Début avril 2016
L’hiver peu de choses bougent, les graines sont enfouies dans le sol, le froid bloque l’énergie nécessaire à la croissance. Pourtant c’est comme si l’énergie s’accumulait, c’est comme si le ressort se tendait, celui qui permettra bientôt le grand saut vers la lumière… Ici la nature a commencé à s’éveiller dès que le thermomètre a remonté au dessus de zéro, c'est-à-dire à peu près mi-mars. Cela commence par le chant des oiseaux, et puis la neige se met à fondre et soudain les premiers crocus sortent de terre… La sève remonte dans les arbres, les bouleaux se gorgent de leur sang transparent que des amateurs vont récolter en ponctionnant les arbres d’un petit tuyau …
C’est dans ce contexte que je m’interrogeais sur les motivations qui pouvaient pousser un jeune homme français à vouloir acheter un combi russe…
C’était juste avant de repartir en Russie. J’étais chez un ami lorsque son fils me parle du projet d’un de ses potes d’acheter un camion russe. Surprise, pourquoi acheter un camion russe ? Il m’explique que le camion est un combi à 4 roues motrices et qu’en ce moment, avec le cours du rouble très bas, le combi est le moins cher du marché. Il me parle de 5000 euros neuf. Le problème est qu’il s’est adressé à une société tchèque, la seule à vendre des UAZ en Europe, et qu’ils ne lui ont pas répondu. Il voudrait donc aller à Kaliningrad, l’endroit le plus proche où l’on puisse acheter un camion. Sauf que c’est en Russie et que les Russes parlent rarement l’anglais. Est-ce que je pourrais les aider pour avoir des renseignements ? Ils voudraient aller cet été à Kaliningrad acheter le camion et rentrer ensuite tous les deux à bord du véhicule.
L’idée est assez surprenante. D'où lui est-elle venue ? Lorsque Thibaud me dit qu’il s’agit d’un UAZ 2206, je fais une recherche sur internet et me rend compte en fait que je connais ce camion. Oui, je le connais car je l’ai vu souvent dans des vidéos ou des films documentaires. La dernière fois c’était sur les photos de Nicolas Pernot, un photographe voyageur qui parcourt depuis plusieurs années les montagnes d’Asie-Centrale. Une autre fois me semble-t-il, c’était sur une vidéo de Natalia Avceenko, une apnéiste russe qui plonge nue sous la glace des lacs gelés en hiver. Sans oublier un grand nombre de films documentaires, ou de reportages sur des projets originaux, - voire chatouillant un peu les limites de l’extrême, comme cette série documentaire intitulée « routes de l’impossible » dont l’épisode sur le Kirghizistan et celui sur la Mongolie font découvrir les prouesses des UAZ.
Une photo de l'UAZ de Nicolas Pernot par Antoine Kienlen
En revenant en Russie, l’idée de ce camion me tournait dans la tête. Il y avait peut-être quelque chose à faire avec cela. Mais quoi ? Importer les véhicules en France me paraissait peu garanti de succès. Pourquoi vouloir un UAZ en France où même les routes les plus reculées sont, sinon goudronnées, du moins praticables pour tous les véhicules à quatre roues, motrices ou non.
En faisant quelques recherches sur le net je m’aperçois qu’une société italienne avait utilisé l’UAZ pour en faire des camping-cars équipés pour la traversée du désert. Il s’agissait de la firme Grand Erg. Mais c’était il y a longtemps. Depuis, de nombreux modèles ont été lancés par la concurrence et, en deuxième lieu, avec une actualité sur fond de terrorisme africain, je pense que beaucoup d’aventuriers commencent à réfléchir à deux fois avant de se lancer dans la gueule du barbu…
Non, je pense que l’Europe n’a pas besoin d’UAZ chez elle. Je continuais à chercher encore jusqu’à ce que je tombe sur un article à propos du caravaning en Russie. On y racontait que, le 12 juin 2007, avait été créé la première fédération russe de caravaning. Cela s’est fait à Saint-Pétersbourg, en collaboration avec la Finlande. L’article expliquait qu’à l’époque soviétique il y avait un peu de camping mais pas de caravaning. Les voitures n’étaient pas assez puissantes pour tracter de lourdes remorques. Ensuite, à la fin de la période soviétique, les comptes bancaires se sont soudain évaporés. En effet, d’un jour à l’autre l’argent placé ne valait plus rien. Le commun des Russes n’avait donc plus de quoi aller en vacances, et ceux qui en avaient les moyens allaient plutôt visiter les pays étrangers. Du coup les campings, désertés, ont fermé. Il y avait bien évidemment ceux qui ont fait de gros profits avec le changement d’économie. Mais s’éloigner de leurs forteresses représentait souvent pour ces hommes d’affaires un danger de mort. D’où la nécessité de créer des centres de vacances spécialement pour eux, - c’est-à-dire gardés et très luxueux, comme j’en ai vus en Altaï. Gardiens armés à l’entrée, murs de protection avec parfois des barbelés. De vrais camps. Et même dorés, y vivre enfermé serait un cauchemar pour qui ces protections seraient inutiles.
Mais les choses sont en train de changer. Une classe moyenne se développe chez les jeunes, et il se trouve qu’avec la chute du rouble l’Europe est en train de devenir très chère. On commence à songer au tourisme intérieur. Un tourisme sous une autre forme, pour des jeunes gens pas milliardaires qui n’ont donc plus besoin de s’enfermer dans des forteresses. Et ce public serait est en train de s’orienter, notamment dans la région de Saint-Pétersbourg, vers le caravaning et plus précisément le camping car.
Voilà en gros le résumé de l’article. Et c’est sans doute après la lecture de l’article que m’est venue l’idée. Un UAZ aménagé en camping-car, et des voyages proposés dans une région que je connais bien pour l’avoir visitée méthodiquement pendant deux mois.
Les idées naissent par empilement de couches successives. Et voilà comment m’est venue celle d’organiser des séjours en Altaï par le biais de ces camions au look rétro et capables d’aller partout. Avec une nuance très importante : nous devions rendre ces camions beaux, tellement beaux qu’on ait envie depuis l’autre bout du monde de venir voyager avec.
Au début ça peut sembler très simple, avoir l’idée d’organiser des voyages. Mais cette idée n’était pas seulement celle-là. Pendant toute la durée de ma résidence de deux mois en 2012 je me suis dit que quelque chose manquait pour visiter cette région, et je ne savais pas quoi. Nous avions une voiture, il y avait Valery qui nous emmenait partout, moi et un ou une interprète. Et nous allions dormir dans différents endroits, - des hôtels, des gîtes, des sortes de campings, sans tentes mais avec des petits chalets en bois assez grands pour y mettre quatre lits. Tout cela était formidable bien sûr, mais il manquait quelque chose, quelque chose qui puisse me faire penser à de « vraies » vacances. Est-ce que les vraies vacances étaient pour moi celles que j’ai passées, enfant, avec mes parents ? Aller de camping en camping avec une caravane ? Ou celles que j’ai passées ensuite en Bretagne, toujours dans des campings, en tente ou caravane encore ?
Mais non, pas seulement. J’ai connu aussi des vacances en gites, à Rome, à Venise, en Angleterre. Alors qu’y avait-il que je ne sentais pas dans ce séjour en Altaï, jusqu’au moment où je décide de partir une semaine avec Léna ? C’était probablement un désir de liberté mais aussi d’intimité. Avoir en quelque sorte un lieu à soi, et aussi le temps de partir en randonnée, comme cela avait été le cas avec Sergueï de Sintelek, lorsque nous sommes partis à cheval vers le lac mort, - un petit lac en pleine montagne. Le repas que Sergueï nous a préparé autour du feu était un vrai régal. Et un moment de vie collective formidable.
Liberté, certes, mais quand même avec réserve. En effet, je me suis rendu compte lors de ce premier séjour que voyager seul en Russie est assez difficile. Les problèmes de langue, mais aussi l’absence de guides touristiques, de publications vous indiquant où aller, quoi visiter. Donc l’idée de voyage collectif, comme nous l’avions fait par exemple avec l’association Améthyste International en 2001, n’est pas en soi un problème, au contraire. Nous avons quand même, lors de ce premier séjour, non seulement passé 20 jours formidables, mais noué des relations d’une telle qualité que, quinze ans plus tard, la plupart d’entre nous sommes toujours en contact.
La convivialité c’est un mot facile à écrire, tellement facile qu’en le lisant j’ai immédiatement l’impression de lire un prospectus publicitaire. Mais la programmer dans un séjour c’est autre chose... Comment réussir à provoquer cette impression d’avoir passé, pendant quelques jours, des moments inoubliables ? Je pense que c’est aussi le souci des managers de Disneyland. Mais justement, il n’est pas question de partager leur point de vue ni leur moyens. Il ne s’agit pas de divertir, il s’agit de permettre qu’une vraie familiarité s’installe entre les voyageurs, mais aussi entre eux et les personnes qu’ils rencontreront sur place. Je me souviens par exemple de cet accueil de Larissa, la femme de Sergueï, toujours à Sintelek. Après deux jours passés dans leur gîte, nous parlions ensemble comme si nous étions des amis de toujours. Voilà, entrer dans une vraie qualité de relation.
Pour cela, il faut prévoir des moments propices à la rencontre, à l’échange. C’est ainsi que j’ai pensé aux artistes rencontrés en 2012. Je me souvenais par exemple mon inoubliable après-midi avec les cosaques de Novo-Pokrovka. Cette petite fille qui me regardait comme un extra terrestre mais avec un sourire si accueillant, son père l’accordéoniste et sa gentillesse, sa mère, Lioudmila, grande organisatrice des festivités qui s’est retrouvée sur la couverture de mon livre sans aucune hésitation, tellement c’était évident que cette femme audacieuse, avec son bâton de rouge à lèvres au doigt et son environnement folklorique était devenue l’égérie de mon séjour ! Oui, en une après-midi nous étions devenus familiers et leurs chansons sont devenues pour moi source d’une délicieuse mélancolie.
Alors voilà, j’étais en train d’inventer mon nouveau métier. Un métier que je pourrais exercer comme je l’ai fait jusqu’à maintenant.
Avec amour et passion.
Avec invention.
J’ai donc immédiatement pris contact avec mon ami Dino de Novossibirsk.
Dino est un immigré ici, comme moi. Et Dino est un artiste. Je l’ai senti lorsqu’il m’avait fait voir les magnifiques luminaires qu’il avait conçus.
Le travail de Dino (luminaires)
J’ai connu Dino lors du seul cours de russe que j’ai fait ici. C’était dans la classe d’une amie de Lena qui enseigne aux étrangers. Dino s’est approché de moi et m’a dit : « ça me fait plaisir de rencontrer un Français, dans les cours il n’y a que des Irakiens. » Ce n’est pas que Dino soit raciste, simplement que, si tous les autres étaient irakiens, c’est qu’ils avaient entre eux des facilités de communication, des familiarités qu’il pouvait difficilement exister entre eux et lui. C’eût été la même chose s’il avait été le seul Irakien parmi une bande d’Italiens. Parce que Dino est Italien.
Nous nous sommes revus plusieurs fois. Nous sommes même allés un jour manger des chachliks ensemble, avec sa femme Ira été quelques amis de Léna, au bord de la mer d’Ob.
Dino m’a souvent parlé de son projet de faire de l’importation de mobilier italien en Sibérie. D’où son acharnement à prendre des cours de russe et se mettre à parler rapidement. Mais il semble que ce ne soit pas si facile car, six ans après son installation en Sibérie, aucun contrat n’a encore été signé…
J’avais donc envie de travailler avec Dino.
J’ai senti que, comme moi, Dino avait envie de se mettre au travail. C’est pourquoi j’avais pensé qu’il aimerait mon idée.
Grâce à ce travail que j’allais trouver mon premier ami personnel à Novossibirsk. Et il en serait de même pour Dino. La similarité de nos conditions nous rapprocherait incontestablement. Ensemble nous parlons italien, une langue que j’ai pratiquée surtout oralement, et qui, pour moi, se prête très bien à la conversation.
Dino Antonello
Assez vite nous fûmes autour d’une table à discuter de notre projet. L’idée était de donner à ces UAZ un look immédiatement reconnaissable. Aujourd’hui les gens communiquent avec des photos : E-phones, appareils numériques, caméras, - et le tout qui circule allégrement sur les réseaux sociaux. Donc je voulais qu’on ait envie de partager nos UAZ tellement ils seraient beaux.
Ensuite le style. Pour avoir visité pas mal de musées en Altaï, pour avoir photographié des planches d’illustrations, des schémas, des objets, je me suis rendu compte qu’il y avait une esthétique sibérienne, voire altaïenne très spécifique. Un style graphique original, qui prend sa racine il y a très très longtemps. A mon avis je dirais que cela a commencé à la charnière entre l’âge du bronze et l’âge du fer, sur ce qu’on a appelé des « pierres à cerfs ». Ces motifs de cerfs en train de courir ou de voler, ont été repris par les grandes civilisations de la préhistoire et de la protohistoire, et ils ont été à la base de tout un art graphique sibérien qui s’étend à l’Europe centrale. Les régions ou républiques de Touva, de Mongolie, d’Altaï, du kirghizistan, du turkménistan, jusqu’au nord de la Chine ont été influencées par cette famille graphique. Cette famille stylistique se retrouve aussi bien dans l’artisanat actuel que sur les objets retrouvés dans les tombes scythes par les archéologues. En effet, grâce à l’inondation de ces tombes et à la glaciation qui a suivi, les objets qu’elles contenaient ont été conservés, comme la peau tatouée de princes et de princesses, ou les plus anciens tapis connus de l’humanité.
J’expliquais ceci à Dino, lui exprimant mon souhait que les motifs peints sur nos camions soient inspirés de ce style altaïo-sibérien.
Une semaine après Dino avait récolté sur internet une série d’images de toutes sortes et de toutes provenances illustrant cette grande famille de motifs altaïens. Il y avait un certain nombre de pierres à cerfs, leurs descendants scythes de cerfs courants et coiffés de larges bois recourbés, les uns sculptés dans l’or, d’autres gravés dans le bois. Et puis des collections de motifs plus récents que l’on trouve sur des objets des tribus altaïennes, comme des gourdes à Koumis ou à Arika par exemple (boissons à base de lait de jument fermenté qu’on offrait dans de grandes gourdes en cuir richement ornées), ou de curieux cylindres gravés et permettant d’imprimer un motif cyclique. C’est avec passion que, toujours assis au même café, face aux grandes baies vitrées s’ouvrant sur le parc de Novossibirsk, nous nous échangions nos impressions sur les merveilles que nous avions trouvées sur internet à propos de l’art altaïen. Dino partageait mon enthousiasme, je lui avais permis de connaître une esthétique qu’il ignorait et dont il était en train de découvrir la richesse.
Notre troisième rendez-vous s’est passé chez lui. Un petit appartement très coquet à proximité du métro Sovietskaïa. Et cette fois Dino m’a révélé les premières épreuves pour notre UAZ métamorphosé par l’art altaïen. J’étais séduit ! Maintenant il fallait choisir la bonne version. Mais il y a toujours quelque détail d’une épreuve qu’on aimerait mettre à la place d’un autre… Bref, pour avoir deux versions sur lesquelles on était d’accord, mais entre lesquelles on n’arrivait toujours pas à trancher, il fallut attendre encore une semaine. Et là, plutôt que de choisir une version et de mettre l’autre au placard, on s’est dit qu’on allait pour l’instant les garder toutes les deux. Et c’est ainsi que la couverture de mon dossier s’est ornée de ces deux ébauches :
La version bus passagers
La version camping-car
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Vendredi 15 avril 2016, Barnaoul.
Aller prendre le bus à Berdsk pour partir à nouveau sur Barnaoul. Un bon souvenir ! Il fait soleil, encore un peu de vent frais, mais mon anorak est en train de devenir un fardeau. Il y a seulement quelques jours, il était encore indispensable. Petit coup de panique : mon bus a presque une heure de retard. L’administratrice du café de Lafé, où je pars chanter pour deux jours, s'inquiète : avec l’heure de différence entre Novossibirsk et Barnaoul je risque d’être en retard à mon rendez-vous à l’administration. Que doit-elle faire ? Annuler ou déplacer l’heure de rendez-vous ? Je lui dis de ne surtout pas annuler. Si l’on a moins de temps, je ferai la présentation plus rapidement. Mais il faut que je leur remette absolument mon document.
Endormi je me réveille soudain dans une ville. Il est 14h20 heure de Barnaoul. Je cherche quelle autre ville on devrait traverser quand je reconnais un bâtiment qui est une des signatures de Barnaoul, cette très jolie isba qui a longtemps été un restaurant :
Je n’en reviens pas. Nous allons être pile à l’heure ! Eugenia m’annonçait au moins une heure et demie de retard. Je l’appelle vite, elle s’écrie « mais comment est-ce possible ? Aucun bus n’a été aussi vite ! » En tout cas, pour l’administration, tout va bien puisque nous avons rendez-vous dans une heure.
J’attends Eugénia quelques minutes à la gare et je vois arriver une élégante jeune femme : c’est vrai que je n’ai eu avec elle que des échanges par mail ou téléphone et que j’avais oublié de lui demander une photo. Eugenia me propose de nous rendre à l’appartement qu’ils ont loué pour me loger ces deux jours. Un F1 refait à neuf, rien n’a redire, c’est parfait.
Nous fonçons ensuite à l’administration. Eugenia m’accompagne en voiture et elle monte dans le building du service touristique avec moi.
Je reconnais les bureaux, je reconnais la salle de réunion où j’ai souvent rencontré Iouri Zakharov, directeur du service, qui n’est pas là aujourd’hui. A sa place son second accompagné du jeune homme que je connais aussi puisqu’il est, lui, le second de Tatiana Sajaeva, la femme de Valery (cf. Les Carnets de Sibérie). Il y a aussi une jeune femme que je ne connais pas mais que j’ai déjà vue, - et il y a enfin Svetlana, que je connais très bien puisqu’elle a été la coordonnatrice de la traduction de mon livre, cette version russe qui, malheureusement, n’est toujours pas publiée. Mais qui sait...
Donc tout le monde se connaît et je suis en confiance : pour la traduction, je ne pouvais pas avoir meilleur interprète à Barnaoul. Un signe encourageant. Une preuve montrant qu’on a pris mon rendez-vous au sérieux.
Après les mots de politesse d’usage de part et d’autre, j’attaque la présentation. J’ai imprimé mon dossier mais je ne leur montre pas tout de suite. Dino m’a appris cela : dans les épreuves qu’il m’a montrées, il gardait toujours les meilleures pour la fin ! C’est une bonne procédure : se faire désirer. Je présente l’origine de l’idée (un ami du fils d’un ami qui veut acheter un « Boukankha »), le caractère particulier qu’a pris ce camion, et puis une façon particulière de découvrir l’Altaï. Je parle du projet d’emménager les camping-cars, de l’importance du visuel de nos camions. Et puis je parle du contenu du tour. Du mélange de nuits grand confort, comme à Belokourikha, cette ville d’eaux très cosy, et de Bivouacs en pleine montagne.
Je parle avec précision des lieux où je veux faire passer notre « tour », des visites dans quels musées et pourquoi, du nom des groupes musicaux que je veux faire intervenir. Il est certain que l’expérience de ces deux mois de résidence et l’écriture de mon livre me permet de parler avec une précision convaincante.
J’attire aussi leur attention sur mon désir de m’adresser équitablement lors de ce séjour au corps et à l’esprit. Respect des corps en leur permettant de se reposer après le voyage, mais aussi en proposant des randonnées, à pied ou à cheval, des temps de baignades et même des bains de boue dans les lacs salés. Mais aussi respect de l’esprit en proposant une découverte de l’histoire et de la préhistoire locales, connaissances sans lesquelles il est impossible d’apprécier l’importance universelle de cette région.
Et puis une découverte de la culture locale, et notamment musicale, en prévoyant des moments privilégiés pour la découverte des artistes. Comme par exemple faire découvrir un kaï (chanteur de gorge de tradition chamanique) autour du feu au milieu des montagnes plutôt que dans une froide salle de centre culturel.
Et puis, dernier point important, mon désir que la majorité de la nourriture soit du terroir local, familial, et en outre fait maison. Une façon de proposer une nourriture saine, mais en plus de plonger les visiteurs dans le bain culturel qu’est un authentique repas familial.
A la fin de la présentation je parle de mon projet de financement. En gros j’aurais besoin de trois parties d’investissement : la première partie apportée par l’administration, la seconde apportée par une campagne de crowdfunding, et la troisième part apportée par un banquier ou par un investisseur.
Evidemment j’ai terminé là-dessus. Mais avant j’ai pris soin de retourner mon dossier pour leur faire voir les images : quelques exemplaires d’UAZ aménagés par les Italiens, certains customisés par les Russes pour donner à cette « miche de pain » (c’est ainsi qu’on surnomme le camion) un air d’off-roader de luxe. Et bien sûr je leur dévoile les ébauches de Dino. Mais qu’elles sont belles !
Voilà. Il est temps maintenant de leur demander leurs impressions.
Ils ont le sourire, elles sont bonnes. Le premier me complimente sur ma présentation. « Si seulement les présentateurs de projets étaient tous aussi clairs et détaillés que vous » me dit l’un. « Ils devraient vous prendre en exemple ! » L’autre me dit que c’est très intéressant et effectivement très bien présenté. Et puis viennent les détails. Le premier dit que ce qui lui plaît particulièrement est cette volonté que j’ai de m’adresser à la production locale, et même à la cuisine faite maison. Une tendance très moderne et qui plaît de plus en plus aux usagers. D’ailleurs précise-t-il, ils ont commencé à développer cet aspect et ont même reçus une labellisation pour trois villages qui accueillent des touristes. L’autre aspect précise-t-il, c’est l’aspect « tourisme ethnique ». Un aspect qu’ils ont mis un peu de temps je crois à découvrir puisqu’ils ne m’en avaient pas parlé lors de ma première visite.
C’est pourquoi, l’année suivante, j’avais tenu à me rendre par mes propres moyens dans un village où s’était constitué une association de Coumandines, une ethnie altaïenne. Pour l’instant, j’ai prévu un séjour dans un village kazakh qui se trouve à proximité d’un grand lac salé. Je voudrais même suggérer à cette communauté très bien organisée, avec une école qui fait aussi office du musée, de développer un accueil de tourisme autour du lac. Ils ont une tradition de nomadisme qu’ils ont soigneusement conservée, et il y a tout près de leur village un lac dont les berges sont une sorte de désert blanc de sec très impressionnant. En plus, détail fabuleux, un russe a développé, presque par hasard, un élevage de chameaux tout près de chez eux. Il suffirait qu’ils en dressent les plus jeunes pour mettre en place des randonnées de plusieurs jours autour du lac à dos de chameaux, - ce serait génial !
Enfin les aspects financiers ont été abordés.
On m’a d’abord dit que la région ne pourrait pas m’aider financièrement mais qu’ils pourraient me mettre en contact avec des professionnels. J’ai donc demandé pourquoi je n’aurais pas le droit à cette aide de la région. On m’explique que la région n’a le droit d’aider que les structures enregistrées dans leur région. Je leur réponds que je n’envisage pas de m’enregistrer à Novossibirsk puisque c’est ici, dans le kraï de l’Altaï, que je veux développer mon activité. Assez surpris et comme soulagés, ils se mettent alors à me parler autrement. On me demande alors si je serais prêt à ouvrir ma structure à des investisseurs locaux. Je répondu que, sous réserve que ces investisseurs prennent en compte la propriété intellectuelle de mon projet, je suis bien sûr ouvert à une proposition d’investisseur.
C’est alors qu’ils m’ont parlé d’un salon du tourisme prévu à la fin du mois à Barnaoul, où je pourrais venir présenter mon projet et rencontrer des investisseurs. L’imminence de cet évènement était pour le moins inattendue !
Tout cela s’est dit très vite et, y réfléchissant, je pense qu’il était important d’exprimer mon accord sur une éventuelle ouverture à l’économie locale. Vouloir faire cavalier seul ne serait pas, il me semble, une bonne idée. Mes quelques échanges avec des hommes d’affaires russes, et mes lectures aussi, m’ont appris qu’il ne vaut mieux pas se trouver seul en affaires en Russie. Un investisseur peut devenir une sorte de protecteur. Il y en a bien sûr qui peuvent s’avérer des prédateurs, on peut mal tomber bien sûr. Je donne pour exemple le propriétaire de la chaîne de cafés « traveller’s café », un américain arrivé à la fin de la pérestroïka et qui vient d’en faire les frais il n’y a pas si longtemps… Après 25 ans de bons et loyaux services, il s’est fait virer par son conseil d’administration, purement et simplement. Il paraît qu’il est reparti avec rien ! C’est pourquoi il ne faut pas se tromper de choix...
Mais si le choix est bon, s’associer à un investisseur russe est une façon de se faire introniser dans la communauté russe. Et puis j’ai cru comprendre aussi que les affaires se font visiblement ainsi en Russie dans la majorité des cas. A choisir entre un investisseur et un banquier, ne vaut-il pas mieux un investisseur ? Il vous permet symboliquement de vous « russifier » un peu.
J’ai remarqué que les Russes n’acceptent pas facilement de partager leur territoire économique avec des étrangers. Est-ce surtout comme ça en Sibérie ? Dino m’a fait part de la résistance des professionnels qu’il a rencontrés à vouloir faire affaire avec lui.
Surtout donc ne pas croire que ça va être facile. Mon atout si j’en ai un ? M’adresser à un public que les locaux pour l’instant ont du mal à toucher.
On se quitte donc en se disant à bientôt. J’ai laissé mes coordonnées et ils doivent m’inviter à revenir présenter mon projet le 29 avril…
Tout semble s’accélérer de façon imprévue. Dans deux semaines les choses se mettraient déjà en marche ? Je suis heureux mais quand même un peu inquiet. Je ne connais rien à la législation russe, comment faire pour que tout se passe bien ?
Eugenia, qui a assisté à la réunion me conduit maintenant au café de Lafé. Je ne sais pas pourquoi ils ne l’ont pas appelé « de la Fée » ce café, puisqu’ils ont emprunté le nom à la fée verte, celle qui faisait la fierté de la Franche-Comté à la Belle époque : l’absinthe… Erreur ou choix d’être lisible pour les Russes ?
En tout cas je suis content de retrouver l’établissement. J’en ai de bons souvenirs, notamment une soirée avec la délégation de Franche-comté.
Il y règne une ambiance agréable. Succès certainement de la calme autorité d’Eugenia, de son charme discret. On sent que chacun a reçu des consignes claires, et que, une fois les instructions données on les laisse faire tout simplement leur travail. Les serveurs et les serveuses sont souriants, accueillants et tranquilles. On ne sent pas de stress. Dès ma première visite j’avais apprécié cet aspect que l’on ne trouve pas partout.
Je sais maintenant qu’ils ont fait réservations pleines pour les deux jours. C’est un bon signe, du monde pour l’ambiance, et la satisfaction de l’équipe quand les affaires vont bien. On me fait passer rapidement à table, on me dit de me tenir prêt car il se peut bien que les journalistes arrivent de bonne heure. J’ai carte blanche pour choisir quoi manger sur la carte. Bref, ce seront deux jours d’accueil irréprochable. Un vrai plaisir…
Le concert va bien se passer, le public est attentif et le café a eu le tact de faire venir une interprète, la même qu’en cette soirée que j’évoquais plus haut ! La belle Valeria. Elle est venue ce soir avec son futur mari. Le mariage est prévu pour septembre et ils souhaitent m’inviter ! C’est très gentil à eux et son ami me rendra grand service en filmant presque l’ensemble du concert.
J’ai prévu de faire trois parties de 30 minutes. Entre la deuxième et la troisième partie un jeu est proposé au public : qui me pose une question reçoit un bouchon numéroté. Et à la fin aura lieu un tirage au sort où le gagnant gagnera une bouteille de magvin. Ce petit échange avec le public sera une très bonne idée, et nous rapprochera. La soirée se terminera d’une façon vraiment chaleureuse. Bravo Eugenia pour l’organisation !
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Samedi 16 avril 2016, Barnaoul.
Le lendemain Eugenia a proposé de venir me chercher à l’appartement et de m’accompagner à Barnaoul. Elle me conduit d’abord dans un café à la mode de la place centrale pour le petit déjeuner. Je pense qu’elle apprécie autant que moi ce moment et me le fera remarquer le lendemain matin : « C’est agréable de prendre le petit déjeuner dans un café un dimanche matin ! ». C’est aussi agréable pour moi, l’élégance et la grâce d’Eugenia sont de bonne compagnie.
Ensuite, elle décide de m’accompagner au marché. Elle a été surprise hier quand je lui ai dit que je souhaitais y aller, mais bon, sans trop de conviction elle m’accompagne. Je pense que ce n’est pas dans l’air du temps ici d’aller flâner sur un marché. Léna me l’avait déjà fait remarquer. Il faudrait certainement que les produits se diversifient pour qu’on y trouve un nouvel intérêt. Mais l’économie de marché n’a pas encore ouvert tout le parapluie des possibilités. C’est bien dommage car c’est si plaisant de se promener dans la vieille ville ! De gros travaux sont en cours et je pense que le projet à long terme est justement de faire de cette vieille ville un lieu de promenade et de détente. Déjà, me dit Eugenia, on a interdit d’y planter de hauts immeubles pour garder indemne cet ensemble de maisons de marchands, en briques, datant généralement de la fin du XIXème.
La promenade est agréable mais les produits pas assez variés pour convaincre Eugenia de revenir une autre fois : on est dans le bas de gamme made in China. Beaucoup d’échoppes aussi d’équipements techniques : plomberie, électricité, voire pêche et chasse. Du coup, cela rend tout cela un peu trop masculin. Il y manque les étals de fruits et légumes qui attirent tant les parisiens sur leurs marchés.
Je me souviens d’une visite trois ans plus tôt où j’avais vu des femmes vendre leurs produits : des gants, des chaussettes faites à la main dans des laines magnifiques, des châles en angora ou en mohair. Je me souviens aussi d’une période où il y avait beaucoup d’échoppes de fourrures, toques, chapkas… En ce samedi matin le choix était assez pauvre et pas très attirant pour l’œil. En attendant, je tiens à faire voir l’étal de ces deux femmes qui m’ont dit avec fierté que c’était là « leur » poisson, - sans préciser si c’était celui de leur étang ou le produit de leur pèche dans quelque lac ou rivière.
Il y avait du soleil - et un soleil tellement chaud ! Eugenia me propose d’aller découvrir un parc à proximité de la rivière d’Ob. Nous reprenons la voiture, et commençons à remonter cette avenue que j’avais souvent prise lorsque je logeais à l’hôtel Praga, un peu plus haut, là où se trouvent aussi les sanatoriums. On fait demi-tour pour passer le terre-plein qui sépare les deux voies puis, après quelques carrefours, Eugenia prend une route de terre sur la droite.
Des familles se promènent avec des enfants, des hommes discutent au coin d’une rue en fumant. D’autres travaillent sur la réparation d’engins. Un petit monde populaire au rythme ralenti en ce samedi matin.
Nous arrivons sur une colline qui domine l’Ob, juste un peu en aval du pont qui mène à Novossibirsk, le grand pont de Barnaoul, depuis lequel on peut voir le nom de la ville en lettres géantes, - une façon de faire la nique à Hollywood.
Eugenia me dit que son père était ingénieur et que c’est lui qui a travaillé sur les fondations de ces lettres géantes qui siègent maintenant en contrebas. Je lui demande de me photographier au pied des lettres.
Eugenia me raconte qu’elle était venue jouer ici très souvent lorsqu’elle était enfant. C’était alors un parc très populaire et très bien entretenu, - ce qui n’est plus le cas. Pourtant il semblerait que des travaux soient actuellement en cours et que le parc pourrait bientôt retrouver le succès qu’il avait auparavant. D’autant plus qu’une église est en construction à deux pas des lettres géantes, ce qui pourrait, par les temps qui courent en Russie, amener beaucoup de passage et d’animation. Les Russes sont devenus très pratiquants depuis la fin de l’ère soviétique.
Après une après-midi de repos dans mon appartement, Eugenia vient à nouveau me chercher à 18 heures. Elle me dit que ce soir il y aura le propriétaire du café, Andreï dont j’ai déjà fait la connaissance, avec lioudmila son épouse. Et puis il y aura aussi son associé, l’autre actionnaire du café de Lafé. Elle me précise que cet Alexandre est un très gros actionnaire, qu’il travaille dans le domaine agricole, et notamment dans le commerce de graines. Elle ajoute « le café de Lafé, dans l’ensemble de son activité, n’est qu’une goutte d’eau. Il en est devenu l’actionnaire parce qu’il était un ami d’Andreï et que ça lui fait plaisir de temps en temps de venir manger au restaurant. »
Pas de journalistes aujourd’hui. Je retrouve Valeria qui sera à nouveau l’interprète de la soirée, et son futur mari. Ils ont l’air très amoureux tous les deux et restent épaule contre épaule une partie de la soirée. Il faut dire qu’ils ont été séparés pendant presqu’un an, pendant la période du service militaire. « Il est formidable ! » me dira Valeria un peu plus tard. « Heureux les amants séparés » chantait Jacques Brel…
Un nouveau public est là, les tables sont pleines, pas un siège de vide. Et comme hier le public sera chaleureux et attentif. Du coup je ne ressens aucun stress, m’applique à ne pas chanter devant le temps, ce que j’ai tendance à faire quand je suis nerveux. Bref, encore un beau moment de partage, qui se poursuivra un peu plus tard par le jeu des questions, - vraiment une bonne idée que le public a l’air de beaucoup apprécier.
Et puis le concert se termine et nous sommes invités avec Valeria à la table des patrons. Je reconnais Andreï et sa femme et on me présente Monsieur GAchman, sa femme et leur fille de vingt ans, Alina. C’est curieux, cette jeune femme me fait penser à un personnage de mon dernier roman « Blanches de Sibérie, et doubles croches ». Si un jour un courageux éditeur me faisait l’honneur de le publier, ce serait évidemment plus facile de partager cette impression... Bref. Le personnage dans le roman s’appelle Olieça. Sa ressemblance avec Alina n’est pas physique, l’une est brune avec des traits asiatiques et celle de la vraie vie est blonde. C’est plutôt une façon de se tenir, de se sentir une jeune fille particulière, car, bien sûr, elle sait que son père est très riche, ce qui offre des avantages, évidemment, mais aussi quelques contraintes, et en premier lieu, les exigences de son père... Eugenia m'a fait part de quelques friction, la fille qui veut aller étudier à St Petersbourg et le père qui lui répond, pas question, tu restes faire tes études ici. Là encore, des équivalences avec le livre. C’est un peu comme si je me retrouvais dans mon livre à la place de mon personnage Franck, au moment où il fait la connaissance avec le père et la fille. Dans le roman c’est sur un luxueux bateau, ici c’est dans ce restaurant, avec la jeune fille assise à coté de moi, sa mère ensuite, Andreï, et seulement après le père. En face se moi, de l'autre côté de la table, se trouve Valeria et, à droite, Lioudmila. Ils m’accueillent très gentiment, on me propose un dessert qui d’ailleurs a été enseigné au chef par un pâtissier de Besançon. Eh oui, une nouvelle activité est née : vendre son savoir faire à l’étranger. Le rêve pour les pâtissiers qui aiment voyager…
On a ouvert une bouteille de vin d’Arbois. C’est évidemment du vin d’Alain Baud, qui est une des coqueluches de l’endroit. Il était d’ailleurs là lors de cette soirée de délégation et avait chanté du Georges Brassens. Dans les bureaux du café, on voit des photos d’Alain Baud un peu partout. Il faut dire qu’il a fait dans sa jeunesse des études à langues O. et parle assez bien le russe. Je m’étais demandé d’ailleurs qui était la jolie blonde qui était à côté de lui sur la photo agrandie et scotchée dans le bureau d’Eugenia. Je le sais maintenant, c’est la fille du deuxième actionnaire du café…
J’avais expliqué à Eugenia mon souhait de demander à Andreï de me conseiller dans mes futures affaires. Notamment si un actionnaire me faisait une proposition. Elle me le rappelle quand nous avons presque terminé le premier verre. J’explique donc mon projet brièvement et leur confie mon ignorance de la législation russe et mon besoin d’avoir des conseils si je commence à faire affaire avec un investisseur. Ma question les laisse d’abord sceptique et je n’obtiens pas vraiment de réponse. Et puis, après quelques minutes, c’est Lioudmila, la femme d’Andreï, qui reprend ma question et relance le sujet. Je me demande si ma question ne gène pas un peu Andreï. Alexandre semble plus serein sur la question et me répond finalement qu’il pourra me donner son avis quand j’aurai une ébauche de contrat. Je n’aurai qu’à le contacter et ils examineront ça avec moi. Je le remercie et nous changeons de sujet.
Voilà, les choses sont dites. Rien n’est certain, mais tout est à peine plus possible qu’avant. On me ressert un verre de vin. Ce sera le quatrième. Et ils sont très bien servis. Je rentrerai plus tard dans ma chambrette l’humeur quelque peu vagabonde. La fenêtre est restée ouverte, heureusement sinon ce serait une fournaise. La nuit est si douce…
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Lundi 25 avril 2016, Novossibirsk.
Le printemps a vraiment chassé l’hiver d’un revers de bras. La mer d’Ob était encore gelée vendredi dernier, comme l’indique cette photo de Lisa que j’ai prise ce jour-là.
Et hier, plus de glace et des gens sur la plage torse nu !
Du côté du projet on s’active. Chacun à son poste. Dino a fait des nouvelles versions du camion et Léna est en train de traduire le dossier complet en russe. Un nouveau protagoniste commence à apporter sa contribution, il s'agit de mon ami Sébastien Gracias dont j'ai déjà parlé dans les Carnets de Sibérie. La partie de Sébastien, ce sont les plans de l'aménagement intérieur de nos futurs camping-cars. C'est le premier à qui j'ai parlé de mon idée de travailler à partir des UAZ, et c'est certainement en échangeant des réflexions avec lui que l'idée d'Altaï Focus Tour m'est venue.
Hier Sébastien m’a envoyé sa biographie en français et quelques images des projets d’architectes sur lesquels il a travaillé. Des grands noms du design sont de sortie avec lui : Pierre-Yves Rochon, Marc Prigent. C'est avec eux que Sébastien a travaillé plusieurs années avant de monter sa propre entreprise, Interior D. Light. L’entreprise est enregistrée à Moscou où il habite maintenant avec son amie Tania. Ceux qui ont lu les Carnets de Sibérie sauront qu'il y a eu du changement… C’est la vie…
Sébastien fait partie de ce réseau des sympathisants d’Améthyste International, association montée par Bastien Roy et Alexeï Jarkov. Deux jeunes hommes de vingt ans qui avaient décidé d’organiser des rencontres de photographes français et Russes. J’ai fait partie du premier échange, en 2001, et Sébastien du second, l’année suivante. Mais les groupes se sont croisés et, avec Sébastien, nous nous sommes connus par la suite.
La dernière fois que nous nous sommes rencontrés c’était cet hiver à Paris, chez Bastien. Il y avait le talentueux Joël Cubas et sa complice Sandrine Ballade, il y avait la toulousaine Elsa Potreau, qui était du premier voyage avec moi, et bien sûr il y avait Sébastien et Daria qui étaient à Paris en cette période. Eh oui, quinze ans après, nous ne nous sommes toujours pas perdus de vue… Et j’aimerais tant que ces voyages que je tente d’organiser soient à l’origine de semblables rencontres et d’amitiés aussi durables…
Alors voilà. Léna termine la traduction, Sébastien m’envoie sa biographie traduite par Daria et Dino en profite pour m’envoyer une nouvelle version de l’UAZ : irrésistible !
Ce soir un mail partira vers l’administration de l’Altaï, avec un dossier en Russe presque complet. Si tout se passe bien, que mon invitation au salon du tourisme de Barnaoul se confirme, je partirai vendredi présenter mon projet à Barnaoul. Il y aura aussi les plans d’aménagement intérieur de nos futurs camping-cars que Sébastien va m’envoyer cette semaine… Croisons les doigts qu’il n’y ait pas de changement de programme…
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jeudi 28 avril 2016, Barnaoul.
Nous prenons notre petit déjeuner en même temps que Lisa se met à manger toute seule son mélange de carotte et de pomme râpée. De plus en plus elle veut faire seule et refuse mordicus qu’on l’aide. C’est en regardant la petite en mettre un peu partout avec ses doigts encore imprécis que nous préparons avec Lena l’APPEL. Nous avons le trac. Léna, avec sa timidité bien à elle, qui redoute ces appels comme la peste, et moi qui attend de savoir à quelle sauce je vais être mangé… Je fais le numéro, passe le téléphone à Lena. Quelqu’un répond. J’entends Léna expliquer et j’admire le ton de sa voix. Elle est toujours si convaincante et ne s’en doute même pas…
Je ne comprends rien bien sûr. J’attends. Le coup de fil n’est pas très long, elle salue, remercie (ça je peux comprendre) et raccroche.
« - Alors ? – Il dit qu’il était parti plusieurs jours, qu’il vient de rentrer et se renseigne. Je dois le rappeler dans une heure et demie. – Bon, cela explique au moins qu’il ne m’a pas répondu… »
Et nous retournons à nos occupations parentales.
Une heure après on rappelle et ça ne répond pas. Léna me dit de ne pas m’impatienter. « Ils disent toujours un peu moins qu’ils n’ont besoin, attends, on rappellera vers midi. »
Et comme Lena l’avait prévu, vers midi un téléphone inconnu me rappelle. Il s’agit de Denis Sergueevitch, je pense que c’est lui qui représentait Iouri Zakharov à notre réunion de Barnaoul. Il explique à Lena où va se trouver le forum, demain, entre 10 heures et 15 heures. Il dit qu’il n’y aura pas d’investisseur mais surtout les dirigeants des agences. Ce sera une façon explique-t-il de vérifier la viabilité du projet. Mais il faudra que j’aie un interprète. Façon polie me précise Lena de me dire que je devrai me débrouiller pour en trouver une. Bref, un peu décevant la façon de présenter les choses, mais en même temps, une sorte d’avertissement : si je ne passe pas ce test là, ce n’est pas la peine d’aller plus loin. Il faut donc y aller. La moitié qu’il me reste de mon salaire au Café Lafé va y passer, mais tant pis. C’est ça la vie…
Alors il est midi et je dois partir ce soir en ayant !
- Trouvé un endroit pour dormir
- Une interprète
- Acheter un billet pour le bus aujourd’hui
- Attendre que Sébastien finisse au moins une ébauche de plan
- Et imprimer au moins un exemplaire papier…
Inutile de préciser le rythme qui va suivre. Après quelques SMS ; je trouve grâce à Eugenia le numéro de téléphone de Valeria. Je l’appelle mais elle ne sera pas libre demain matin. « Rappelez-moi dans un quart d’heure me dit-elle avec sa gentillesse habituelle. » Je la rappelle et elle me dit que Natalia, un professeur de français que je connais aussi, et qui a aussi travaillé à une part de la traduction de mon livre, sera libre demain matin et pourrait m’aider. Je n’ai qu’à lui laisser un message sur facebook. Formidable ! Merci Valeria !
Je retrouve le nom d’une auberge où j’étais allé à Barnaoul. On y trouve des chambres dortoir à moins de dix euros la nuit. On réserve une place. Depuis son travail Lena réussit à m’acheter un billet de bus pour ce soir, à 17h30 et enfin, après un jeu de question réponses qui va durer tout l’après-midi, Sébastien m’envoie une première version de l’aménagement du camping-car.
Je fonce à l’imprimerie. Il ne me reste plus que 45 minutes pour aller à Berdsk prendre le bus. S’il n’y a pas d’embouteillage, ça ira.
Et c’est allé. J’ai même fait la connaissance dans le marchroutka avec une dame qui travaille dans un lycée à Akademgorodok et qui m’a laissé ses coordonnées. Ne pas oublier que je cherche du travail…
Voilà, tout le monde y a mis du sien, c’est formidable. Je n’ai pas eu encore de réponse de Natalia, mais Valeria a dû tout lui expliquer et je pense que ça va aller…
J’espère…
Ne pas être trop optimiste, mais pas trop pessimiste non plus…
La nuit tombe, il pleut sur la M52, qui n’est plus d’ailleurs la M-52 puisque j’apprends qu’on l’a surnommée la P-256. Tout à l’heure j’ai retrouvé, lors d’un arrêt règlementaire, la lumière que j’aime tant en Altaï : oblique, d’un très beau jaune oranger. Est-ce pour cela qu’on l’aurait appelé la montagne d’or ? Le bus est confortable et, pour une fois, la température n’est ni torride, ni glaciale…
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Vendredi 29 avril 2016, Barnaoul.
Quelle journée ! Qui a commencé mal d’ailleurs. Mais comment faire une bonne nuit quand on est ainsi stressé par l’incertitude et l’importance du lendemain ? Bien que je sois logé dans une chambre à quatre lits, à l’hostel Arbus, je suis néanmoins seul dans la chambre. D’ailleurs il semble que dans l’hostel il n’y ait pas grand monde. Je précise que « hostel » est une catégorie d’hôtels bon marché, souvent avec des chambres dortoirs, de deux, quatre et jusqu’à huit lits. Au guichet j’ai payé 100 roubles de moins que ne l’indiquait le site internet de réservation. Ce qui nous amène à 400 roubles, à peine plus que 5 euros. Et le bouquet, c’est qu’au matin je découvrirai que le petit déjeuner est inclus !
Au matin, je prends le petit bout de papier que Léna m’avait préparé et je me dirige vers l’arrêt de bus, pour attendre le bus 60. Il finit par arriver et je trouve même une place assise.
C’est alors que la mauvaise nuit et le stress vont me faire faire une de ces erreurs dont il m’arrive d’être capable. Après-coup, c’est incompréhensible.
Léna m’avait écrit d’un côté du papier les bus pour aller à l’hôtel, de l’autre côté le bus pour aller au parc des expositions où je devais me rendre : le « Té-Tsé Plaza ». Pris d’un doute dans le bus je demande à un voyageur si je vais bien dans la direction de… Et là je me trompe de côté de la feuille… C’est écrit bus 60, comme de l’autre côté. Mais c’est pour aller à la pension… Donc je demande si je vais bien dans la direction de la station Prospect Lenin, qui est en fait la station d’où je viens. Evidemment le voyageur me répond que je me trompe de côté, qu’il faut que je prenne le bus dans l’autre sens. Je descends et vois un bus 65 qui va aussi à Prospect Lenin. Je monte et me dis cette fois que tout va bien aller. Je m’assois et laisse le temps passer.
C’est quand même étrange, cette banlieue que l’on traverse, me dis-je… On s’éloigne visiblement du centre ville… Je redemande si l’on va bientôt arriver à Prospect Lenin ! Encore ! Et encore une fois naturellement on me dit que c’est dans l’autre direction !!!
Un vrai gag dont je ne comprends encore rien… Mon esprit bloque sur ce détail, où est Lenin Prospect… Le stress réduit ma capacité à me poser les bonnes questions… Le temps en plus a passé, je n’ai plus que cinq minutes pour être à l’heure. Une autre jeune femme dans la rue me donne des explications : elle m’apprend que l’arrêt Lenin Prospect est à 25 minutes environ… Panique… j’appelle Natalia qui m’a dit, ce matin, qu’elle pourrait être mon interprète, mais seulement jusqu’à 11 heures ! Et il est dix heures moins cinq !
A 10 h 15 j’arrive enfin à Lenin Propect que je ne reconnais pas puisque, hier soir, je ne suis pas arrivé par là et que j’ai démarré de l’autre côté ce matin. Cette fois je comprends que c’est foutu pour le bus, il faut que je prenne un taxi. Il y en a justement un garé tout près. Le chauffeur est absent mais, sur la portière, un numéro de téléphone. J’appelle mais je ne comprends rien à ce que la femme me dit et je suis même incapable d’expliquer où je suis. Une jeune femme passe à côté, je fonce vers elle et lui demande de prendre mon téléphone. Je lui explique « taxi, taxi, gde sdiess » ce qui veut dire « taxi, taxi, on est où ? » Elle comprend à peine ce qui lui arrive mais répond quand même au téléphone. Je lui dit : « je vais à Té-tsé Plaza ! Et cette fois comme par hasard, je donne le bon arrêt de bus « Anatolia » puisque je suis tombé du bon côté de la page !
C’est fait ! Elle me rend mon téléphone et je la remercie. Elle remet ses écouteurs et repars comme si de rien n’avait été.
Je reçois un sms, ce qui signifie que le taxi arrive. Je vois un taxi arriver. Je monte naturellement dedans et nous partons. Le type est sympa, je suis un peu sur les nerfs et ça me rend plus loquace. On discute. On se comprend comme on peut, mais quand on veut on peut. Et on discute tellement que c’en est même hallucinant avec si peu de vocabulaire ! Et le temps passe encore... Au bout d’un certain temps le chauffeur - un jeune avec une petite barbe à la mode telle qu’on en voit pas mal dans les festivals de musique – me dit : « Mais vous allez où en fait ? » Et là je lui réponds « té-tsé Plaza, arrêt Anatolia »
J’ai oublié de dire qu’entre temps mon téléphone a sonné plusieurs fois. J’ai essayé de répondre mais je ne comprenais rien. C’est quand j’ai passé mon téléphone au chauffeur que j’ai compris que c’était un chauffeur de taxi qui m’appelait.
En fait, je n’étais pas entré dans le bon taxi.
Celui qui était venu me chercher, c’était celui qui m’appelait. Et c’est là que Sergueï, mon chauffeur, m’a posé la question « mais en fait vous allez où ? » Parce que ce n’était pas l’adresse que la centrale lui avait donnée, et vers laquelle il se dirigeait depuis vingt bonnes minutes ! « T-Tsé Plaza, je répète, astanovka Anatolia» Et là il écarquille les yeux.
Nous sommes probablement à l’opposé et déjà assez loin ! Il fait demi-tour et… nous reprenons la conversation… Après avoir parlé de mon projet, des différents problèmes éventuels de l’UAZ, de la clientèle russe et tout ça, nous en venons à parler de l’Ukraine. Et le temps passe encore…
Nous arrivons bons copains au Té-tsé Plaza avec une heure de retard. Quand nous arrivons, Sergueï est en train de me raconter une légende d’Altaï que j’ai même filmée. La voici :
Nous nous saluons comme de vieux amis et j’entre dans le bâtiment. Bientôt je vois la svelte rousseur de Natalia venir vers moi. Elle me dit : « on va passer bientôt, on n’a juste 10 mn, il faut être très concis ! - Pas de problème ! je réponds. » Je vais à la garde-robe laisser mes affaires, mets ma veste de costume et nous allons dans une salle entourée de verre et bondée de monde. Une femme parle au micro d’une voix monotone. Je sors ma clé USB, la donne au technicien, nous attendons quelques minutes et c’est mon tour. Natalia est à côté de moi, traduit très à l’aise, j’explique brièvement tous les points importants et fais voir nos UAZ à l’assemblée. A la fin de la présentation les gens applaudissent. Natalia me dit « Dis-donc, pile dix minutes ! »
A la sortie quelques personnes viennent autour de nous. On me donne des cartes de visites. Une agence, une autre qui me dit qu’elle s’occupe du transport de touriste, - en voiture et même à cheval, une autre est professeur de tourisme à l’université et a sa proche agence. Elle me parle de calculs de rentabilité, de plans de promotion, de cinq années à son avis pour l’amortissement des investissements. Un vocabulaire un peu nouveau pour moi. Mais elle pourra me conseiller me dit-elle. Le dernier à venir est un homme de Moscou qui organise des tours en Altaï, en Mongolie et au Baïkal à moto. Il me dit que je pourrais travailler pour lui pour trouver de la clientèle en France. Il me montre des livres qu’ils impriment à la fin de chaque voyage…
Tout cela va très vite, quelques mots et une carte va dans ma poche. Mais pas d’investisseurs comme on me l’a annoncé hier… Je commence à me demander à quoi ça sert tout ça…
Cette fois Natalia doit partir, elle a réunion bientôt. Donc sans elle, pas d’autres rencontres envisageables…. Je monte alors au premier étage où l’on m’a dit qu’avait lieu une exposition intéressante. En fait c’est un salon où sont présents l’essentiel des sites ou villages touristiques du kraï de l’Altaï. Je vais y retrouver la plupart de ceux que j’avais rencontrés dans ma résidence pour les Carnets de Sibérie. A commencer par Dmitri et Ruslan de Biisk, puis Lioudmila de Novo-Pokrovka et qui figure glorieusement sur la couverture de mon livre, Larissa de Sintelek, et même le chaman Artiom…
Je suis très content de les revoir, on me prend en photo avec l’un, avec les autres. Et je retrouve cette ambiance chaleureuse et enjouée que j’avais connue dans les marchés artisanaux et dans les lieux où nous étions allés séjourner avec Valery et les différents interprètes. L’esprit des villageois rieurs et hospitaliers. Un peu commerçants peut-être aussi. Mais après tout, s’ils ne sont pas aimables dans leur métier, autant dire qu’ils ne le feront pas longtemps.
Je déguste quelques plats, dont ce saucisson des kazakhs du kraï et même d’une délégation venue spécialement du Kazakhstan. Spécialités à base de viande de cheval à qui les peuples nomades vouent un véritable culte.
On me donne des catalogues publicitaires, des cartes de visites et même qui une bouteille d’eau minérale locale, qui une barre de chocolat avec le nom d’un village touristique sur l’emballage. L’un veut ouvrir un bocal de boue thérapeutique pour m’en faire tester les vertus. Je lui conseille de laisser son bocal fermé…
En tout cas les voici ceux que je voudrais associer à mon projet, et je suis très content de leur en glisser quelques mots. Mais j’ai compris que la réalisation sera longue et difficile.
Continuer à y croire coûte que coûte, - sans quoi tout disparaîtra irrévocablement...
Je sors, nous avons prévu que Sergueï, dont j’ai pris le numéro de téléphone, passe me chercher à 14 heures car Natalia a décidé de me faire rencontrer le recteur de son université. Quelques minutes avant l’heure convenue avec Sergueï elle m’envoie un message me conseillant d’annuler le taxi car le recteur ne peut pas finalement me recevoir, il a dû quitter l’université.
Tant pis, je ne veux pas faire çà à mon chauffeur favori, qui a même eu le tact de ne pas me monter le prix de la course alors qu’on a fait au moins trente kilomètres… Nous parlons encore quelques minutes et il me fait encore un prix très correct. La prochaine fois, je n’aurai plus à hésiter pour demander l’aide d’un taxi. Sergueï est là et j’espère qu’il ne va pas trop vite changer de métier…
Natalia devait me voir dans l’après-midi mais elle m’envoie un message pour me dire que, du fait de son absence du matin, elle ne pourra pas s’absenter à nouveau. Elle me propose qu’on se voie après ses cours, à 18 h 30, si ce n’est pas trop tard... Je n’ai pas le choix, je dois lui parler cette fois d’enseignement.
Je profite de l’après-midi pour flâner dans Barnaoul. Cette fête du tourisme a lieu dans différents endroits de la ville, et notamment sur la place centrale. Là, d’autres stands vendent des gâteaux, du miel, des salaisons, des jus maison. Ce sont essentiellement des comestibles, et bien sûr les samovars sont là pour proposer du thé chaud.
Un peu plus tard je me rendrai au café de Lafé où Eugenia me fera l’honneur de m’offrir un petit café-désert puisque je lui ai refusé un repas complet ! Mais à 17 heures, ne n’est pas mon heure. Voilà, je suis Français, nous avons nos horaires pour manger… Les Russes, eux, le font n’importe quand…
Je mets mon projet à l’épreuve de l’appréciation d’Eugenia, pour découvrir qu’il y aura encore du chemin à faire pour que les Russes se lancent à partir tout seul en camping-car. La peur des villageois, de leur désœuvrement et de l’alcool qu’ils consommeraient en masse et qui les pousserait à faire n’importe quoi. Mythe ou réalité ? Je lui glisse quand même « Mais dans une voiture fermée à clé, vous êtes quand même plus en sécurité que dans une tente !
Et puis cette image de la voiture fabriquée en Russie « Elles tombent toujours en panne, me dit-elle. Ceux qui les utilisent savent comment faire pour ne pas qu’elles les laissent en plan, ils savent les entretenir et les réparer. Mais moi je n’ai pas envie de m’amuser à ça. Je n’ai confiance qu’aux voitures d’importation… » Mince alors, c’est vrai que j’avais oublié cela : les Russes n’ont plus confiance en leur industrie. Et j’ai même lu quelque part que la vente des véhicules russes avait beaucoup baissé, - excepté peut-être pour l’UAZ, notre Boukhanka… Alors j’argumente : « Mais c’est comme les avions, avant chaque voyage ils sont contrôlés et si quelque chose ne va pas on le change avant qu’il ne tombe en panne. Eh bien, une entreprise qui loue des véhicules doit faire pareil. Et ainsi il n’y aura pas de panne ! - Peut-être » concède-t-elle sceptique…
Enfin voilà comment le temps passe gentiment en ce vendredi après-midi…
Le soir, Natalia est sortie de son université à 19 heures. Je commençais à désespérer. « Désolé, me dit-elle, mais je n’ai pas pu me sortir de là avant ! »
Nous marchons en direction de la gare et j’en profite pour lui expliquer mon intention de donner des cours de français, et même, de refaire une année d’études pour mettre à jour mes diplômes. « Effectivement finit-elle par me dire, nous aurions peut-être des possibilités pour toi… De plus, à l’Université où je travaille, nous avons un secteur touristique où tu pourrais faire un travail de recherche en liaison avec ton futur métier… »
Après une crêpe dans une boite à blinis que je connais près de la gare, et un verre de jus de baies d’argousier (« ablipikha » en Russe), j’abandonne Natalia devant son thé et pars en courant vers la gare. Il faut que je prenne le bus de 20 heures.
Dans la gare, une queue de dix mètres devant chaque caisse... Je dois demander pour passer devant les gens. Il est 19 heures 50. J’achète mon billet illico, et je courre
dans la cour
où a cours
l’embarquement.
Le bus est là qui attend. Je monte en coup de vent, - c’était une journée comme ça, avec, disons, de fortes accélérations….
Quelques minutes après un coup de fil de Dmitri. Il me dit qu’il pense m’avoir trouvé un concert pour le mois de mai à Biisk. Je dois lui envoyer mes conditions mais il semble très optimisme.
Une drôle de journée, mais un bilan positif je pense. Non ?