au moindre mouvement la douleur me lance atrocement. Ils doivent m’aider car je n’arrive pas à me pencher suffisamment. Soudain je sens des sueurs froides envahir mon corps, ils doivent me voir devenir livide. Ils m’aident à m’allonger. Je me prépare à un évanouissement, une vieille habitude dans des cas de traumatisme. Mais la crise passe, je garde conscience, peut-être un vague instinct de survie. Je pense alors à mon écharpe qui va me permettre de fixer l’articulation, - il ne faut pas que ça bouge, sinon c’est l’horreur.
Ils sont trois au début dans la baraque, puis arrive mon ami photographe de la veille, Nourzat. Ca me fait plaisir de le voir, bien qu’il ait l’air d’avoir bu à peine un peu trop. J’essaie alors de leur demander de m’amener au sanatorium, que je pourrais y trouver un médecin, et je pense notamment à cette femme que j’ai vue samedi à la réception, avec sa blouse blanche et sa toque en vison. Mais ils me disent qu’il n’y a pas de médecin au sanatorium. C’est enrageant, un premier bandage permettrait de stabiliser mon pied et de me rendre un peu plus mobile.
On s’occupe de moi, même si pour l’instant rien ne vienne vraiment comme solution. On me parle de taxi, de mille cinq cent soms pour descendre à Bichkek. On me parle de mobile et j’explique que je n’ai plus de crédit. Un homme me demande alors si je peux lui donner 20 soms et mon numéro de téléphone, il va m’acheter du crédit. Comment s’y prend-il ? Je n’en sais rien. Mais en tout cas, quelques minutes plus tard, je reçois un sms qui m’annonce mon nouveau crédit. Je peux donc appeler mes amis de Bichkek, et notamment Lena Dmitrieva. Avec nos italiens débutants, j’arrive à lui faire comprendre la situation. Elle me dit de prendre un taxi et elle me conduira dans un hôpital. Coup de fil aussi à Isabelle Klopstein rédactrice en chef de Francekoul. Elle se trouve à l’alliance française et me passe Guzel, une employée de l’Ambassade, qui parle très bien français. Cela me permet d’échanger avec les hommes qui m’entourent et avec qui la compréhension est difficile. Je voudrais notamment qu’elle leur explique mon désir d’avoir des premiers soins au sanatorium.
Entretemps un homme m’a apporté une bouteille de coca cola bien fraîche. Cela fait du bien. Ils sont cinq maintenant dans la cabane. Je vois leurs têtes qui m’entourent, tout près les unes des autres. Je pense à sortir mon appareil photo, leur portrait témoignerait de l’atmosphère un peu particulière du lieu. Mais je crains qu’ils ne me prennent plus au sérieux après. Pas le moment de faire une nouvelle imprudence.
Le temps passe, je ne sais pas d’ailleurs pourquoi il passe tant, ce qu’on attend. Mais ils ont montré qu’ils m’aidaient, alors faut attendre. C’est une des choses qu’on apprend en voyageant. Attendre. Et surtout jamais s’énerver, jamais paniquer. Avec Lena D. ils savent que quelqu’un me prendra en charge à Bichkek, donc tout devrait aller. En revanche l’intervention de Guzel à propos des premiers soins n’a pas de suite. Impossible de leur faire comprendre la nécessité d’avoir une bande autour du pied, ce que je suis sûr qu’ils auraient au sanatorium… C’est bizarre leur résistance à me conduire là-bas…
La présence de Nourzat le photographe est rassurante, malgré qu’il soit évident qu’il ait un coup dans le nez. De temps en temps quelques hommes sortent puis reviennent, une bouteille de vodka doit traîner dans les parages.
Je n’ai pas d’explication particulière mais je pense qu’on attend un taxi. Est-ce que je suis resté une heure dans la cahute ? Plus ? Je n’en sais rien. Mais soudain on vient m’apprendre que le taxi est arrivé. Je rassemble mes affaires, une chaussure par ci, une socquette par là, mon sac à dos, le bonnet, les gants, pas le moment d’oublier quelque chose. Et deux hommes, dont Nourzat, m’apportent leurs épaules. Je m’y accroche et on sort de la cahute. Le taxi est une vieille voiture soviétique. Elle sent assez fort l’essence et les durites chaudes. Ils m’installent à l’avant et Nourzat et un autre homme s’installent à l’arrière. Mais comment tenir là dedans avec le genou qui touche le tableau de bord et un pied qui ne peut toucher terre. Je ne pourrai pas porter ma jambe pendant deux heures. Je leur explique qu’il faut que j’aille à l’arrière.
Compréhensifs ils sortent et viennent m’aider à nouveau à sortir de la voiture. Je me glisse tant bien que mal le long de la banquette arrière et c’est Nourzat qui se met à ma droite. Je lui explique qu’il faut que ma jambe repose sur ses genoux. Heureusement qu’il y a l’écharpe pour stabiliser tous ces mouvements, sinon je hurlerais de douleur. Mais si cela évite le pire, c’est quand même pas la stabilité qu’il faudrait. Le chauffeur est un grand baraqué aux cheveux courts, au visage un peu têtu. Si j’ai dit taxi, c’est par facilité, parce qu’il n’y a aucun lumineux sur le toit, pas de compteur, rien. Si je comprends bien c’est un pote qu’a trouvé Nourzat, il ne doit pas y avoir de taxi dans le coin… Je vois sur l’aile avant flotter un petit drapeau kirghize, c’est un peu cocasse, une voiture présidentielle de troisième classe ! Dans la voiture règne une ambiance joyeuse, potache. Le chauffeur semble content, cette future rémunération imprévue lui donne du baume à l’âme. Il allume une cigarette, accélère hardiment, et, quand il croise quelqu’un, il fait retentir longuement son klaxon italien qui résonne dans toute la montagne. Mon pied n’est pas très enthousiaste de la bonne humeur du chauffeur. La route est mauvaise et une pointe de douleur s’enfonce à chaque soubresaut, à chaque coup de volant. C’est intenable. Je prends mon anorak rembourré de duvet et le glisse entre ma jambe et celle de Nourzat pour amortir les vibrations. C’est efficace.
Le voisin du chauffeur a sorti une bouteille de vodka. Je n’ai pas vu le chauffeur boire, mais je ne suis pas sûr. En tout cas, ici, c’est tolérance zéro avec l’alcool, comme en Russie. Peut-être ne va-t-il pas prendre le risque de perdre son permis. Les deux autres en revanche ne s’en privent pas. Nourzat reçoit un coup de téléphone alors que je suis moi-même en ligne avec Isabelle en train de discuter des hôpitaux où l’on pourrait me conduire. Elle me dit « Mais pourquoi il hurle comme ça le chauffeur ? » Je lui dis que ce n’est pas le chauffeur, c’est Nourzat qui téléphone. L’alcool rend expansif…
Et ça continue comme ça, joyeusement, au rythme des longues séries de klaxon, des virages pris à des allures qui me font craindre un second accident, des fenêtres ouvertes quand l’un d’eux fume une cigarette, des nids de poule qui secouent allégrement ma cheville et des conversations bruyantes. En reconnaissant le paysage, je me rends compte qu’on n’a pas pris la route de la plaine, certainement meilleure puisque c’est celle qu’emprunte le marchroutka, mais la même qu’on a prise à l’aller, avec sa neige, ses nids de poule, ses virages. A la différence que Marad avait un véhicule lourd et confortable et roulait doucement, tandis qu’on a un véhicule léger, avec des amortisseurs anciens et que le chauffeur roule comme s’il faisait une course de côte. Pas du tout le style ambulance. Il n’est pas très causant d’ailleurs ce chauffeur, il s’exprime avec ses mains, pilotant comme un dingue, et avec son klaxon italien dont il arrose même les troupeaux de vaches ou de chevaux que l’on croise.
Je pense à demander à Nourzat combien va me coûter la course. Il me répond deux milles. Je lui dis qu’on m’avait d’abord dit mille cinq cent. Il me répond qu’ « il », en regardant le chauffeur, a dit comme ça… Ca doit être le service express. C’est vrai qu’à ce rythme on va gagner du temps !
Bientôt on va passer à nouveau devant la station de sports d’hiver populaire, avec ses luges et ses chevaux. Aujourd’hui en revanche il n’y a pas de vendeurs de vodka ni de samovars fumants. Le week-end est fini. En traversant à nouveau les villages, on retrouvera d’impressionnants nids de poule qui vont me provoquer de vilaines grimaces. Nourzat m’aide à patienter. Il me parle souvent, chaleureux. Ca soutient quand même, même s’il serait plus agréable sans cet alcool qui le durcit un peu. Mais je finis par m’habituer et la douleur se calme aussi, la doudoune amortissante plus la pseudo attelle (écharpe et serviette) ont leur efficacité.
Enfin on arrive dans l’agglomération de Bichkek. Ca ne calme pas la conduite de mon « taxi ». Il slalome entre les voitures, klaxonne abondamment et se fait incendier par un chauffeur de minibus qui lui fait une jolie queue de poisson. Mais vaut mieux ça que les virages dans la neige où je me demandais à chaque fois s’il allait réussir à les négocier. Je reconnais bientôt une rue que j’avais prise en bus, nous serons bientôt chez Lena D. . Quand elle appelle, nous sommes tout près de la Philharmonie. Encore un kilomètre et nous serons arrivés.
Nous entrons dans la cour de son immeuble et Lena G nous attend avec ses deux enfants. Elle propose d’abord qu’on attende ici son mari. Il fait froid, les trois hommes discutent dehors et ont laissé deux portes ouvertes. J’ai envie de pisser. Problème, pas de toilette sur le parking. On demande au gardien de l’immeuble, niet, pas de toilette. Lena propose donc de monter à l’appartement. On prend mon sac, je m’habille et Nourzat et le co-pilote m’aident à marcher. En bas de l’ascenseur Lena congédie le jeune homme, elle n’a pas envie de se retrouver dans son appartement luxueux avec deux inconnus. Les enfants restent jouer dans la cage. Tout est problème quand on a un pied qui ne veut rien porter et aucun accessoire pour le remplacer. Mais je ne vais quand même pas laisser quelqu’un m’asseoir sur le trône. Faut quand même garder sa fierté ! Quelques petits sauts et me voilà en place. Heureusement qu’il y a mon espèce d’attelle. Bref…
En sortant je demande à Lena si elle veut bien me prêter un bâton de ski. Surtout qu’elle a profité que je sois aux toilettes pour congédier Nourzat. Mince, je n’aime pas quitter les gens sans les saluer… Avec le bâton je peux me déplacer un peu. Mais je suis obligé de sautiller et cela soulève à chaque fois une douleur sourde. Lena me sert un thé. Après quelques minutes Alexeï, son mari, arrive à l’appartement. On va pouvoir partir.
Alexeï m’aide à redescendre et à rejoindre la voiture. Il est doux et attentif, sa voix est calme, ses gestes lents et à l’écoute des miens. Je m’accroche à son épaule et au bâton de ski. Nous faisons un bon kilomètre et nous garons devant un immeuble. Lena, m’explique Alexeï, va demander si la clinique accepte les étrangers, car ce n’est pas toujours le cas. Elle revient, ce n’est pas là mais à l’autre bout de l’immeuble. On redémarre et on se gare à nouveau près d’une porte en pied d’immeuble. Léna part demander à nouveau, revient, c’est bon, ils m’acceptent.
Nous entrons dans une sorte de dispensaire. Une salle d’attente à l’entrée avec des bancs en bois. Aucun luxe, peinture lustrée, fauteuils, luminaires cliniques. Des ampoules au plafond, des portes anciennes en bois, du carrelage au sol. Un médecin kirghize s’approche et nous fait entrer dans une pièce où il y a un lit de consultation et un bureau en bois très simple. C’est la bureau du médecin. Une seule chaise. Il regarde ma cheville et dit à Lena qui me traduit ensuite : c’est cassé des deux côtés…
Nous ressortons, épaule d’Alexeï d’un côté, bâton de ski de l’autre, dans la salle d’attente et entrons dans une autre salle. Ici, c’est curieux, la pièce semble avoir été refaite à neuf et au milieu trône une radio qui semble très moderne. Au fond un petit bureau et une femme russe qui ne nous montre aucune amabilité comme il semble que ce soit la norme chez le personnel de santé depuis la période de l’U.R.S.S. Elle me fait installer sur la radio et m’indique ce que je dois faire avec un air sévère d’institutrice contrariée. En quelques minutes la radio est faite et, après avoir payé 70 soms (un euro !) nous retournons dans la salle d’attente avec le film transparent qui recèle toute la vérité sur l’état de mon pied.
Le médecin nous fait entrer dans une salle qui ressemble à une buanderie. Les murs sont peints en vert, l’ampoule au plafond, un lit de consultation en skaï, une sorte d’établi avec, dessus, des bandes de plâtre et différents accessoires, un évier, une étagère. Une femme kirghize commence à préparer un plâtre. Le médecin revient en tenant une belle seringue et un flacon de produit. Il me demande si je ne suis pas allergique aux anesthésiants. Et le voilà qui enfonce sa longue seringue dans le cartilage enflé de ma cheville. Le produit pénètre, ça fait horriblement mal. Il recommence sur le dessus de la cheville, puis de l’autre côté. C’est insupportable et je commence à nouveau à devenir livide avec le corps envahi de sueurs froides. L’évanouissement est proche. Alors une des deux femmes de l’atelier sculpture m’approche près du nez un mouchoir enduit d’un sel, genre acide chlorhydrique. J’avais vu ça dans les films et les vieux livres. On ne me l’avait encore jamais fait. Dommage, tomber un petit coup dans les pommes m’aurait fait du bien…
C’est alors que le médecin, après avoir bien regardé ma triple fracture sur la radio (oui, j’apprends qu’elle est triple), prend mon pied et commence à tirer dessus de toutes ses forces. Je gémis. Mais en même temps mon corps glisse. Alexeï me saisit sous les bras et ça recommence. Il tire et me dit « relax !» Mais comment se relaxer quand on vous torture ainsi ? Il me dit encore « relax ! » puis une troisième fois en criant « RELAAXXX ! » J’arrive alors à trouver le moyen de relâcher ces tendons, - ce qui lui permet apparemment d’aller au bout de ce qu’il cherchait, tournant mon pied pour replacer un os et tirant dessus pour les aligner tous. Alors la femme s’approche, et, pendant que le médecin tient mon pied en l’air, toujours en tension, avec mes doigts de pieds que je dois remonter sur le dessus, elle applique le plâtre et les bandages qui s’enfoncent dans la pâte blanche. A la fin le médecin appuie de part et d’autre de ma jambe pour donner au plâtre une forme cintrée.
Je suis acheminé à nouveau vers la pièce radio. La femme est un peu plus détendue, la douceur d’Alexeï a contribué à calmer sa morosité. Elle pense à me faire mettre un écran devant ma masculinité. Ah oui, l’effet de la radioactivité sur les testicules… Je remarque qu’elle a oublié la première fois…
Nouvelle radio en main nous retournons dans le bureau du médecin. Il est détendu, souriant cette fois. En regardant la radio il est satisfait, les deux os principaux ont repris leur place, reste un petit accroc sur le troisième mais il dit que ce n’est pas grave. Il rédige quelques recommandations sur un papier, prescrit un antalgique et surtout, m’interdit de sortir pendant dix jours ! Je dois d’ailleurs revenir à la fin de cette période pour changer ce plâtre. A la fin de ce long laïus, écouté religieusement par Lena et Alexeï, je vois Alexeï sortir quelques billets et payer en me tournant le dos. La note serait-elle salée qu’Alexeï tente de me la dissimuler ? J’apprendrai plus tard que sa prestation a coûté quatre mille soms, environ 60 euros. D’après Lena D il m’aura fait un tarif spécial étranger. Le plus curieux c’est que pour chaque radio la femme nous a fait payer un euro ! Allez comprendre la logique…
En tout cas, la journée était terminée, Lena et Alexeï m’ont ramené à l’appartement où je fus accueilli par Kaderbiek, Janil sa femme, et toutes leurs petites locataires dont je découvris qu’elles étaient six ! Je m’accrochai encore à mon bâton de ski pour aller aux endroits les plus importants… Quel soulagement ça a été de m’allonger sur un lit et, finalement, de refermer la page de cette journée... Il fallait juste éviter de penser à tout ce que ce foutu plâtre allait m’obliger à renoncer... J'avais des projets si enthousiasmants, le lac de Song Koul, Och, Jalal Abad… Quel gâchis...
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Dimanche 16 février 2014, Bichkek.
Aujourd’hui c’est dimanche. Je suis enfermé volontaire dans cette chambre, heureusement assez grande, assis dans un fauteuil, la jambe plâtrée liée à la non plâtrée et les deux appuyées sur un tabouret.
Il y a dehors quelque chose de printanier, il fait presque dix degrés et la neige fond très lentement au soleil. Je n’ai accès au dehors que par la fenêtre du petit balcon couvert sur lequel donne ma chambre. J’ouvre une fenêtre, m’appuie sur le rebord et hume l’air en fumant une cigarette. Oui, je me suis remis un peu à fumer. Cela rythme mes journées de convalescent reclus…
L’air sent bon et quelques oiseaux interprètent un air printanier. En bas se trouve un jardin d’enfant, avec une balançoire, des bancs, un kiosque couvert où un jeune homme révise quelque cours. Près de lui un enfant se met à crier. On dirait qu’il appelle sa mère, ou ses parents. L’étudiant lève les yeux vers lui, lui adresse quelques mots et revient à ses notes. Plus loin, à la balançoire, deux adolescentes discutent en se berçant mollement. Elles éclatent de rire parfois. Elles sont élégamment vêtues. C’est vrai que globalement les jeunes femmes kirghizes sont vêtues avec goût, avec probablement des vêtements venus de la Chine voisine. A ce propos Boris Petric, dans son livre sur le Kirghizstan, parle du développement impressionnant du bazar Dordoï à Bichkek. Un espace immense occupé par des boutiques containers où l’on vend de tout en gros ou en détail. J’aimerais aller découvrir cela, mais avec deux béquilles, est-ce vraiment possible ? En revanche, sur la droite, fermant la cour intérieure, une immense paroi constituée d’agglos de ciment forme un étalage de laideur. C’est pourtant le fond du très luxueux Bichkek Park, un des centres commerciaux les plus chics de la ville, où toutes les marques trans-continentales sont représentées. Kaderbiek m’a dit qu’ils allaient terminer l’habillage du ciment. En attendant c’est vraiment monstrueux depuis ma fenêtre…
Au fond on aperçoit un très grand immeuble jaune, pas vilain mais avare quand même de fantaisie, déjà un peu ancien, qui se trouve être devenu l’ambassade de Russie. Karderbiek m’a dit que l’immeuble avait été cédé pour un som symbolique à la Russie, et que la Russie avait cédé pour un rouble symbolique le bâtiment à Moscou qui allait devenir l’ambassade du Kirghizstan. Echange de bons procédés…
A droite le mur de la galerie "Bichkek Park", au fond, en jaune, l'ambassade de Russie.
Le soleil se couche au fond de la cour, légèrement à gauche. C’est par là que la France se trouve. Mon pays… Mon pays gouverné par une social-démocratie qui devient de moins en moins sociale et de plus en plus néo-libéraliste… Ce néo-libéralisme qui est devenu l’épidémie du monde, une triste maladie qui enrichit les riches et appauvrit les pauvres. Quelle triste redondance…
Trois adolescentes sont maintenant à discuter devant la porte de notre cage d’escalier. Je vérifie que ce ne soit pas quelques unes de nos petites locataires. Mais il ne semble pas. Elles sont très joyeuses, très détendues. Leur insouciance est rafraichissante…
Il y a dans l’air une odeur de charbon. Le Kirghizstan en produit, il doit être bon marché. Je me souviens que Vitali, d’Altinarashan, m’avait dit que l’électricité au Kirghizstan était très bon marché. A Karakol, tout près, fumait la haute cheminée d’une centrale thermique qui devait fonctionner elle-aussi au charbon. Pas cher donc, mais pas écologique non plus. Mais bon, avec ces immenses étendues de montagne alentour, peut-être que la nature peut redresser les tords d’une centrale économique…
Hier j’étais à la fenêtre quand j’ai entendu une femme qui marchait en criant le même mot régulièrement. Il m’a fallu un petit temps pour reconnaître « malako », le lait. C’était une marchande de lait. Elle tenait un petit bidon en plastique dans une main, un sac dans l’autre, et regardait les étages, espérant que quelqu’un, ou plus sûrement quelqu’une allait lui faire signe de descendre. Allait aller au lait…
La cigarette est terminée depuis un moment. J’aimerais aller m’asseoir sur un banc, en bas. Mais les quatre étages sans ascenseur et les recommandations du médecin me retiennent ici. J’ai l’impression de revivre ces journées de printemps dans l’internat de mon enfance, où j’avais tant envie de faire le mur, d’aller croiser le regard des filles, de sentir le parfum de la liberté et de voir son visage… Mais rien que cet air, avec son parfum de charbon si exotique, est déjà une porte ouverte. Je suis à Bichkek non ! Même le pied dans le plâtre il y a autour de moi un air d’ailleurs qui entre à plein poumon par la fenêtre du balcon. C’est quand même bon…
Je vais bientôt rentrer, consulter mes mails. J’apprends que google AdSense refuse ma candidature. J’avais pensé peut-être essayer de mettre sur mon site des panneaux de pub ciblées autour du voyage et du tourisme, la photo, les vélos, des choses comme ça. Histoire de tirer quelque bénéfice de ces longues heures d’écriture. Mais ils ne veulent pas de moi. Comme ça c’est tranché. Il n'y aura pas de pollution sur ces carnets. Je me contenterai de mon peu d’argent. Mais cela demande quand même de s’interroger sur les raisons qui ont pu inciter un robot à me refuser l’accès. Mon site ne doit pas être suffisamment formaté… Eh bien tant pis, il restera comme il est…
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Mercredi 19 février 2014, Bichkek.
Les journées passent chez Djanil et Kaderbiek. Nous avons une sorte de vie de famille. C’est par Lena D. que j’ai trouvé cette opportunité. Lena D. prend des cours d’italien dans une école de langue privée. Elle avait demandé à son enseignante si elle connaissait un lieu où un français pourrait loger pendant un mois. La prof lui a alors conseillé de s’adresser au directeur de l’école qui a un grand appartement. Oui, Kaderbiek est directeur de cette école et il a accepté d’accueillir le français en question...
Ils habitent le quatrième étage (hélas pour moi actuellement : sans ascenseur…) d’un immeuble qui devrait dater des années 70. L’appartement comporte deux étages, - ce qui, selon Lena D, est très primé dans la classe moyenne kirghize. Les chambres sont assez grandes, environ 30m² chacune. L’appartement en compte six, plus une cuisine et le petit balcon couvert dont j’ai déjà parlé.
Vue du balcon (pour une fois que j'utilise un téléobjectif, il faut que je filme une femme qui allaite sont petit !)
Deux costauds....
Quand je suis arrivé, Kaderbiek m’a dit qu’ils hébergeaient, avec sa femme, deux de leurs nièces dont les pères étaient morts. L’un était le frère de Kaderbiek, l’autre celui de Djanil. Je m’étais donc mis en tête que nous vivions à cinq dans l’appartement. Pourtant j’avais toujours du mal à reconnaître les deux cousines. J’avais l’impression que leur visage changeait tout le temps. Mais parfois je prenais conscience que la jeune femme que je croisais dans la cuisine n’était pas une des deux cousines. Je pensais donc que c’était une amie des cousines, - ou une cousine de cousine ? Et qu’elle était de passage. Il y avait notamment cette grande jeune femme vraiment très jolie. Mais je n’avais pas le temps de la détailler trop car, excepté peut-être Samara, la nièce de Djanil, qui est assez souvent avec sa tante, les autres passent prendre quelque chose à la cuisine et disparaissent.
Il y a quelque chose d’égarant dans le fait de croire qu’on vit à cinq et de se trouver régulièrement face à un nouveau visage. A tel point que j’avais parfois l’impression qu’elles étaient des femmes caméléon ! Par exemple il arrivait que la grande jeune femme était parfois un peu moins belle. Qu’un jour elle avait une peau très lisse et que le lendemain elle semblait avoir de l’acné. Ou que la nièce de Kaderbiek avait parfois les joues plus larges que la veille, ou les yeux plus allongés, ou la taille plus forte…
Un jour que je me trouvais à la cuisine avec la grande jeune femme je lui ai demandé si elle était de la famille de Djanil et Kaderbiek. Elle me répond « Mais non bien sûr ! » Ah ! Donc j’étais en train de découvrir que le couple ne faisait pas qu’aider des membres de sa famille, mais qu’il hébergeait aussi des jeunes femmes travaillant à Bichkek. Elle, en l’occurrence, travaille dans le corps médical. Elle s’occupe de l’accueil des malades dans un hôpital.
Le mystère fut totalement levé lorsqu’en ce mémorable lundi soir je rentrai, accompagné de Léna D et d’Alexeï son mari, avec une jambe dans le plâtre. La surprise fut telle que la nouvelle fit le tour de l’appartement en quelques secondes. Et je fus entouré par toutes les locataires qui, soudain, prenaient un visage unique ! Elles étaient au moins six ! Pas étonnant que je n’arrivais jamais à les reconnaître, je pensais qu’elles étaient quatre au maximum ! C’est alors que je pris conscience que je vivais dans une grande famille qui n’était pas vraiment une famille, mais, néanmoins, qui n’était comparable à rien de ce que j’avais connu !
Djanil est femme au foyer depuis très longtemps. Elle a de grands enfants qui travaillent dans tous les coins du monde : l’un au Canada, l’autre en France, un autre encore en Allemagne… Une fierté pour une famille kirghize. D’ailleurs, celui qui vit en France, marié avec une femme d’origine franco-portugaise, vient d’avoir un second garçon, né la semaine dernière : Axel-Louis-Marad. Tout un poème ses prénoms !
Djanil passe le plus clair de son temps dans sa cuisine. Elle écoute en général la radio ou, parfois, la télévision. J’insiste : « écoute » plutôt que « regarde ». Mais n’allez pas voir en Djanil une ménagère sans culture et s’abrutissant devant la télévision. Non. Djanil a fait ses études à Moscou comme historienne. Elle a ensuite enseigné l’histoire à Bichkek jusqu’à l’arrivée des enfants. Ce qu’elle préfère, Djanil, c’est écouter la radio pour ses chansons. C’est une fan de chanson, et notamment des chanteurs kirghizes. Elle est donc dans sa cuisine, face à son ordinateur, en train de jouer au solitaire, un jeu de carte, et elle écoute les chansons. Parfois même, quand la chanson lui plaît, elle se met à chanter, car elle connaît les paroles par cœur…
Djanil parle un peu anglais, ce qui nous permet de discuter. Parfois, au hasard d’une question, elle est heureuse de me transmettre un peu de ses connaissances en matière d’histoire. Histoire russe évidemment car, comme les algériens pendant la colonisation apprenaient l’histoire de France, les républiques de l’URSS apprenaient toutes l’histoire de la Russie. Djanil n’est pas dupe pour autant. Un jour elle me dit « Au début, personne ne nous avait appris que c’étaient les allemands qui avaient financé le retour de Lénine en Russie et qui avaient aidé sa campagne et sa révolution. Ce n’est qu’à partir de la fin de l’URSS qu’ils ont commencé à en parler ! » Oui, Lénine sponsorisé par l’Allemagne prussienne, et, plus tard, Eltsine sponsorisé par les conseillers américains, le FMI, tous adeptes du « Consensus de Washington » et de l’école de Chicago. Notamment au moment où il a envoyé ses chars et ses snipers contre la maison blanche du parlement. Voilà comment a commencé la révolution bolchévique et comment la Russie a ouvert les portes aux privatisations sauvages qui ont abouti à la triste Russie d’aujourd’hui. Alors, quand l’occident fait la morale aux dirigeants russes, c'est-à-dire nous, français, anglais, américains, on devrait savoir qu’on est en grande partie responsables de ce qu’est la Russie aujourd’hui…
Djanil me prépare mes repas. Nous avons conclu un marché car, depuis que j’ai un pied dans le plâtre, je suis complétement dépendant d’eux. Je leur ai simplement proposé un prix de repas économique tel que je le pratiquais avant l’accident dans des selfs ou des gargotes. Et j’ai beaucoup de chance, car Djanil est une très bonne cuisinière !
J’avais entendu dire, avant d’arriver au Kirghizstan, que les kirghizes étaient hospitaliers, certes, mais qu’ils mangeaient gras et que, chez eux, ce n’était pas très propre. Eh bien, moi qui suis le fils d’une mère française maniaque de propreté, je peux affirmer que, chez Djanil et Kaderbiek, tout est impeccable : pas une poussière ne traîne, et tout est très ordonné et rangé. En outre, sa cuisine est délicieuse et très saine.
Peut-être chez les nomades n’a-t-on pas les mêmes moyens de faire la propreté ? Mais il me semble que si les gens ne vivent pas dans la misère, les femmes ont partout ce besoin de faire la propreté chez elles. La misère, et la dépression qui peut en découler, sont, en général, les raisons d’un laisser-aller qui débouche sur le désordre ou la saleté. Je suis allé chez des maghrébins, en France et en Algérie, chez des manouches, chez des roms du Kossovo. Des familles qui n’étaient pas dépassées par la pauvreté, qui s’en sortaient comme ils pouvaient mais s’en sortaient. Et tous vivaient dans des maisons propres et bien tenues.
Kaderbiek est, lui aussi, à la maison souvent. Il a un bureau-salon au premier niveau de l’appartement où il travaille la majeure partie du temps. Parfois il part à son école mais j’ai l’impression que le plus souvent il est ici. A moins que ce soit en cette période. En tout cas, ce début de semaine, il est arrivé avec un ami à lui, les bras chargés de matériel, pour réaménager le balcon. En un après-midi ils ont fixé une très grande étagère métallique, fabriquée sur place, soudée et insérée précisément dans le coin gauche du balcon. Le lendemain, Kaderbiek a passé un autre après-midi à peindre l’étagère et à installer, devant, un store qui cachera plus tard les chaussures, bouteilles de vodka, réserves d’habits, d’outils etc. qui y seront stockés. Il était assez fier de son bricolage mais se plaignait que les planches n’étaient pas arrivées. Il n’y a en effet maintenant que la structure de l’étagère. On attend les planches.
Le soir, pendant à peu près une heure, Kaderbiek vient regarder les jeux olympiques dans ma chambre, car, d’habitude, c’est ici leur salon. C’est là aussi que se trouve la télévision géante de la maison. Il s’assoit par terre pour ne pas le faire sur mon lit. Le canapé a été converti en lit. « Ce n’est pas grave me dit-il, les kirghizes ont l’habitude de s’asseoir par terre ! » Encore un souvenir de l’époque nomade, un souvenir encore vivant chez tous les Kirghizes de sa génération.
Je repasse par la cuisine. Ce soir, on ne va pas manger du « kesmee », une soupe avec du bœuf, des pommes de terre et des « lagmanes » (les spaghettis faits maison), non, pas plus qu’on va manger du Plov (pilof probablement en français) ni les « lagmanes » sautés qui m’ont fait penser à des spaghettis à la bolognese. Non, ce soir Djanil m’a annoncé une nouveauté, le « oromo ». D’ailleurs elle a demandé à ses deux nièces de venir en renfort. Elles sont toutes les trois à travailler dans la cuisine. Je ne peux leur rendre hommage qu’avec un cliché, en attendant de déguster, ce soir, le fruit de leur travail !
Cet appartement où l’on vit à une dizaine connaît d’autres particularités. Et notamment son rythme. Le soir, on ne va pas se coucher à 22 heures. Les lumières ne veulent pas s’éteindre et il n’est pas rare, à presque deux heures du matin, de voir quelqu’un prendre un thé dans la cuisine.
Soudain on me fait une surprise : à 16 heures 30 Kaderbiek vient m’inviter à manger ! A cette heure ? J’ai pris le déjeuner il y a à peine trois heures ! Refuser parce que je n’ai pas faim ? Non, on ne se comporte pas comme cela à l’étranger. J’y vais. Mais bien sûr, c’est pour manger le fameux « oromo » que les femmes étaient en train de préparer ! On ne fait pas attendre ici les bonnes choses, - c’est une façon de remercier les efforts qu’ont fait les cuisinières. D’ailleurs, ce qui est assez rare - on mange d’habitude par deux, trois maxi - on se retrouve à cinq autour de la table, avec Samara et Nouraï, les deux nièces.
Le « oromo » est une sorte de tourte de viande et de pommes de terre entourée d’une pâte assez fine, cuite à la vapeur. C’est bon, et surtout ça a de la gueule. Une sorte d’évènement, comme chez nous les soirs de crêpes, de lasagnes, ou de fondue… On accompagne ça en buvant du thé - boisson nationale en Kirghizie, comme dans beaucoup de pays d’Asie, Russie y compris.
Les journées passent donc dans une relative bonne humeur, malgré ce handicap passager qui pourrait peser comme un boulet. Le soir je vais me mettre au balcon, et je regarde la nuit tomber sur Bichkek, en écoutant les oiseaux qui célèbrent l’arrivée du printemps, et la soufflerie permanente qui vient de la face honteuse de Bichkek Park. Kaderbiek m’a d’ailleurs dit que l’investisseur est turque, que la tour d’habitation fera quatorze étage et se vendra mille deux cents dollars le mètre carré. Peut-être qu’un jour ce sera joli ce bâtiment. En attendant c’est la face honteuse de cette cour qui exhale, le soir, un parfum agréable de terre qui se réveille et d’odeur de charbon, odeur qui est, en elle seule, un dépaysement…
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Mardi 25 février 2014, Bichkek
Ce matin, Aman m’appelle pour me dire que l’archéologue Kubat Tabaldiev nous a donné rendez-vous dans l’après-midi, à 16 heures. Mon ami étudiant pourra me tenir lieu d’interprète et de guide aussi car, avec le verglas qu’il y a ici partout, c’est impossible avec mes béquilles de sortir seul. J’appréhende un peu car ma tentative de la veille a été catastrophique. Cinquante mètres après être sorti de l’immeuble une béquille glisse sur la glace et tout mon poids se dépose sur mon pied cassé. Un mauvais moment à passer et l’inquiétude que les os se soient à nouveau fait la malle… Donc, aujourd’hui, j’ai décidé d’aller à notre rendez-vous, mais je sais qu’il va falloir être très prudent.
Aman arrive donc avec un taxi et il m’aide à faire les quelques pas dangereux. La glace est partout. Un quart d’heure après nous arrivons devant l’Académie NAOUK et attendons quelques minutes que le professeur vienne nous chercher. Je le vois arriver devant le bâtiment néo classique assez joli et imposant. Poignées de main, nous le suivons.
Le professeur Kubat Tabaldiev est un peu le père de l’archéologie kirghize. C’est lui qui a formé beaucoup de professeurs, des archéologues mais aussi des anthropologues puisque le professeur de thèse d’Aman est son élève. Nous arrivons dans l’édifice par un grand hall semé de colonnes et de quelques étudiants. Nous devons monter au deuxième étage et parcourir de longs couloirs. Le professeur doit se plier à mon rythme, je ne suis pas encore très performant dans la conduite de mes béquilles…
Après les escaliers, un long couloir encore, orné de photos d’objets archéologiques. Ces fragments de vases ou de bustes me font penser à des objets gréco romains. Enfin nous arrivons dans un très long salon, traversé par un tapis en allée centrale et occupé, dans le fond, par une grande table garnie d’une brochette d’étudiants. Le couloir traversé, les étudiants déconcentrés par notre passage, nous prenons un dernier petit couloir à droite et entrons dans un bureau. Une table, quelques fauteuils, une bibliothèque. Là se trouve un autre homme, plus jeune, disciple du premier, Timilan Tcharghenov. Nous nous installons autour d’une table basse. Aman s’est assis à proximité du professeur qui ne parle ni français ni anglais. Tout cet exposé scientifique va transiter par notre jeune interprète.
Nous n’avons pas beaucoup de temps, ils me demandent ce qui m’intéresse plus particulièrement. Je leur raconte mon expérience passée en Altaï, mon livre en attente d’impression et le travail que j’y ai mené sur l’archéologie locale. J’aimerais peut-être que nous partions de là, étant donné que les Histoires de l’Altaï et du Kirghizstan sont intimement liées. Je leur parle aussi de Véronique Schiltz qui a expertisé les rudiments scientifiques de mon livre. Mais ils disent ne pas la connaître.
Alors Kubat Tabaldiev commence à me répondre « Quand on fait des recherches au Kirghizstan, on commence toujours à partir de ce qu’on sait de l’Altaï. » On sait qu’il y a eu de grandes migrations avant les Huns, au 3ème siècle avant Jésus Christ, à l’époque des Scythes, qui sont parties de l’Est vers l’Ouest. Mais les migrations ont commencé bien avant, à l’âge du bronze.
Avant cette période, on a trouvé quelques traces de vie dans les grottes, mais, de la fin du IIème millénaire jusqu’au Ier millénaire, une grande migration a lieu d’Est en Ouest qui va donner lieu à la circulation de pratiques rituelles et à la construction d’objets de culte qui ont été quasiment inchangées pendant un millénaire !
C’est à cette période qu’apparaissent ce qu’on a convenu d’appeler les « Pierres à Cerf ». Ce sont des stèles en pierre dont la dimension va de un mètre à plus de trois mètres de haut, et qui sont gravées de motifs symboliques. Le plus souvent la partie médiane de ces stèles est gravée de plusieurs rennes assez stylisés, qui semblent voler tellement leurs pattes avant sont tendues vers l’avant et les pattes arrière vers l’arrière. Les cornes sont très stylisées, couvrant tout la longueur du corps du renne et font fortement penser aux motifs gravés par les scythes, les descendants de cette première civilisation nomade.
(photos de "pierres à cerf" présentées sur internet) |
La zone de présence de ces « pierres à cerf » est assez étendue. Du désert de Gobi en Mongolie à la Transbaïkalie, en passant par les terres de Touva. C’est vers le VIème et le VIIème siècle av. J.-C que cette tradition arrive en Asie Centrale et dans le Tan Shian chinois.
C’est alors que s’établit une preuve des migrations vers l’Ouest de ces populations de l’âge de bronze aux 7ème et 6ème siècles av. J.-C. Cette migration a laissé trois preuves que l’on trouve aujourd’hui au Kirghizstan et qui ont existé auparavant en Mongolie et plus à l’est :
- Les stèles dites « pierres à cerf » de dimensions moyennes de 2 mètres de haut
- Les kourghanes entourés d’enclos de pierre circulaires ou rectangulaires. Chaque kourgane est différent, avec des tailles variables mais moins grandes que celles des Scythes. En Altaï me précise Monsieur Tabaldiev ces kourganes s’appellaient Erek Sour, ce qui signifie « tombe de Kirghize ». Je m’étonne rétroactivement de cette traduction…
- des monuments de 8 pierres. Il s’agit en fait de cercles de 4 à 7 mètres de diamètres dont le pourtour est constitué de huit pierres rondes. En Altaï les gens appellent cela le monument à huit pierres. On en trouve notamment au Kirghizstan autour de Tcherek.
Monument à 8 pierres dans la région de Son-Kul
Entre le Vème et le IIIème siècle av. J.-C va se former la civilisation des Scythes et, plus au sud, la confédération Xion-gnu. Comme je l’avais écrit à propos de l’Altaï, les kourganes deviennent de plus en plus grands et on a pris l’habitude d’enterrer les chevaux avec leurs propriétaires. On remarque aussi que l’art animalier des scythes sibériens et du moyen orient est très influencé par celui des ces peuples plus anciens, on y retrouve les bois de renne ou de Maral (cerf sibérien) recourbés vers l’arrière, lesquels, à l’époque scythe, se sont vus ornés de têtes de griffons. Ainsi les scythes s’inscrivaient dans une tradition esthétique qu’ils ont fait, néanmoins, évoluer en y ajoutant d’autres motifs et en variant les supports.
Pour en revenir aux Kirghizes, peuple resté longtemps nomade, eux-aussi ont su conserver des usages qui sont restés inchangés pendant de nouveaux millénaires. Monsieur Tabaldiev en est venu à parler des Scythes et notamment des kourganes de Pazyryk dont les formidables trouvailles ont été acheminées dans les musées de Moscou et de Saint Petersbourg. D’entre ces trouvailles il y avait le plus vieux tapis connu de l’humanité et d’autres parures qui ont permis de découvrir que les techniques utilisées par les Scythes de Pazyryk pour fabriquer le feutre de certains vêtements et accessoires étaient les mêmes qu’on utilisait encore aujourd’hui pour fabriquer le feutre des yourtes. Mieux, les coiffes portées par les hommes de Pazyryk étaient très proches du chapeau traditionnel kirghize, le khalpak !
Aman avec son Khalpak sur la tête, tout droit descendu de la civilisation scythe !
On sort de la protohistoire et entrons dans l’histoire. Je ne sais pas pourquoi Kubat Tabaldiev a sauté l’époque des Huns (lesquels ont presque suivi l’empire scythe) pour arriver directement au 6ème siècle de notre ère. En effet, en 552 le premier kaghanat (empire) turk est établi par Bumin. Il est à noter que Bumin disait descendre à la fois d’Abtin, vivant vers le VIIIe siècle av. J.-C., roi des Hyrcaniens, ancêtres en partie des Scythes, et qu’il se vante aussi de descendre de Targitaus, premier roi des Scythes. C’est dire à quel point la mémoire des ancêtres était déjà présente (je rappelle qu’un Kirghize d’aujourd’hui est censé se souvenir de ses sept ancêtres !) mais aussi à quel point cette fidélité aux ancêtres permettait (ou justifiait) la circulation de génération en génération d’un ensemble de cultures et de traditions.
Donc ce kaghanat venu d’Altaï, comme sa langue türke, s’est établi juste avant la mort Bumin, son créateur, en 554. Le frère cadet de Bumin, Istämi, ainsi que le fils aîné du kaghan, Issik, vont être les héritiers de l’empire qui va se scinder en deux en 603, l’un à l’Est, l’autre à l’Ouest. Ils vont occuper un immense territoire comprenant toute l’Asie centrale.
Lorsque Istämi, Kaghan de l’empire de l’Ouest, arrive en Kirghizie, il apporte avec lui 4 éléments de culture :
- L’inhumation des corps avec les chevaux (tel qu’on l’a vu en Altaï à Pazyryk et à Ukok)
- la petite pierre tombale dite « Babal » (pierre d’environ un mètre gravée d’un visage à moustache) ou Bediz.
- Ils apportent l’écriture runique dite aussi Alphabet de l'Orkhon, la première écriture des langues türkes (qui est différente de l’actuelle langue de Turquie). Les plus anciennes traces de cet alphabet sont les inscriptions de l'Orkhon, de la vallée de l'Orkhon en Mongolie. L'alphabet de l'Orkhon est aussi qualifié de köktürk.
- Enfin, l’empire türk d’Istämi va apporter un nouveau type de Pétroglyphe. La technique de gravure est différente de par le passé ainsi que les motifs.
Une "Babal" de la civilisation des Köktürks
Alors, au vu de cette protohistoire et du début de l’histoire de ce territoire, comment s’est constitué le peuple des Kirghizes ?
Il a été le mélange de trois origines. Les peuples kirghizes venus de l’Ienisseï (nord-est), les peuples venus de l’Altaï (voir le témoignage de Taalaï ci-dessus) et les peuples ayant vécu sur place, descendants notamment des scythes, et qui auraient pu avoir un type indo-européen. Ce mélange a constitué la typologie des Kirghizes.
Les gravures supestres et pétroglyphes sont très répandus et vont de l'âge de bronze au moyen-âge | Ici une scène érotique probablement tardive. |
Dernier point que tenait à aborder Kubat Tabaldiev avant de partir (il m’avait dit qu’il attendait un coup de fil qui devrait provoquer son départ) : le travail qu’il a mené sur les accessoires équestres. Je rappelle qu’il est fort probable que les peuples d’Altaï aient été les premiers à monter les chevaux. Avec cette tradition d’enterrer les chefs avec leurs chevaux, les fouilles archéologiques ont permis d’exhumer de nombreux types de selles, de brides, de mors, d'étriers et de rênes. C’est ce qui permet à Kubat Tabaldiev d’affirmer que le travail de la sellerie qui a été révélé par les fouilles est le même qui se pratique encore aujourd’hui chez les nomades. Cela atteste une tradition se poursuivant depuis deux à trois millénaires.
Sur ces mots, le professeur nous salue et sort du bureau. Nous restons avec Timilian Tcharghenov, son disciple, qui nous propose de nous faire visiter le petit musée de l’Université. Il s’agit d’une grande pièce dont l’ordre semble souffrir d’un certain relâchement. Une yourte réduite se trouve sur la droite, à côté de laquelle sont entreposés des objets pêle-mêle. Sur les deux murs découverts, des portraits peints de quelques notoriétés kirghizes et soviétiques. Sur le mur de gauche, un moulage d’une stèle recouverte de caractères runiques. Sur ces grandes colonnes est écrite l’histoire du kaghanat Türk. A gauche de la réplique, un panneau présente un texte original en caratère runique et sa traduction en russe.
Stèles gravées de caractères runiques | Caract. runiques et traduction |
A nouveau nous fûmes dans la grande salle et son long tapis. Les étudiants étaient cette fois partis. Nous avons parcouru couloirs et escaliers en sens inverse. Timilian Tcharghenov a proposé de nous ramener avec sa voiture. Le soleil était toujours présent et j’étais très heureux, après dix jours de chambre forcée, d’être sous le soleil. Cependant le verglas recouvrait routes et trottoirs et je devais être très prudent avec mes béquilles.
Les archéologues m’avaient parlé de fouilles prévues cet été à Badken, à côté de l’Ouzbekistan, ainsi qu’à Khourama, à 120 km de Bichkek. Alors que la voiture se frayait un passage dans les embouteillages, je rêvais de revenir dans ce pays dont cet accident en avait brutalement arrêté la découverte. Si seulement je pouvais revenir et terminer le travail commencé….
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